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Variations sur Culture et civilisation
Communiqu�Sur dix de vos amis, trois ont subi des violences dans l’enfance. Parfois durant plusieurs ann�es. Ils n’en parlent jamais�? Cela vous �tonne�? Pas nous�! Vous avez d�j� entendu parler de la p�docriminalit�, la presse en fait ses Unes mais connaissez-vous cette violence sourde que l’enfant subit, parfois durant des ann�es, souvent de l’un de ses parents�? |
Les esprits comp�tents conviennent, en g�n�ral, que l’objet d’une science de la mati�re, par exemple la Physique, est imm�diatement connaissable suivant la pr�cision d’un contexte exp�rimental. En effet, l’exp�rimentateur a le privil�ge de le diss�quer, de l’observer sous divers angles et de l’�tudier de telle mani�re qu’il en tire le savoir le plus exact possible.
Il en est tout autrement de l’objet des sciences humaines, telle que l’anthropologie, qui se donne � observer au chercheur tout en se voilant. La nature des difficult�s de la recherche en ces mati�res r�side justement dans la complexit� de celle de l’Homme lui-m�me en ce qu’il est sujet libre et toujours en mutation, comme les soci�t�s qu’il a fond�es. Les probl�mes sont les m�mes, qu’il s’agisse de soci�t�s plus complexes ou moins complexes selon les cat�gories en cours dans les sciences humaines. Ainsi, en Anthropologie africaniste, un fait, en l’occurrence, le conflit a�n�/ cadet, a �t� per�u et pens� comme allant de soi dans les soci�t�s de l’Afrique sub-saharienne. Comme on avait affaire, jusque dans les ann�es 1975-1980, � des recherches monographiques qui se voulaient exhaustives, on n’a pas eu le souci de pr�ciser, dans les diverses figures de familles, le lieu o� se situe le conflit en question. En d’autres termes, puisqu’il s’agit, dans la majeure partie des cas, de familles polygynes, on a pass� sous silence l’analyse des rapports entre fr�res ut�rins et entre demi-fr�res.
Or, c’est pr�cis�ment dans les relations entre ces derniers que r�side le caract�re aigu de ce conflit. Certes, celui-ci est plus souterrain, voire inapparent au regard rapide d’un observateur, en raison du silence qui a g�n�ralement cours dans ce genre de famille. D�s lors, c’est � �clairer un aspect de ce conflit, de cette guerre m�me entre demi-fr�res que vise l’�tude pr�sente.
La litt�rature de l’anthropologie africaniste a beaucoup insist� sur les rapports g�n�ralement conflictuels a�n�s/cadets. Cette opinion est tellement r�pandue parmi les illustres confr�res qu’ils en ont fait une probl�matique majeure des liens entre les g�n�rations dans les familles de la zone sub-saharienne. Les ph�nom�nes migrations en Afrique de l’Ouest sont m�me consid�r�s comme la cons�quence directe de ce genre de conflit. Pourtant, si l’on regarde de plus pr�s le probl�me des migrations dans le contexte des peuples africains suivant cette perspective, on ne peut que s’accorder avec les nuances qu’apporte Jean-Loup Amselle (Consulter la bibliographie), concernant l’une des causes de ce ph�nom�ne, en l’occurrence, l’opposition a�n�/cadet. De quoi s’agit-il�? L’anthropologie africaniste, d’une fa�on g�n�rale, d�fend la th�se selon laquelle la figure conflictuelle a�n�/cadet est la gen�se, l’expansion et la perp�tuation des migrations en Afrique noire. Une telle conception p�che par son caract�re universel et donc son m�pris de situations singuli�res, des sp�cificit�s dans les multiples visages des mouvements migratoires. Il ne s’agit pas de nier qu’un tel fait, c’est-�-dire l’opposition a�n�/cadet, n’existe pas dans les familles de l’Afrique sub-saharienne. Mais son existence ne peut justifier, � elle seule, tous les caract�res ou toutes les causes des mouvements migratoires dans ce vaste continent. Au sujet de cette opposition a�n�/cadet, Jean-Loup Amselle fait, � juste titre, les remarques suivantes�: ��Cette exigence historiciste s’applique �galement, selon nous, � une raison qui est souvent pr�sent�e comme �tant � l’origine des migrations spontan�es ou r�pulsives, c’est-�-dire l’opposition a�n�/cadet [...]. La contrainte exerc�e par les a�n�s sur les cadets a en effet souvent pour r�sultat d’inciter ces derniers � quitter les groupes r�sidentiels et par l� m�me � r�soudre les conflits intervenant au sein des lignages [...]. En fait, � propos de ce type d’explication surgit une difficult� que l’on pourrait formuler de la fa�on suivante�: les conflits a�n�s/cadets �tant au principe m�me du fonctionnement de nombreuses soci�t�s africaines et � ce titre ayant une existence tr�s ancienne, ils ne peuvent rendre compte du ph�nom�ne �minemment actuel que sont les migrations�� [1976�: 15-16].
