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Projet de civilisation, imposture et illusion<BR>
III - Variations sur Culture et Civilisation
L’�volution d’une id�e
dimanche 31 ao�t 2008, par
Entendement populaire ou d�finition savante, le concept de culture, associ� � celui de civilisation, a suscit�, depuis sa naissance et lors de ces trois derniers si�cles, de nombreux d�bats houleux. Il existe une compr�hension populaire du terme qui para�t �vidente tant le mot recouvre une r�alit� qui va de soi.
Sans avoir � d�cider ce qui, du savoir populaire ou du savoir savant dit la r�alit� premi�re, attachons nous � voir comment le terme culture a �volu� depuis sa r�cente naissance. Ce mot a �t� appliqu� pour recouvrir des r�alit�s diff�rentes sous des sens vari�s au cours des derniers si�cles et la difficult� � le d�finir demeure telle qu’� sa premi�re utilisation.
La question se pose de l’existence d’une culture qui lierait toute l’humanit� pr�sente et qui d�terminerait des dispositions universelles - dont une d�claration universelle des droits de l’homme mais aussi le principe pour nous essentiel de libert� individuelle - sur la base de mod�les universels d’une soci�t� id�alement compt�e comme la plus b�n�fique pour la prosp�rit� de l’Homme - humanit�. De quel mod�le s’agit-il donc et peut-on abolir aussi facilement les particularismes si vivants sur la plan�te, ces mod�les, parfois aussi microcosmiques qu’insignifiants au regard de la mondialisation, mais qui offrent � leurs sujets des id�aux palpables, charg�s de symboles et de sens�?
Alors que l’anthropologie et la sociologie ont souvent pens� les cultures selon des mod�les de groupe, nous verrons ici ce que le concept de culture doit � la prise en compte des besoins de l’individu au plan personnel, dans son intimit�, selon sa psychologie.
Ce texte est repris et d�velopp� � partir d’une conf�rence donn�e au premier Congr�s Maghr�bin de Psychologie, ��Culture et identité », 14-15-16 mars 1989 - Hammamet, Tunisie..
Le terme civilisation appara�t en Europe au XVIIIe si�cle et il d�signe les acquis du progr�s continu que la raison a permis de cumuler. Ce substantif implique une distanciation vis-�-vis de la nature et de l’environnement. Ainsi le processus de civilisation permet � l’�tre humain de se voir libre en �chappant aux doubles contingences de l’instinct et de la nature sauvage... � cette �poque, l’Europe d�couvre les formidables puissances de la science et de la technique. C’est la pleine �poque du mouvement m�caniste. L’Homme europ�en ��prend devant la Nature l’attitude d’un fils �mancip� et l’assurance d’un jeune ma�tre��. (Robert Lenoble, Histoire de l’id�e de nature)
Les savants s’amusent du bel objet que la raison leur a plac� entre les mains�: la science et sa fille la technique.
Ce sera donc d’abord au nom de la civilisation que l’on �valuera les soci�t�s. Mais � mesure que cette notion s’�largit et se relativise, les contenus premiers devront �tre nuanc�s, l’Occident chr�tien demeurant, bien entendu le mod�le et le r�f�rent de base. On parlera donc, au XIXe si�cle, de ��civilisations des peuples inf�rieurs��. (E. B. Tylor, La civilisation primitive)
Alors que les historiens continuent d’en pr�server le sens ancien, � des nuances diverses, les ethnologues l’ont peu � peu d�pouill� de ses notions de hi�rarchie entre soci�t�s et on le diff�rencie peu de culture.
Le terme culture doit beaucoup au romantisme allemand qui voulait opposer la vie de l’esprit au mat�rialisme et au rationalisme du moment. C’est � partir de ce d�bat initi� par les romantiques que culture et civilisation semblent se confondre et rev�tir une acception positive et valorisante, hors cette distinction, qui tient plus du postulat, selon laquelle une civilisation peut dispara�tre mais sa culture demeurer.
Sans nul doute, en contre fil, on discerne un autre d�bat id�ologique entre nature et culture, instinct et norme, etc. L’id�alisme allemand influencera plus tard les th�ses culturalistes des anthropologues am�ricains.
