Le concept d’Art brut a �t� invent� en 1945 par le peintre fran�ais Jean Dubuffet pour qualifier les productions r�alis�es par des non-professionnels. Apr�s la Seconde Guerre mondiale, quelques artistes, adeptes d’une peinture improvis�e, ressentent la n�cessit� de profondes remises en question. Leur art, dit ��informel��, ne doit rien au pass� et ne subit aucune influence. Jean Dubuffet fait partie de ces peintres dont l’objectif est de s’arracher de l’emprise de la tradition et d’explorer des territoires inconnus, afin de retrouver la ��spontan�it� ancestrale de la main humaine quand elle trace des signes��. Tendance que Arno Stern reprendra un peu plus tard � son compte.
Pour d�noncer le caract�re s�lectif et r�pressif de la culture officielle, il cr�e en 1945 le concept de l’Art brut, un art spontan� et inventif refusant tout effet d’harmonie et de beaut�, ayant pour auteurs des ��personnes obscures, �trang�res aux milieux artistiques professionnels��. Il entendait par l� un art spontan�, sans pr�tention culturelles et sans d�marche intellectuelle. Selon lui, l’art brut doit ��na�tre du mat�riau [...] se nourrir des inscriptions, des trac�s instinctifs��. L’art brut d�signe selon lui ��des ouvrages ex�cut�s par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels le mim�tisme, contrairement � ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des mat�riaux mis en �uvre, moyens de transposition, rythme, fa�ons d’�critures, etc.) de leur propre fond et non des poncifs de l’art classique ou de l’art � la mode��.
Un des personnages le plus connu de ce courant est le Facteur Cheval, alias Joseph Ferdinand Cheval, connu aussi sous cet autre nom�: Ferdinand Cheval (1836-1924). L’exp�rience qu’il rapporte est int�ressante car elle montre combien l’acceptation simple des images int�rieures peut s’av�rer fructueuse. Notons cependant que le mythe construit autour du facteur Cheval est nettement plus g�n�reux � vanter son exploit artistique qu’� nous r�v�ler sa vie. L’objet int�resse plus que la main qui le fait na�tre.
Selon ses souvenirs, en avril 1879, durant l’une de ses tourn�es, son pied buta contre une pierre, manquant de le faire tomber sur le chemin. Son �il ayant �t� attir� par la forme curieuse de la pierre, il la ramassa et la glissa dans l’une de ses poches avec l’intention de la regarder plus tard � t�te repos�e.
Ce point de d�part du mythe du Facteur Cheval est singulier. C’est un mouvement spontan� qui fera na�tre un grand ouvrage. Qui n’a pas ramass� de pierre en d�ambulant le long d’un chemin, laissant flotter tranquillement son imagination�? Qui n’a pas gard� cette pierre, d’abord bien en �vidence sur une �tag�re puis la laissant glisser peu � peu au fond d’une bo�te obscure qui scellera ces instants bucoliques dans l’oubli�? Le Facteur Cheval a prolong� le geste premier pour lui donner une place dans sa vie. Il y a dans ce simple �pisode l’essence m�me de l’exercice sur soi de l’imaginaire.
D�s le lendemain, repassant au m�me lieu, il constatait la pr�sence d’autres pierres ayant des formes encore plus singuli�res et, � son go�t, plus belles que celle qu’il avait trouv�e la veille. Il se fit alors la r�flexion que, puisque la nature pouvait ��faire de la sculpture��, il pourrait tr�s bien lui-m�me, fort de ses longues r�veries pr�paratoires, se faire architecte, ma�tre d’�uvre et artisan dans la construction d’un ��Palais id�al��.
