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Prédateurs pédosexuels domestiques
Notes aux défenseurs des victimes, avocats, acteurs sociaux et pénitentiaires
samedi 16 janvier 2016, par
Dans le volet judiciaire des affaires de violences familiales, les différents acteurs chargés d’apporter leur expertise ou de statuer en toute équité sont parfois confrontés à des personnalités, hommes ou femmes, qui les plongent dans l’embarras le plus profond.
Le scénario se présente toujours de la même manière : quelqu’un se plaint des agissements domestiques d’un individu, violences physiques ou verbales, humiliations ou violences sexuelles, lequel proteste avec la plus grande force de son innocence, qui semble prêt à tout pour prouver son innocence et, souvent, sa force de conviction emporte la compréhension des experts, finalement, du juge.
Le/la plaignant/e se trouve alors pris/e d’un immense désarroi, sans comprendre et révolté/e de cette iniquité.
On croise ces individus singuliers dans des affaires de violences domestiques, d’agression sexuelle sur des proches, de harcèlement moral, de viol d’enfant ou d’inceste. Leur terrain de « chasse » se cantonne à l’espace domestique. Leur comportement est si souvent scandaleux, voire barbare que la tentation est grande d’en faire des monstres ou, au moins, des malades mentaux.
Dans le domaine des troubles mentaux, on ne trouve guère de références à ce type d’individu, sinon en croisant plusieurs pathologies : troubles de l’humeur, de l’identité sexuelle, de la personnalité et borderline. Cela n’est pas étonnant dans la mesure où le DSM IV ne recense que les pathologies mentales et, dans ces cas-là, on peut douter du caractère pathologique de tels comportements d’autant plus que ces individus cultivent une image sociale au-dessus de tout soupçon. C’est un des traits majeurs de leur personnalité. Par ailleurs, en affirmant qu’il s’agit de pathologie mentale, on dédouane ces individus de toute responsabilité devant la justice. La question se pose, en effet, du degré de conscience dont ils font preuve en commettant leurs actes criminels.
Ces prédateurs sont mal connus, leur comportement peu ou mal évalué, très peu étudié. Cela résulte à la fois d’un tabou social et d’un vide méthodologique de la clinique psychologique. C’est pourquoi on trouve bien plus de références à ceux-ci dans les études sociologiques et en criminologie, pour les cas extrêmes. Et cela ne concerne pas les prédateurs domestiques. Nombre de cliniciens usent du terme perversion narcissique pour qualifier ces déviances. On le doit à Paul Claude Racamier qui, dès 1986, prolongeait la théorie freudienne de la perversion de S. Freud. Or celle-ci ne rend pas compte de l’ensemble des comportements de ces individus. Jadis, les perversions étaient conçues du seul point de vue moral et religieux. Elles deviennent un phénomène pathologique au 19e siècle pour la psychiatrie, principalement dans les procès d’assises. P. Pinel, en 1802, évoque même une folie sans délire. On reste dans le domaine de la pathologie.
Actuellement, la notion de perversion s’est restreinte à celle de perversions sexuelles.
Pour certains, « la définition de la perversion semble ne pas pouvoir être abordée sans les concepts de normalité et de déviance associés à la notion de sexualité tournée vers une finalité naturelle. » (Marlène Fouchey, La perversion)
Pour Freud, niant le rôle d’un instinct sexuel, c’est l’investissement de la libido qui, à un moment, demeurerait fixée à un stade infantile. Le pervers resterait cantonné à une sexualité infantile.
Si, ces théories tentent une l’étiologie des passages à l’acte, elles ne donnent que peu ou pas d’indications sur celui-ci, qui tiennent compte de diverses composantes, milieu, histoire du sujet, typologie de la victime, etc. Ainsi la morale antique et les préjugés s’empressent de remplir ce vide - le caractère provoquant de la tenue vestimentaire de la femme violée, ou bien les propos hargneux de la femme battue, parmi tant d’autres exemples rapportés par les victimes. On n’est pas plus renseigné sur les outils thérapeutiques à mettre en place face à ces actes criminels et on tiendrait presque pour une fatalité leur caractère supposé imprévisible.
