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La phratrie et les niveaux de fraternit� chez les Ly�la du Burkina Faso
Fr�res de clan, fr�res paternels, fr�res maternels
lundi 4 avril 2011, par
D’apr�s la d�finition de l’”Encyclop�die Universalis”, la phratrie est un “terme qui d�signe � l’origine des groupes de parent� (phrater�: fr�re) rassemblant plusieurs familles (au sens large) dans le culte d’un anc�tre commun”, on trouve chez les Ly�la du Burkina faso un mot qui a un sens voisin, en l’occurrence, le Dwi. . Celui-ci d�signe, d’abord, le clan�; ensuite, la famille �tendue. � ces acceptions, il faut inclure les alliances de diff�rents clans, gr�ce aux �changes matrimoniaux, et les liens de parent� qui en r�sultent par la naissance des enfants. Selon le glossaire L’El�-Fran�ais du P�re Fran�ois-Joseph Nicolas, le terme dwi (pluriel dwa) d�signe d’abord, "race, clan, famille" (au sens tr�s large). Une telle conception du dwi conduit � une notion de fraternit� qui s’�tend sur plusieurs niveaux de sens qu’il importera de pr�ciser.
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Pierre Bamony, Doctorat d’Anthropologie Sociale et d’Ethnologie (Universit� Blaise Pascal - Clermont II - 2001), Doctorat de Philosophie (Paris IV Sorbonne), Dipl�m� de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris d’Anthropologie (D. E. A. d’Anthropologie), est professeur de Philosophie et chercheur ind�pendant en anthropologie et socio-anthropologie dont les investigations ont donn� lieu � un certain nombre de publications�; des articles scientifiques dans diverses revues sp�cialis�es et dans Anthropos, en particulier.
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1- Le syst�me de phratrie
Le mot dwi, qui permet de comprendre le syst�me de parent� chez les Ly�la, est difficile � saisir, voire � d�finir, comme c’est le cas chez beaucoup de peuples en Afrique de l’ouest. Il signifie clan, au sens que nous avons donn� � ce terme, ou encore famille �tendue. Il faut inclure, dans cette notion de la famille, les alliances de diff�rents clans, par le moyen de l’�change des femmes, et les liens de parent� qui en r�sultent par la naissance des enfants. Selon le glossaire L’El�-Fran�ais du P�re Fran�ois-Joseph Nicolas, le terme dwi (pluriel dwa) d�signe d’abord, "race, clan, famille" (au sens tr�s large). Ensuite, il s’�tend aux esp�ces, vari�t�s, sortes ou genres v�g�taux�; ou encore, semences, graines, et par euph�misme sperme en tant qu’il est potentiellement porteur de prog�niture. Enfin, il s’applique � la descendance, au sens g�n�ral et l�che de ce terme.
Yombou� Vincent N�galo compare le dwi au l’� ou cucurbitac�e. Comme cette plante, le dwi prend racine en un endroit pr�cis et s’�tend sur un grand espace g�ographique. L’image de la cucurbitac�e utilis�e comme symbole du dwi est ad�quate dans la mesure o� celle-ci s’�tend sur la terre gr�ce aux multiples ramifications de sa tige rampante. Le dwi est la racine ou l’unit� matricielle du clan. Il est l’ensemble ou la composante fraternelle des membres de toutes les familles qui appartiennent � un m�me noyau clanique, en admettant que ce dernier ait des liens ou des alliances avec d’autres qui entrent, ipso facto, dans cette composition g�n�rale.
�Cette image de la cucurbitac�e, enracin�e en un lieu g�ographique pr�cis, traduit le sentiment g�n�ralement partag� par les Ly�la au sujet de leur �migration toujours temporaire. � l’inverse des Moos� dont Michel Izard a montr� l’expansion continue dans d’espace, les Ly�la ne peuvent quitter d�finitivement leur territoire. L’a�n� d’une famille, en particulier, quelle que soit l’importance de la famille qu’il pourrait fonder � l’�tranger, par exemple, en C�te d’Ivoire ou au Ghana, retournera chez lui n�cessairement quand il n’est plus en mesure de travailler ou quand il sentira la proximit� de la succession de la chefferie du kwala (kwala-k�bal). Dans les ann�es 1980, en raison de la pauvret� du sol � R�o, nous avions pos� la question � l’un des a�n�s et ma�tre de cour d’une des familles Bamouni de Goum�dyr, en l’occurrence, Bamouni Bezona, afin de savoir pourquoi, il n’�migrait pas sur des terres plus cl�mentes du Burkina Faso. Il nous avait fait la r�ponse suivante�: ��Nous ne pouvons pas aller nous installer sur d’autres terres et abandonner ainsi nos anc�tres et les autels de nos divinit�s. C’est ici qu’ils ont enracin� notre kwala qui a permis l’expansion de notre dwi. Nous sommes n�s pour perp�tuer la tradition et nous mourrons ici. On �migre quand on est adolescent ou jeune. Ce n’est plus l’affaire des adultes qui doivent construire et consolider, sous le regard des anc�tres, leurs familles. Les jeunes nous quittent, mais ils reviennent nous voir, toujours � notre place, veillant avec soin sur les autels de nos anc�tres.��
�On peut dire de quelqu’un qu’il est du m�me dwi�qu’ego lorsque sa m�re vient du m�me clan que la sienne�; ou encore, lorsqu’il parle la m�me langue maternelle que lui. � ce titre, un Lyel � l’�tranger est pour un autre Lyel du m�me dwi�: il s’agit alors d’une fraternit� plus abstraite. Enfin, et de fa�on plus essentielle ou plus concr�te, ego est du m�me dwi que quelque autre personne lorsqu’elle fait partie du m�me clan que lui. Par exemple, un B�pio Badolo et un Boubi� Badolo sont du m�me dwi. Le mot dwi implique aussi deux nuances fraternelles�: d’abord, le nabia qui d�signe les ��enfants ut�rins��, ��fr�res��. Les nabia, ce sont donc les enfants issus d’une m�me m�re�; mais, par extension, ce terme d�signe l’ensemble des individus dont les m�res viennent d’un m�me kwala ou d’un m�me clan. Par exemple, si la m�re d’ego vient du kwala des Bationo et si celle de son voisin en vient aussi, ils sont non pas des amis, mais des nabia. Ils jouissent, d�s lors, des m�mes privil�ges et des m�mes devoirs par rapport aux oncles maternels. Leurs liens sont profonds et ils ne peuvent avoir des �changes matrimoniaux. Ensuite, dabia �: ce terme s’emploie pour d�signer les enfants issus d’un m�me p�re et de m�re diff�rente. Par extension, il d�signe tous les individus qui appartiennent � un m�me kwala. Par exemple, tous les N�galo de Batondo, parce qu’ils portent le m�me patronyme du m�me clan, sont des dabia. Il s’agit ici d’une fraternit� plus g�n�rale qui semble �tre sans fronti�res r�elles. On dit aussi qu’ils sont issus d’un m�me dieu, au sens d’anc�tre, p�re fondateur, ou yi-redu ��un seul dieu��.
