Quels moyens mettre en œuvre pour nous en protéger
Dans un premier temps j’ai montré comment nous pouvions faire face aux séquelles de la pédocriminalité - principalement de voisinage - et ce, sur le plan de l’individu. Mais j’ai bien pris garde de montrer également qu’il ne suffit pas d’envisager la question sous l’angle uniquement individuel. La composante collective est intrinsèquement liée à la résolution du problème. Elle l’est car tout individu, naît et grandit dans le milieu restreint de la famille puis il évolue dans un ensemble plus vaste que l’on nomme couramment société. Il en est influencé et cela rend cette même société responsable de ses membres. C’est aux fondations de tous les pactes sociaux. Elle doit les protéger, faciliter leur ascension sociale et, quand la nécessité s’impose, elle doit assumer la prise en charge des problèmes tant moraux que juridiques qui mettent en péril une catégorie particulière de ses membres. Il faut parfois avoir le courage de dire que si le droit n’encadre plus la réalité, il faut changer le droit. J’ai déjà posé le problème de l’inceste et des maltraitances de l’enfant comme relevant de la responsabilité collective. (Inceste, pédocriminalité, crimes contre l’humanité, éd. Lierre et Coudrier, Toulouse, 2006)
Poser ces crimes comme relevant des définitions internationales du crime contre l’humain n’a rien d’une outrance car si nous nous penchons sur les chiffres que j’ai cités dans l’article précédent, nous restons consternés. Et si l’on prétend que ces chiffres sont erronés, il suffit de s’en remettre aux études canadiennes, ce qui nous ramène, de toute manière à des évaluations identiques.
Je ne suis pas seul à poser les choses ainsi mais l’inertie collective est puissante, le politique, plutôt suiviste quand cela l’arrange, ne se risquera donc pas à engager un débat incertain car le problème de la maltraitance de l’enfance touche autant la morale que la vie citoyenne, le vivre ensemble.
C’est bien ce qui complique la résolution de ce problème. Pour évacuer la question beaucoup de détracteurs des mesures qui pourraient être prises pour faire face à la pédocriminalité de voisinage, invoquent la notion morale pour dire : « Ce n’est pas à l’État de s’immiscer dans des problèmes de mœurs ». Ce à quoi on peut répondre qu’il le fait bien quand il s’agit de punir un crime passionnel, par exemple. Est-ce que ces détracteurs voudraient nous dire que l’inceste, pour ne citer que ce crime, ne relèverait que de la sphère personnelle ?
Précisément depuis deux ou trois siècles les problèmes d’inceste et de maltraitance de l’enfant se réglaient en famille sous l’égide du Pater familias...
Peut-on, un instant consentir à voir qu’il s’agit là d’un archaïsme indigne d’une société moderne.
Nous devons déjà définir cliniquement ce que sont les prédations sexuelles, incestueuses et celles résultant d’un acte barbare ou des pulsions d’un pervers à l’affût.
Les définitions actuelles qui reposent sur une distinction archaïque entre viol et attouchement sont totalement dépassées. Et ce n’est pas l’inscription récente de l’inceste comme crime qui changera les mentalités, car les mentalités, côté enquêteur, côté juge voire côté expert demeurent antédiluviennes. Elles masquent mal leur appartenance à l’idée d’une patria potesta, cette suprématie absolue du père sur l’ensemble de la famille. En aparté, il est inconcevable que l’on pose à une adolescente violée la question suivante : « comment étais-tu habillée ! » (Le tutoiement est de rigueur)
D’emblée, à part quelques rares exceptions - des enquêteurs remarquables, formés et diligents — la parole de la victime est mise en question. La recherche de la preuve semble incontournable, preuve de lésions physiques, bien entendu. Comme si la lésion psychique était une illusion, un phantasme. À l’heure où l’on introduit la réalité du harcèlement au travail, preuve qu’une lésion psychique peut être prise en considération, comment ignorer l’existence de lésions à vie chez les victimes de pédocriminels ?
