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Des religions naturelles au mercantilisme...

L’�migration clandestine des Africains en Europe�

T�moignage d’une vaine tentative

dimanche 12 juin 2011, par Bamony (Pierre)

�migrer vers l’Europe, n’est-ce pas une pr�tention vaine�? Quel est le prix � payer pour tous ceux qui, malgr� des barri�res quasi infranchissables entre les deux zones du monde (Nord/Sud) osent braver le franchissement de tous les remparts�? Quelles sont les raisons fondamentales qui jettent tant d’individus, citoyens des pays du Sud ou de l’Est sur les routes de l’�migration�? Pour mettre un terme � ces drames devenus quotidiens au Sud de l’Espagne ou ailleurs dans d’autres contr�es de notre plan�te, il faut envisager un d�veloppement global soucieux d’�tablir, sur toute la terre, le plus d’�quilibre possible entre les croissances �conomiques et les responsabilit�s sociales. Un autre monde humain est possible si on le veut�: un monde plus juste, plus �quitable, plus durable, plus solidaire�; dont l’�conomie serait davantage compl�mentaire que concurrentielle.

Introduction

Tout le monde pourrait en convenir�: l’�migration
est un ph�nom�ne non seulement aussi ancien que l’histoire de l’Humanit�
elle-m�me mais toujours d’actualit�. Nul ne doute que c’est m�me gr�ce
� cette dynamique des populations humaines que la physionomie de notre plan�te
a �t� totalement boulevers�e, qu’on souscrive ou non � ce ph�nom�ne
[1]
.

Ce fait de l’histoire prend de plus en plus une
tournure diff�rente. Sans pouvoir y mettre frein r�ellement, une volont� se
dessine dans les pays dits du Nord pour emp�cher les habitants du Sud
d’entreprendre une telle aventure comme si l’on avait atteint une
organisation d�finitive de l’homme dans l’espace. N’est-ce pas une pr�tention
vaine�? Quel est le prix � payer pour tous ceux qui, malgr� des barri�res
quasi infranchissables entre les deux zones du monde (Nord/Sud) osent braver
le franchissement de tous les remparts�? Quelles sont les raisons
fondamentales qui jettent tant d’individus, citoyens des pays du Sud ou de
l’Est sur les routes de l’�migration�? Telles sont les quelques
perspectives que nous voudrions examiner dans l’�tude pr�sente.

I — Comment �viter l’�migration vers les pays du Nord�?

Dans nos investigations ant�rieures, notamment
dans To Eskhaton, le triangle de la mort, tout autant que dans <st1:PersonName
ProductID="La Solitude" w:st="on">
La Solitude
du mutant — �loge de la bi-culture
— (Thot, 2000 et 2001), nous avions d�velopp�
le concept d’�conomie compl�mentaire qui nous para�t plus positif et r�aliste,
voire valorisant que l’�conomie solidaire ou �quitable. Il nous semble que
les pays dits du Sud n’ont pas forc�ment besoin de mendicit�, ni de
solidarit� qui conf�re toujours le beau r�le aux hommes du Nord. Dans ce
type d’�change, l’autre, le producteur du Sud est encore dans une
position presque passive�: il attend que son partenaire veuille acheter
ses produits selon des modalit�s qui rel�vent de son bon vouloir. Il attend
presque tout de lui. Bien que cette d�marche soit g�n�reuse, si diff�rente,
par essence, de l’imp�rialisme inhumain du syst�me d’�change
capitaliste, il n’en demeure pas moins que le partenaire du Sud n’occupe
pas encore une position d’�galit� avec son partenaire du Nord. En ce sens,
la planification mondiale des �conomies des pays du Sud par
la Banque

mondiale et le FMI ne nous semble pas militer en faveur de ce concept d’�conomie
compl�mentaire. En effet, on ne peut concevoir que, par exemple, <st1:PersonName
ProductID="la C￴te" w:st="on">
la C�te
d’Ivoire soit d�j� un grand producteur de cacao - sachant que le march�
n’est pas extensible � l’infini - les m�mes institutions financi�res
encouragent et financent la production de la m�me culture dan un pays de
l’Asie du Sud-est comme l’Indon�sie ou encore les Philippines qui ont
d’autres sources de revenu plus importantes. En revanche, le cacao reste
encore la principale source de revenu de
la C�te

d’Ivoire.

