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Lecture des Lettres de Westerbork

par Anne Rose


Les lignes �crites par Etty Hillesum sont de celles qui ne s’effacent pas, qui quoique l’on fasse ou dise ensuite laissent sur vous une empreinte ind�l�bile. Son sourire triste et courageux flotte autour de vous, implacablement pr�sent. Une fois de plus, Etty Hillesum, dans sa candeur grandissime, d�range�: elle oblige � se poser des questions essentielles sur la vie, la mort et la conscience.

Pour r�pondre � l’afflux des �migr�s juifs fuyant l’Allemagne nazie, le gouvernement n�erlandais �rigea dans la province du Drenthe un camp de r�fugi�s nomm� Westerbork. Apr�s l’invasion des Pays-Bas en 1940 le camp de r�fugi�s fut transform� en camp de transit. Du camp plus de 107000 personnes furent jusqu’en septembre 1944 d�port�s vers les camps d’extermination de l’Est. Apr�s la guerre seuls 5000 revinrent vivants. Le m�morial "Camp de Westerbork" comprend aujourd’hui un mus�e et un monument national situ� sur le site de l’ancien camp.

Lettres de Westerbork Ed. du Seuil, Paris 1989, Etty Hillesum

Ceux qu’avait d�j� boulevers� le journal d’Etty Hillesum, jeune juive hollandaise d�couvrant la vie lorsque l’Europe est envahie de bruits de bottes tristement c�l�bres, ceux-l� ne pourront s’emp�cher de courir � nouveau � sa rencontre. Quant aux autres, ceux qui avaient v�cu jusque-l� sans la conna�tre, comme les premiers, � la lire ils risquent de subir un choc inoubliable. Pourtant, la lecture des lettres envoy�es par Etty Hillesum depuis Westerbork, camp de transit o� l’on parquait les juifs de Hollande avant de les exp�dier plus loin vers l’Est et l’horreur, est aussi �prouvante, plus peut-�tre, que celle de son Journal�: l’hymne � la Vie y prend ici une couleur encore plus �poustouflante, incongrue, fascinante et terrifiante � la fois. Comment peut-on continuer � croire en l’humanit� au fond m�me de l’abominable�? Comment peut-on accepter son destin lorsqu ’il est celui-l�, et l’accueillir sans r�volte, sans lutter autrement que pour garder sa dignit� d’�tre humain�?

Les lignes �crites par Etty Hillesum sont de celles qui ne s’effacent pas, qui quoique l’on fasse ou dise ensuite laissent sur vous une empreinte ind�l�bile. Son sourire triste et courageux flotte autour de vous, implacablement pr�sent. Une fois de plus, Etty Hillesum, dans sa candeur grandissime, d�range�: elle oblige � se poser des questions essentielles sur la vie, la mort et la conscience. Car, ici, impossible de se retrancher derri�re une quelconque fiction�: tout a inexorablement exist�, des baraquements sordides o� l’on s’entasse en attendant le pire aux convois de la mort dans lesquels on vous pousse de force, en passant par ces hommes qui meurent d’�puisement, ces enfants qui pleurent de faim, ces femmes folles de douleur... et du fond de cette boue glac�e jaillit encore sous sa plume une ode � la vie�!

Pour cerner Etty, notre culture poss�de peu de mots�: masochiste pour les uns, sainte et martyre pour les autres, elle sera inhumaine, hors norme de toute fa�on. Il n’emp�che qu’Etty Hillesum, comme des milliers d’autres, s’est semble-t-il laiss�e mener � l’an�antissement, et qu’� assister, impuissants, � sa marche vers la mort, du fond du ventre nous vient l’envie de hurler pour tenter de faire r�ellement gagner cette vie qu’elle pr�tendait tant aimer.

Car il semble que pour Etty la Vie ait pris une majuscule et ne se limit�t plus aux contours de son propre corps. Mais que savons-nous en fait de la v�ritable Etty�? Des extraits de journal, des lettres habilement choisies nous dressent peut-�tre un portrait somptueusement artificiel de la r�alit� qui fut la sienne, l’�rigeant en symbole de lumi�re, en conscience indestructible...

Cela pourrait �tre rassurant, cette invincibilit� f�minine, au c�ur du doute angoissant dans lequel notre culture est plong�e depuis quelques d�cennies...

� lire et relire ces lignes incroyables, l’on se prend cependant � y entrevoir un autre message�: et si Etty Hillesum avait �t� au contraire simplement, implacablement humaine�?

Et si son chant d’amour � la vie n’avait fait que camoufler un d�sespoir trop puissant pour �tre exprim� sans qu’il ne l’an�antisse�? Au travers des lignes, un mouvement en effet se dessine�: ne pas se faire submerger par l’horreur qui l’encercle, s’�puiser � cela, sombrer puis esp�rer � nouveau... C’est contre elle-m�me d�sormais qu’Etty Hillesum m�ne un combat, contre sa peur, son angoisse, son �go�sme, sa faiblesse, non pas conta les monstres qui l’assassinent. Il n’y a de pire ennemi que soi-m�me, dit-on. A lutter contre elle-m�me, Etty Hillesum annihile du m�me coup le pouvoir de l’ext�rieur, elle le d�gonfle comme une baudruche inutile, mieux encore, l’�preuve la fait grandir.

Nous qui vivons dans le confort insolent de notre bonne conscience, nous sommes rarement pr�ts � accepter que l’abominable agisse aussi ici et maintenant, hors des camps, tout pr�s de nous et m�me en nous, non pas seulement chez les autres.

Le combat d’Etty Hillesum contre sa dualit� pourrait alors servir d’exemple dans la lutte qui nous attend tous, du fond du quotidien, pour ne pas nous laisser poss�der par notre ombre. Il s’agit indubitablement d’une incroyable le�on de sagesse - est-elle bien � propos�?

L’ombre, parfois, s’incarne aussi au-dehors, dans le monde, et s’il est un temps pour le travail sur soi, il en est d’autres o� la vie n’attend pas. Face � l’horreur’, il est deux solutions�: la pri�re ou le corps � corps. A trop �lever la premi�re au pinacle, l’on risque d’oublier que le combat acharn�, violent, implacable reste parfois l’unique solution. Cela tranquilliserait-il certaines consciences�?

D�port�e vers Auschwitz le 7 septembre 43, disparue peu de temps apr�s. Au travers du choc que ses �crits suscitent, Etty reste, quoi qu’il en soit et comme elle l’avait tant d�sir�, extraordinairement vivante.

... Mais de quelle vie s’agit-il vraiment�?

Anne Rose

—�Etty Hillesum, Une vie boulevers�e, journal 1941-1943, �d. du Seuil, 1986 et Lettres de Westerbork, �d. du Seuil, 1988 (voir � la suite de l’article de Caroline Gindre la note de lecture concernant cet ouvrage).
—�Premi�re parution, revue ��Conscience de��, n��12, La conscience, Ed. Lierre & Coudrier, mars 1989.

juin 2006 par Webma�tre


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