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Les réseaux pédocriminels n’existent pas ?

L’affaire de la Casa Pia

vendredi 15 janvier 2016, par Kieser ’l Baz (Illel)

Selon de nombreux observateurs, les réseaux organisés de pédocriminels ne sont que le fruit des fantasmes des égarés de la théorie du complot. L’affaire de la Casa Pia, au Portugal, est l’exemple même qui dément ces assertions.

L’ancienne directrice de la Casa Pia affirme dans une entrevue publiée le 5 octobre dans l’hebdomadaire Sol. Catalina Pestana, retraitée depuis mai 2007, vient de porter plainte devant la justice de son pays. Elle affirme que des réseaux pédocriminels externes continuent à abuser des enfants de la Casa Pia en les réduisant à un esclavage sexuel permanent. Le procureur général Fernando Pinto Monteiro a confirmé à la presse que Madame Pestana avait porté plainte et que celle-ci était en cours d’étude.
Il faut cependant savoir que l’Affaire de la Casa Pia (la Maison pieuse) a éclaté à Lisbonne en novembre 2002, lorsque Fabio Cruz, un garçon de 16 ans, ancien élève de la Casa, s’est confié à une journaliste de l’hebdomadaire Expresso, Felicia Cabrita. Ce témoignage a été le départ d’une série de révélations faites par d’anciens pensionnaires se déclarant tous victimes.
Cette affaire de réseau pédocriminel, organisée par un ancien gardien de l’école, Carlos Silvino, alias Bibi implique des personnalités publiques et politiques. Le procès est toujours en cours et sept personnes attendent de connaître le sort que la justice portugaise leur réservera. D’après l’accusation, Bibi choisissait ses victimes « parmi les enfants spécialement vulnérables, en manque d’affection et sans références parentales masculines ».
En décembre, le procureur général de la République, José Souto Moura, a accusé formellement dix personnes d’avoir commis des « violences sexuelles sur enfants et d’exercer la prostitution de mineurs ». Parmi les inculpés figurent :
  • Des stars du show-biz, dont l’humoriste Herman José et le présentateur vedette, Carlos Cruz, 62 ans, qui devait être l’égérie du Portugal à la Coupe d’Europe de football de 2004. Il avait déjà été inquiété pour des faits similaires dans les années 1980 : on avait à l’époque retrouvé chez lui des cartons à chaussures pleins de photos d’enfants, mais ces pièces à conviction avaient mystérieusement disparu et les choses en étaient restées là.
  • Des notables comme l’archéologue Francisco Alves et le médecin Ferreira Diniz, connu du grand public pour avoir animé une émission quotidienne sur la radio catholique Radio Renascença, et qui aurait fait subir des examens aux enfants de la Casa Pia, afin de s’assurer qu’ils ne souffraient pas d’infections vénériennes avant leur introduction dans le réseau de ces pédomanes de la haute société.
  • Un dignitaire de la haute diplomatie, l’ancien ambassadeur Jorge Ritto, pour lequel, dans sa résidence, auraient été organisées des orgies au cours desquelles des enfants de la Casa Pia étaient livrés par Bibi à des notables.
  • L’ancien ministre du Travail et de la Solidarité et actuel député socialiste Paul Pedroso, 38 ans, très populaire pour avoir introduit le RMI au Portugal.
  • Des anciens élèves ont évoqué d’autres orgies pédophiles qui se seraient déroulé dans une villa tranquille de l’Alentejo où Bibi les emmenait et où une soixante de personnes auraient participé.
La plainte de Catalina Pestana est significative mais aussi très inquiétante car le procès est toujours en cours. Cela veut dire que, même durant l’instruction et après, les orgies ont continué. C’est ce que souligne cette ancienne directrice indignée.
L’arrogance du pédocriminel n’a pas de limite, il sait retourner les faits en sa faveur. Ainsi le député de gauche Paul Pedroso a été acclamé au Parlement après sa mise en liberté, c’est dire le formidable cynisme de ces criminels qui ne reculent devant aucune infamie pour discréditer leurs victimes et se faire passer eux-mêmes pour tels.
