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L’élaboration des normes en psychiatrie


La suprématie américaine n’est pas seulement militaire ou économique. Dans le domaine des mœurs, là où se définissent les normes, insidieusement des réseaux financiers très puissants tentent avec succès d’imposer leur conception de l’ordre et de la vertu. Définir ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est déviant et ce qui est normal n’est plus du ressort d’une entité transcendante, ce sont des acteurs bien plus intéressés qui le décrètent...

Brève histoire de l’évolution de la notion de folie

La crise que traverse le système monétaire international est largement due à l’hégémonie mondiale du modèle américain prôné par les libéraux intégristes. L’Amérique du Nord est la première puissance mondiale militaire et financière du monde et, en tant que telle, elle exerce une très grande fascination sur les élites des autres nations. Ainsi son influence morale est tout aussi puissante que sa domination militaire. Dans le domaine des sciences la suprématie américaine ne fait pas non plus de doute, même si cela est moins net. Il est cependant un domaine où la Pax americana exerce une influence pernicieuse sur les vies quotidiennes des peuples européens. Il s’agit de la psychiatrie.

En quoi sommes-nous concernés et comment ?

Nos sociétés ne vivent plus selon des lois « naturelles » qui orchestreraient nos vies selon des règles de bon sens ou selon des principes coutumiers ou transcendants. Au cours de leur histoire, les peuples se sont donné les moyens d’édicter des principes fondamentaux, d’où sont découlés des principes moraux et, par suite, des lois. Ces principes délimitent des normes comportementales plus ou moins souples, des sortes de frontières à l’intérieur desquelles les êtres humains, hommes et femmes, enfants et vieillards se reconnaissent comme semblables et œuvrant pour un bien commun. Probablement très tôt dans l’histoire de l’évolution de l’humanité il fallut des gardiens du respect de ces lois, se différenciant peut à peu des autres pouvoirs, c’est à cela que servent aujourd’hui les différents services de polices qui sont chargés de surveiller et de punir (Michel Foucault, Surveiller et punir) les différentes formes de criminalité. Très tôt, et probablement dès l’aube de l’humanité, des interdits fondamentaux furent posés pour garantir la survie du groupe et la préservation de l’espèce. (Tu ne tueras pas, Tu ne voleras pas le bien d’autrui, ...) Les codes civils se sont affinés au cours du temps, établissant des degrés dans le crime ou pour les délits. Mais ces codes établirent aussi des normes dont les caractéristiques nous imprègnent encore sans que nous le sachions vraiment. C’est un effet de groupe et sa persistance au cours des temps fonde ce que nous nommons culture. Ainsi les différents éléments qui composent un groupe épousent des comportements statistiquement semblables. Cela veut dire aussi que certains éléments finissent par échapper à cette norme.

Les crimes et délits ne sont pas les seuls « déviances » - par rapport à une norme préalablement définie - que nos systèmes de vie doivent affronter. (Dans tout groupe humain, il existe une part incompressible de « déviance » et c’est probablement une loi incontournable.) La folie telle que nous pensons la connaître définit une forme singulière d’altération du comportement et cette façon de la concevoir fut très tardivement élaborée. Dans les sociétés anciennes, ceux que nous repérons comme fous étaient intégrés au groupe à la mesure de leur déviance. Nombre de sociétés contemporaines continuent de fonctionner encore sur ce mode, mais leur nombre tend à diminuer au fur et à mesure que l’urbanisation se renforce. Dans ces sociétés-là la folie n’existe pas, il s’agit d’autre chose que la communauté des vivants assume et compense selon une loi que nous avons perdue de vue, l’identité entre les êtres, ce que le vocabulaire moderne nomme solidarité. (Notons en passant que cette identité porteuse de cohésion est instinctive, viscérale, les singes et d’autres animaux grégaires la pratiquent) La cohésion du groupe est plus puissante qu’elle peut compenser la faiblesse de l’un de ses éléments, c’est pourquoi, ce lien perdure tant que la cohésion du groupe n’est pas menacée.