Il
nous semble que ces banques
feraient preuve de plus d’intelligence en
favorisant dans les pays de l’Asie du Sud-est des produits qui manqueraient,
par exemple, aux pays africains et vice-versa. D�s lors, l’�conomie compl�mentaire
consiste � d�velopper des sources propres � divers pays et qui manqueraient
� d’autres, c’est-�-dire que leur climat indispose � exploiter
rationnellement et � les acheter au prix le plus convenable possible en
tenant compte naturellement des fameuses lois du march�. Ce qui serait r�el
pour l’agriculture pourrait l’�tre pour toutes les autres productions,
agricoles, commerciales, mini�res etc.�; l’exigence restant de les
acheter au prix du march� mondial et non de fa�on injuste comme on le fait
aujourd’hui pour les produits agricoles des pays du Sud et des pays du Nord.
Mais il existe une diff�rence qui est de taille�: les agriculteurs, par
exemple des pays du Nord, sont largement subventionn�s en cas de crise
majeure des prix agricoles sur le march� mondial, ce dont ne b�n�ficient gu�re
leurs concurrents du Sud. La souffrance humaine �tant la m�me, il n’y a
aucune raison qui justifie ce traitement de faveur les uns par rapport aux
autres.

Sans l’engagement de
l’humanit� future dans la perspective de l’�conomie compl�mentaire, on
sera toujours dans la logique de la concurrence commerciale qui est, par
nature injuste, selon les lois de la nature et non de la raison ou de
l’humanit�. D�s lors ce sont toujours les forts de fait qui gagnent. On
comprend ais�ment qu’encourager les pays du Sud, par exemple les pays
africains, � se d�velopper suivant la logique de l’�conomie occidentale
actuelle, n’a pas de sens. En effet, sur le plan de la production
industrielle, les march�s mondiaux sont d�j� satur�s. Qu’il s’agisse
des ordinateurs, des voitures, des avions�; des armes etc., il n’y a
plus ou presque plus de place pour de nouveaux producteurs. Et ceux qui sont d�j�
sur place se livrent � une concurrence � mort pour vendre ou placer leurs
produits au d�truit des autres. Les pays non industrialis�s
d’aujourd’hui auraient-ils autant de hargne, d’agressivit�, d’usage
de la raison menteuse, d’absence de cœur pour faire jeu �gal avec des
concurrents longtemps aguerris � cette lutte � mort contre leurs concurrents�?
Il est permis d’en douter.

Nos doutes se fondent sur la
connaissance de la plupart, par exemple, des peuples de l’Afrique
sub-saharienne. En effet, les hommes, quand ils ne sont pas encore corrompus
par la vacuit� du d�sir qui d�stabilise l’�tre l’humain, par le
tiraillement entre la finitude de sa nature et l’infinit� des objets de ses
d�sirs, peuvent encore s’en tenir aux bornes de leur essence. Or, tel nous
semble �tre l’�tat des habitants de ces pays que la civilisation occidentale
n’a pas encore transform� fondamentalement. Dans cette perspective, il est
essentiel de proposer des modes de vie qui tiennent de cette essence, de la
dignit� de la personne, suivant le concept philosophico- chr�tien, en
permettant aux hommes de vivre des conditions sociales et �conomiques d�centes.
Or, sans pr�tendre cr�er quelque chose d’absolument nouveau, il suffit de
prendre en compte le travail que les associations et les ONG accomplissent
aujourd’hui sur le terrain. Toutefois, pour aussi importantes que leurs
actions soient, elle apparaissent comme des rem�des provisoires qui ne
peuvent en aucune fa�on occulter la n�cessaire pens�e d’une �conomie
nouvelle, d�passement du capitalisme, source de tous les maux socio-�conomiques
des temps contemporains, en l’occurrence, l’�conomie compl�mentaire.