�Cette parentalit�, en apparence sommaire, cache des complexit�s quand on y regarde de plus pr�s. Le kwala se fonde sur une unit� exogamique ou lignage. En raison de la filiation patrilin�aire et de la r�sidence patri-virilocale, tout individu appartient au lignage de son p�re. La parent�le agnatique implique un r�seau de relations qui d�passe les bornes de la configuration simple indiqu�e ci-dessus. On se heurte, n�anmoins, quand on veut comprendre cette parent�le, � un �cueil�: la souplesse ou l’extension des termes qui servent � classifier les membres d’une famille.
�Ainsi, le da (daba au pluriel) d�signe, d’abord, le p�re g�niteur ou le mari de la m�re d’ego. On l’emploie aussi pour le fr�re plus ou moins �g� du p�re, l’oncle paternel�; et, enfin, pour le fils du demi-fr�re du p�re. Eu �gard � toute cette g�n�ration, ego est appel� bi, fils ou enfants. Tous ont droit �gal sur le bi qui est soumis � leur �gale vigilance �ducative. En cas de faute, le bi peut �tre corrig� indiff�remment par l’un ou l’autre. � ce niveau, la responsabilit� commune est d’autant plus grande qu’il s’agit du bi-k’� (bi-k’�r)[i], le fils a�n� de la famille, en l’occurrence du k�l�-k�bal (ma�tre d’une enceinte familiale) appel� � succ�der � son p�re apr�s la mort de ses oncles paternels.
�Du mot da, on a compos� trois termes voisins�: il s’agit, d’abord, du da nak’e ou grand-p�re paternel ou maternel�; ensuite du daba-so, lieu d’origine des membres d’une cour habitant � l’�tranger ou m�me dans un autre quartier du m�me village. En d’autres termes, il s’agit de la concession d’enracinement du kwala ou du clan. Enfin, da est une formule de politesse qui sert � d�signer tout homme en �ge d’�tre le p�re de celui qui l’emploie ou � qui l’on parle. Par exemple�: "da bes� sono" ��chez Monsieur Bes���.
�On retrouve la m�me souplesse et complexit� du c�t� de la m�re. Ainsi, na (pluriel�: naba) s’emploie, stricto sensu, pour d�signer la m�re g�nitrice. Il sert aussi pour la ou les co-�pouses du p�re, les �pouses du fr�re ut�rin ou demi-fr�re du p�re. Si le n� nak’� a un sens pr�cis, la grand-m�re paternelle ou maternelle, le mot na peut avoir un sens plus large�: il s’emploie alors comme formule de politesse pour appeler ou pour saluer toute femme �g�e. De m�me, le terme n�k�(nekana) est pr�cis dans son emploi. Sont ainsi appel�es, d’une part, les soeurs ut�rines ou demi-soeurs du p�re ou de la m�re�; et, d’autre part, les filles des demi-fr�res du p�re.
�Quant � la place de la femme dans le dispositif familial, le terme servant � la d�signer est extr�mement l�che. En effet, ke (kana au pluriel), c’est la femme en tant que genre�; c’est aussi l’�pouse. Ensuite, Ke se r�f�re � l’�pouse des fr�res a�n�s ou pu�n�s tout autant que celle des demi-fr�res ou pu�n�s du mari. Enfin, l’�pouse des cousins germains paternels dont les p�res sont des fr�res ut�rins, est aussi appel�e k�. En revanche, l’�pouse des cousins paternels dont les p�res sont demi-fr�res, est appel�e na ou m�re. � l’oppos� du terme k�, le mot b’al (ou b’ala) d�signe trois types de relations diff�rentes�: il s’agit, d’abord, du mari ou �poux d’une femme au sens pr�cis�; ensuite, il s’applique aussi au fr�re ou demi-fr�re du mari�; voire au cousin germain du mari. Enfin, pour toute femme d’un clan, b’al sert � qualifier la relation qu’elle entretient avec tout individu de la g�n�ration du mari.
Comme le remariage de femme se fait par libre choix de celle-ci, en cas de d�c�s de son propre mari, elle peut devenir l’�pouse de ses fr�res tant dans la cour elle-m�me que dans l’ensemble du kwala. D�s lors, il s’instaure entre les femmes et les "maris" sous ce rapport un modus vivendi fond� sur la plaisanterie par jeu. Celle-ci est essentiellement verbale, jamais gestuelle. L’attouchement, de quelque nature que ce soit, est absolument prohib�, de m�me qu’il n’est pas permis � un fr�re d’une m�me cour ou du m�me clan de se retrouver seul dans la maison d’une femme de la g�n�ration des fr�res. Une telle prohibition ne s’applique pas � la g�n�ration des m�res ou des tantes. Ainsi, dans la plaisanterie par jeu verbal, on n’a rien � craindre tant que celui-ci permet la juste distance dans la relation entre "maris" et "femmes" sous cet angle. Ce mode d’�tre ou de se comporter banalise la relation. Mais, tout homme, au-del� du jeu verbal, craint la femme de ses fr�res au sens restreint et g�n�ral du terme, de ses cousins dans la mesure o� l’intimit� relationnelle avec elle peut conduire � sa propre perte. Toute relation de ce type doit �tre toujours transparente, publique, per�ue au jour et sous le t�moignage de tout le monde.
�Le mot n’�bal (n’�bala) d�signe le lien entre les femmes de la cour et les hommes de la g�n�ration du p�re du mari. C’est, d’abord, le beau-p�re, ensuite le fr�re plus ou moins �g� du p�re du mari.
�Le terme bik’� (bi-k’�se), sert � d�signer la relation entre les femmes et la g�n�ration du p�re et de la m�re du mari. Mais, il comporte trois sens�: c’est, d’abord, la bru ou belle-fille. Ensuite, bik’� d�signe la femme du petit-fils et, enfin, celle du neveu paternel et maternel. Pour d�signer son fr�re issu de la m�me m�re, une fille emploie le terme nebwo (nebwa). Certes, il ne d�signe pas seulement le fr�re ut�rin ou demi-fr�re d’une fille, mais aussi le cousin germain paternel de celle-ci (sauf le fils du demi-fr�re de son p�re qui est appel� da).