La mémoire de l’Histoire conserve cependant, pour la plupart des sociétés qui nous ont laissé des traces, des cas de folie que rien ne pouvait contenir. Les mythes nous rapportent qu’il s’agissait là d’une affaire de dieux, voulant dire par là que cela échappait au contrôle humain et que l’on n’y pouvait rien, hors la mort ou le bannissement.

Pour ce qui concerne cette société prétendument de « racine chrétienne », tout le monde a entendu parler des cas de possession et de la manière dont le clergé la traitait. Tous les cas de possession que les archives de l’Histoire nous dévoilent ne sont pas des cas pathologiques et c’est ainsi que l’histoire récente - moins de 5 siècles - de nos sociétés urbaines révèlent que folie et anormalité mènent une étrange danse à deux.

1492, les Croisades ont passé, Isabelle la Catholique expulse les juifs d’Espagne, Christophe Colomb découvre l’Amérique. L’ennemi n’est plus le Maure infâme mais un être du dedans. Désormais, peu ou prou, notre monde actuel est né. Catholiques français et espagnols vont livrer une bataille acharnée contre les protestants anglais et hollandais pour la conquête de nouvelles terres. Ce sont ces derniers qui imposeront à la planète leur système du monde. La folie n’existe pas encore mais on sait déjà que ce monde qui vient repose sur des pogroms dont l’essence mêle religion et intéressement financier. Cette tendance autodestructrice se prolongera par l’action meurtrière de l’Inquisition qui sera la première instance du monde « occidental » à établir des normes comportementales, morales et psychologiques - le religieux étant une part du psychologique au sens moderne.

Au dehors du monde, donc, il y aura des êtres sauvages, méritant tout juste de voir leur âme sauvée par une assimilation cannibale, au-dedans, la folie, religieuse, d’abord, rationnelle ensuite apparaît peu à peu. Le rationalisme achèvera cette réforme des mœurs et comportements.

Si l’on prononce le vocable anormal, une chaîne d’associations mentales s’organise et nous fait penser à une anormalité physique, une déformation corporelle ou mentale, à des comportements extraordinaires - parce que nous ne les repérons pas comme semblables aux nôtres - ou bien à des fantaisies de comportements et d’attitudes dont certaines sont effrayantes. On nomme habituellement folie ces fantaisies.

Que l’on fasse référence à une entité divine ou à une règle scientifique, donc incontournable et absolue, c’est d’une norme qu’il s’agit et celle-ci est définie comme nécessaire à la vie sociale. Pour le déviant, cela ne change rien. Que les modalités de sanction évoluent au gré de l’effort de civilisation ne change rien non plus. De l’exécution à la mise au ban c’est le même effort que déploie un groupe pour écarter ceux qui, selon ses règles, perturbent l’ordre des choses.

Que le scientifique sache que sa vérité est provisoire ne change rien car ce sont les politiques qui appliquent les règles qui découlent toujours d’une vision du monde.

Que le prélat doute de la bonté universelle de son Dieu ne change pas plus puisqu’il faut bien que les brebis égarées rejoignent le troupeau ou périssent.

Folie et ordre social

La définition de la folie, plus largement, de toute déviance, découle, dans nos sociétés, d’un artifice qui conduit à l’éviction du champ social de toute « défiance oppositionnelle » (Il s’agit d’une nouvelle maladie mentale et j’y reviendrai plus loin)

Ajoutons que toute perturbation de l’ordre d’une société est d’autant plus mal ressenti par ses membres que les idéaux qui présidaient à la création de celle-ci déclinent et s’évanouissent. Les historiens, selon l’idéologie qui les anime, pourront nous présenter cela sous l’angle économique, moral ou religieux mais, anthropologiquement parlant, il s’agit d’une seule et même chose, une mutation en marche.

Autre corollaire : la défiance à l’égard de la déviance est d’autant plus appliquée que celle-ci se mêle à un élan créateur. Le déclin d’une masse donnée des valeurs fondatrices d’une culture s’accompagne d’un égal surgissement de nouvelles formes de vie, de nouvelles représentations du monde mais leur relative fraîcheur les présente sous forme chaotique que l’ordre déclinant ne peut que rejeter.

