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Conversation imaginaire avec Etty Hillesum
par Caroline Gindre
samedi 3 juin 2006, par
Gr�ce � Julius Spier, un psychologue allemand, Etty Hillesum d�couvrira la profondeur de la foi qui la soutiendra jusqu’� sa mort, � Auschwitz, le 30 novembre 1943.
Etty se destinait � l’�criture�: les textes qu’elles nous a laiss�s sont d’une grande richesse et d’une grande densit�, tant au plan litt�raire qu’au plan humain
Amsterdam, 9 mars 1943, Etty Hillesum, jeune femme juive de vingt-sept ans ouvre son journal. �tre fragile et angoiss�, sujette aux migraines, elle passait de l’enthousiasme inconditionnel � la d�pression totale. Fille d’un professeur de langues anciennes, elle poss�dait une vive intelligence. � 18 ans. elle m�ne de front une ma�trise de droit et l’�tude des langues slaves. Ce n’est que plus tard, au cœur de la seconde guerre mondiale, qu’elle se passionne pour la psychologie, et fait la rencontre d’un ��psycho-chirologue�� allemand, �migr� � Amsterdam, Julius Spier. Cet homme jouera un grand r�le dans son �volution psychologique et religieuse, puisque c’est gr�ce � lui qu’elle d�couvrira la profondeur de la foi qui la soutiendra jusqu’� sa mort, � Auschwitz, le 30 novembre 1943. Etty se destinait � l’�criture�: les textes qu’elles nous a laiss�s sont d’une grande richesse et d’une grande densit�, tant au plan litt�raire qu’au plan humain. Les Editions du Seuil qui publi�rent son journal, �crit entre 194I et 1943, sous le titre Une vie boulevers�e, ont �galement fait para�tre les lettres qu’elle �crivit lors de sa d�tention au camp de transit de Westerbork, avant d’�tre d�port�e � Auschwitz. Le texte qui suit est construit comme une conversation entre deux femmes relatant et �changeant leur v�cu respectif, leurs pens�es, parfois d’ordre m�taphysique, avec les similitudes et les diff�rences que cela suppose. Les id�es s’encha�nent sans suivre syst�matiquement une ��ligne logique��, les dialogues ne se r�pondent pas syst�matiquement et certaines questions restent parfois sans r�ponse. C. Gindre
Grande inhibition, je n’ose pas me livrer, m’�pancher librement, et pourtant il faudra bien si je veux � la longue faire quelque chose de ma vie, lui donner un cours satisfaisant.
Je rencontre �galement cette difficult� � me montrer telle que je suis r�ellement. Je n’ose me mettre � nu devant les autres et me cache derri�re des facettes qu’on ne saurait a priori relier entre elles. Et, trop souvent, j’atteins mon but, les autres, tromp�s par mes multiples personnages, ne peuvent saisir qui je suis r�ellement.
De m�me dans les rapports sexuels, l’ultime cri de d�livrance reste toujours peureusement enferm� dans ma poitrine. En amour, je suis assez raffin�e et, si j’ose dire, assez experte pour compter parmi les bonnes amantes, l’amour avec moi peut sembler parfait, pourtant, ce n’est qu’un jeu �ludant l’essentiel et tout au fond de moi quelque chose reste emprisonn�.
Je crois n’�tre jamais parvenue � l’ultime jouissance. Et cet orgasme qui n’explose pas, bout en moi. Est-ce ce tourbillon de mon ventre qui provoque alors ce besoin int�rieur, presque imp�rieux de parler�? Exprimer quelque chose, n’importe quoi, mais qu’enfin cela sorte de moi�!
Mon cœur d�borde, mais les mots me semblent alors si faibles pour exprimer ce trop-plein que je crois �tre de l’amour, que je me refuse encore � les dire. Tout hurle en moi et je ne puis alors que jouir de la jouissance de l’autre ou murmurer un ��je t’aime�� dont la signification me semble bien incertaine.
Nous autres femmes, nous voulons nous �terniser en l’homme.
La journ�e avait si bien commenc�, clart� et lucidit� dans ma t�te�; puis tr�s grave d�pression, j’avais le cr�ne pris comme dans un �tau�; je me suis enlis�e dans des pens�es “profondes”, beaucoup trop profondes�; et derri�re tout cela, le vide du “ pourquoi ” - mais contre cela aussi on luttera.