�Le mot nekwo (nekwa), a une d�signation plus pr�cise�: il s’agit du lien fraternel (ou sororal) entre gar�on et fille uniquement. En d’autres termes, c’est la soeur ut�rine ou demi-soeur d’un gar�on. Cependant, on peut appeler nebwa tous les dabia d’une m�me cour et de tout le clan. En s’appelant nebwa (fr�res) et nekwa (soeurs) du clan du p�re et de la m�re, on exclut du m�me coup toute possibilit� de mariage. L’�change matrimonial est toujours renvoy� au-del� des limites du dwi, sans fronti�res pr�cises. Quand, malgr� tout, une union se contracte entre deux partenaires consid�r�s comme appartenant au m�me dwi, cette derni�re est toujours consid�r�e comme scandaleuse ou incestueuse. N�anmoins, elle n’est pas sanctionn�e aussi s�v�rement que dans le rapport sexuel entre un homme et une femme d’un m�me clan. Il y a m�me un surnom pour les enfants issus d’une telle alliance matrimoniale�: Bediou (litt�ralement, ��ce qui ne devait pas �tre consommé »).
�Un terme assez r�pandu, qui entre dans cette classification parent�le, et dont le sens est assez souple, c’est le n’� (ou n’ana). Il sert, en premier lieu, � d�signer le lien entre enfants de m�me sexe�: il s’agit du fr�re ut�rin pu�n� ou demi-fr�re pu�n� pour un gar�on�; ou bien la soeur ut�rine pu�n�e ou demi-soeur pu�n�e pour une fille. Ensuite, il d�signe aussi le cousin germain pu�n� pour un gar�on (sauf pour le cousin germain fils du demi-fr�re du p�re qui est appel� da ou p�re)�; mais aussi la cousine germaine maternelle pu�n�e pour une fille (sauf pour la cousine germaine, fille du demi-fr�re du p�re qui est appel�e n�k� ou tante).
�Enfin, n’� ou na n’� est la fille sur laquelle l’egikwo a un droit absolu. En effet, toute femme mari�e, lorsqu’elle est bien trait�e par sa belle famille, s’arrange, avec son clan d’origine, pour avoir une n’� (litt�ralement petite soeur). Elle est peut �tre une petite soeur ut�rine, une demi-petite soeur, une petite soeur issue de la m�me cour ou, au-del�, du m�me clan. Sa premi�re fonction est d’aider sa grande soeur dans ses t�ches domestiques et dans son r�le d’�ducatrice. Elle peut �tre tr�s jeune ou plut�t �g�e. Jusqu’� la pubert�, elle fera le va et vient entre la belle-famille de sa grande soeur et leur clan d’origine. Tous ses voyages sont accompagn�s de divers dons en nature comme le mil, la volaille tu�e � cet effet (ou d’autres animaux selon l’aisance des familles)�; et, parfois, un peu d’argent pour acheter des noix de kola � offrir aux personnes �g�es de sa cour d’origine. Ces noix sont partag�es avec les anciens des cours voisines, voire du quartier. Quand elle atteint l’�ge de se marier, sa grande soeur ou tante peut lui sugg�rer d’�pouser soit son propre mari, soit le fr�re ou le demi-fr�re de celui-ci, soit le fils d’une des co-�pouses de son mari. En g�n�ral, cette fille se marie dans la m�me cour que sa tante ou sa grande soeur de sorte que celle-ci puisse continuer � exercer son droit sur elle, voire sur sa future prog�niture. En aucun cas, un de ses propres fils ne peut l’�pouser�; car elle est consid�r�e comme sa soeur ou sa m�re (na) ou sa tante (n�k�) selon la place de celle-ci dans la g�n�ration de sa famille ou de son lcan.
�En fait, l’egikwo (egikwa) est la fille originaire d’un clan qui, par le moyen du mariage, est pass�e dans un autre. Mais, sa situation est duale�: par son corps, son existence quotidienne, elle fait partie du clan de son mari�; � l’inverse, par sa vie, elle appartient totalement � son clan d’origine qui, seul, peut d�cider de sa mort en cas d’infraction d’une loi tant de son clan d’origine que de celui de son mari. C’est pourquoi, ses relations avec son kwala d’originesont multiples et prot�g�es par des prescriptions coutumi�res ou religieuses pr�cises et graves. Dans certains cas, telle la d�sob�issance aux parents pour aller �pouser un homme de son choix et non celui auquel elle �tait promise, elle est frapp�e d’interdiction de s�jour jusqu’� la fin de sa vie. Le terroir ou le quartier lui est interdit et non la communication avec les membres de son clan. Elle peut les rencontrer dans un lieu neutre, march�s, mission catholique ou autres. Mais, si elle s’avise de mettre les pieds dans son village (l’espace occup� par son clan) ou dans son quartier, si elle habite le m�me village, elle signe son arr�t de mort. Nous verrons un peu plus loin comment les sanctions sont appliqu�es. Quand une femme ou une fille est dans une telle situation par rapport � son clan d’origine, c’est sa petite sœur ou n’� �"n’� " qui va jouer le r�le d’interm�diaire entre elle et son village ou son quartier d’origine.�
Le fils de l’egikwo s’appelle nekwo-bi ou egikwo-bi. La cour ou le village d’origine (le kwala) de sa m�re s’appelle neb� (neb�n�). Il n’en est pas ainsi de la fille. Les Ly�la disent ceci�: "K� be neb� gi zi�"�; litt�ralement�: "le sexe f�minin n’a pas de relation particuli�re avec la cour ou le village d’origine (kwala) de sa m�re". En effet, elle se mariera � un autre clan auquel elle appartiendra, en partie, d�sormais. En revanche, pour le gar�on comme pour la fille, le terme nebal (neb� ou nebala ou oncles maternels) reste valable�: ce mot d�signe le lien entre les enfants d’une m�re et les fr�res ut�rins ou demi-fr�res de celle-ci.
�Les relations entre les enfants (fr�res et soeurs) issus de la m�me m�re et du m�me p�re sont profondes et privil�gi�es. Une telle affectivit� dense se retrouve entre les enfants de deux soeurs d’une m�me m�re. Le pendant de ces liens privil�gi�s se situe dans le rapport singulier entre le nekwo-bi et l’ensemble du clan d’origine de sa m�re. Chez les Ly�la, le neveu d’un clan a des privil�ges quasi illimit�s et occupe une place centrale. Avant la christianisation de certaines zones comme celle de R�o (mais cette tradition reste encore profonde pour toutes les autres zones du Lyolo), un neveu pouvait, par n�cessit�, se livrer au ��pillage rituel�� de ses oncles�; qu’il s’agisse de ceux des fr�res ou demi-fr�res de sa m�re, pour ce qui est de sa cour d’origine, ou qu’il s’agisse de ceux de n’importe quel membre de ce clan, nul n’osait lever de protestation�: volailles ou animaux � quatre pattes (moutons, ch�vres, boeuf etc.)�; il avait acc�s � tout. Sa place centrale r�sidait dans son r�le de m�diateur en cas de conflits entre villages. Nous verrons ceci plus en d�tail ult�rieurement.