« La clinique de la perversion est trop longtemps restée en sommeil pour les analystes centrés sur les descriptions de fétichistes ou de sado-masochistes et oubliant violeurs, pères incestueux et pédophiles, de longue date délégués aux criminologues et considérés comme inaccessibles aux prises en charge psychothérapiques puisqu’en règle non demandeurs... Les professionnels se retrouvent face à l’obligation d’écrire une nouvelle clinique et surtout de faire évoluer la relation médecin-patient en dépassant la règle sacro-sainte de la « neutralité bienveillante », en invitant à « un travail thérapeutique sur l’acte. » Ainsi s’exprime le Professeur Jean-Louis Senon. (Quelles sont les théories actuelles concernant les causes impliquées dans les agressions sexuelles ?) Enfin, concernant le terme narcissisme, il est loin de là réalité du prédateur domestique car si le narcissique tend à exploiter les autres, comme notre personnage, il le fait dans l’inconscience la plus totale car il est persuadé que la réalité de sa grandeur est évidente. La représentation qu’il a de lui et du monde prime sur toute autre. Le narcissique est capable a posteriori d’une prise de conscience du caractère déviant de ses comportements. Face à une blessure ou à un choc il est en mesure de demander de l’aide. Enfin, le caractère stable de sa personnalité le tient à l’écart de toute impulsivité et de toute forme de violence destructrice, qu’elle soit automutilante ou portée sur autrui.
Nos prédateurs, par contre, ont le calcul et la préméditation ancrés dans leur mode opératoire. Ils sont parfaitement conscients du caractère déviant de leur comportement, d’où les artifices et les ruses nombreuses qu’ils déploient pour venir à bout d’une victime. En outre, mis face à leur responsabilité ils sont capables des pires violences, y compris contre eux-mêmes, ils l’annoncent d’ailleurs le plus souvent.
Maintenant, si nous nous en tenons aux prédateurs pédosexuels domestiques, il nous faut revoir le terme pédophile associé aux relations que ces personnes imposent à de jeunes enfants. Le sens étymologique du mot conduit donc à « l’amitié pour les enfants », ce qui est inapproprié. Pour certains, le mot pédérastie conviendrait mieux, puisque pédérastie est formé des deux radicaux paidos (enfant) et eros (amour sexuel). Le mot français pédophilie date de 1847 (Julius Rosenbaum, Histoire de la syphilis dans l’Antiquité). L’expression pédophilie érotique, proposée par le psychiatre autrichien Richard von Krafft-Ebing en 1886 ne fut pas retenue - in Psychopathia Sexualis.
La pédophilie regroupe en psychiatrie ce qui se rapporte aux relations sexuelles adultes-enfants. Elle peut être hétérosexuelle, homosexuelle, ou mixte. Elle concerne des hommes comme des femmes de tous âges, de tous les milieux. Elle peut coexister avec une sexualité par ailleurs normale de l’adulte en cause, ou s’associer à une problématique sexuelle mal assumée.
Le terme induit de nombreuses confusions qui traduisent bien le trouble des psychiatres et des psychologues qui manquent de repères et peuvent difficilement transmettre une expertise fiable aux magistrats et aux personnels pénitentiaires.
J’use du terme prédateurs pédosexuels domestiques pour caractériser ces personnes qui abusent de leurs enfants ou d’enfants du voisinage et, plus généralement prédateurs domestiques, pour ceux que Daniel Welzer-Lang nomment « les hommes violents » (Ed. Lierre & Coudrier). Leur champ d’action se limite strictement à la maison ou à son proche voisinage. Leur mode opératoire est également celui-des prédateurs, toujours en chasse, à l’affût, guettant les moindres faiblesses de leur proie.
Le noyau principal de la dynamique comportementale du prédateur domestique repose sur la volonté de contrôle et l’assujettissement de l’entourage proche à sa loi. Qu’il soit violent ou incestueux, ce trait comportemental est constant, au centre de la problématique des prédateurs domestiques.