Il faut convenir que rares sont les cliniciens formés au dépistage des ces traces d’un traumatisme produit dans la petite enfance.
Premier pas à franchir : former des cliniciens, approfondir nos recherche et nos connaissance en victimologie.
Ce vide clinique ne doit pas empêcher de faire un inventaire national des victimes d’inceste, de viol commis dans l’enfance par des proches.
On demeure consterné devant cette béance. Pas un sociologue n’a été assez influent pour imposer une enquête globale. A-t-on peur d’avance de la vérité qui éclatera au grand jour ?
Dans la perspective d’un approfondissement de nos connaissances en victimologie, il convient également de différencier les différents facteurs de toxicité et de perversité liés à la pédocriminalité. (J’y inclus la pédocriminalité sur internet qui semble tant fasciner nos édiles)
Partant de ces premiers éléments de connaissance, il faudrait alors étudier de près l’impact à court et long terme de la toxicité des traumatismes de l’enfance, évaluer le coût social de cet impact. Je crois savoir qu’Aude Fievet a posé les premiers éléments qui pourraient servir à cette évaluation. Je n’ai pas eu connaissance de ses travaux finalisés.
Enfin, sans nullement porter atteinte à notre fierté nationale ou européenne, des missions aux USA et au Canada pourraient nous aider à rattraper le retard considérable en la matière : connaissance de la victime et de ses besoins, connaissance des pédocriminels et de leurs modes opératoires. Notre sentiment primaire antiaméricain constitue certes un frein considérable mais n’est-il pas temps de voir les choses autrement ?
Quand un aspect particulier de la vie sociale est ignorée des politiques, il se trouve toujours des individus engagés pour créer des instances de revendication ou des groupes de pression afin de forcer la prise de conscience nécessaire à un changement d’attitude collective voire induire un changement de mœurs.
L’exemple même de la prise de conscience des bouleversements climatiques à venir en est un modèle. Il aura fallu plus 40 ans de revendications et de pression pour que le problème fasse l’objet d’un vaste débat. Et, qui dit débat, dit aussi diffusion au préalable d’une information fiable.
L’inertie collective ne repose pas sur une soi disant indifférence du public — c’est un préjugé féroce — mais sur l’indifférence même des intellectuels et des élites politiques...
C’est pourquoi les associations de victimes constituent, pour l’instant, la seule force susceptible de créer un mouvement d’opinion. Mais on peut se demander s’il cela doit s’installer comme présence permanente.
Mouvements populaires et associations de victimes
Marche Blanche est le nom d’un mouvement de protestation né à la suite de l’Affaire Dutroux en Belgique et suite à l’arrestation de plusieurs pédocriminels. Ce mouvement populaire spontané a rassemblé plus de 300 000 personnes à Bruxelles en octobre 1996 lors d’une Marche Blanche pour protester contre l’inertie des pouvoirs publics et les silences douteux de la justice face aux crimes pédosexuels.
Le mouvement — comme souvent en pareil cas — s’est institutionnalisé et a donné naissance à des associations du même nom, en Suisse notamment, plus tard d’autres associations de victimes ont vu le jour, souvent grâce à des initiatives individuelles. Certaines se sont fait connaître au plan national, d’autres, plus discrètes, se sont ancrées localement d’autres, enfin ont disparu. En France, AIVI (2000, Association Internationale des Victimes d’Inceste), et IED (2001, Innocence en Danger) s’imposent comme des leaders de la défense des victimes d’inceste, pour la première, de l’enfance en danger en génaral pour la seconde. Ce sont des associations généralistes qui peuvent accorder une sorte de franchise à des clubs locaux pour des actes ponctuels ou qui cherchent à en créer pour démultiplier leur capacité d’information et d’impact auprès du public et il s’agit, le plus souvent de ce deuxième type de délégation. Dans un paysage plutôt désert, leur capacité de pression sur les pouvoirs publics et sur des élus, les promeut au rang de porte parole des victimes. Cependant leur volonté hégémonique — quasi naturelle car reposant sur une absence de concurrence — finira par poser problème à un moment ou à un autre.