En France, nous avons connu Outreau, les outrances d’un petit juge et des personnes injustement accusées et cela aura de graves conséquences dont nous ne soupçonnons pas la portée. Quand un scandale comme celui qui agite le Portugal actuellement surviendra en France, « Outreau » reviendra comme un boomerang et les accusés n’auront aucun mal à se défendre contre le « lynchage médiatique », les parlementaires se souviendront soudain du principe de la présomption d’innocence, les vraies victimes seront oubliées, les bourreaux transformées en victimes. On criera au complot politique, comme, en ce moment, au Portugal...
On sous-estime largement ces retournements de situation, souvent amplifiés par la faculté des journalistes à se fonder sur l’émotionnel plutôt que sur de véritables investigations.
On sait aussi et il convient d’insister sur ces points : les enquêtes sont souvent bâclées, les contrôles sociaux inopérants et le pouvoir politique inerte. Au Portugal, dès les années 1972, des professeurs avaient signalé ces pratiques pédocriminelles au sein de la Casa Pia. En 1982 un rapport accablant dénonce des pratiques pédocriminelles, il est classé sans suite. Puis en 1989 le principal accusé, Bibi, le portier de la Casa Pia est réintégré dans son emploi par décision de justice...
Ne pensons pas, surtout après l’affaire de la petite Maggie, que cela ne peut arriver qu’au Portugal ou bien en Afrique, jamais chez nous. Car des situations semblables existent en France, en Belgique, en Allemagne... mais une immense chape enserre les faits dans le silence. La plupart des victimes rescapées des griffes de pédocriminels savent tout cela. Elles connaissent le poids des humiliations, des accusations et des menaces de leur prédateur – durant l’enquête, les doutes et les indélicatesses des enquêteurs et des juges...
Ce processus qui navigue du silence à ces révélations francassantes est connu aux USA, au Canada. On se souvient de l’affaire délicate que le Vatican eut à traiter et qui impliqua de nombreux prêtres et évêques pédocriminels. Durant plus de 30 ans la hiérarchie religieuse s’ingénia à étouffer l’affaire en incitant les victimes au silence... Il y eut, au Canada, les affaires des couvents St. Vincent et de Ste. Clotilde. Celle du couvent de St. Vincent fut à l’origine d’un film qui demeure un modèle pour qui veut connaître le mode opératoire du prédateur pédocriminel. Les recours et procès, dans chacune de ces affaires, sont encore en cours.
La conscience se trouve ébahie devant tout ce temps mis par la justice et les autorités politiques pour intervenir, 30 ans, durant lesquels chaque victime a du se battre et affronter l’incrédulité. Que déduire de telles lâchetés ?
En France, l’orgueil national empêche ses affaires de parvenir au grand jour, pire, quand elles surgissent au grand jour, il se trouve toujours une bonne conscience ou un fabuleux expert pour banaliser et la réduire à néant. Ainsi, durant l’instruction de l’affaire d’Outreau, une journaliste de Libération ironisait sur la thèse du réseau en prétendant que ces affirmations relatives à d’éventuels complots étaient des chimères car ils révélaient toujours une forme de névrose de société. Si elle avait raison pour Outreau, ses généralisations étaient largement outrancières. Et il faudra malheureusement attendre qu’une affaire similaire éclate en France pour que le regard – d’abord celui des journalistes – puisse changer. Mais nous n’avons pas fini de liquider les effets pervers du scandale de l’affaire du juge Burgaud ou de l’affaire Baudis à Toulouse. Dans chacune, la rumeur a été amplifiée par des journalistes peu scrupuleux.
Dans un mail adressés à ses correspondants, Sonia Pizel, présidente de Sauver l’enfance en danger écrit :
« Chaque jour, à chaque instant, dans tous les pays, des enfants sont victimes d’êtres pervers. Leur enfance est assassinée.
Plus que jamais, nous devons avoir la volonté de dénoncer tous ensemble, au delà des frontières, ce terrible fléau.
Plus que jamais, il faut générer ne prise de conscience générale de la nécessité de mettre en place une protection des enfants au niveau international.
La pédocriminalité n’a pas de frontière, soyons, plus que jamais, déterminés à tout mettre en place pour l’éradiquer. »
On pourrait compléter ces propos en invoquant aussi l’aide des journalistes. Tant que la puissance des médias se servira de quelques faits divers, choisis pour la charge émotionnelle qu’ils peuvent véhiculer, les actes pédocriminels, de plus en plus nombreux, demeureront dans l’anonymat des dernières colonnes de journaux.
 
Sources :