Je suis depuis plusieurs mois dans un abattement terrible, d�prim�e comme jamais encore je crois ne l’avoir �t�.
Toute motivation, tout d�sir de vivre m’ont quitt�e. Les choses qui me passionnaient il y a quelques mois ont perdu toute signification.
Ces maux d’estomac, cette oppression, cette sensation de nœud int�rieur, d’�crasement sous un �norme poids constituent sans doute le prix que j’ai � payer de temps en temps pour mon avidit� � tout savoir de la vie et � p�n�trer partout.
Tu luttes contre un sentiment de sup�riorit� intellectuelle, tu voudrais interrompre le cours de tes ��grandes pens�es philosophiques�� pour �crire davantage. Je te sens si fragile, perdant si rapidement ta force int�rieure, dans l’incapacit� d’agir, te reprochant alors de trop penser et de ne pas faire.
Encore une fois je vais devoir apprendre en luttant de toutes mes forces�: bannir de mon cerveau tous les fantasmes et toutes les r�veries et faire un grand m�nage int�rieur pour laisser la place aux choses de l’�tude, humbles ou �lev�es. � vrai dire je n ai jamais su travailler.
J’ai commenc� � fumer du haschich il y a dix ans et, depuis le d�but de cette phase d�pressive, je fume tous les jours, souvent plusieurs fois par jour, parfois d�s le matin. Cela m’�te le peu d’�nergie qui me reste, amoindrissant encore le sens que je cherche � donner � ma vie...
L’essai le plus mince, le plus insignifiant que tu parviens � �crire vaut mieux que tout le flot d’id�es grandioses dont tu te grises... un peu d’hygi�ne mentale que diable�!
Avachie sur mon lit, les pens�es envahissent mon esprit dans le d�sordre le plus total. Certaines id�es me semblent lumineuses, voire g�niales. Peut-�tre le sont- elles, mais je n’en fais rien de constructif. De surcro�t, elles perdent toute clart� d�s que l’effet de la drogue a disparu.
Autrefois je croyais devoir produire un certain nombre de pens�es profondes par jour, aujourd’hui, il m’arrive d’�tre une friche infertile, mais �tendue sous un ciel vaste, haut et paisible. C’est mieux. Je me d�fie aujourd’hui de cette profusion de pens�es jaillissantes, j’aime mieux �tre de temps en temps en friche et en attente.
Les id�es de g�nies montent toutes seules � ton cerveau foisonnant. Pourtant, de m�me que je ne cesse de ressasser que je ferais mieux d’agir au lieu de laisser la vie fuir dans des volutes de fum�es, tu te r�p�tes encore et encore qu’il te faudrait �crire et non t’embourber dans tes grandes id�es.
Toujours une belle th�orie sous la main pour te complaire au sentiment de ta noblesse d’�me, mais le plus petit geste d’amour � mettre en pratique te fait reculer.
Mais enfin tu n’�cris que pour rechercher un peu de clart�, tu n’es pas en train de produire un chef-d’œuvre.
Ecrire ou simplement agir dans quelque domaine que ce soit. Chaque jour, je me dis qu’il faut interrompre ce processus d’autodestruction qui me plonge davantage encore dans la d�prime. Et chaque jour, je m’en sens incapable�!
J’ai cess� de fumer depuis le d�but du mois de janvier et s’il m’arrive encore quelquefois de ��tirer sur un joint��, le d�sir de me noyer dans le hasch ne me prend plus quotidiennement et m�me de moins en moins souvent. Depuis que j’ai cess� de fumer, je n’ai plus d’�clairs de lucidit�, et je ne m’en porte pas plus mal, bien au contraire. Sans doute est-ce pour cela aussi que je parviens enfin � �tre active. Il me revient alors que, m�me au plus profond de mon mal-�tre, l’image que les autres avaient de moi �tait celle d’une femme d�cid�e et dynamique. Moi seule savais combien c’�tait faux et combien j’aurais aim� me laisser aller sur l’�paule de quelqu’un...
Toute ma vie, j’ai eu ce d�sir�: si seulement quelqu’un venait me prendre par la main et s’occuper de moi�; j’ai l’air �nergique, je ne compte que sur moi, mais je serais terriblement heureuse de m’abandonner.