Plus un ordre déclinant se sent menacé plus il a tendance à multiplier les règles normatives, excluant ainsi toute entrave à son fonctionnement. Ainsi s’élargissent les définitions de la déviance. Aux formes « organiques » de la folie - celle que l’espèce humaine doit accepter d’elle-même depuis la nuit des temps et qui est plus ou moins tolérée selon les moments - se mêlent des embryons d’une mutation qui n’est pas reconnu comme telle. Cela conduit à l’éviction du champ social de tout ce qui est « étrange » et les modalités d’éviction évoluent selon les codes du moment mais elles cherchent toujours à s’appliquer toujours avec le maximum d’efficacité.

(On comprend que la folie ordinaire n’est pas seule concernée, sont gênants tous les sujets qui entravent la marche du monde... y compris cette classe nouvelle nommée « les handicapés », mais aussi les « irréguliers ». L’ordre déclinant les voit comme objets, nos comme sujets.)

Venons-en donc aux définitions contemporaines de la folie par la psychiatrie contemporaine. Nous verrons combien les propos ci-dessus ne sont ni outranciers ni exagérés.

Définition contemporaine de la folie

L’APA (American Psychiatrical association) détient le pouvoir de définir les termes et les critères en fonction desquels se fait la distinction entre le normal et le pathologique en termes de santé mentale. Elle produit à intervalle réguliers le DSM - Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Ce catalogue de définitions et de descriptions cliniques est diffusé dans le monde entier, tout acte psychiatrique qui se veut « moderne » y souscrit d’une manière ou d’une autre.

La première édition (DSM-I) est publiée en 1952, et diagnostique 60 pathologies différentes. La deuxième édition (DSM-II) est publiée en 1968, et recense 145 pathologies psychiques.

La troisième édition (DSM-III) est publiée en 1980 et dénombre 230 pathologies.

Cette édition avait pour but de faciliter une approche rationalisée des essais thérapeutiques afin de valider les nombreuses molécules nouvelles que les laboratoires avaient mis sur le marché depuis le début des années 1970. Le DSM-IIII crée également des catégories de populations porteuses de pathologies, apparemment définies sur la base de critères cliniques.

Outre cet assujettissement aux productions des grands groupes pharmaceutiques, il ne faut pas négliger un autre fait symptomatique qui devrait nous éclairer sur l’impact ethnique - moral - de toute définition de la folie. Jusqu’en 1974, l’homosexualité était classée comme un désordre mental. DSM-II.

La quatrième édition (DSM-IV) est publiée en 1994 et reconnaît 410 troubles psychiatriques. La version actuellement utilisée est une révision mineure de ce texte, le DSM-IV-TR, publiée en 2000. Cette édition prolonge et approfondit le travail entamé avec le DSM-III.

La cinquième édition est en cours de production depuis 1999, sa parution prévue pour 2011. Les 13 groupes de travail ont été définis et créés en 2007.

Psychiatrie et complexe pharmaco-industriel

Le Dr Steven Sharfstein, ancien président de l’APA, face aux critiques qui lui étaient adressées, se justifiait ainsi en 2003 : « Pour survivre, nous devons aller là où se trouve l’argent ».

Rien de plus clair !

Les psychiatres sont les médecins les plus soutenus financièrement par l’industrie pharmaceutique. Lisa Cosgrove et Sheldon Krimsky, dans une étude parue en 2006, précisent : sur 170 experts ayant contribué au DSM IV, 56% avaient des liens financiers avec une ou plusieurs firmes pharmaceutiques. Quant aux experts des groupes de travail consacrés aux « troubles de l’humeur » et aux « troubles psychotiques », ils étaient tous dans une position avérée de conflits d’intérêts. La psychiatrie, en dehors des narcoses - électrochocs - est très consommatrice de molécules. D’autre part, les psychotropes et les antipsychotiques, prescrits pour traiter les troubles de l’humeur - troubles bipolaires, par exemple - et les psychoses - schizophrénie pour la plus connue, sont très coûteux. Ils sont aussi prescrits sur de longues périodes. Aux USA, le groupe des antidépresseurs génère 20,3 milliards de dollars de profit, celui des antipsychotiques 14,4 milliards (chiffres établis en 2004 et en très nette augmentation depuis).