On peut citer aussi L’INAVEM qui, depuis 20 ans, contribue à la reconnaissance des droits des victimes. Il s’agit déjà d’une fédération de professionnels, fort bien structurée, documentée et qui offre des services gratuits. Ce pourrait être un premier modèle fédératif ou de mutualisation de moyens dont la vocation serait de diffuser une information auprès des victimes ou des proches.
Enfin la Fondation Princesses de Croÿ et Massimo Lancellotti, créée en 2001 s’est donnée pour but premier de protéger les droits des enfants et des parents, notamment dans le cadre de la pédocriminalité organisée, sectaire ou intra-familiale et la traite d’enfants ; des enlèvements parentaux où par des tiers et des enfants placés en institutions publiques.
En France donc, le réseau d’associations de victimes de maltraitance est peu dense, disparate dans ses moyens et ses objectifs. La plupart des associations nées dans la foulée de la Marche Blanche demeurent imprégnées par ce mouvement légitime de colère et de revendication. Depuis, les parlementaires, les politiques, les acteurs de la justice ont peu à peu intégré cette dimension de lutte et, globalement, se sont recroquevillés sur des positions conservatrices, tout en se cachant derrière un discours récupérateur et manipulateur. Cette tendance est assez commune en Europe de l’Ouest, même si L’Espagne, la Suisse et les pays scandinaves développent actuellement de réels moyens pour faire face au problème posé par les maltraitances conjugales et les maltraitances de l’enfant.
L’évolution globale des sociétés européennes contraint à une décentralisation des moyens de prévention et de lutte — c’est valable pour tout le champ culturel et social. Les associations locales, proches du terrain sont bien plus à même de faire face à une demande de proximité forcément individuelle et singulière, que des associations nationales dont le fonctionnement, qui repose sur le bénévolat, ne peut offrir la qualité d’accueil requise pour les victimes. Par contre, ces dernières développent la puissance nécessaire pour devenir des groupes de pression efficaces. Les associations locales doivent, par contre, garder et développer la maîtrise de l’accueil et du soutien aux victimes. Mais ces dernières devront, à un moment ou à un autre, se fédérer pour se protéger des aléas et des pressions financières ou politiques aléatoires et imprévisibles.
Quant aux administrations territoriales et à l’État, il faudra bien à un moment ou à un autre qu’ils s’impliquent dans des actions générales de prévention, de lutte et d’accueil des victimes, d’éducation et d’information auprès du public. Or, pour l’instant, nous constatons surtout des gesticulations qui, le plus souvent, pour des mobiles électoraux, instrumentalisent la souffrance et l’attente des victimes, sans véritablement débloquer les moyens de mise en œuvre nécessaires ni permettre l’application correcte des lois et règlements édictés sans ordre ni concertation. Entre les déclarations de bonnes intentions d’un pouvoir qui agit dans la hâte de l’actualité et le terrain, la décalage est saisissant. Enquêtes bâclées, longues, des décisions de justice aberrantes, des auxiliaires de justice bien plus habitués à encadrer des délinquants que des petites victimes, des experts manipulés par ceux-là même qui devraient rendre des compte...