La d�finition de la culture comme un tout complet a �t� introduite dans la langue anglaise, au XIXe s., par Edward Burnett Tylor, sous l’influence de Gustav Friedrich Klemm, un pionnier de l’ethnologie. La culture recouvrait pour lui ��les coutumes, l’information, l’artisanat, les faits de la vie priv�e et publique en temps de paix et en temps de guerre, la religion, la science et l’art��. Mais on devine d’abord, chez G. F. Klemm les rudiments d’une pens�e qui discr�ditera l’anthropologie europ�enne durant longtemps. Sa hi�rarchisation de l’humanit� en ��races passives�� et ��races actives��, sa conception de l’�volution de l’�tat sauvage � l’�tat de ��culture�� �tablit des normes et des rep�res qu’il semble vouloir universels. Ces conceptions largement utilis�es mais d�voy�es par le courant anthropom�trique de la fin du XIXe si�cle donneront une caution scientifique � des id�ologies qui alimenteront plus tard le National Socialisme. Les d�veloppements de Tylor resteront marqu�s par l’id�e �volutionniste appliqu�e � l’anthropologie selon laquelle les cultures �voluent selon des degr�s progressifs.
On a rapproch� les d�finitions de Tylor et Klemm de ce que Hegel disait de ��l’esprit d’un peuple���: une totalit� singuli�re refl�tant la vie d’un peuple. On retrouvera cette id�e organisatrice de ��l’esprit�� chez Kant. Et rien ne permet d’interpr�ter l’id�e dans un sens universaliste ou particulariste.
En ses origines, le culturalisme caract�rise l’ethnologie anglo-saxonne. Dans les travaux d’un Tylor, au si�cle dernier, la notion m�me de culture conna�t une mutation capitale.
Jusqu’� sa nouvelle d�finition par les ethnologues anglo-saxons, le terme avait deux acceptions diff�rentes�:
Suivant le courant humaniste, plus sp�cialement fran�ais, dominait le sens cultivant - par analogie avec la nature que l’on cultive�: cultiver, d�velopper l’homme dans toutes ses facult�s, en faire un ��honn�te homme��, d’o�, pr�cis�ment, le terme�: individu ��cultivé ».
Le second courant, celui des historiens germaniques - fin XVIe si�cle, d�but XVIIe si�cle - �pris d’��histoire universelle��, donne � ��Kultur�� un sens collectif�: le progr�s des connaissances des arts, des mœurs, des institutions sociales suivant en cela le sens donn� � civilisation.
Dans l’un et l’autre cas, ��culture�� avait un sens normatif. Avec les ethnologues anglo-saxons - seconde moiti� du XIXe si�cle, ��culture�� prend un sens descriptif et social.
La r�f�rence � la Nature fait place � des valeurs collectives et sociales. La domestication de la nature n’est plus la pr�occupation essentielle des humains, il s’agit plut�t de faire face aux cons�quences induites par la folie m�caniste du si�cle dernier. ��La culture�� ou la civilisation est cet ensemble diff�renci� qui comprend les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale, la coutume et toutes les autres aptitudes qu’acquiert l’homme en tant que membre d’une soci�t�.
La ��nature humaine�� se trouve mise en question. Et, l’instinct, cette composante de la ��nature�� va prendre une place relative dans les occupations sociales. Apr�s avoir jou� en ma�tre face � la Nature, l’Homme d�couvre l’impact de cette nature en lui, sous la forme des instincts et des passions. Il d�couvre �galement que la forme que prennent ces instincts varie selon le contexte, historique ou local. On est donc conduit � juger de l’universalit� ou de la relativit� des concepts de la psychologie.
Si, le cultivant fait place au culturel l’universalit� de la ��nature humaine�� se trouve mise en question. Peu � peu, le savant est contraint au pluriel et au relatif�: autant de cultures que de soci�t�s rep�rables, autant de ��sub-cultures�� que de groupes humains.
Dans la mesure o� la psychanalyse paraissait proposer des mod�les universels pour tout psychisme, Le complexe d’Œdipe, par exemple, elle devait rencontrer dans l’ethnologie ou dans l’anthropologie contemporaine un obstacle d’autant plus s�rieux que le sens culturel pouvait s’imposer pratiquement � tous les observateurs.