Ce d�sir de rencontrer ton alter-ego, ce besoin d’�tre prise en charge par un autre qui te donnerait amour et confiance en toi - un autre sur qui, sans doute, tu d�verserais ton amour immense et ta difficult� d’�tre�-, ce besoin d’amour que tu exprimes si intens�ment, je le ressens aussi, � combien.
Mais tu sais bien que l’on est toujours seul�! Je lutte �galement contre ce terrible besoin des autres, de l’Autre... Il faudra bien un jour que j’accepte de me prendre en charge sans attendre que ceux que j’aime le fassent pour moi�!
�trange de vouloir �tre ainsi d�sir�e par un homme, comme si c’�tait la cons�cration supr�me de notre vie de femme. Alors qu’il s’agit l� d’un besoin tr�s primitif. L’amiti�, la consid�ration, l’amour qu’on nous porte en tant qu’�tres humains, c’est bien beau, mais tout ce que nous voulons en fin de compte, n’est-ce pas qu’un homme nous d�sire en tant que femme�?
Qu’il nous d�sire et qu’il nous aime. Qu’il nous enveloppe de sa tendresse, qu’il nous emporte dans ses bras et qu’il nous berce comme on c�line un enfant. Je me sens souvent comme un enfant � qui la vie aurait refus� son cadeau de No�l.
La source vitale doit �tre la vie elle-m�me, non une autre personne. Beaucoup de gens, de femmes surtout, puisent leurs forces chez un autre �tre, c’est lui leur source vitale, non la vie elle-m�me. Situation fausse. D�fi � la nature.
Pourquoi suis-je si vide lorsqu’un homme me quitte, sans amour de la vie�? Je peux d�ployer tant d’�nergie d�s que le sentiment amoureux m’emplit, et l�, �perdue dans ma solitude, tout d�sir d’�tre m’a quitt�e.
Je ne l’aime pas du tout en tant qu’homme, c’est bien le plus �trange�! S’agit- il encore de ce maudit besoin de s’affirmer en poss�dant quelqu’un�? En le poss�dant physiquement alors que je le ��poss�de�� d�j� spirituellement, ce qui est tellement plus important. Est-ce cette tradition malsaine qui fait que lorsque deux �tres de sexe diff�rent ont des relations �troites, ils se croient oblig�s au bout d’un moment de se mesurer aussi physiquement�?
Nous naviguons entre le d�sir absolu de tout donner � un seul �tre et notre incapacit� � accepter cette limitation.
Jamais encore mon intuition int�rieure ne m’a fait dire ��oui�� pour la vie � un homme...
Pourtant, seule une relation qui se serait construite jour apr�s jour pourra me permettre de m’�panouir. Et m�me si je sais qu’autrefois je ne m’en satisfaisais pas, j’esp�re y parvenir un jour.
� pr�sent que je me suis un peu ��rassembl�e��, je sens que je suis une fille tout � fait s�rieuse, qui ne plaisante pas avec l’amour. Ce que je veux, c’est UN homme pour toute une vie et construire quelque chose ensemble.
Je lutte, sans rel�che, contre ce d�sir de l’avoir toujours � mes c�t�s, l�, tout pr�s de moi. Je me bats contre ma propre chair qui r�clame, encore et toujours, un peu plus d’amour, encore et toujours, un peu plus de tendresse. Je sais bien pourtant qu’� le vouloir constamment pr�sent, je le perds un peu plus � chaque fois.
Alors je voudrais que toute son attention se concentre sur moi seule. Je ne suis plus que ce moi born�, et les espaces cosmiques qui m’habitent me sont ferm�s � moi-m�me. Et bien entendu je perds tout contact avec lui. Je voudrais qu’il ne f�t plus qu’un moi limit�, enti�rement en ma possession. D�sir f�minin bien compr�hensible. Mais j’ai d�j� parcouru un bon bout de chemin pour m’�loigner de ce moi �go�ste, et je vais continuer. Il est normal que le parcours soit �maill� de rechutes.
� chaque s�paration, je ne sais quand je le reverrai, ni surtout si je le reverrai dans le cadre d’une relation qui, m�me si nous refusons de lui donner ce nom, ressemble bien � une relation amoureuse.
Quand il m’a dit�: ��Maintenant j’ai besoin d’une heure � moi��, j’ai ressenti la m�me tristesse que s’il m’avait fallu le quitter pour toujours.