Il manque, sur le territoire français une instance de régulation et de coordination. Ce pourrait être le rôle d’un Commissariat général de surveillance des violences domestiques et des violences faites à l’enfant, au fonctionnement indépendant, dont le but serait, dans un premier temps, de faire l’inventaire des besoins : enquête sur l’ampleur des méfaits de cette délinquance masquée, besoins des victimes, formations des acteurs, etc. — il est inconcevable que cela n’ait jamais été entrepris. Faire ensuite l’inventaire des ressources existantes pour, ensuite, proposer des solutions à court, moyen et long terme tant au point de vue de l’éducation, de la santé, de la sécurité et de la formation des personnels spécialisés. Cette instance aurait compétence auprès de plusieurs ministères et réunirait, de manière collégiale et paritaire, des professionnels, des représentants ministériels et des représentants de victimes. La mobilité, l’ajustement des méthodes et l’ouverture vers la recherche pourrait reposer sur des états généraux réunis périodiquement, facilitant ainsi la rencontre des acteurs du secteur et largement ouverts à la société civile, pas seulement à quelques spécialistes autoproclamés.
Dispositif à plusieurs étages et à plusieurs visées, complexe mais seul susceptible de mettre un terme à la confusion en dentelle du moment, qui pourra harmoniser les modes d’approche du problème sous tous ses aspects mais également servir d’instrument de vigilance éthique et de plateforme internationale car le problème des réseaux de pédoprostitution impose une collaboration internationale, un engagement de tous les États qui ont signé la Déclaration des Droits de l’Enfant, édictée le 20 novembre 2009 par les Nations Unies.
La prédation pédosexuelle met en présence plusieurs acteurs, les psychiatres et les psychologues, naturellement mais, en amont, nous allons rencontrer les policiers ou gendarmes, les juges et les avocats, puis, en supplétifs, des éducateurs ou assistants sociaux.
Chacun, à son niveau, ne peut approcher le problème de la prédation pédosexuelle s’il n’est solidement formé au préalable, s’il ne maîtrise pas les outils spécifiques qu’impose cette criminalité dont les auteurs appartiennent à toutes les couches de la société, dont les auteurs nous touchent de près, qui peuvent être nos collègues, nos amis...
J’ai souligné plus haut combien la connaissance de cette criminalité était nécessaire pour comprendre l’écheveau dans lequel la victime est emprisonnée. La connaissance de ce type particulier de criminel, s’impose autant que la connaissance de la victime.
Concernant le maillage d’un territoire et son organisation, j’ai pu constater au Canada et aux USA combien l’existence de structures locales très spécialisées et implantées dans chaque ville ou chaque quartier, rendait possible la lutte et la prévention contre ce fléau.
Autre point singulier, si en Europe, la collaboration entre acteurs sociaux privés et enquêteurs ou juges est exceptionnelle, notamment en matière de pédocriminalité de voisinage, il n’en va pas de même dans ces pays. En effet, policiers ou acteurs sociaux de ces structures, CAVAC ou autres, peuvent, de manière non différenciée, entreprendre toutes les actions consécutives à un premier signalement et engager ce qui pourrait s’appeler une enquête préliminaire avant d’en rendre compte au Procureur de la Reine.
Le policier adopte un mode de fonctionnement proche de l’éducateur, l’éducateur se dote d’outils d’investigations de type policier.
Exceptionnelle pour certains acteurs sociaux mais, pour reprendre l’exemple de l’UNAPEI, cette pratique fait partie des standards, notamment dans la relation entre parents d’enfants handicapés mentaux, associations et instances judiciaires, preuve que tout est possible si l’on veut bien avoir le courage d’initier un débat qui engage tous les partenaires, lequel pourrait déboucher, à terme, sur des actions concertées, cohérentes et efficaces.
Si les élus et l’État ne prennent pas leurs responsabilités, ce sont des structures comme celles de l’UNAPEI qui verront le jour et dont l’influence modifiera considérablement le tissu social français. N’oublions pas, en effet, que la question de la pédocriminalité de voisinage trouve sa source dans des attitudes qui, si elles paraissent banales dans leur forme visibles — la fessée par exemple — peuvent s’amplifier et prendre des allures de fléau social si rien n’est fait pour endiguer cette démesure morale.
Il ne s’agit pas seulement d’un problème mécanique de handicap névrotique.
Les traumatismes de l’enfance
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