La psychanalyse am�ricaine a pour image principale d’avoir eu partie li�e avec les tendances culturalistes (on en ressent encore l’impact dans les pratiques et les th�ories contemporaines). Les courants psychologiques nord-am�ricains paraissent alors d�voyer le sens premier de la psychanalyse en contestant les fondements universalistes de cette derni�re, fondant ainsi ce que d’aucuns nommeront plus tard ��relativisme culturel��. De telles simplifications sont cependant abusives. Deux mises au point s’imposent�: d’une part, les repr�sentants des tendances dites culturalistes ne sont pas tous d’origine am�ricaine�: Eric Fromm et Karen Horney, entre autres, viennent d’Allemagne pour �chapper aux pers�cutions nazies�; d’autre part le culturalisme pr�c�de et d�borde largement la psychanalyse. Aussi, pour d�finir et comprendre ce courant, importe-t-il de consacrer quelques lignes aux ethnologues ou anthropologue tels que Malinowski, Ruth Benedict, Margaret Mead et � des psychologues, tel que Kardiner, qui ont plus sp�cialement influenc� les analystes Sullivan, Eric Fromm, Karen Horney - fort diff�rents les uns des autres au demeurant. Leur point commun sera sans doute de s’�carter notablement de l’orthodoxie classique...
2Apport des ethnologues et psychologues2
Le plus marquant, sinon le premier, des ethnologues � proposer des voies au relativisme culturel fut, sans conteste, Malinowski. Dans son ouvrage La sexualit� et sa r�pression dans les soci�t�s primitives, il s’attache � prouver la relativit� culturelle des complexes�: ��Le complexe familial ne peut �tre le m�me dans toutes les races et chez tous les peuples dont se compose l’humanit�. Il doit varier avec la configuration de la famille [...]. Le complexe d’Œdipe correspond essentiellement � notre famille aryenne fond�e sur la descendance en ligne paternelle, ainsi que sur la reconnaissance de la patria potestas et de la domination du m�le, pouss�e � un degr� de d�veloppement tr�s prononc�, s’appuyant sur les deux piliers de la loi romaine et de la morale chr�tienne et renforc�e de nos jours par les conditions �conomiques de la bourgeoisie ais�e et bien pensante��. Il n’en va pas de m�me par exemple dans une soci�t� ��sauvage�� du nord-ouest de la M�lan�sie, o� la descendance et la transmission des biens s’op�rent par la ligne maternelle. Le b�b� va d�pendre longuement de la m�re (assist�e par l’oncle maternel) et cette d�pendance modifie les premiers stades, oral ou anal�: pas de traumatisme d’un sevrage pr�coce, pas de r�pression de l’activit� anale, etc.
D�s lors, la nature des complexes va se modifier�; Malinowski parle de complexes d’inceste avec la sœur, de haine pour l’oncle maternel, etc., bref, de ��complexes matrilin�aires��. En toute hypoth�se, les complexes r�sultent du milieu social�: ils sont les fruits de l’�ducation et repr�sentent une synth�se de l’instinct et de la culture. Certes Malinowski nuance ses critiques en convenant de ce que la psychanalyse freudienne fournit des instruments irrempla�ables pour comprendre le psychisme profond et la mentalit� des ��primitifs���; mais il propose deux correctifs�:
- 1. la mall�abilit� culturelle des instincts�;
- 2. la capacit�, pour une culture, d’accomplir les instincts plus encore que de les refouler.
Aussi Malinowski propose-t-il, dans l’instinct, de distinguer deux niveaux�: celui des besoins biologiques et celui des mobiles plus sp�cialement marqu�s par les cultures.
