Le monde artistique vient d’enregistrer la naissance d’une étoile dans son ciel. Un artiste fait de convictions, de pudeur et d’authenticité, qui, pour son baptême de feu, ne s’est pas contenté d’un produit à la carte qui fait recette. Gouloussa, puisque c’est de lui qu’il s’agit, propose une œuvre inédite pour s’inscrire en faux contre cette tendance asthénique qui se manifeste par des reprises systématiques, de l’imitation à la limite du décalquage et du plagiat qui sont devenus d’une telle banalité et qui asphyxie toute créativité sans laquelle l’art est voué à la disparition. Gouloussa vient de réaliser donc un album formidable sur le plan de la création musicale et de la mélodie recherchée où le violent donne la réplique au mandole sur un fond d’une belle fusion entre le terroir et le chaâbi, cette musique populaire transportée dans les gènes depuis la Kabylie pour naître dans la Casbah d’Alger. L’artiste imprime à son premier album un style et un timbre à part, lui qui « trouve dans l’imitation une manière d’étouffer la création et partant, d’appauvrir l’art » Il y est aussi question d’une forte présence du texte engagé au verbe incisif.
« Wid ihekmen igduden » puise sa substance dans le vécu quotidien d’une jeunesse et d’un peuple au prise à la menace croisée des fléaux sociaux, du désert culturel et de l’indifférence méprisante qui répond souvent à leur mal vie. La jeunesse en désarrois condamnée à vivoter et à mener une vie qui a pris depuis toujours des allures de navigation à vue. En conséquence de quoi, Gouloussa dénonce l’attitude passive de « tous », face au phénomène du suicide qui a pris, soulignons-le, des proportions alarmantes ces dernières années, emportant surtout des jeunes qui n’ont d’alternative que celle de caresser le rêve d’atteindre un jour et à n’importe quel prix l’illusoire Eden d’outre-mer, de maquiller un quotidien déprimant par l’évasion dans le monde non moins imaginaire que provoque en eux le kif, l’abus d’alcool ou l’intégrisme religieux qui se nourrit naturellement de ce vivier fait de frustration, de misère sociale et économique et enfin, le choix plus dramatique qu’est le franchissement du pas vers cet autre monde inconnu et obscur qu’on croit atteindre par le suicide ; un phénomène qui tend dangereusement à se banaliser tant et si bien qu’aucun dispositif sérieux n’est mis en place par les autorités afin de tenter de réduire le décompte macabre qui ne cesse de s’alourdir.
Gouloussa, ce nom d’artiste qu’a pris Arezki M’foukh, évoque également un roi amazigh pour aborder une thématique intemporelle, plus que jamais d’actualité et à la portée universelle que sont la bonne gouvernance, le respect des droits des peuples, la paix, la démocratie... Ainsi, des voix innocentes d’enfants sont mises à contribution dans une émouvante authenticité pour interpeller dans « Wid ihekmen igduden », les tenants du pouvoir dans tous les pays de la planète afin d’œuvrer en faveur de la paix et du bien-être des gouvernés. Il évoque dans ce sens les conséquences des régimes rangés par la corruption et le despotisme qui se traduisent en famine, misère, conflits...
L’inévitable hommage à Lounès Matoub nous replonge dans le contexte de l’assassinat du Rebelle pour dire la douleur encore vivace dans le cœur du petit peuple dont le traumatisme abyssal ne cesse de révéler toute son étendue. L’affliction de l’artiste qui, en sus, avait partagé le combat politique du chantre de l’amazighité en faveur des valeurs républicaines, de laïcité, et de modernité, n’a pas manqué dans son prélude de dérouler une illustre liste de disparus, partie de Kamal Amzal assassiné par les islamistes à la cité universitaire de Ben Aknoun en 1982 à Matoub Lounès en 1998, tous et toutes, victimes de l’intolérance, et de la violence aveugle des forces de l’obscurantisme et d’un Etat de non-droit.
Faisant office de réceptacle pour les pulsations, les espérances et les ressentiments de sa société, Gouloussa éprouve la déchirure d’une mère éplorée par la perte d’un fils qui rentrant définitivement de sa caserne où il venait d’effectuer son service national et qui, en court de route, impatient de retrouver ses parents, ses amis et son village qui l’attendaient, tombe sur un faux-barrage islamiste qui l’assassine froidement. C’est une voix que l’artiste offre aux victimes du terrorisme pour aborder sans complaisance le drame de la terreur intégriste à l’ombre de la politique de « la charte pour la paix et la réconciliation nationale » qui « accorde impunité et promotion sociale aux assassins repentis et le mépris aux victimes du terrorisme qui refusent d’oublier et d’accorder le pardon à des criminels qui, en sus, ne l’ont jamais quémandé » soutient avec force conviction l’enfant prodige d’Aït-Ouelhadj.
Arezki Gouloussa qui s’invite le temps d’une chanson dans le monde de la satire, évoque « Ali baba et les 40 voleurs » dans une allégorie que l’auditeur ne manquera pas d’adapter à sa propre réalité ; le tout sur fond de mélodie d’une douceur béate et rythmée pour accrocher l’oreille et arracher un sourire à tous ceux qui auront l’occasion d’apprécier ce premier album de Gouloussa qui aborde également d’autres questions sociales et humaines comme la perte d’une mère, l’amour, et un petit clin d’œil à l’ambiance des fêtes familiales à travers la chanson festive « Yamina ».
« Wid ihekmen igduden » est une œuvre qui incite à la réflexion, qui interpelle les consciences et qui s’apprécie tout simplement. Pour un coup d’essai, c’est incontestablement un coup de maître ! Bravo l’artiste !