Les psychiatres européens diront qu’ils ne se sentent pas concernés par ces collusions typiquement américaines. C’est une manière d’exprimer leur aveuglement car ils appliquent bien les consignes du DSM et les protocoles thérapeutiques.

Références pour ce chapitre : Psychiatry & Pharma, the unholy alliance
Financial Ties between DSM-IV Panel Members and the Pharmaceutical Industry

Science et idéologie

Un exemple particulièrement frappant du confusion qui règne entre science, idéologie et morale, quand la morale s’en mêle, nous est donné par le groupe DSM V, The Sexual and Gender Identity Disorders dirigé par Kenneth J. Zucker. Ce groupe est donc chargé de définir les pathologies sexuelles et les désordres de l’identité sexuelle.

Peggy Cohen-Kettenis est la Présidente du sous-groupe GID (Gender Identity Disorder). C’est une professionnelle engagée, respectueuse et empathique, sa nomination est probablement due à la très forte mobilisation de toutes les associations américaines qui défendent les personnes « atypiques » - qui ne reconnaissent pas dans le genre qui leur est assigné par leur identité de naissance.

Ray Blanchard préside le sous-groupe Paraphilias - « paraphilie ».

Enfin, R. Taylor Segraves dirige le sous-groupe Sexual Dysfunctions.

Ce qui nous intéresse ici, ce sont les positions de Ray Blanchard et Ken Zucker connus pour des prises en charge dites « de conversion ». (Ce terme n’éveille-t-il pas de sinistres souvenirs surgis de l’Histoire du monde chrétien ?)

Lors de mes années d’étude, nos professeurs nous apprenaient que dans le cas des « troubles homosexuels » il importait de parvenir à « convertir » ces « malades » à une sexualité normale.

Ray Blanchard est aussi connu pour ses liens avec les milieux qui se sont opposés à la réforme du DSM II lequel définissait l’homosexualité comme une déviance psychique. Il fallut 10 années de combat pour qu’aboutisse enfin la dépsychiatrisation de l’homosexualité. Ce médecin est également réputé pour ses prises de position en faveur des théories eugénistes. Il est à l’origine d’une très puissante campagne d’influence qui prône la castration chimique, voire les condamnations à mort pour les récidivistes pédocriminels.

Kenneth J. Zucker et Ray Blanchard ne sont pas si exceptionnels qu’il y paraît. S’ils occupent une telle place dans le paysage de la psychiatrie américaine, donc mondiale, c’est bien parce que quelque chose se meut dans les bas-fonds de nos cultures qu’on croyait avoir banni à jamais avec le procès de Nuremberg. Et Hannah Arendt soulignait fort justement, à l’occasion du procès de Eichmann, (capturé à Buenos Aires en mai 1960 par les services secrets israéliens, et jugé à Jérusalem en avril 1961) que loin de l’abolir il consacrait la « banalisation du mal ».

Les valeurs morales des religions du Livre définissent la finalité de la sexualité comme uniquement destinée à la procréation. On devine donc ce qu’implique le retour du dogmatisme religieux dans les démocraties. Au moment où les sociétés dites « occidentales » tendent à s’enfermer dans un vain retour aux dogmes antiques, on pressent bien que l’implication de la psychiatrie dans la définitions des déviances sexueles n’a rien de scientifique. Et cela ne s’arrête pas à la sexualité...

Las de poursuivre les homosexuels de leur volonté de « conversion », les chantres de la pureté se trouvent désormais un ennemi intérieur dont l’éradication totale et radicale rendra à notre société sa pureté perdue. Je désigne les pédocriminels, pire, les récidivistes - mais ne le sont-ils pas tous ? - qu’il s’agira de jeter en pâture à la vindicte populaire dans un acte de pur exorcisme selon les rituels les plus archaïques et les plus sauvages.