� l’instar de Malinowski ou � sa suite, maints ethnologues ou sociologues�: Sorokin, von Wiese, Lord Raglan, Kroeber, Wilhelm Schmidt, Van Gennep, Schoene, etc. s’en prennent aux derni�res œuvres - � leurs yeux par trop hypoth�tiques et aventureuses - de Freud, � son ��roman�� de la horde primitive. Ils contestent la place primordiale octroy�e � la libido sexuelle pour la compr�hension des ph�nom�nes humains. En outre, ils rendront difficilement tenable une psychanalyse r�duite � la seule dimension individuelle (ou inter-individuelle et hors du politique) � l’exclusion pr�cis�ment de la dimension sociale ou culturelle du psychisme. Nous savons aussi comment un Wilhelm Reich, marqu� par l’influence de Malinowski, fera de la lib�ration g�nitale comme moteur d’un engagement politique le centre d’une th�orie para-psychanalytique.
Aux U.S.A., une seconde g�n�ration d’anthropologues culturels r�agira � l’�gard de la psychanalyse en prolongeant ou en nuan�ant les critiques de la g�n�ration pr�c�dente.
Ruth Benedict souligne le pluralisme, la variabilit� des cultures et, par l� m�me, la relativit� des personnalit�s comme des formes de sexualit�. L’�tude des soci�t�s dites ��primitives�� ��nous aide � faire une discrimination entre les conclusions qui sont sp�cifiques � certains types de civilisations particuliers et celles qui sont communes � l’humanit� tout enti�re��. (Roger Bastide, Sociologie et psychanalyse, 1972)
La fronti�re entre le normal et le pathologique se d�place donc selon les soci�t�s ou les groupes sociaux. Mais nous verrons que, malgr� de r�els efforts pour d�placer la compr�hension que nous avons des valeurs fondamentales de l’esp�ce humaine, l’ethnocentrisme demeure vivace comme le soulignera tr�s t�t Robert Jaulin (La paix blanche).
Empruntant ses cat�gories � la pens�e de Nietzsche, Ruth Benedict op�re plut�t une large distinction entre les ��cultures apolliniennes�� qui exaltent l’harmonie pacifique et les ��cultures dionysiaques�� qui exaltent les tendances agressives de l’homme�: ��La conduite dionysiaque est accentu�e dans certaines civilisations parce que c’est une possibilit� permanente de la nature humaine�; toutefois, si elle est accentu�e dans certaines civilisations et non dans d’autres, la cause en est dans les �v�nements historiques qui ont suscit� son d�veloppement dans certains endroits et dans d’autres l’ont exclu��. (�chantillons de civilisations)
Margaret Mead nuance davantage son propos, car elle tient compte, � la suite de la psychanalyse, de la petite enfance pour la formation de l’individu. Elle �tudie plus sp�cialement les troubles de la sexualit�, par une m�thode comparative, confrontant les troubles de l’adolescence dans la soci�t� am�ricaine aux ph�nom�nes du m�me �ge parmi les indig�nes des �les Samoa, des �les de l’Amiraut� et de trois tribus de la Nouvelle-Guin�e. Elle d�montre � son tour le pluralisme culturel et ses cons�quences sur la formation des complexes�: ainsi, pour les enfants des �les Samoa, le complexe d’Œdipe para�t absent par suite de l’absence de relations �troites entre parents et enfants. Par contre, des troubles de pubert� analogues � ceux des enfants am�ricains se font jour parmi des fillettes �lev�es par des missionnaires. La distinction entre les normes (��standards��) du masculin et celles du f�minin est largement marqu�e par les cultures. La soci�t� joue un r�le d�cisif dans la formation des n�vroses, etc. Toutefois Margaret Mead tient compte, plus que Ruth Benedict, des apports sp�cifiques de la psychanalyse. Ainsi elle reprend � son compte les concepts clefs de la psychanalyse et la topique freudienne�: libido orale, anale, phallique... dans l’�tude des ph�nom�nes divers. Elle d�montre surtout, dans ses travaux sur les indig�nes des �les de l’Amiraut�, que les personnalit�s d’enfants diff�rent par suite des rapports diversifi�s avec les membres de leur famille et cela jusque dans les aspects les plus profonds du moi, de la sexualit�, de l’agressivit�, de la domination, etc. Voil� qui nous rapproche de donn�es plus classiques en psychanalyse.