Plus que l’aide publique au d�veloppent des pays
pauvres, des investissements de pays � pays ou priv�s, les micros projets
des ONG et des associations sont de nature plus efficace. Celles-ci
travaillent de concert avec les populations locales, t�chant de les impliquer
dans l’acheminement � leur terme des projets, en ce que ceux-ci les
concernent en tout premier lieu. C’est ainsi que, sans l’action
remarquable des ONG et des Associations au Burkina Faso, les populations de ce
pays tr�s pauvre auraient certainement plus de difficult� de survie. Ces
organisations souvent philanthropiques s’activent dans les divers secteurs
de la r�alit� de leur vie�: cr�ation de puits pour la qualit� de
l’eau et de l’all�gement de la souffrance au quotidien des femmes
auxquelles �choit le transport d’eau, des m�thodes nouvelles culturales et
de r�tention des sols, de la rentabilisation de ceux-ci, construction d’�coles
primaires et de logements d’enseignants, des centres d’apprentissage des
techniques utiles sur place, des dispensaires etc.

Dans les pays du Sahel, on peut noter les efforts de
Maurice Freund, fondateur du ��Point-Afrique�� pour aider les
populations � se sortir de leurs probl�mes quotidiens de survie. A titre
d’exemple, � Gao, cit� situ�e au Nord du Mali, il a mis en place une
forme de tourisme qui ne consiste pas seulement � d�couvrir des paysages,
mais surtout � faire des rencontres avec les populations du pays ou de la
ville. Mieux encore, les populations de Gao acceptent volontiers le projet de
Monsieur Freund dans la mesure o� eux-m�mes prennent acte de la philosophie
de ce tourisme ��d�s lors qu’il est respectueux de notre identit�,
pour nous le tourisme solution[2]��
� leur isolement et une forme de d�veloppement � leur mesure. Un article de
CDT magazine d�crit l’atmosph�re de la ville qui a chang� depuis la cr�ation
du pont a�rien par Maurice Freund�:���D’octobre � mars,
tous les lundis � l’aube, c’est l’effervescence sur le tarmac de l’a�roport
de Gao. Une foule poussi�reuse et bigarr�e guette dans le ciel azur les
ailes de l’avion affr�t� par le Point-Afrique. Les agences du tourisme ont
d�p�ch� leurs repr�sentants, les artisans install� leurs �choppes. Les
enfants, en ribambelles d�braill�es, se pr�parent � r�clamer quelques
��cadeaux�� aux toubabs. Ils jouent � cache-cache avec quelques
policiers assoupis et finalement bienveillants qui tentent de limiter leur
ardeur.

Depuis cinq ans, la coop�rative cr��e par Maurice
Freund est la seule compagnie � desservir cette ville d�chue aux portes du d�sert,
ville terminus du fleuve Niger. A l’heure actuelle o�, dit-on, le monde est
un village, un avion qui se pose � Gao, cela peut para�tre anodin. O� est��
la performance����.

Toutefois, les hommes des pays du Sud n’attendent pas
toutes les initiatives de ceux du Nord. Dans l’ensemble des pays du Sud, en
Am�rique latine, en Asie, en Afrique etc., l’�conomie informelle
s’organise pour viser � plus de rentabilit� par une organisation qu’on
pourrait qualifier de plus rationnelle. Cette n�cessit� r�pond � des donn�es
nouvelles, cons�quences de l’imp�rialisme de l’�conomie lib�rale.
Outre l’exode massif qui se poursuit dans ces pays, on sait que, depuis une
quinzaine d’ann�es environ, les institutions financi�res internationales
(FMI et Banque mondiale), en voulant g�rer l’�conomie mondiale selon des
sch�mes r�gulateurs g�n�raux et simplistes impos�s par les technocrates
de l’�cole de Chicago, entre autres, ont contraint les pays du Sud � des
mesures draconiennes sans nuances aucunes pour des situations particuli�res.
Ces mesures de privations des soci�t�s publiques les plus rentables en
faveur des Fonds de pension occidentaux ont eu pour effet des licenciements
massifs, des coupes claires dans les budgets sociaux. D�s lors, des millions
de citoyens de ces pays d�sh�rit�s, pour survivre, n’ont pas eu
d’autres solutions que s’adonner au travail informel, lot quotidien
d’une vie de ��d�brouille���; d’autant plus que le
secteur formel n’a pu absorber le surplus de salari�s licenci�s. Ainsi,
dans les ann�es 1990, on a estim� que les revenus du travail informel �taient
sup�rieurs au taux du salaire minimum dans beaucoup de pays du Sud. Selon les
travaux de Jacques Bugnicourt, sociologue et pr�sident de l’ONG ENDA
(Environnement, d�veloppement action), les richesses g�n�r�es par l’�conomie
informelle sont en augmentation sensible. A titre d’exemple, en Afrique du
Nord, dans le produit int�rieur brut non agricole, la part de l’�conomie
informelle est pass�e de 23 � 27% entre 1990 et 1995, de 27 � 41% en
Afrique subsaharienne, et de 28 � 37% en Asie[3].

