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VISA - une �cole de la dignit�
samedi 28 f�vrier 2009, par
Face � la p�docriminalit� intrafamiliale, nous sommes moins d�munis que ne le disent certains. Nombreux sont les exp�riences et programmes qui d�voilent d’autres voies que celle de la p�nalisation pour les pr�dateurs, et du d�ni pour les victimes.
Les service correctionnels du Canada nous pr�sentent ici une exp�rience de confrontation dans la dignit�
Par Djamila Amellal, agente de communication, Secteur des communications et de l’engagement des citoyens
Le programme VISA a vu le jour � l’�MSF en 1991. Inspir� du mod�le d’organisation de services propos� dans les ann�es 1980 par les Am�ricains Henry et Anna Giarretto, VISA offre une approche globale, int�gr�e et humaniste. Ainsi, bien que le programme s’adresse d’abord aux auteurs d’abus sexuels intrafamiliaux, il accorde une importance particuli�re au v�cu des victimes et de leur famille. VISA comprend trois volets. � l’�tape pr�-VISA, c’est l’accueil des nouveaux. Par le biais de rencontres individuelles ou de groupe, on tente alors d’�tablir une alliance avec ces hommes que la honte ou la peur rendent d�fensifs. Au besoin, on leur offre d’�tre parrain� par un ancien qui a compl�t� avec succ�s le programme. Puis, on effectue une �valuation pr�programme afin de confirmer les objectifs formul�s lors de l’�valuation sp�cialis�e effectu�e � l’admission et de les harmoniser avec les cibles de traitement de VISA. Suit l’�tape VISA, celle du cour de la th�rapie. Pendant douze semaines, dix hommes se r�unissent trois fois par semaine et font l’objet de quelques rencontres individuelles. La th�rapie tente de les amener � reconna�tre les abus qu’ils ont commis, � en prendre la pleine responsabilit� et � d�velopper une meilleure conscience des leurs cons�quences. Elle tente aussi de les aider � mieux g�rer leurs �motions et � canaliser ces derni�res dans des actions r�paratrices. Finalement, les hommes sont stimul�s � d�velopper une sexualit� adulte plus ad�quate et satisfaisante ainsi qu’� identifier leurs situations � risque et les moyens � prendre pour �viter la r�cidive. Au terme de VISA, la majorit� des participants obtiennent une lib�ration conditionnelle. Les autres sont dirig�s vers un troisi�me volet, VISAPR�T. A raison d’une rencontre aux deux semaines, les auteurs d’inceste y poursuivent leur cheminement et mettent en pratique les acquis faits pr�c�demment. Pour la plupart des hommes, ce suivi s’effectue � l’�MSF. Pour quelques autres, il a lieu dans la collectivit�, au sein d’un groupe de suivi pour des d�linquants sexuels en lib�ration conditionnelle. Les hommes d�tenus s’y rendent alors accompagn�s par un b�n�vole qui participe aussi aux rencontres. Le programme fait l’objet de recherches effectu�es sous la direction de Jean Proulx, Ph.D, et professeur � l’universit� de Montr�al et l’�quipe b�n�ficie r�guli�rement des conseils et de la supervision du psychiatre et expert international en d�linquance sexuelle, le Dr Jocelyn Aubut. Il est huit heures du matin. Une poign�e d’hommes quelconques - �ge moyen, cheveux gris, taille et carrure ordinaires - attendent devant une porte dans le corridor d’un �tablissement. Deux dames arrivent. Un apr�s l’autre, ils entrent dans la salle et prennent place. Ils s’assoient en cercle, de part et d’autre des deux dames. Une fois pr�ts, ils prennent la parole � tour de r�le, s’adressant � l’une ou l’autre des intervenantes, qui les �coutent attentivement. Un flot de d�tails sordides suit, des d�tails relatifs aux abus sexuels que ces hommes ont commis sur leurs propres enfants. Les r�cits sont choquants et fendent le cour, mais les intervenantes se ma�trisent bien et ne trahissent aucune �motion. En tant qu’employ�es du Service correctionnel du Canada (SCC) travaillant �troitement