Seule la rupture est douloureuse. Cet instant o� nos corps, nos regards se s�parent est toujours une souffrance. Chaque fois, j’ai peur qu’il ne d�cide de couper le fil de nos rencontres et je ne sais dans quel �tat me laisserait cette brisure...
Revoil� l’exigence d’absolu. Il doit m’aimer �ternellement, moi seule et unique. (...) C’est cela qui est fou�: moi je ne veux pas de lui pour toujours, je ne le voudrais pas pour compagnon unique et �ternel, mais j exige de lui qu’il me veuille ainsi. Se peut-il que ce soit justement ma propre incapacit� � donner un amour absolu qui me pousse � l’exiger de l’autre�?
D’ailleurs, je m’�tonne d’�tre capable d’accepter son �norme besoin d’ind�pendance. Je parviens m�me � accepter sa volont� de ne pas s’engager, et son incertitude au sujet de ce qu’il entend vivre avec moi. Je ne me savais pas capable de vivre cette ins�curit� permanente, ce risque, chaque jour, de tomber du fil sur lequel j’�volue en poursuivant une relation avec lui. mais je sais aussi qu’au-del� des difficult�s qu’elle engendre cette relation me s�curise. Elle �veille tant de choses en moi...
Je dois oser vivre la vie avec toute la richesse de sens qu’elle exige, sans devenir � mes propres yeux pr�tentieuse, sentimentale ou artificielle. Quant � lui, je ne dois pas le prendre pour but, mais pour instrument de mon �volution et de ma maturation.
Parfois, je me dis que trop de bonheur endort et que cette souffrance m’est utile aujourd’hui, que je sais mieux la ma�triser et qu’elle n’annihile pas mes forces, me laissant pantelante, sans aucun autre d�sir que celui de poss�der l’autre.
Processus lent et douloureux que cette naissance � une v�ritable ind�pendance int�rieure. Certitude de plus en plus ferme de ne devoir attendre des autres ni aide, ni soutien, ni refuge, jamais. Les autres sont aussi incertains, aussi faibles, aussi d�munis que toi-m�me. Tu devras toujours �tre la plus forte. Je ne crois pas qu’il soit dans ta nature de trouver aupr�s d’un autre les r�ponses � tes questions. Tu seras toujours renvoy�e � toi-m�me. Il n’y a rien d’autre.
Dans les moments d’isolement, je ne suis plus perdue, sans raison de vivre comme autrefois. Bien que cette solitude me soit parfois encore tr�s douloureuse, je ne m’y trouve plus abattue, sans �nergie... au contraire, elle dynamise mes forces de travail.
Dans le pass�, j’ai toujours cach� aux autres combien je me surmenais�: je ne voulais pas �tre une g�ne, je suivais le mouvement, j’�tais de toutes les f�tes, je me couchais tard, je voulais �tre de tout. N’�tait-ce pas une forme d’amour-propre�? Cette peur que les autres te trouvent moins sympathique, t’en veulent et te laissent tomber si tu g�chais leur plaisir en leur imposant le poids mort de ton corps fatigu�.
Je me prot�ge derri�re des plaques de verre, aux couleurs de ce que je crois �tre les qualit�s requises pour m�riter l’amiti�, l’affection des autres. � force de les faire glisser les unes sur les autres, de camoufler ou de d�voiler les petits morceaux de mon �tre, je ne sais plus moi-m�me qui je suis en fin de compte�!
La revoil�, cette crainte pu�rile de perdre un petit peu d’amour en ne s’adaptant pas totalement � l’autre. Je commence pourtant � me d�faire de ce genre d’attitudes. Il faut savoir avouer ses faiblesses, m�me ses faiblesses physiques. Et savoir se r�signer � n’�tre pas tout � fait tel qu’on voudrait �tre pour l’autre.
C’est pourquoi, sans doute, je fais plus d’efforts avec lui que je n’en ai jamais fait avec personne. Mais aussi parce que je le respecte infiniment.
C’est pourquoi je me force � taire ce que j’�prouve pour lui. Taire ce besoin que j’ai de le voir, de savoir s’il m’aime... J’ai tellement peur qu’il ne parte�!
Au fond, je devrais avoir le courage d’�tre toujours comme je le sens - mais sans pour autant perdre toute consid�ration pour l’autre. C’est en �tant respectueux de soi-m�me et de son propre jugement que l’on parvient � �tre int�gre. Alors, comment le monde qui nous entoure pourrait-il nous rejeter, m�me si nous commettons des erreurs�?