Le prédateur pédo-sexuel tel qu’en ses œuvres
Le dévoilement des comportements du prédateur pédo-sexuel est un choc pour l’entourage de cet individu, que ce soit dans le voisinage ou dans la sphère professionnelle. C’est cet homme dont « on ne peut croire qu’il a fait ça ! »
On est loind du personnage hirsute et aviné de la ruralité profonde qui abuse de ses filles illétrées. On est loin, aussi, du monstre « pédophile » qui kidenappe des enfants impubères. C’est un autre nous-même, un proche voisin, un bon père, un collègue irréprochable. Au tribunal, les témoignages de moralité abondent qui vantent les qualités du personnage. C’est un trait singulier et constants chez ces êtres. Leur côté sombre est bien masqué, ils ne le donnent à voir qu’à leur malheureuse victime.
Tel apparaît, quand il est démasqué, l’image sociale de l’individu et ce camouflage est travaillé de très longue date.
En nécessité de devoir se justifier - interrogatoires, confrontations, etc. - il se comportera invariablement selon cette même ligne de défense : son innocence est une évidence, il est victime d’accusations injustes, fomentées, le plus souvent par des personnes déséquilibrées ou sous influence.
Si ces êtres paraissent doués d’une intelligence puissante c’est parce qu’elle est entièrement asservie à leur comportement vicié et leur permet d’élaborer des pièges très subtils.
Ces individus ne supportent pas la contradiction et, en dehors de leur champ de compétence professionnelle, ils sont incapables de discussions ouvertes et constructives car, leur point de vue seul peut compter ; ils bafouent ouvertement leur victime, n’hésitant pas à la dénigrer, à l’insulter autant que possible sans témoin, sinon ils s’y prennent avec subtilité, par allusions, tout aussi destructrices, mais invisibles aux regards non avertis !
Ils cultivent, par calcul et de manière préméditée, une image d’eux-mêmes qui est au dessus de tout soupçon.
Ce prédateur s’appuie volontiers sur les sentiments de culpabilité de la victime
Puisqu’il est - toujours victime -, c’est l’autre qui l’agresse injustement et ses arguments sont le plus souvent très pertinents, logiques et s’appuyant occasionnellement sur les faits qu’on lui reproche. L’accusation portée par la victime résulte, à ses yeux, d’une pathologie psychique, d’un sentiment de vengeance ou d’une manipulation sous influence : secte, avocat véreux, petit ami agressif, psychologue manipulateur, etc. Il retourne volontiers les arguments qui lui sont opposés.
Mais, à y regarder de près, on constate que la logique de défense est fondée sur la manipulation des doutes soulevés par la gravité des accusations. Nous sommes peu habitués à devoir faire face à de tels actes et nous avons tous naturellement tendance à nous dire que cela « n’est pas possible ». Une part de nous renferme toujours une tendance à éluder le problème du mal. C’est ce qui facilite notre sociabilité, sinon nous serions constamment aux aguets. Notre « chasseur » sait tirer parti de cette « faiblesse ».
Le défenseur des victimes doit avoir constamment cela à l’esprit car le prédateur sera capable d’exploiter le moindre doute, la moindre faille dans la démonstration des faits. Il sait user de séduction, en tous lieux et cette capacité à séduire se nourrit de ressorts souvent inconscients de l’interlocuteur lui-même, y compris des professionnels aguerris.
Confronté à des arguments indubitables il tentera de minimiser les faits, de les banaliser, de se retourner contre la victime, mais, acculé, il reviendra à des tentatives de séduction du juge, du policier ou de quiconque a autorité pour lui demander des explications.
C’est sa dernière cartouche !
Au-delà, il deviendra agressif voire violent, éventuellement meurtrier.
Fidèle à sa volonté de présenter une image innocente, il peut s’appuyer sur le passé de sa victime pour justifier le manque de crédibilité des accusations.
En effet, la victime - il s’agit ici d’une enfant qui aura été violentée, parfois dès son plus jeune âge, fragilisée dans la construction de sa personnalité présente des troubles plus ou moins marqués de cette fragilité : dépression chronique, troubles psychosomatiques chroniques, troubles de la personnalité.