Vaincre la malnutrition doit constituer un autre enjeu
majeur pour le monde de demain afin de permettre � chacun, qui d�sire rester
chez soi, de le faire autant au Sud qu’au Nord. Mais il ne s’agit pas de
produire plus comme on a tendance � le faire dans les pays riches�: il
s’agit essentiellement de r�partir de fa�on plus �quitable la nourriture,
de lutter contre la mis�re chronique dans beaucoup de pays du Sud. On sait
depuis longtemps que le jeu dans les �changes agroalimentaires n’est pas
souvent en faveur des pays pauvres. On comprend ais�ment qu’il y ait plus
de 800 millions de personnes, dans le monde, qui vivent � la limite de la
famine
[4]
.
De m�me, il y a plus de 170 millions d’enfants qui souffrent de
malnutrition dans le monde�; et le continent le plus touch� par ce fl�au
est l’Asie. A titre d’exemples, l’Inde � elle seule compte davantage
d’affam�s que la totalit� de l’Afrique subsaharienne. Pourtant, si on
regarde l’�tat du monde actuel, on s’aper�oit que dans certaines contr�es
de notre plan�te, on parle volontiers de surproduction et de stocks qui n�cessitent
beaucoup d’argent pour leur simple conservation. A l’inverse, et � c�t�
de ce monde, beaucoup d’hommes ont en m�me temps faim. Mais, la r�solution
de ce probl�me qui incombe � chacun de nous, suivant notre niveau de
responsabilit� sur terre, ne peut se fonder sur la seule croissance �conomique
comme beaucoup d’�conomistes ont tendance � le penser. En effet, selon un
num�ro de CFDT magazine, ��la croissance n’entra�ne aucune r�duction
de la pauvret� et des in�galit�s�� contrairement aux dogmes et imp�ratifs
cat�goriques impos�es par le FMI et <st1:PersonName
ProductID="la Banque" w:st="on">
la Banque
mondiale. Pire, ��les valeurs des cours des produits agricoles, caf�,
bananes ou chocolat sont artificielles et d�termin�es par les pays riches et
les grands groupes internationaux. L’�conomie de march� et la production
n’agissent pas sur la diminution de la pauvret�. S’il n’y a pas un
minimum de mesures sociales, il n’y aucun d�veloppement possible[5]��

D�s lors, si l’on ne veut pas continuer � lire des
chroniques dans les journaux qui rapportent la fin tragique des candidats �
l’�migration en Europe, entre autres contr�es riches de notre commune plan�te,
il importe de penser autrement le cours du monde. ��Lib�ration��
du 20 janvier 2003 relate un de ces faits devenus routiniers�:���Au
moins 16 Africains, candidats � l’immigration clandestine, se sont noy�s
samedi pr�s de Tanger apr�s le naufrage du zodiac sur lequel ils voulaient
traverser le d�troit de Gibraltar. On compte trois survivants. Six immigrants
clandestins, dont on ignore la nationalit�, ont aussi �t� d�couverts
morts, hier, � bord d’une petite embarcation au large du sud de l’Italie��.
Tous ces hommes et ces femmes n’ont ni les moyens, ni le courage, ni la
volont�, ni la chance de survivre � l’aventure de l’immigration
clandestine et de repartir chez eux. Tel est l’exemple, que nous mentionnons
ici, de Ganam� Ousmane que nous avions rencontr� dans son pays au Burkina
Faso, au cours de l’�t� 2002, et qui avait bien voulu nous raconter son
aventure.

II - Un exemple de tentative avort�e vers la citadelle europ�enne�: une histoire r�elle

��Je
m’appelle Ousmane Ganam�, n� en 1975, de nationalit� burkinab�.