avec des d�linquants sexuels coupables d’inceste, elles doivent faire preuve d’une grande r�serve pour bien s’acquitter de leur travail. Elles doivent aller au-del� des crimes d�j� commis pour trouver les moyens de pr�venir d’autres crimes. Elles doivent aussi aider les personnes victimis�es. Aujourd’hui, se basant sur les renseignements compris dans les dossiers des d�linquants, l’une d’elle joue le r�le de la victime dans une simulation de rencontre entre le p�re abuseur et son enfant. Les th�rapeutes cherchent ainsi � rendre les d�linquants conscients des dommages consid�rables qu’ils ont caus�s et des difficult�s de r�pondre ad�quatement aux besoins de leurs victimes. J’ai rencontr� l’une de ces femmes remarquables, Mme�Marielle Mailloux, � l’�tablissement Mont�e Saint-Francois (�MSF), situ� � Laval, au Qu�bec. Mme�Mailloux, psychoth�rapeute, co-anime les rencontres avec Mme�Lucie Albert, agente de programme. L’�quipe est compl�t�e par Mme�Martine Nobert, une sexologue qui travaille � VISA � temps partiel et Mme�Line Bernier, psychologue, qui assume la direction clinique du programme. Gr�ce � son courage et � ses efforts, l’�quipe offre un programme unique qui conna�t un franc succ�s. Ce dernier vise non seulement � aider les d�linquants, mais aussi � exposer les victimes et les autres membres de la famille aux retomb�es positives du traitement. Le programme Violence Interdite sur Autrui (VISA) jouit d’une excellente r�putation, non seulement dans les collectivit�s locales, mais aussi � l’�chelle internationale. Les d�l�gations �trang�res compos�es de chercheurs et de stagiaires se succ�dent, se rendant � Laval pour voir comment le programme fonctionne et l’adapter par la suite � leurs propres besoins. � ce jour, 379 d�linquants ont suivi le programme et le taux de r�cidive chez ces derniers est tr�s bas (2.6 p.cent). La r�ussite du programme VISA contribue � accro�tre la r�putation du SCC en tant que chef de file dans le domaine correctionnel. | |
3Une petite �quipe, efficace et performante3 Les pionniers du programme VISA - Mme�Line Bernier, Mme�Marielle Mailloux, et M.�Gilles David, travailleur social maintenant � sa retraite, se rappellent du chemin parcouru et en parlent avec fiert�. Mme�Bernier pr�cise�: ��Le programme VISA est unique. Non seulement il r�pond aux besoins sp�cifiques de la client�le, mais il tient aussi compte de l’historique du traitement de l’inceste au Qu�bec ainsi que des particularit�s et des ressources du milieu dans lequel il est implant�. Confront� au d�but des ann�es 1990 � l’augmentation de la client�le incestueuse dans son �tablissement, le directeur de l’�poque, M.�Guy Villeneuve, a cherch� une fa�on efficace de leur assurer un traitement. Il a alors opt� pour une entente avec l’organisme provincial jusqu’alors expert en mati�re d’inceste, le Centre de Services Sociaux. C’est ainsi que M.�Gilles David s’est joint � notre �quipe.�� | |
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Elle ajoute�: ��Depuis, contrairement aux autres r�gions du SCC o� les incestueux ont fini par �tre trait�s avec les autres d�linquants sexuels, la r�gion du Qu�bec continue de d�velopper une expertise particuli�re en mati�re de traitement des incestueux.��
� partir d’un canevas initial d’activit�s th�rapeutiques sugg�r� par M.�Gilles David, l’�quipe � l’origine de VISA a d’abord exp�riment� quelques versions du programme, soucieuse de tenir compte des besoins et de la r�ceptivit� des clients, mais aussi des imp�ratifs de leur sentence ainsi que des limites et des possibilit�s propres � l’environnement carc�ral. Depuis, bien que les param�tres et les cibles de traitement du programme soient stables, VISA continue d’�voluer et de s’enrichir gr�ce aux nombreuses recherches en d�linquance sexuelle et � la contribution des diff�rents intervenants qui y ont ouvr�.