�Le clan maternel appara�t comme un h�vre de paix et de tranquillit� pour tout neveu d’un clan. En effet, du c�t� du p�re, la tension est souvent vive au quotidien entre demi-fr�res et parfois entre fr�res (a�n�/cadet, par l’autorit� du premier sur le second). Dans le premier cas, ce sont les m�res qui m�nent la danse en poussant leur prog�niture au conflit, par exemple, avec l’a�n� de la famille lorsqu’il y a un enjeu majeur, en l’occurrence, l’h�ritage de biens mat�riels consid�rables. L’a�n� peut �tre tu�, par exemple, par les cadets qui le suivent dans la g�n�ration des successeurs du p�re, quand il n’est pas lui-m�me sorcier ou voyant ou assez puissant pour d�fendre sa vie, ses int�rets ou ceux de toute la famille. La situation de l’a�n�, dans certaines familles, est d’autant plus inconfortable que les rapports qu’il entretient avec son p�re sont emprunts de silence, de distance, voire de g�ne. � l’inverse, il trouve une certaine tendresse, compr�hension ou douceur aupr�s de son grand-p�re paternel. Cette relation du fils aux p�res vivants est marqu�e par deux attitudes�: d’abord, la distance avec son p�re se double d’une crainte �vidente avec le ou les fr�res a�n�s de celui-ci�; ensuite, l’ob�issance � l’�gard de la g�n�ration des p�res semble plus rigide que dans sa conduite vis-�-vis des fr�res cadets de son p�re.
�L’enfant n’est pas forc�ment �lev� par sa m�re g�nitrice. Dans la cour paternelle, en cas de polygynie, une co-�pouse[ii], en raison d’arrangements secrets entre femmes, peut prendre son �ducation en charge�; m�me si celle-ci, dans l’espace commun (la cour ou � l’ext�rieur, par exemple les champs), est l’affaire de tous. Quelle que soit la profondeur des liens qui peut r�sulter entre cet enfant et sa m�re charg�e de son �ducation, il est certain qu’il ne peut reconna�tre comme oncles maternels que les seuls membres du kwala de sa m�re biologique. En effet, il n’est pas interdit � cet enfant d’�pouser une n’� (petite soeur) de sa m�re �ducatrice. En contre partie, il s’en occupera comme s’il s’agissait de sa m�re g�nitrice dont il a �galement la charge quand elle n’a personne d’autre pour s’occuper d’elle.
�� l’oppos�, au sein du clan maternel, le neveu n’a rien � craindre�: ni violence par sorcellerie, ni tentative d’empoisonnement, ni conflit apparent ou souterrain de la part de la fratrie. Bien au contraire, il est tranquille et il est m�me courtis�, voire sollicit� pour avoir acc�s � certains privil�ges aupr�s du k�l�-k’�bal, son grand-p�re ou son oncle�; ou pour calmer des querelles internes � la cour�; ou encore pour courtiser une fille � l’intention d’un de ses cousins. Il est le neveu de toute la cour. Il se lib�re au niveau de la parole et il peut exprimer tout haut ses pens�es, contrairement � la cour paternelle o� la r�serve, le silence, voire la m�fiance sont de rigueur. � propos des Moose, Michel Izard d�crit l’heureuse situation du neveu chez ses oncles maternels qui ressemble assez � celle que peut conna�tre le Lyel chez les siens�: ��L’oncle maternel est un papa gateau chez qui un maintien de bon ton n’exclut pas une libert� de parole et de geste impensable dans la cour paternelle. Ici, �tre � son aise, prendre ce que l’on veut, ce n’est pas "faire comme chez soi", c’est faire le contraire��. [1980�: 190].
�En fait, la cl� de vo�te du syst�me de parent� chez les Ly�la est le dwi. Par une esp�ce d’extension continue rendue possible par les alliances matrimoniales, il �tend ses branches au-del� des bornes du lignage agnatique. Ainsi, si l’on consid�re la situation d’un individu donn�, on peut dire que son dwi se con�oit selon deux modalit�s fondamentales�: d’une part, les membres du lignage de son p�re (da kwala)�; d’autre part, ceux de sa m�re (na kwala ou neb�). Entre lui et ces ensembles s’�tale ou s’�tage une diversit� de configurations dont nous avons tent� de comprendre l’essentiel�; du moins, les liens les plus manifestes ou les plus importants.
�En r�alit�, kwala et dwi�font appara�tre la situation de l’individu sous les formes suivantes�: par le premier, l’individu est enclos dans l’espace spirituel et la dimension spatiale que dessine son kwala. Il appartient corps et �me � celui-ci. M�me ses propres biens ne constituent pas une jouissance exclusive. Sa libert� se situe dans les limites des r�gles �dict�es par les P�res fondateurs de son kwala, lesquelles ne semblent pas vouloir changer de nature quelles que soient les mutations op�r�es de l’ext�rieur par l’influence directe des populations voisines�; voire celle, indirecte, de peuples lointains par l’interm�diaire des migrants. Nous n’avons pas non plus remarqu� qu’il en existe de nouvelles�; ce qui indiquerait que les lois fondamentales de ces clans seraient insensibles aux apports ext�rieurs ou, du moins, qu’ils savent bien les adapter � l’esprit de leurs traditions. Car les gardiens des traditions s’acharnent � prodiguer toujours le m�me enseignement en insistant davantage sur le caract�re rigide, inchangeable des Nia ou lois traditionnelles. Les p�res fondateurs des kwala, soutient Yombou� Vincent N�galo, ont dit ensemble des parolesconstitutives du kwala �qui ne doivent pas �tre chang�es ni enfreintes sous peine de mort. D�s lors, les lois int�rioris�es du kwala�exercent, en permanence, une pression sur l’individu sans qu’il en soit toujours conscient.
�Quant au dwi, sans pouvoir contenir chaque kwala en particulier, il est de dimension plus ample que ce dernier. En effet, par les diverses relations matrimoniales, il s’�tend � bon nombre d’entre eux, non seulement dans l’espace d’un quartier, d’un village, mais m�me au niveau de tout le Lyolo. Car il n’y a point de Lyel qui n’ait quelque lien de dwi avec une famile ou un clan aux quatre coins de la Province du Sangui�. Des gens pourront toujours trouver un rapport de parentalit�, m�me t�nu, entre les uns et les autres en remontant aux grands-parents, voire aux arri�res grands- parents.Le dwi a, de ce point de vue, une extension continue qui, par-del� l’�troitesse des r�seaux du kwala, couvre chaque Lyel en particulier. Ainsi, un Lyel � l’�tranger peut �chapper aux membres de son clan. Mais, il aura du mal � s’extraire de ceux du dwi d�s lors qu’il s’agit de Ly�la. Que ce soit en C�te d’Ivoire ou au Ghana, ces derniers se sont toujours regroup�s non forc�ment par clan mais par dwi. Partout pr�sent, il semble poursuivre tout lyel�; d’autant plus qu’il est ce par quoi les clans fond�s sur les liens du sang, ont trouv� le moyen de s’ouvrir aux autres communaut�s. Et c’est le mariage qui op�re cette ouverture en enrichissant les clans par l’apport des neveux.