Oui, il y a bien un lien entre la volonté de combattre l’axe du Mal - le monde musulman, qui s’en cache maintenant ? - et l’éradication de la pédocriminalité.

Un ennemi dehors, un ennemi dedans ; les Croisades d’un côté, l’Inquisition de l’autre !

Non, ce n’est plus de la science, c’est du sacré au sens le plus maléfique qui soit et nous nous trouvons les plus vives argumentations pour penser, dire ou écrire que ce n’est pas vrai, que cela ne peut pas exister ainsi !

Références pour ce chapitre :
Genèse du DSM - Wikipedia (anglais)
La version française de Wikipedia ne rend compte que d’une réalité édulcorée du DSM
Transadvocate
Bird of Paradox
Organisation Internationale des Intersexués
Marie-Noëlle Baechler

Lorsque l’enfant paraît

Dans un essai sur la banalisation de la transgression du tabou de l’inceste, j’ai souligné, en fin d’ouvrage, combien il pouvait exister de relations entre la pédocriminalité et la banalisation d’une industrie de prédation. Je veux dire que notre civilisation a perdu contact avec ses aspects les plus humains pour ne devenir qu’une société de prédation que la Loi du Marché révèle sans que nul ne le conteste désormais, transformant chaque sujet en autant de robots fabricants qu’ils se trouve d’individus dans les nations.

Il ne s’agit pas d’une perversion seulement économique, ses racines sont bien plus profondes, elles se situent là où nous-mêmes, à chaque étage de notre vie posons un bandeau sur la vérité qui s’étale chaque jour.

Certes, « il eut été réconfortant de croire qu’Eichmann était un monstre » écrit Hannah Arendt. Pourtant, tant d’autres lui ressemblaient « ni pervers, ni sadiques ». Ces gens étaient « effroyablement normaux ». Ils ne savaient pas !

Ce formidable problème nous demeure posé aujourd’hui. Dire que les déviants « paraphiles » et pédocriminels sont des monstres nous arrange car nous trouvons dans cette monstruosité la justification de notre déni. (Je ne dis pas irresponsabilité mais déni car il ne s’agit pas d’apprécier cela à l’aune de la notion si présente de faute, donc de repentance que savent si bien instrumentaliser certains orateurs)

Cette banalisation qui serpente dans nos cultures à sa manière ophidienne suppose qu’un système rigide et coercitif ait, au préalable, tué l’être social, et aussi « l’animal politique » en tout homme, en toute femme dont il ne conserve alors que l’aspect biologique, objet inerte et sans âme livré au décryptage d’une science qui se veut absolue dans ses décrets. Mais cette propension à l’absolu ou à l’universel n’est-elle pas également incluse dans le projet du libéralisme économique ? N’y a-t-il pas dans l’idéologie du Marché, promu au rang de maître du monde, une volonté d’absolu qui transformerait l’être humain en une mécanique de production et broierait chaque individu sous productif ou celui qui serait susceptible de porter un autre projet forcément contraire à l’ordre gisant ?

Et c’est ainsi que l’enfant paraît...

Que les victimes d’inceste ou de pédocriminels ne se méprennent pas, je ne défends ni les pédocriminels ni une quelconque dépénalisation. Ceux qui me connaissent savent à quel camp j’appartiens. Je suis pour une pénalisation dissuasive des actes pédocriminels mais je défends avec vigueur le principe fondamental de nos sociétés, celui d’une justice sereine, à l’abri de toute forme de sensationnalisme.