C’est de l’int�rieur que doit venir une certaine indiff�rence � mon apparence, je ne dois pas me soucier de mon allure mais ��int�rioriser�� encore ma vie. Chez les autres aussi je pr�te parfois trop attention � l’apparence, � la s�duction. Ce qui importe en d�finitive, c’est l’�me, ou l’�tre, comme on voudra qui rayonne � travers la personne.
Il y a toujours, au fond de moi, une petite voix maligne qui me dit que ce que je ressens est faux et que mes actes sont ��mauvais��. Pourtant, c’est justement en essayant de co�ncider avec l’id�e que je me fais de ce que les gens attendent de moi que je commets les plus grandes maladresses. Je me transforme alors, le plus souvent, en une esp�ce de carpette qui se veut le reflet du d�sir de l’autre et qui, immanquablement, t�t ou tard, finit par ruer dans les brancards, sans souci de ce qui se passe autour d’elle, blessant alors parfois beaucoup plus gravement les 6tres que si je m’�tais laiss� aller � mon intuition premi�re.
Ton propre regard te g�ne encore. Tu n’oses pas te livrer, expulser ce qui est en toi, tu restes terriblement inhib�e, tout simplement parce que tu ne t’acceptes pas encore telle que tu es.
C’est � travers ma relation � l’Autre que je parviendrai enfin � changer mon rapport au monde.
Accepter dans les liaisons un commencement et une fin, y voir un fait positif et non une raison de tristesse. Ne pas vouloir s’approprier l’autre ce qui ne revient d’ailleurs pas � renoncer � lui. Lui laisser une libert� totale ce qui n’implique nulle r�signation.
Qu’il la voie m’importe peu... mais comment supporterais-je qu’il la choisisse, qu’il me quitte�?
Oh laisser celui qu’on aime enti�rement libre, le laisser vivre sa vie, c’est la chose la plus difficile au monde. Je l’apprends, je l’apprends pour lui.
J’esp�re de toutes mes forces qu’un jour il m’emm�nera avec lui...
Suis-je vraiment tr�s pr�somptueuse si je dis que j’ai beaucoup trop d’amour en moi pour me contenter de le donner � un seul �tre. (...) Finira-t-on par comprendre � la longue que l’amour de l’�tre humain en g�n�ral porte ’ infiniment plus de bonheur et de fruits que l’amour du sexe oppos� qui enl�ve de sa substance � la collectivit�? C’est en souffrant que j’apprends ce que je sais, et que j’apprends � partager son amour avec toute la cr�ation, tout le cosmos. Mais c’est le passage oblig� pour acc�der soi-m�me au cosmos.
Les difficult�s de la vie sont faites pour nous ���duquer�� et le meilleur moyen de les surmonter n’est-il pas encore de les accepter�? C’est en acceptant et en surmontant les exp�riences douloureuses de mon existence que je me suis senti grandir, un peu. C’est en cherchant � comprendre le message de vie que ces crises me transmettaient que j’ai commenc� � croire en un ordre universel et cosmique dont je ne suis qu une infime partie, d�risoire et pourtant fondamentale. J’apprends � relativiser l’importance des bonheurs et des tristesses. Fatalisme�?
Maman a dit � un moment donn�: ��Oui, au fond je suis croyante.�� (...) C’est cet ��au fond�� qui fait toute la diff�rence. Apprendre aux gens � laisser tomber cet ��au fond�� et � acquiescer sans r�serve � leurs sentiments les plus profonds.
Je ne parviens pas encore � admettre que je place ma foi en Dieu et, au fond, Dieu ne se trouve-il pas dans ce qu’il y a de meilleur en nous. Dieu est en toi aussi.
Il y a en moi un puits tr�s profond. Et dans ce puits il y a Dieu. Parfois je parviens � l’atteindre. Mais le plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour. Il y a des gens je suppose qui prient les yeux lev�s vers le ciel. Ceux-l� cherchent Dieu en-dehors d’eux. Il en est d’autres qui penchent la t�te et la cachent dans leurs mains, je pense que ceux-ci cherchent Dieu en eux-m�mes.