Dans un travail in�dit,�[1] nous avons �tudi� la question de l’�migration des Ly�la tant � Abidjan qu’� Bianouan, village de la Pr�fecture d’Aboisso, o� ceux-ci sont plus nombreux que chaque groupe ethnique, y compris les autochtones, en l’occurrence, les Agni. Nous avons remarqu� que cette nouvelle figure de l’�migration, essentiellement �conomique, n’est pas toujours conforme � la sp�culation anthropologique relative � la conflictualit� a�n�/cadet. Bien au contraire, la proportion d’a�n�s que nous avons interrog�s dans le cadre de notre enqu�te, tant � Abidjan qu’� Bianouan, est grande. Nous retiendrons juste deux facteurs qui expliquent ce ph�nom�ne. D’abord, au cours des ann�es 1915 � 1950 environ, les a�n�s fuyaient les recrutements militaires obligatoires op�r�s par les Arm�es coloniales pour faire la guerre en Europe et, plus tard, les travaux forc�s. Ils �taient souvent aid�s par le coll�ge des p�res. En s’enracinant ailleurs (Ghana, C�te d’Ivoire), ils apportaient une contribution financi�re substantielle pour alimenter les familles et pour faire face aux diverses d�penses dont celles des fun�railles. Ensuite, � partir des ann�es 1955-1960, les a�n�s �migraient pour aller chercher l’argent n�cessaire � leur propre mariage. Par la suite, ils s’enracinaient parce qu’ils devaient s’occuper de marier les petits fr�res ou les cadets en assurant l’ensemble des frais. D�s lors, nous avons remarqu� que dans beaucoup de cas, les a�n�s restaient chefs de famille � l’�tranger et d�l�guaient leur responsabilit� aux cadets rest�s sur place au Burkina Faso. Ils ne rentraient d�finitivement chez eux que pour assumer la chefferie de clan selon la r�gle de l’�ge, celle du Primus inter pares parmi les hommes les plus �g�s de chaque clan. Ces observations permettent de consid�rer, sous un angle diff�rent, les rapports entre a�n�s et cadets, du moins, chez les Ly�la.
En effet, la modalit� relationnelle entre a�n�s/cadets se fonde essentiellement sur le respect que le cadet doit t�moigner � l’�gard de son a�n�. Toutefois, ce sch�ma g�n�ral comporte des nuances�; en particulier, chez les Ly�la. En raison de leur temp�rament propre, les a�n�s �tablissent des relations plut�t respectueuses avec leurs cadets dont l’orgueil, le sens de l’honneur personnels, s’ils sont bless�s, peuvent les porter � une tentative d’humiliation publique des a�n�s, auteurs de telles maladresses. En revanche, le jour, ce sont bien les a�n�s, parmi la g�n�ration des p�res, qui conduisent les affaires de la famille. Ce r�le, le jour, de chef de cour ne peut �tre renvers�: le chef de cour (k�l� ki�bal) g�re les biens de la famille, marie gar�ons et filles, veille sur la sant� de tous les membres de la famille, prend soin de la prosp�rit� de ses biens. Les cadets, voire les enfants n’ont pas de biens propres�; du moins, s’ils en ont, ceux-ci doivent �tre soumis au contr�le du chef de la famille. Cette r�alit� sociale qui s’impose avec �vidence, est conforme aux Nia (paroles sacr�es des P�res fondateurs des divers clans). Mais, elle cache une autre r�alit�, moins apparente et qui comporte un ordre diff�rent du premier.