Cette structure de la parent�le fond�e sur le dwi a aussi une certaine incidence dans les rapports entre les clans.
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2 - Les diff�rentes communaut�s ou clans
Le titre de ces recherches comporte le terme "clan". C’est un mot qui est quelquefois utilis� dans la litt�rature anthropologique pour d�signer des groupes africains. Mais il nous a sembl� qu’on ne se donne pas la peine de d�finir, voire de clarifier cette notion afin de comprendre dans quelle mesure elle s’adapte aux modalit�s de fonctionnement social des groupes ainsi d�sign�s. Ce terme clan, d’origine anglaise, d�rive lui-m�me du ga�lique clann qui signifie�: "famille" chez les Ecossais, et "descendant" chez les Irlandais. En fait, selon le Dictionnaire Bordas, le clan est un "groupe social, en Irlande ou en Ecosse, constitu� par plusieurs familles ayant une origine commune". Si l’expression "origine commune" para�t plut�t confuse, impr�cise ou floue, on peut retenir n�anmoins le fait qu’il s’agit de "groupe social", constitu� de plusieurs familles.
�Les caract�ristiques que Jean-Pierre Dozon donne de la soci�t� b�t� de la C�te d’Ivoire, pr�cisent davantage ce que peut bien signifier le terme de clan dans le contexte de l’Afrique sub-saharienne. En effet, dans la soci�t� b�t� comme dans tout clan, en g�n�ral, la filiation est ��patrilin�aire et la r�sidence patri-viri-locale��. Mieux, le grigbe ou ��lignage proprement dit est, avec le village l’institution fondamentale. Il se pr�sente � la fois comme un "groupe en groupe"�: groupe de chasse, groupe tot�mique, (les membres d’un grigbe respectent un interdit alimentaire commun g�n�ralement animal), groupe �conomique et foncier (les terres de culture sont distribu�es en son sein, sous tutelle du doyen de lignage, le grigbe�o-ite), et comme unit� exogamique �non�ant ainsi le premier interdit matrimonial, ou l’impossibilit� de se marier dans son propre patrilignage.�� [1985�: 87-88].
�Bien que B�t� et Ly�la soient situ�s dans des zones g�ographiques, non seulement fort diff�rentes, mais aussi �loign�es, l’organisation sociale de ces deux groupes est, dans ses grands traits, assez analogue. Chez les Ly�la, le kwala joue le m�me r�le que le grigbe des B�t�. Mais, avant d’approfondir le sens du kwala, voyons � travers le rapport de Joseph Bado de Sienkou, l’id�e que les Ly�la eux-m�mes s’en font. En effet, selon cet homme, ��tout clan a son kwala-gi (litt�ralement�: maison du kwala) et repose sur des fondements invariables. Le kwala est comme une barque qui traverse une �tendue d’eau�; hors de cette barque, on est vou� � l’�chec, � sa propre perte. Aussi, tout homme appartenant � un kwala, doit, pour �viter de se perdre dans la vie, suivre rigoureusement les enseignements et les traditions qui lui sont sp�cifiques et qui r�gissent sa conduite, sa vie. Il doit le faire avec franchise et gait�. Il importe que chacun porte le nom du kwala auquel il appartient et respecte ses susulu (interdit, d�fense, prohibition) afin qu’il n’ait point d’histoire avec ses fr�res de clan. L’homme de bien est celui justement qui fait sien l’enseignement de son kwala. Il est, ainsi, appel� � vivre tr�s longtemps au milieu de ses fr�res et autres hommes. Il verra ses petits-fils et ses arri�res petits-enfants. Et sur son lit de mort, il pourra exprimer clairement ses derni�res volont�s avant de rendre l’�me��.
�Dans ce type de soci�t� communautaire o� le particulier n’a d’existence que par la solidit� de ses liens au groupe, le salut de l’individu r�side dans la pratique scrupuleuse de la religion traditionnelle�: c’est-�-dire � la fois dans sa soumission � l’esprit de la famille clanique et dans la protection des divinit�s de son clan. D�s lors, on ne met pas sa vie � l’abri des occurrences adverses li�es aux membres malfaisants de la famille[iii], en fuyant le clan et ses divinit�s, ni en se soustrayant � ses devoirs vis-�-vis d’eux. Paradoxalement, c’est l� o� le danger est permanent pour la vie, la sant� que r�side la s�curit� absolue de l’individu pour autant que sa biopsych� est pure. Car, chez les Ly�la, les sorciers, gardiens des traditions, ne sont autoris�s � attenter � la vie d’un membre du clan que dans la stricte mesure o� celui-ci a enfreint les lois traditionnelles ou Nia. En revanche, s’il n’a commis aucun d�lit, si on ne peut lui faire aucun reproche, les m�chants ou les membres nocifs du clan de la famille peuvent, en cachette, tout tenter contre lui�: ce serait vain. On permet seulement qu’il soit bless� dans son corps s’il n’a pas assez de puissances protectrices personnelles, mais on ne touche pas � sa substance vitale qui appartient au clan. Elle est sa propri�t� exclusive.
�Ces remarques montrent l’importance du kwala chez les Ly�la. Le P�re Fran�ois-Joseph Nicolas d�crit ainsi le kwala comme ce qui symbolise l’unit� de la gens�: gens ou clan est, pour cet auteur, l’ensemble des individus qui forment une communaut� ayant le m�me patronyme. En outre, cette communaut� se r�clame des m�mes anc�tres ou d’un m�me p�re mythique. Ainsi, chez les Bamouni, ou les "mouni-li " (gens du mouni), un des clans dits autochtones de R�o, ��l’autel du kwala est une butte de terre en pains de sucre, recouverte des plumes, du sang, des morceaux de foie des victimes immol�es�; au sommet et sur les flancs parfois �mergent les cornes des buffles abattus autrefois � la chasse... Cet autel est construit � l’int�rieur d’une case qui lui est r�serv�e (kwala-gi). Sa garde et son service sont confi�s au doyen de la gens, qui est en m�me temps le chef de clan�� [1953, Paris Av. XIV, 2�: 819]. En fait, la forme du kwala change selon les clans. En revanche, son sacrificateur est toujours le plus �g� des membres de la communaut�, et forc�ment, le chef du clan.