Le sous-directeur de l’�MSF, M.�Gilles C�t� ajoute ��Ce programme, tr�s exigeant pour la petite �quipe traitante, est une occasion en or pour les p�res incestueux de pouvoir se remettre en question. Quand ils compl�tent VISA avec succ�s, on est rassur� sur la s�curit� du public. Le programme n’est pas une panac�e et demande l’implication des participants, mais on y croit et c’est pour cela qu’on travaille tous � inciter les d�linquants � s’y engager.��
3La s�curit� dynamique gr�ce au travail d’�quipe3 Ce qui distingue particuli�rement le programme VISA, c’est la place qu’il alloue � la victime et � la famille dans le processus de traitement. ��S’occuper des victimes et de la famille, c’est aussi faire de la pr�vention et assurer une certaine forme de s�curit� dynamique, de dire Mme�Bernier. En amenant l’abuseur � reconna�tre de fa�on responsable les abus qu’il a commis, ce dernier contribue � mettre fin � la confusion, � l’ambigu�t� et � la culpabilit�. Les r�les familiaux sont red�finis et les situations � risque sont moins susceptibles de se reproduire ou de conduire � une r�cidive.�� Cette pr�occupation de l’�quipe est telle qu’on propose des rencontres aux victimes et aux conjointes. � ces derni�res, on fait aussi parvenir un article sur les enjeux d’�tre en relation avec un homme auteur de gestes p�dophiliques. ��La s�curit� dynamique, c’est aussi �duquer les conjointes et l’entourage. Si une situation � risque survient, il leur faut �tre capable de l’identifier et de r�agir.�� Au sein de l’�tablissement, la s�curit� dynamique est assur�e gr�ce � la coordination entre l’�quipe VISA et l’ensemble du personnel de l’�MSF. Que ce soit par le biais d’activit�s de sensibilisation sur le programme, par le partage d’information sur les clients ou m�me par la participation d’employ�s � des activit�s de VISA, le personnel de l’�MSF participe grandement au traitement. ��Il est vrai que le programme VISA repose sur les membres de l’�quipe traitante, d�clare le directeur, M.�Gagnon, cependant, c’est beaucoup plus large que cela. Tous les intervenants participent � la r�habilitation et � la s�curit� dynamique en �tant � la fois disponibles, ouverts et vigilants. Les d�linquants, c’est l’affaire de tous.�� 3La justice r�paratrice3 La r�paration est un des objectifs du programme VISA, un objectif qui commence � se concr�tiser lorsque le d�linquant reconna�t les abus, en accepte la responsabilit�, devient conscient des cons�quences de ses gestes et d�veloppe de l’empathie � l’�gard de sa victime. Pour y parvenir, l’�quipe a pr�vu des activit�s sp�cifiques. Par exemple, une s�ance de groupe est r�serv�e � la rencontre de deux femmes adultes victimis�es dans leur enfance qui viennent, accompagn�es de leur th�rapeute, faire �tat de leur exp�rience traumatisante aux participants du programme. Ces femmes acceptent volontairement de t�moigner de l’impact des abus sur leur vie de femme, d’�pouse ou de m�re. Elles sont r�f�r�es � VISA par le Centre de pr�vention et d’intervention pour victimes d’agression sexuelle (CPIVAS). ��La collaboration CPIVAS-�MSF existe depuis 1991, d�clare Mme�Francine Dor�, directrice de cet organisme. Les t�moignages de nos clientes sont percutants et font beaucoup de bien, et � la victime et aux abuseurs, car ils apportent des r�ponses aux questions, ce qui est lib�rateur.�� D’autres moyens de r�paration sont aussi propos�s. Ainsi, les hommes sont invit�s � disculper compl�tement leurs victimes aupr�s des membres de leur famille. Si la situation s’y pr�te, ils sont aussi encourag�s � rendre disponible � leur victime une lettre d’excuses sinc�res. Comme le dit Mme�Mailloux�: ��Les victimes s’attendent � ce que leurs p�res posent des gestes concrets de r�paration et VISA pr�pare ces derniers � payer en quelque sorte leur dette, non seulement � la soci�t�, mais aussi � la victime et cela, selon son souhait � elle.�� | |