En effet, l’ordre de la nuit brise, en quelque sorte, ce premier syst�me social apparent. Il est marqu� par l’unique volont� de puissance sorcellaire dont toute l’essence consiste � porter des coups contre la vie de n’importe quel membre de sa famille pour des motifs divers�: ��jalousie tueuse�� (bw� — dur), d�sir d’�galit� dans le cas d’une anomalie dans la famille etc. En fait, dans le monde des gens de la nuit, les demi-fr�res cadets peuvent tenter d’�liminer les demi-fr�res a�n�s pour deux raisons�: avoir acc�s � la gestion des biens de la famille, c’est-�-dire de la cour en en devenant soi-m�me son chef, d’une part, et de l’autre, �pouser la ou les femmes de l’a�n� qu’on a r�ussi � �liminer. L’instance jugeante du kwala�[2] (coll�ge des kial�) tol�re une telle tentative en laissant faire. Elle ne donne pas un ordre express d’�limination, mais elle ne s’oppose pas vraiment � l’action nihilisante, d�s lors qu’il s’agit de la sph�re du droit priv�. Elle ne s’oppose ou n’intervient que lorsqu’un dabi (fr�re de clan) du kwala tente d’op�rer un rapt de l’�me d’un autre sans raison valable, c’est-�-dire objective. Or, les Ly�la le reconnaissent eux-m�mes, la vie d’un �tre humain n’est pas ais�e � d�truire en raison de la complexit� du r�seau relationnel des r�alit�s visibles et invisibles qui concourt � la trame de sa destin�e propre. En ce sens, une tentative crapuleuse peut �chouer et se retourner contre son auteur qui devient une victime offerte � la manducation des autres. Mais, la pulsion sorcellaire qui meut la substance vitale de tels individus est si irr�pressible, incontr�lable m�me, qu’ils tentent le tout pour le tout, quitte � perdre leur vie dans une telle aventure. Tel est le sch�ma des relations qui existent ordinairement entre demi-fr�res dans les familles polygynes ly�la�; et qui ne peut se comprendre que par l’examen de l’enceinte familiale ou cour.�[3]
Une r�alit� sociale, chez les Ly�la, ne peut se comprendre qu’� travers la mani�re dont chaque cour est organis�e. D’une part, il faut prendre en compte l’occupation de l’espace. Celle-ci n’est jamais laiss�e au hasard. Comme l’�crit fort justement R�diger Schott � propos de cet ensemble de clans et de leur insertion dans l’espace villageois, ��ce qui importe pour leur organisation sociale, ce ne sont pas les relations g�n�alogiques entre des anc�tres fondateurs, mais c’est la relation culturelle entre des groupes claniques venus de divers coins du pays et arriv�s dans un certain ordre temporel se traduisant dans un ordre de pr�rogatives et obligations sociales envers les autres clans du village�� [1993�: 155].
Cet auteur explique, par la suite, les raisons du d�sir des clans qui r�clament, les uns par rapport aux autres, le statut de premier arrivant dans l’occupation de l’espace territorial villageois. En effet, dans chaque village du Lyolo, les doyens des divers clans transmettent aux jeunes g�n�rations les motifs qui rendent compte de la primaut� de clans dans la configuration du terroir villageois.
C’est ainsi qu’Henri Barral pr�sente le village de Tiogo dont les principales caract�ristiques se retrouvent dans tout village du Lyolo�: ��Le village l�la pr�sente l’aspect d’un semis de grosses fermes familiales, reli�es entre elles par un r�seau complexe de pistes et de sentiers � l’int�rieur d’un vaste p�rim�tre de terres cultiv�es... On peut distinguer des petites et moyennes concessions de 2 � 20 personnes [...]. Les grandes et tr�s grandes concessions... �tant les ��concessions m�res”, les moyennes et les petites concessions, les ��concessions satellites”. Les petites et moyennes concessions dispos�es, lorsqu’elles sont nombreuses, en cercle autour de la concession m�re, en sont distantes de 70 m�tres en moyenne, cependant que l’espacement entre elles est d’environ 55 m�tres. Ainsi le village l�la est caract�ris� par son ordre tr�s l�che, et occupe par cons�quent une surface consid�rable�� [1968�: 22,23].
Cette organisation des kals��[4] (enceintes familiales ou cours) dans l’espace n’est pas fortuite. En effet, au c�ur de cette spatialisation de l’habitat humain se trouve le ki�-k’�bal (chef ou ma�tre de l’autel de terre) descendant direct du premier occupant du terroir villageois. Ainsi, lorsqu’un homme d’un autre clan (kwala) veut s’installer dans un village pour y fonder une famille, pour s’enraciner de fa�on d�finitive,�[5] il passe par l’interm�diaire de quelqu’un du village. Mais, une telle personne n’est jamais totalement �trang�re au clan dont elle sollicite l’intervention aupr�s du ki�-k’�bal.