�Dans ce m�me article, le P�re Nicolas �crit�: ��Lorsqu’un groupe de la gens essaime pour aller s’installer sur d’autres terres gagn�es sur la savane, il peut pr�lever une parcelle de la terre du kwala primitif afin d’�tablir une annexe, un autre autel-kwala qui aura lui aussi sa case��. Contrairement � cette affirmation, m�me si l’on doit admettre l’existence de scissions au sein des kwala, une telle entreprise est contraire � la r�alit�. Les s�parations, m�me si elles ont exist�, sont plut�t originaires et exceptionnelles. Chez la majeure partie des clans, il est impossible de pr�lever une parcelle du kwala primordial, voire de le d�placer. Il demeure toujours l� o� les anc�tres fondateurs du clan l’ont construit. Quel que soit le nombre des membres d’un clan �migr� ailleurs, pour s’acquitter de leur devoir li� � celui-ci, ils retournent dans leur village d’origine. Selon les anciens de certains clans, notamment celui des N�galo de Batondo, un membre qui ose d�placer une parcelle du kwala meurt autant que toute sa famille. Aussi, lorsque les groupes qui ont essaim� ont un sacrifice � faire sur leur kwala, ils n’ont d’autre choix que de revenir dans le village d’origine pour ce rite.
�Le sacrificateur du kwala est non seulement le plus �g� du lignage[iv], mais aussi le premier fils d’une famille. Refuser cette fonction est absolument interdit�; � la limite si le successeur vit � l’�tranger, il est autoris� � d�signer quelqu’un � sa place car le refus d’assumer cette t�che h�r�ditaire entra�ne la mort de l’audacieux.
�D’apr�s les anciens de Goundi, le kwala conna�t, sans exception, tous les membres qui composent la communaut�, c’est-�-dire depuis le b�b� qui vient de na�tre jusqu’au plus �g� des membres de la communaut�, en passant par les adultes. C’est ainsi que l’on sait qui, parmi les hommes, s’est acquitt� de ses devoirs vis-�-vis du kwala. � titre d’exemple, tout homme du clan N�galo de Batondo, que son p�re soit encore en vie ou non, est tenu obligatoirement, outre l’offrande d’un sachet de gros sel � l’autel de son clan, de sacrifier sur le kwala certains animaux qu’il ach�te pour la premi�re fois avec le fruit de son travail. Il s’agit, en l’occurrence, du premier b�lier, du premier taureau�; le premier b�lier castr�, le premier taureau castr�, le premier chien castr� s’il esp�re castrer les siens durant sa vie. Toutefois, ces obligations varient suivant les clans[v]. Tant que ces animaux n’ont pas �t� sacrifi�s sur le kwala, on n’a gu�re le droit d’en acheter pour soi-m�me. Autrement, il s’agira d’un susulu, cest-�-dire la transgression d’un interdit dont la sanction est la mort. Ces animaux sont appel�s kila yw�n�: les ��affaires�� ou les ��choses�des anc�tres��.[vi]
�Le kwala est fait de composantes qui lui sont intrins�quement, "corporellement" unies. Il s’agit d’esprits ou de dieux annexes au kwala qui sont v�n�r�s par les diff�rents clans qui en sont les ma�tres. En dehors du kwala, ils n’ont aucun sens. Pour le clan N�galo de Batondo - mais ceci est vrai aussi pour les autres clans ly�la, avec naturellement des variances - d�pendant ou faisant partie du kwala, il y a les divinit�s suivantes�: kwala-lali (forge ou enclume de l’autel du clan), kwala-bwi (Eaux sacr�es de l’autel du clan), kwala-pi� (collines sacr�es de l’autel du clan), kwala-n�bil (th�urgie originaire de l’autel du clan). Nous analyserons ult�rieurement la place de ces divinit�s et leur sens dans et pour chaque clan.
�En dehors des divinit�s li�es au kwala, il y a le kwala-yil �; ce que le P�re Fran�ois-Joseph Nicolas appelle "autel-de-clan-nom" ou "nom de l’autel de clan". Il �crit notamment�: ��anc�tre �ponyme avait donn� naissance � la gens qui �tait la r�union des anciennes familles (...) qui portaient le m�me nom et qui �taient cens�es issues de la m�me souche�� [1953�: 819]. Le kwala-yil est donc l’identit� d’appartenance au clan. Il est donc le nom patronymique port� par tous les membres d’un m�me clan. Par exemple, N�galo ou N�bi�, Bamouni ou Bationo, ou encore Bayala[vii] sont des patronymes que portent les individus appartenant � ces clans. Pour d�signer le clan dans son unit� par le patronyme, on dit�: les mouni-li, les tiono-li, les yala-li, le terme li d�signant hommes ou groupe d’hommes.
�Ainsi, le kwala-yil permet � tous ceux qui le portent, non seulement de d�terminer leur appartenance juridique � tel ou tel clan, mais aussi et surtout d’�viter les alliances endogames jug�es incestueuses.
�Le kwala appara�t donc comme la loi fondamentale constitutive de l’essence, du corps r�el, c’est-�-dire de la vie d’un clan. C’est dans ce sens, d’ailleurs, que Yombou� Vincent N�galo l’entend[viii]. ��Kwala signifie une m�me bouche ou une seule et m�me parole (ni redu). En d’autres termes, il s’agit d’un contrat social scell� par les anc�tres d’un clan donn�. Ceux-ci se sont r�unis, � l’origine, pour dire des paroles qui visaient � consolider leur unit� sociale�; des paroles qui ont �t� au cœur et � l’origine de l’organisation sociale. L’�me ou l’union du kwala sont ces paroles m�mes. Par cons�quent, elles constituent � la fois les traditions et la force de celles-ci. Et pour que l’union demeure toujours, les anc�tres ont pos� des conditions que les membres du kwala ne doivent en aucune fa�on, transgresser�: ce sont les susulu.��
�Chaque kwala a une prohibition primordiale d’origine th�riaque. Ainsi, le kwala Bamouni de R�o, tout autant que celui des N�galo de Batondo, ont pour susulu la tortue. Selon Yombou� Vincent N�galo, l’origine de celui de son kwala r�sulte du fait originaire suivant�: ��Notre p�re ancestral s’�tait �gar� en pleine brousse lors d’une chasse. La soif le terrassa dans son errance sans issue. Alors qu’il �tait sur le point de mourir, il y eut une tortue qui allait se tremper dans une boue. Elle revenait vers lui et montait sur la poitrine du mourant afin de le rafra�chir. Elle fit ce va et vient plusieurs fois (des milliers de fois) jusqu’� ce qu’enfin de chasseur reprit ses esprits. Il se releva et suivit la tortue vers une direction bien pr�cise�: il s’agit d’un cours d’eau. Il se d�salt�ra et promit � soi-m�me et � ses descendants de ne plus jamais consommer la viande de tortue. Il voulait ainsi manifester sa reconnaissance envers cet animal qui lui avait sauv� la vie. D�s lors, cette promesse devient, de fait, un susulu�; et quiconque, parmi ses descendants, transgressera cette promesse, en mangeant de la viande de tortue, deviendra aveugle. M�me s’il trempe son pied dans les restes d’une tortue tu�e, dans la cendre, par exemple, une maladie du pied l’attaquera. Cependant, si quelqu’un mange la viande de tortue sans le savoir, rien ne lui arrivera��[ix].