Outre les ethnologues, un psychologue tel qu’Abram Kardiner compte, avec Margaret Mead et Ralph Linton, parmi les figures les plus significatives du courant ��Culture et personnalité ». Il marquera ainsi durablement l’�cole culturaliste en psychanalyse. � vrai dire, ce chercheur a, le premier, mis en œuvre des �quipes pluri-disciplinaires de sociologues, psychologues et psychiatres... Son concept central�: la personnalit� de base, est le fruit de ces confrontations. Pour tous, l’objectif �tait de ��d�couvrir les limites dans lesquelles les hommes peuvent �tre conditionn�s et quels sch�mes de vie sociale imposent le moins de contrainte � l’individu��. (L’Individu dans la soci�t�. Essai d’anthropologie psychanalytique -1939)
� cette fin, les chercheurs �tudient les institutions, les m�thodes p�dagogiques, les conditions �conomiques ou socio-politiques, l’histoire des changements brusques, utilisent les outils de la psychologie tels les tests projectifs, etc. La personnalit� de base - notion-cl� de tous ces travaux - est une ��assise psychologique commune � tous les membres du groupe, sur laquelle se greffent des traits individuels��. ��Assise�� veut dire que cette ��personnalit� de base�� ne se confond pas avec la personnalit� tout enti�re. Elle r�sulte de la communaut� des exp�riences infantiles - �motionnelles, �ducatives, etc.�-, de la communaut� des proc�d�s de conditionnement ou d’apprentissage. Chaque communaut�, et ce jusqu’� l’�chelle nationale, marque la douceur ou la duret� des moyens d’�ducation, le tabou sexuel, l’allaitement ou le sevrage, etc.
Selon Kardiner, entre le contexte culturel et les syst�mes d’�ducation, entre le sociologique et le psychologique, les rapports sont ��circulaires��, c’est-�-dire de conditionnement r�ciproque. ��II y a action et r�action constantes du social sur le psychique et du psychique sur le social, ce qui fait que, d’un c�t�, les n�cessit�s de base et, entre autres, la sexualit� doivent s’adapter aux institutions, aux id�aux du groupe�; mais cette adaptation, en frustrant certaines tendances, en les for�ant � se transf�rer sur d’autres objets, � inventer des compensations symboliques, a, � son tour, une action sur la soci�t�, modifiant les institutions existantes, cr�ant une mythologie et un folklore particulier��. (L’individu dans la soci�t�)
Kardiner dit aussi que les institutions secondaires, comme les croyances religieuses, refl�tent la personnalit� de l’individu et expriment ses r�actions � l’influence des institutions primaires. Ce point est tout particuli�rement important car il tend � dire que l’individu trouve dans les syst�mes de croyance une compensation r�actionnelle aux institutions primaires. Il rejoint de cette fa�on un des axiomes de Marx.
2Du relativisme culturel � la contestation politique2
Dans les ann�es 70, l’arch�o-anthropologie b�n�ficie d’un grand renouveau dans les m�thodes d’exploration et d’exploitation des donn�es. L’interpr�tation se fait plus prudente mais s’appuie sur des �l�ments irr�futables. C’est ce qui conduira � une mutation importante de l’id�e que l’on se faisait de la civilisation.
Sous l’influence d’un anthropologue fran�ais, Andr� Leroi-Gourhan, on d�couvre que l’Homme moderne est le m�me qu’il �tait il y a plus de 10 000 ans, d�s l’aube de cette tranche d’humanit�. Bien plus, l’intelligence et la main de l’Homme fabriquent les m�mes outils depuis la m�me p�riode. Il n’y a pas de diff�rence fondamentale entre une perceuse �lectrique que tout bricoleur poss�de et les outils de percussion-per�age que Cro-Magnon utilisait pour fabriquer ses v�tements ou ses hame�ons. Le fameux film ��La guerre du feu�� rev�t alors des allures de conte � dormir debout...