De m�me, la disposition interne � chaque cour ob�it �galement � des normes strictes. Car la polygynie oblige l’homme � construire un gui (maison) pour chacune de ses �pouses et leurs enfants afin d’�viter, en particulier, les querelles domestiques et quotidiennes qui rendent la cohabitation de deux concubines difficile, voire impossible. Quant au conjoint lui-m�me, s’il n’est pas encore K�l� k’�bal, ou chef de cour — ce qui oblige � avoir une maison � soi construite soit � c�t� de l’entr� principale de l’enceinte familiale, soit en face pour surveiller le mouvement des membres de la cour�—, il habite, en g�n�ral, dans la maison de sa premi�re �pouse. Un c�libataire en �ge de se marier a aussi la sienne. Les adolescents habitent, ou bien chez leurs m�res respectives, ou bien chez les veuves, ou bien encore dans le k�l� k’�bal gui ou maison du chef de la cour.
L’encerclement de chaque enceinte est constitu� essentiellement par les maisons des femmes mari�es dont chacune comprend, dans l’habitat traditionnel, plusieurs pi�ces juxtapos�es. Selon le volume des cours, chaque k�l� (cour) comporte g�n�ralement entre une trentaine de maisons et une cinquantaine pour les plus grandes dont la population peut atteindre 100 individus. Chaque maison s’ouvre sur un espace bien entretenu, dam� selon les m�mes techniques que celles employ�es pour obtenir l’�tanch�it� des terrasses des maisons. Une murette de terre de quelques centim�tres de haut, de forme vari�e, prot�ge cet espace privatif appel� v�randa, de la cour commune. Selon l’accueil des femmes, cette v�randa peut servir, le soir, de lieu de repos, de r�unions, de causeries�; bref, elle est un univers de vie communautaire en toutes saisons. La v�randa est toujours sur�lev�e par rapport au sol de la maison qui est en contrebas.
1 — Une erreur d’appr�ciation�? p. 3
2 — La gestion �conomique et morale de l’enceinte familiale p. 7
3 — Du conflit � la guerre des demi-fr�res p. 9
A - Sur le plan de l’h�ritage et de la responsabilit� de la famille p. 9
B - Sur le plan de la distribution des terres p. 12
C - Une violence d’embl�e inapparente p. 15
Bibliographie p. 19
Amselle, Jean-Loup (Sous la direction de) 1976�: Les migrations africaines, Paris, Fran�ois Maspero
Barral, Henri 1968�: Tiogo-�tude d’un terroir l�la (Haute Volta), Pais in O.R.S.T.O.M., La Haye, Mouton et Co
G�r�g-Karady, V�ronica 1979�: Contes bambara du Mali, - 2vols, Paris, Karthala
Nicolas, Fran�ois-Joseph (P�re) 1953�: Glossaire L’ELE-Fran�ais, Dakar, IFAN
Rosny (de), Eric 1981�: Les Yeux de ma ch�vre, Paris, Plon, Coll. ��Terre Humaine��
Schott, R�diger 1987�: ��Serments et V�ux chez les ethnies volta�ques (Ly�la, Bulsa, Tallensi) en Afrique occidentale��, Pais, in Droit et Culture, Revue d’anthropologie et Histoire, Vol. 14
[1] — Cet article relate une partie des recherches qui s’�tendent sur plus de 20 ans. Nous en avons extrait les �l�ments qui traitent de notre propre exp�rience qui est une plong�e dans le ph�nom�ne de la sorcellerie. Notre M�moire de D.E.A. d’Anthropologie � l’E.H.E.S.S. de Paris porte �galement sur l’immigration des Ly�la � Bianouan.
[2] — Il s’agit d’une autorit� judiciaire d’un genre particulier en ce qu’elle r�gle les probl�mes ultimes des membres de la communaut� au cours de r�unions nocturnes et auxquelles les membres sorciers du clan ont acc�s. C’est lors de ces derni�res que l’on d�cide ou non de la mise � mort de quelqu’un, quand celui-ci a commis une faute grave, comme l’adult�re avec une femme du m�me clan.
[3] — Cour ou concession sont �quivalents suivant les termes de l’anthropologie africaniste.
[4] — L’orthographe des deux termes (k�l�, champ et k�l�, enceinte familiale) d�signant des r�alit�s diff�rentes est semblable dans le Glossaire L’El�-Fran�ais du P�re Fran�ois-Joseh Nicolas que nous avons adopt� dans ces recherches. La nuance se situe seulement au niveau de l’accentuation orale.
[5] — Nous l’avons vu pr�c�demment�: les Ly�la ont horreur de l’�migration d�finitive, � la mani�re des Moos�, en raison de leur attachement aux autels des p�res ou cultes des anc�tres.
salut cher grand frere pour ce travail colossal de recherche que tu nous presentes.fils de bianouan jamais l’idee m’est venue de remarquer ou alors de constater ces differents clivages entre nos freres et amis burkinabes.merci encore une fois de nous intruire.