�Mais un animal ne constitue pas forc�ment pour tous les kwala un totem. Tel est le cas du clan Bationo de Toukon, un quartier de R�o. Plusieurs �l�ments, impossibles � r�aliser, forment ensemble ce qui tient lieu de totem � ses membres�: ils ne doivent pas manger les fruits d’une branche morte de karit�; ni les bronches des petites fourmis rouges que l’on trouve au pied d’une meule � �craser le mil, un lieu qui recueille la farine et dont elles se repaissent, le temps d’un tel travail. N�anmoins, il n’est pas interdit, comme cela est courant, de les consommer mortes dans les galettes de mil quand on ne peut les extraire de la farine. Il est interdit de consommer le placenta d’un taureau ainsi que de s’abriter � l’ombre d’une sorte de petite herbe gluante dont on se sert pour faire une d�coction de purge.
Chez ce m�me groupe, on trouve une singularit� au niveau du kwala. En fait, les Bationo de Toukon n’ont pas un seul kwala comme tous les autres clans mais au moins trois branches d’un m�me kwala. N�anmoins, ces diverses branches ne sont pas endogames�: il interdit � leurs membres de contracter des alliances matrimoniales entre eux, lesquelles r�sultent d’une scission de la m�me branche lors de l’occupation de l’espace par p�res. Elles jouissent d’une autonomie de responsabilit� au niveau des actes rituels, des compensations matrimoniales etc. Chaque branche a aussi son cimeti�re, organise l’enterrement de ses morts, la c�l�bration des fun�railles sans en r�f�rer aux autres autrement que sous la forme d’une information ordinaire comme on le ferait pour tout autre kwala. Mais les membres de ces diverses branches se reconnaissent et s’appellent dabia ou fr�res ayant un m�me anc�tre.�
On dit g�n�ralement, chez les Ly�la, que le kwala conna�t tous ses membres. � ce propos, nous avons pos� la question � Yombou� Vincent N�galo pour savoir comment l’on sait qu’un membre du kwala a commis un susulu, sachant que des membres de la communaut� sont dispers�s dans de nombreux pays de l’Afrique sub-saharienne. Il r�pondit effectivement que le kwala conna�t tous les membres de la communaut� N�galo, par exemple, mais ce n’est pas le kwala lui-m�me qui porte atteinte � la vie de quelqu’un quand celui-ci enfreint les lois de la communaut�; ce ne sont pas les divinit�s garantes de l’int�grit� des Nia du kwala, c’est-�-dire du respect de la parole des p�res fondateurs, du contrat ancestral, qui causent la mort d’un coupable. Ce sont bien les sorciers du clan qui agissent en leur nom. Les anc�tres ou p�res fondateurs du kwala�ont parl� une fois pour toutes. Et leurs paroles se perp�tuent � travers les actes des vivants, comme une actualit� par la vigilance des plus �g�s de la communaut�. Nous verrons, dans la derni�re partie de ces recherches, par quels divers moyens les anciens exercent l’autorit� et maintiennent le syst�me social dans une rigidit� qui ne tol�re aucune innovation ou changement.
�Les anciens de Goundi tout autant que Joseph Bado de Sienkou envisagent le kwala de la mani�re suivante�: c’est ce qui tient uni l’ensemble des membres d’un clan. Il les garde soigneusement comme on porterait un b�b� dans les bras ou comme des œufs dans la main. Il signifie l’origine m�me du clan, de la communaut� ou de la famille en tant qu’entit� unique. Il en est le cr�ateur, c’est-�-dire son essence et son fondement. C’est pourquoi, il est dans l’int�r�t de toute famille, de toute composante du clan, d’enseigner aux enfants les interdits et les r�gles relatifs au kwala. Il importe - et c’est l� son int�r�t majeur - que chaque individu suive strictement les traditions (luri-�-puri). Car l’infraction de celles-ci provoque souvent la mort de certains membres du clan.
�Il s’agit, en r�alit�, d’un ensemble de maximes que les Ly�la interpr�tent soit comme de simples r�gles coutumi�res soit comme des lois traditionnelles. La confusion semble voulue pour satisfaire davantage au sentiment irr�pressible de la structure invisible que tout incline � la pr�dation et � la nihilisation des substances vitales des membres d�linquants du clan. Dans ce contexte social, il ne s’agit pas de pr�venir, d�s lors qu’on suppose que tout le monde est instruit de ces maximes depuis la tendre enfance, mais de laisser commettre la faute pour exposer la victime, l’abandonner sans d�fense aux pouvoirs mortif�res de la nuit. Ainsi, entre l’interdit de coucher avec une femme du clan, voire d’enjamber ses pieds ou de donner une tape affectueuse dans son dos et celui de ne jamais oser insulter ni son p�re ni sa m�re, la gravit� de la faute est de nature diff�rente. Il en est de m�me de la r�gle qui recommande aux hommes du clan d’�viter de prendre place sur la natte d’une femme du kwala et celle de ne point d�tourner une �pouse de clan pour le compte d’un ami. Une maxime d�fend m�me � chacun de ne rien voler qui appartienne � un membre du clan dans le m�me espace villageois. Enfin, entre l’interdit d’acqu�rir du poison ou des th�urgies destructrices dans l’intention de nuire � la vie d’un membre du clan et la n�cessit� d’avouer une faute constat�e aux anciens du kwala, il y a �galement une nuance consid�rable. Le fait qu’il n’y ait pas d’instruction claire sur le niveau de gravit� entre ces diverses maximes laisse la porte ouverte � toutes les interpr�tations arbitaires de la structure invisible�; ce qui lui permet �galement d’exercer ais�ment son pouvoir sur la structure apparente.