Évidents, ces symptômes serviront notre prédateur dans son argumentation principale : il est l’objet d’une injustice, d’une dénonciation posée par une personne déséquilibrée... Il ne manquera jamais d’experts pour abonder dans ce sens. Rappelons-le, la prédation domestique touche un point aveugle de nos sociétés, elle met en cause, vrai ou non, l’édifice sacré de la famille, ce noyau sur lequel nos nations se sont construites. Le problème n’est pas seulement psychologique.
Enfin, un argument choc peut ébranler la conviction des juges, celui des souvenirs fabriqués. Il repose sur un préjugé féroce, repris par des professionnels, selon lequel on peut fabriquer et altérer des souvenirs, par suggestion, en reprenant des fantasmes ou en brodant sur des faits avérés. Cela ne ferait que soutenir l’hypothèse selon laquelle, la victime serait psychologiquement fragile, donc influençable et prête à tout pour justifier un édifice aussi faux que fantasmatique. (Une étude parue au Canada démontre que la fabrication de souvenirs est réduite à 15 20% dans les procès en cours.)
La stratégie de défense du prédateur n’est jamais directe, elle vise à suggérer.
La « monstruosité » des actes qui lui sont reprochés peut devenir un argument sur lequel il s’appuie pour se dégager de toute responsabilité. Il convient volontiers de l’existence de tel ou tel fait mais il en banalise la portée : « C’est elle (la victime) qui exagère, qui fantasme, etc. » « Elle a toujours eu tendance à broder, ... »
En minimisant tel ou tel geste, parole ou situation il vise à introduire des doutes. Il est capable de convenir de l’ambigüité de certains gestes, mais c’est, immédiatement pour soulever la question d’une interprétation négative/maladive.
Même s’il est très instruit, ce prédateur ne possède pas de personnalité propre, elle est forgée sur des masques dont il change suivant les besoins, passant de séducteur paré de toutes les qualités, à celui de victime faible et innocente, ne gardant son véritable visage d’ombre que pour sa victime. Et encore peut-il jouer avec elle au chat et à la souris, faisant patte de velours pour mieux la tenir, puis sortant ses griffes lorsqu’elle cherche à s’évader... De ce point de vue, tous les témoignages de victimes concordent, mais pas seulement.
Antonio Damasio (Le sentiment même de soi) définit l’intelligence, non comme une faculté rationnelle et opérationnelle mais comme une composante humaine, associée à la faculté d’assumer les émotions. C’est à cette condition que l’on peut parler d’intelligence car elle permet alors de développer des actions pertinentes, adaptées au contexte. Tout semble donc se passer comme si le prédateur n’avait investi cette « intelligence émotionnelle » que dans un secteur très limité de sa vie sociale : exercice professionnel, voisinage. Ailleurs, apparaissent des comportements sans cette pertinence évoquée par Damasio (ibid.) Dans cet espace parfaitement balisé dans lequel il se sait à l’abri, au sein duquel, chaque être lui est soumis, le prédateur s’abandonne à ce qu’il sait faire de mieux : tout contrôler.
Le monde qu’il construit dans ces coins d’ombre de la vie domestique n’abrite que les objets de sa mythologie personnelle.
Le prédateur pédo-sexuel domestique est un personnage totalement dépourvu d’empathie, qui n’éprouve aucun respect pour les autres, qu’il considère comme des objets utiles à ses besoins de pouvoir, d’autorité, que cela soit conscient ou non. Il a besoin de contrôler et d’écraser pour exister. C’est pourquoi l’enfant fragile et malléable, avec sa confiance illimitée, son besoin d’amour et de reconnaissance, devient si facilement une proie privilégiée ! Le désastre sera d’autant plus dévastateur que le lien de parenté sera proche. Un témoin affirme avoir été soulagé le jour où il apprit que son prédateur n’était pas son père. Cela peut étonner mais démontre l’abîme d’incompréhension auquel les victimes sont confrontées.
« Je ne comprends pas comment il a pu faire ça ! », mon propre père...