C’est un coup port� � l’orgueil humain et principalement � celui qui voulait demeurer comme le mod�le du civilis�, � la pointe de l’humanit�, au bout d’une longue cha�ne d’�volution et de perfection. Il n’y aurait donc pas d’Homme sauvage, ni de primitif, seulement une fine adaptation aux conditions du milieu, � l’environnement, une tr�s grande intelligence dans l’utilisation des ressources locales et une lente �volution au cours de laquelle Sapiens-sapiens a su d’abord s’ins�rer dans le processus de la Nature dont il exploitait les ressources selon ses besoins puis il a rompu cette alliance en se servant d’un outil de connaissance, la science, et d’un moyen de domination, la technique. Mue par la certitude d’�tre �lue, une civilisation a conquis la Nature et assujetti tous les peuples de la plan�te.
Dans ce m�me temps o�, gr�ce � Andr� Leroi-Gourhan l’anthropologie initiait une nouvelle repr�sentation de la succession des civilisations et une autre lecture de l’histoire, un chercheur africain, Cheikh Anta Diop lance un d�bat passionn� dans le cercle intimiste des historiens. Selon A. Diop, l’humanit� doit bien plus � l’Afrique que ne le laissait supposer les antiques manuels d’histoire. La culture grecque, notamment, aurait largement �t� inspir�e par l’�gypte antique.
Affirmant le caract�re africain de la civilisation �gyptienne, il d�nonce le caract�re falsificateur de l’�criture de l’histoire. Il affirme �galement la grande unit� de la civilisation africaine et du peuplement de ce continent. Il est �galement le premier � affirmer l’origine africaine de l’humanit�...
C’est � cette �poque, au seuil des ann�es 60, dans le num�ro d’octobre 1959 du Courrier de l’UNESCO, que l’historien anglo-saxon Basile Davidson introduit son propos sur la D�couverte de l’Afrique par la question suivante�: ��Le Noir est-t-il un homme sans pass�?�� On devine le d�bat qui s’ensuivra entre les tenants de l’antique vision de l’histoire et les premiers anthropologues � reconna�tre la validit� des hypoth�ses de Cheikh Anta Diop.
��En refusant le sch�ma h�g�lien de la lecture de l’histoire humaine, Cheikh Anta Diop s’est, par cons�quent, attel� � �laborer, pour la premi�re fois en Afrique noire une intelligibilit� capable de rendre compte de l’�volution des peuples noirs africains, dans le temps et dans l’espace [...] Un ordre nouveau est n� dans la compr�hension du fait culturel et historique africain. Les diff�rents peuples africains sont des peuples historiques avec leur �tat�: l’�gypte, la Nubie, Ghana, Mali, Zimbabwe, Kongo, B�nin, etc. leur esprit, leur art, leur science. Mieux, ces diff�rents peuples historiques africains s’accomplissent en r�alit� comme des facteurs substantiels de l’unit� culturelle africaine��. (Th�ophile Obenga, L’œuvre de Cheikh Anta Diop - La Renaissance de l’Afrique au seuil du troisi�me mill�naire).
Les t�moignages sont unanimes pour le pr�senter comme une grande figure de l’humanisme�: Dans son intervention au colloque d’Ath�nes de l’Unesco, en 1981, Cheikh Anta Diop explique�: ��Le probl�me est de r��duquer notre perception de l’�tre humain, pour qu’elle se d�tache de l’apparence raciale et se polarise sur l’humain d�barrass� de toutes coordonn�es ethniques.�� ��Je n’aime pas employer la notion de race (qui n’existe pas) (...). On ne doit pas y attacher une importance obsessionnelle. C’est le hasard de l’�volution.��
L’œuvre de ce chercheur, m�me encore m�connue, a profond�ment marqu� les mentalit�s de la jeunesse africaine. On reprochera cependant son militantisme politique en faveur d’un africano-centrisme qui reprendrait les m�mes arguments que ceux de ses adversaires d�fenseurs de la primaut� et de l’universalisme de la civilisation chr�tienne.
2Universalisme et particularisme, quel devenir�?2
Universalisme et particularisme peuvent �tre associ�s au sein d’un vaste projet humaniste qui retiendrait de mani�re coh�rente les valeurs universelles qui font l’unit� de l’esp�ce humaine tout en acceptant les particularismes locaux, ethniques, historiques. C’est cette derni�re avanc�e que l’on tient d�sormais pour fondamentale.