C’est cette foi qui m’a permis de croire en la vie dans les moments difficiles. Pourtant, lorsque je t’�coute en parler, je crois que la sinc�rit� me manque encore.
Et peut-�tre aussi la foi en ma foi... Il est si difficile d’admettre que l’on croit.
Un moment vient o� l’on ne peut plus agir, il faut se contenter d’�tre et d’accepter.
Tu m’as fait d�couvrir l’importance de la foi. Tu m’as permis de comprendre qu’on ne doit pas la refuser, mais je ne parviens pas encore � l’affirmer dans les actes de ma vie quotidienne, se peut-il que j’aie honte de ma foi�?
Caroline Gindre
—�Etty Hillesum, Une vie boulevers�e, journal 1941-1943, �d. du Seuil, 1986 et Lettres de Westerbork, �d. du Seuil, 1988 (voir sur le site, la note de lecture concernant cet ouvrage).
—�Premi�re parution, revue ��Conscience de��, n��12, La conscience, Ed. Lierre & Coudrier, mars 1989.
Les passages en caract�res gras signalent les extraits du livre de Etty Hillesum.
Messages
1. Conversation imaginaire avec Etty Hillesum , 20 septembre 2007, 11:11, par caroline gindre
Bonjour,
Je suis Caroline Gindre et je d�couvre avec stupeur ce texte sur internet.
Je l’ai �crit il y a 20 ans pour les cahiers du Lierre et coudrier.
Qui �tes-vous et comment avez-vous eu ce texte�?
Merci de me r�pondre �
[email protected]
1. Conversation imaginaire avec Etty Hillesum , 25 septembre 2007, 04:35, par Webma�tre
Bonjour Caroline Gindre,
Le site Hommes et Faits a r�cup�r� le fond �ditorial des �ditions Lierre et Coudrier apr�s leur liquidation judiciaire, dont les droits de la revue ��Conscience de�� qui avait �dit� ce texte. Cette r�cup�ration, notifi�e par acte judidicaire, ne comprend que les droits de publication. Le site a aussi pour but de faire conna�tre des auteurs dont vous faites partie.
Il existe un fond assez gigantesque de textes in�dits ou d�j� publi� qui peut encore �tre publi�.
Nous essayons de contacter les auteurs chaque fois que cela est possible, dans votre cas, malgr� nos recherches cela n’a pas �t� possible.
Notez �galement que le site Hommes et Faits n’est pas un site commercial, qu’aucun profit n’est retir� des publications. Son objectif est de faire conna�tre des �crits, des auteurs...
D�sol� de votre stupeur.
2. Conversation imaginaire avec Etty Hillesum , 27 septembre 2007, 03:54, par Webma�tre
Bonjour Caroline Gindre, Le site Hommes et Faits a r�cup�r� le fond �ditorial des �ditions Lierre et Coudrier apr�s leur liquidation judiciaire, dont les droits de la revue ��Conscience de�� qui avait �dit� ce texte. Cette r�cup�ration, notifi�e par acte judidicaire, ne comprend que les droits de publication. Le site a aussi pour but de faire conna�tre des auteurs dont vous faites partie.
Il existe un fond assez gigantesque de textes in�dits ou d�j� publi�s qui peut encore �tre r��dit�.
Nous essayons de contacter les auteurs chaque fois que cela est possible. Dans votre cas, malgr� nos recherches, cela n’a pas �t� possible. Notez �galement que le site Hommes et Faits n’est pas un site commercial, qu’aucun profit n’est retir� des publications. Son objectif est de faire conna�tre des �crits, des auteurs... D�sol� de votre stupeur.
Vous pouvez apporter toute correction ou augmentation de ce texte, si vous le souhaitez.
Cordialement
3. Conversation imaginaire avec Etty Hillesum , 2 d�cembre 2007, 13:33, par Ricardo Martinez
Je d�couvre ce texte avec beaucoup de bonheur. Cette conversation imaginaire est un enchantement de sensibilit�, de richesse humaine et d’�l�vation de l’esprit.
Merci Caroline Gindre
1. Conversation imaginaire avec Etty Hillesum , 3 d�cembre 2007, 06:34, par Webma�tre
Je pense que Caroline Gindre sera ravie de votre commentaire.
Vous pouvez la joindre directement en faisant une recherche sur Google, sous ce nom et vous trouverez un Institut de connaissance humaniste. Elle en est correspondante.
Merci