On peut penser que, durant ses distributions de courrier, il se laissait aller � de longues r�veries contemplatives et c’est l’incident qu’il relate qui lui permit de sauter le pas en ��inventant�� une �uvre que la post�rit� jugera extraordinaire. Il passa ainsi 33 ans de sa vie � �difier un ��Palais id�al�� et huit autres ann�es � b�tir son propre tombeau, tous deux consid�r�s comme des chefs-d’�uvre de l’art na�f. Il est int�ressant de noter l’analogie que fait le Facteur Cheval entre la nature et lui. Puisque la nature peut ��faire de la sculpture��, il le peut lui-m�me, mani�re d’int�grer sa psych� au sein d’un continuum imm�morial tout en y puisant un mod�le et une volont�. Ce qui rejoint ce que Dubuffet aspirait � cr�er�: tirer toutes sortes de sujets ��de leur propre fond et non des poncifs de l’art classique ou de l’art � la mode��. On confond souvent l’Art brut et l’Art-th�rapie, probablement parce que la simplicit� que l’on trouve dans l’art-th�rapie rappelle celle de l’Art brut. De m�me les �uvres de l’Art brut sont-elles le fait, en partie, de personnalit�s en difficult� psychique. L’analogie, selon toute vraisemblance s’arr�te l�.
Le mouvement d’art-th�rapie qui �clot actuellement s’est enracin� plut�t en milieu hospitalier, greff�, en quelque sorte, sur les anciens ateliers d’ergoth�rapie. Mais il doit aussi � ��l’art brut�� de Dubuffet, une vision particuli�re de l’art, moins esth�tisante, plus rudimentaire, s�rement plus proche des �tres.
N�e dans l’imm�diat apr�s guerre, l’art-th�rapie consiste en un accompagnement des psychoth�rapies et traitements psychiatriques par des cr�ations spontan�es. Les outils peuvent �tre multiples�: peinture, musique, �criture, improvisation th��trale, conte, clown, etc. Le projet consiste � favoriser le mouvement expressif libre de toute contrainte et de toute technique afin de laisser �merger les contenus obs�dants ou non, de la psych�. En principe l’art-th�rapie ne conduit pas � une interpr�tation. Ce courant n’a jamais vraiment d�bouch� sur une th�orisation compl�te, d’autant plus que de nombreux artistes ou th�rapeutes ont cr�� leur propre technique.
Aux confins de l’art, entre jeu et th�rapie, la ��Formulation��, technique ��invent�e�� par Arno Stern (1924) et reprise par de nombreux ��th�rapeutes�� et p�dagogues, appliqu�e avec plus ou moins de rigueur en psychiatrie, est bien plus int�ressante car elle s’appuie sur la facult� primitive de l’enfant de tracer des traits.
Voici ce que dit l’avertissement du site officiel de ce peintre-th�rapeute�[1] . ��L’humanit� s’est toujours servi de signes trac�s pour communiquer. Mais si l’image a permis d’entrer en communication avec d’autres, une fonction primaire de la trace est rest�e inconnue. Lorsqu’elle n’est plus destin�e aux autres - lorsqu’elle est lib�r�e de la n�cessit� d’�tre comprise par un r�cepteur - la manifestation peut devenir expression de la m�moire organique. La facult� de tracer appara�t tr�s t�t parmi les gestes du petit enfant. Les toutes premi�res traces sont tributaires des capacit�s motrices. Elles se d�veloppent ensuite selon un processus programm� - et non, comme certains l’ont pens�, gr�ce aux observations que l’enfant fait dans son environnement.��
Arno Stern a mis en �vidence une forme constante d’�volution dans le tra�age de figures des dessins d’enfant. L’enfant suivrait ainsi une sorte de manifestation primordiale et universelle qui s’exprime � travers un r�pertoire de figures sp�cifiques. Certains anthropologues ont pu v�rifier cette disposition ��inn�e�� parmi des enfants de diff�rents groupes ethniques qui n’avaient jamais tenu de crayon. Retrouver la primitivit� du geste traceur lib�re l’individu.
En 1987, Arno Stern fonde un domaine scientifique nouveau, la S�miologie de l’Expression, et lui donne un cadre au sein de l’I.R.S.E. - Institut de Recherche en S�miologie de l’Expression.
[1] Arno Stern official web site, http://www.arnostern.com/fr/index.html