Il existe donc bien un universalisme, qui serait li� � l’unit� de l’esp�ce humaine, mais l’Hell�nisme ou le Christianisme ne sauraient repr�senter � deux seuls les vastes mouvements de civilisation qui ont travers� la plan�te. Il est temps d’accepter que ce ne sont que des avatars au m�me titre que d’autres, des cultures locales, puissantes certes, mais autant inscrites dans l’Histoire que le sont le Bouddhisme, le Tao�sme, l’animisme am�rindien, voire les nombreux restes dispers�s des dynasties �gyptiennes, etc.
Comme le pr�tendait Anta Diop, c’est pr�cis�ment au plan politique que le d�bat persiste et que des dogmes d’un autre �ge, anti-humanistes, refont surface. Le terme ��choc de civilisation�� employ� par un pr�sident am�ricain illumin� par sa ��seconde naissance�� - Bush junior, repris en chœur par les caciques d’une guerre totale pour la ��d�mocratisation�� du monde passe outre les notions essentielles qui firent d’abord le ciment de l’humanit�. En soubassement ce sont encore les id�ologies de la supr�matie chr�tienne qui m�nent la danse. Que les sectes �vang�listes soient, partout dans le monde, en concurrence avec les religions locales n’est pas un hasard. Si l’on y regarde bien, ce sont plut�t des id�ologies apocalyptiques qui sont � l’œuvre.
La cr�ation de rumeurs et la r�activation de pr�jug�s anciens a toujours fait partie des strat�gies des guerres de l’ombre. Cela n’a rien � voir avec la science, c’est l’imaginaire des peuples dont on tente de d�voyer la puissance. Si cela rel�ve toujours de l’histoire et de l’anthropologie, il ne s’agit plus de culture ou de civilisation mais bien plus d’un d�but de chasse aux sorci�res, � l’�chelle du monde. L’histoire nous a d�j� appris que des civilisations peuvent r�gresser dans la barbarie.
D’un autre c�t�, la l�gende du bon sauvage - actuellement nomm�s peuples premiers - n’est pas nouvelle, on la voit repara�tre comme un sympt�me dans toutes les civilisations qui s’�puisent, d’o� la fable de Jean de Lafontaine�: Le paysan du Danube. � ceux qui d�sesp�rent et qui ne trouvent plus dans la raison des motifs d’adh�rer au progr�s, l’espoir rena�t au contact des sources antiques, dans le renouvellement du pacte naturel. � trop vouloir, nous avons d�raisonn�, la nature nous frappe et nous devons retourner � l’�l�ment pur des temps premiers. Mais nous ne pouvons plus calculer nos vies selon ces crit�res anciens. Impossible retour en arri�re�! Que faire, alors, de nos cultures, quels sont les avenirs de nos civilisations - la n�tre en premier. Si elles s’av�rent d�sormais in�luctablement mortelles, quel avenir attend nos enfants�?
Que nous le voulions ou non, l’humanit� doit faire face � des d�fis que le ��progr�s�� n’avait pas pr�vu. Pour la premi�re fois, la civilisation se trouve menac�e par ce qu’elle avait elle-m�me cr��, la domestication et l’exploitation outranci�re de la nature. On pourra toujours pr�tendre que la fin de l’Histoire n’est pas d’actualit� mais, l’universalit� d’une culture qui serait un mod�le pour toutes les autres appara�t d�sormais comme un non-sens. D�s lors, si le projet de sauvegarde de l’humanit� devient n�cessaire, il devra faire une place aux peuples, cultures et civilisations de la plan�te. Apr�s 4 si�cles de servitude, la nature s’invite au banquet plan�taire et les id�ologies antiques, celles qui s’enthousiasmaient de soumettre � volont� l’eau, la terre, l’air et le feu, devront s’effacer devant les titans lib�r�s par elles. La culture, celle qui voudrait tant dominer le monde, vit son agonie et il faudra bien associer universalit� et particularisme dans un m�me d�bat, un m�me avenir.
R�f�rences�:
Le lecteur pourra poursuivre sa lecture par la consultation des biographies des auteurs cit�s. On trouvera, sur le Net, tous les �l�ments qu’il faut pour avancer.