À une barbarie, n’opposons pas une autre barbarie quand bien même cette dernière reposerait-elle sur un « consensus », faussement. La haine qui tenaille la victime du pédocriminel est normale et juste durant un temps, elle soutiendra sa colère et son besoin de recouvrer une dignité bafouée. Mais c’est à la société toute entière de supporter la charge de la reconnaissance de la souffrance et de la blessure. C’est ce processus qui inclut la « mise en accusation » du prédateur, que la société globale doit conduire car lui seul est porteur de rédemption et de réparation pour la victime. Je sais assez, pour avoir soutenu de nombreuses victimes, que la haine perpétue le lien pervers que le prédateur a instauré avec sa victime. Invoquer la vengeance, faire du prédateur un monstre incurable, c’est, paradoxalement, agir dans le sens de ce grand manipulateur - Myriam Badaoui, actrice centrale de l’affaire d’Outreau en est un parfait exemple - en se débarrassant à bon compte d’un déni collectif. La victime ne peut soutenir longtemps ce lien au-delà de l’agression première. Et là il y a des solutions juridiques et éducatives, des protocoles cliniques, des actions préventives à mener. Surveiller et punir ne suffit pas, surtout quand cela se fait dans l’aveuglement des passions. Prendre en charge la victime dans son besoin profond d’être humain est la première urgence. La commisération n’est pas un soin !

Plus loin que la tolérance à l’égard de la transgression d’un tabou fondateur, nos sociétés d’ordre et de pureté s’en prennent elle-même à l’enfant.

La pression du complexe pharmaco-industriel sur l’élaboration du DSM est telle que même la terminologie psychiatrique est influencée, voire induite par les producteurs de nouvelles molécules.

Ainsi le « trouble de défiance oppositionnelle avec provocation » est apparu pour caractériser une famille de signes affectant principalement enfants et adolescents turbulents, revendicatifs ou hyperactifs...

Le petit frère du DSM, le DSM IV, cas cliniques, présente le cas de Kevin « un joyeux garçon de 9 ans qui est en deuxième année de cours élémentaire ; il est amené à la consultation externe car son instituteur, dans l’école privée qu’il fréquente, a appelé plusieurs fois sa mère pour lui signaler la dégradation de sa conduite en classe. » [...] (Allen Frances et Ruth Ross, 2000, p. 8) Ce n’est pas l’exemple clinique qui nous intéresse mais la précocité du processus de psychiatrisation, d’une part, le signalement par le pédagogue d’autre part. Cela rejoint d’autres injonctions policières à la dénonciation.

Une telle convergence est largement encouragée actuellement au point de favoriser la prescription extrêmement précoce de molécules jusque là réservées aux seuls adultes. Les pédagogues sont également de plus en plus formés à faire des évaluations « préventives ».

Le fichier Edvige modifié depuis peu maintient le signalement des enfants de 13 ans dans la plus grande indifférence. Sous sa forme première il comportait le signalement des préférences sexuelles et des maladies. Cela doit être mis en parallèle avec les tendances contemporaines de la psychiatrie et la volonté contemporaine pour une sécurité maximum, acquise non par la prévention mais par la mise au ban. Un président de la République soutient fermement que l’agitation de certains enfants et que la pédocriminalité trouvent leurs sources dans des dispositions génétiques, ce qui implique le signalement le plus précoce qui soit de ces tendances malsaines. D’où le fichage précoces des « déviants », dès l’école primaire donc. Le fichier Base Élèves, expérimenté dès 2004 dans la plus grande indifférence, préconisait que « Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur (...) participent à la prévention de la délinquance" »

Le Ministre, Xavier Darcos, est revenu sur certains éléments de ce texte dont il dit lui-même qu’il enfreint les règles de l’école de Jules Ferry et qu’il est « profondément liberticide » mais les décrets portant modification ne sont pas parus, si bien que certains recteurs sanctionnent encore les pédagogues qui ne remplissent par leurs fiches.

Ces dispositions, même si, parfois les dirigeants paraissent reculer, appartiennent à un arsenal dont nous trouvons le modèle aux USA et nous ne pouvons pas prétendre que cela s’arrêtera à l’entrée du port de Brest. « Pas nous, non sûrement pas nous... »

Et, plus tard, « Nous ne savions pas ! » Cela fait 50 ans que le DSM est en place !


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