Quant aux anciens de Goundi, ils expliquent l’origine du kwala selon le mythe suivant�: ��un jour, un homme se rendit aux champs. Il s’assit sur une butte de terre et se mit � pleurer. Car tous ses enfants �taient morts. Brusquement, un ph�nom�ne (k�n ou chose ou apparition) descendit du ciel et se dressa devant lui. Il demanda au malheureux homme la raison qui lui causait tant de peine et le faisait tant pleurer. Il lui r�pondit qu’il n’avait plus personne au monde et qu’il �tait venu ici express�ment pour �tre d�vor� par un lion ou un fauve quelconque. Le k�n lui dit alors qu’il ne sera pas d�vor�, car il lui confierait quelque chose qu’il lui recommanderait de garder pr�cieusement. S’il agissait ainsi, il retrouverait une famille nombreuse et redeviendrait un homme heureux et bien. Et ce qu’il lui donna �tait le kwala��.
�Ce r�cit traduit bien la place centrale du kwala chez les Ly�la, comme symbole et fondement du bien humain�: la n�cessit� de l’�tre humain comme unique richesse et source de bonheur. Et le fait que l’individu ne puisse se soustraire � la vigilance du kwala ou de ses membres, s’explique par l’extension continue et l’ampleur du pendant du kwala, en l’occurrence, le dwi qui rend intelligible le syst�me de parent�, en soi fort complexe.
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R�f�rences Bibliographiques
– Encyclop�die Universalis”�;�
– Dozon Jean-Pierre (1985)�: La soci�t� b�t� -C�te d’Ivoire- O.R.S.T.O.M.-Karthala, Paris�;�
– Izard Michel (1983)�: Les archives d’un royaume africain-Recherches sur la formation du Yatenga (Th�se pour le doctorat ES Lettres et Sciences humaines sous la direction de Georges Balandier), Paris-V-Sorbonne)�;
– Nicolas (R.P.) Fran�ois Joseph (1953)�: "Onomastique personnelle des L�la de la Haute Volta", in Bulletin de l’Institut Fran�ais de l’Afrique noire, AN., 2, P. 819, Paris�;
�#Glossaire L’El�-Fran�ais (1953), IFAN, Dakar�;�
�#Glossaire L’El�-Fran�ais (1953), IFAN, Dakar�;�
– Schott R�diger�:�(1987)�: "Serment et voeux chez les ethnies volta�ques (Ly�la, Bulsa, Tallensi) en Afrique occidentale",in Droit et Culture-Revue trimestrielle d’anthropologie et d’histoire, Vol. 14, Paris
Notes
[i] – Cette orthographe adopt�e par les P�res Gilbert Bon et Fran�ois-Joseph Nicolas et dont nous nous inspirons dans le cadre de ces recherches, permet, au niveau de la prononciation, de remplacer l’apostrophe par un i. Cela donne�: bi-ki�, par exemple.
[ii]Nous avons montr� dans notre manuscrit (Sorcellerie et violence en Afrique noire) [P. Bamony] au sujet des m�faits de la polygamie � quel point cette responsabilit� peut �tre une torture pour l’enfant. Il peut accumuler, sur lui, involontairement, toutes les rancoeurs et frustrations, toute la violence des jalousies entre concubines. Il est souvent martyris� en l’absence de sa m�re g�nitrice sous couvert d’�ducation.
[iii] – Nous verrons un peu plus loin et de fa�on plus explicite, le sens de ces luttes souterraines ou infra-sensibles que se livrent les fr�res de clan. Nous verrons comment chaque clan a organis� sa dynamique sociale de mani�re � la reposer sur de combats mortif�res invisibles.
[iv] – Les Ly�la sont organis�s selon un syst�me patri-lignager puisque les membres de chaque kwala font r�f�rence � une m�me ascendance, plus exactement, � un m�me p�re fondateur de l’entit� sociale.
[v]Chez les N�galo de Batondo, les devoirs vis-�-vis du kwala dont tout membre masculin doit s’acquitter (ceux des filles du clan seront accomplis par leurs maris sous forme de compensations matrimoniales dont nous verrons ult�rieurement plus en d�tail les modalit�s) sont jug�s �quitables. En effet, si je m’abstiens, j’oublie ou si je me montre incapable de m’acquitter de ces premiers devoirs sur mon kwala, je suis seul responsable de ma mort en cas d’infraction. En revanche, chez le clan Bamouni de R�o, seul le fils a�n� des enfants d’une m�me m�re est tenu � ces obligations sur le kwala au nom de tous ses petits fr�res. Mais, malheur � ses autres fr�res s’il ne parvient � le faire�: en cas d’infraction, non seulement il perd la vie, mais m�me la suite de ses fr�res, par ordre de naissance, mourront apr�s lui. Car le cycle infernal ne peut �tre arr�t� que si l’un d’entre eux (le plus �g� vivant encore) s’acquitte de ces devoirs sur le kwala.
[vi] – Ces animaux sont d�sign�s comme les ��affaire��s des anc�tres en tant qu’ils doivent �tre les premiers � �tre servis en qualit� d’ascendants ou de p�res fondateurs du kwala�: ceux sans lesquels il n’y aurait pas de famille. Cela signifie aussi que c’est une affaire ennuyeuse ou embarrassante qui fait craindre (en raison des difficult�s financi�res � s’en acquitter), qui effraie dans la mesure o� son non ex�cution ou son infraction (m�me � son insu�: par exemple, lorsque quelqu’un use de mon argent donn� ou pr�t� pour acheter un animal vivant qui est ensuite immol� pour une raison quelconque, c’est, malgr� lui, une infraction qui lui est imputable) entra�ne in�vitablement la mort.
[vii]�– La radicale Ba dans ces noms, d�rive de bal qui signifie homme (vir). Ainsi, Bamouni d�signe tout homme appartenant au clan Mouni. En ravanche, lorsqu’il s’agit d’une femme, son patronyme commence par K� qui signifie femme. Par exemple, Kantiono d�signe toute femme (m�me mari�e, une femme garde le nom de son clan d’origine) ou toute fille issue du clan tiono.
[viii]�– Cet homme, d�c�d� en 1993 � R�o, �tait le dernier de trois fr�res dont notre p�re est l’a�n�, aujourd’hui chef du clan N�galo de Batondo. Il �tait fort instruit dans les traditions des Ly�la et il nous a beaucoup apport� par son enseignement sur ces traditions au cours des ann�es 1978 � 1984. Il fut aussi consult� par le professeur Schott qui cite son nom et ses propos dans un de ses articles sur le kwala lors de ses recherches sur les Ly�la en 1982-1983.
[ix] – Le professeur Schott a entendu de la bouche de membres des Bamouni de R�o-Essosso, qui a aussi pour susulu, la viande de tortue, une version semblable (voir�: ��Serments et voeux chez les ethnies volta�ques (Ly�la, Bulsa, Tallensi) en Afrique Occidentale�� - "Droit et culture" vol. 14, Paris 1987�: 34). Ces clans ont seulement, en commun, la th�riomorphie, en l’occurrence, la tortue. Pour le reste, ils ont des traditions diff�rentes comme les compensations matrimoniales de mariage, les devoirs envers le kwala etc.