Au terme des interventions pratiqu�es pendant le programme, un certain nombre d’auteurs d’inceste approfondissent leur d�marche en participant � une activit� de justice r�paratrice qui a lieu � l’�MSF. Cinq ou six rencontres entre un nombre �gal de victimes et d’agresseurs sont alors anim�es par un ou une b�n�vole. Victimes et agresseurs t�moignent de leur parcours. Les victimes se lib�rent et les agresseurs d�veloppent leur empathie. � travers le partage de leur souffrance respective, ces hommes et ces femmes apprennent � se rapprocher. Comme le dit M.�Gilles David, qui anime des rencontres Victimes/D�tenus (RDV)�: ��Gr�ce � ces rencontres, on sensibilise davantage les d�linquants aux cons�quences de leurs gestes sur la victime et la famille ainsi qu’� tous les tracas qu’ils ont sem�s sur leur chemin.�� | |
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3Le partenariat, une collaboration pr�cieuse3 ��Il est n�cessaire de travailler en r�seau, c’est-�-dire avec les gens qui interviennent d�s le d�but, comme les travailleurs sociaux et ceux qui le feront apr�s, comme les agents de lib�ration conditionnelle communautaires. Il ne suffit pas d’offrir un programme, il faut s’inscrire en continuit� avec les interventions des autres��, d�clare Mme�Bernier qui a elle-m�me co-anim� pendant huit mois des rencontres de suivi Visapr�t dans la collectivit�. ��Il faut expliquer la philosophie et le fonctionnement du programme aux intervenants avant de leur r�f�rer les d�linquants pour en assurer l’encadrement et le suivi. Ce sont l� des liens qui facilitent la r�insertion sociale. C’est aussi comme cela que l’on fait de la sensibilisation.�� | |
Le partenariat, c’est aussi le lien qu’on cr�e avec des b�n�voles d�vou�s et qui ont le cour � la bonne place, comme M.�Bessette, un fr�re de Sainte-Croix, qui est charg� d’escorter les d�linquants qui font le suivi Visapr�t dans la collectivit� et qui participe aux rencontres � titre de repr�sentant des citoyens. ��Ce programme, qui r�unit des d�tenus et des lib�r�s conditionnels, est efficace car les d�linquants s’�coutent entre eux et se critiquent, d�clare-t-il. Ils se confient � moi et je me sens libre de parler avec eux.�� Monsieur Bessette ajoute ��On ne devrait pas les juger, car parfois ce que l’on voit chez leurs parents est tellement dysfonctionnel�!�� | |
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3Cr�dibilit� et rayonnement international 3 <pMonsieur Pierre Collart, Ph.D., sociologue belge et sp�cialiste en Sciences de la Famille et de la sexualit�, a eu les commentaires suivants � l’�gard du programme et de l’�quipe, au terme de son stage � l’�MSF�: ��Le projet VISA, c’est donc de tourner le regard vers l’avenir, la part � construire dans chaque histoire. ��Il faut expliquer la philosophie et le fonctionnement du programme aux intervenants avant de leur r�f�rer les d�linquants pour en assurer l’encadrement et le suivi. Ce sont l� des liens qui facilitent la r�insertion sociale. C’est aussi comme cela que l’on fait de la sensibilisation.�� Et vous, vous parvenez � transformer la volont� d’oublier en volont� de se souvenir, � prendre appui sur ces souvenirs pour aller de l’avant.Vous voyez dans le plus n�gateur de ces hommes celui qui �prouve sans doute le plus de difficult�s, le plus de honte. Votre volont� de permettre � ces hommes de choisir leur vie en tenant compte d’eux-m�mes et des autres... En ce sens, VISA est v�ritablement une �cole de la dignit�.�� En parlant du SCC, il d�clare�: ��En s’associant � ce projet, le SCC a r�ussi non seulement � faire la promotion de sa Mission, mais il en a d�montr� l’application concr�te.�� | |
Cette petite �quipe qui a r�ussi � trouver une fa�on particuli�re d’aborder la probl�matique de l’inceste gr�ce � son engagement actif et continu tient � poursuivre son œuvre et � exp�rimenter de nouvelles pratiques. � la veille de pr�senter le programme pour une nouvelle accr�ditation internationale (le programme a d�j� �t� accr�dit� en 2001), l’�quipe ne n�glige pas d’investir temps et �nergie malgr� les efforts que repr�sente une telle aventure. De fa�on manifeste, elle n’est cependant pas au bout de sa passion�! | |
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