C’est le 13 d�cembre 2000 que j’ai tent�
d’aller en Europe, pr�cis�ment en Espagne. Les raisons qui m’ont amen�
� entreprendre ce voyage, � savoir quitter mon pays (le Burkina Faso) pour
l’Europe, sont nombreuses. Je vais essayer de vous les exposer bri�vement.
J’ai perdu mes parents quand j’avais six ans et je fus emmen� chez mon
petit oncle paternel. Ce dernier s’occupa de moi durant toute mon enfance et
mon adolescence. Ma vie y �tait soumise � dures �preuves�: je devais
travailler durement pour lui nuit et jour sans me reposer. Je faisais m�me
les travaux qui incombaient aux femme dans le partage des t�ches dans nos
soci�t�s. Mais, j’endurais sans rien dire et je supportais tout. Tel est
le sort d�volu aux orphelins ici.

M�me quand j’ai eu l’�ge de raison, je continuais
� souffrir toujours�; et mes conditions de vie s‘empiraient de jour en
jour au point de douter que j’appartenais au m�me sang que mon oncle qui
m’avait accueilli. Il maria ses propres fils du m�me �ge que moi et n�gligea
de me trouver une �pouse comme le voulaient nos coutumes. Malgr� tout, je me
soumettais toujours aux ordres de sa famille. Je ne cessais de travailler et
je ne pouvais m’attendre � aucune r�compense de sa part. Je ne pouvais
satisfaire � tous mes besoins et quand mes amis venaient � mon aide, je ne
pouvais rien leur apporter en retour.

Ainsi, un jour, un de mes amis me posa la question
suivante�:���aimerais-tu aller � l’aventure�?��
J’ai aussit�t acquiesc� et je lui m�me fait remarqu� que si cela �tait
possible, je n’h�siterais pas � m’engager. Cet ami poss�dait
l’adresse d’un correspondant, un de ses amis, qui vivait en Espagne. Or,
beaucoup de gens nous ont fortement influenc� par tout ce qu’ils ont
entendu � propos de la vie en Europe. Pour tous, l’on vit bien dans les
pays europ�ens, beaucoup mieux, dans les cas, qu’en Afrique. Pour certains,
il est ais� de devenir riche l�-bas. Mieux, si l’on a la chance de
travailler, il est possible de conduire parall�lement plusieurs activit�s
salariales � la fois. Ceci permet de s’enrichir et de revenir tr�s vite
chez soi. Pour d’autres, qui ne connaissaient non plus bien ces pays, m�me
si l’on revient avec une petite somme de francs fran�ais, la conversion en
francs CFA est toujours un gain consid�rable. Il a suffi de quelques exemples
pour me rendre compte de la valeur des sommes qu’on peut y acqu�rir. Ceci
renfor�a mon d�sir de quitter le Burkina Faso pour aller travailler en
Europe et peut-�tre pour m’y installer si la vie me souriait.

Sans
attendre outre mesure, nous entrepr�mes de nous organiser pour ce long
voyage, � la recherche de conditions de vie meilleures. Ainsi, nous aurions m�me
le plaisir de conna�tre beaucoup de pays africains et de d�couvrir un autre
continent, � savoir l’Europe. Mais le voyage ne paraissait pas aussi facile
que je le pensais. Je savais pertinemment que sans un passeport, ni visa il �tait
tr�s difficile pour les Africains d’entrer en Europe. Mais, j’�tais d�j�
obs�d� par le d�sir de l’aventure, de partir d’ici. Je ne disposais
alors que de <st1:metricconverter
ProductID="75�000 F" w:st="on">
75�000 F
CFA(114,34 euros).

Depuis le Burkina Faso, j’empruntais, avec mes trois
compagnons de fortune, les camions comme moyens de transport. Le Mali fut le
premier pays que nous avions travers�, jusqu’� Kayes, derni�re ville
malienne avant le S�n�gal. Nous y avions fait une halte d’une semaine
avant de poursuivre notre route � pied parce que nous ne disposions d�j�
plus assez d’argent. Au cours de notre chemin, nous cherchions quelque
travail � faire pour avoir un peu plus d’argent et poursuivre notre trajet
� bord des camions. Malgr� tout, nous p�mes atteindre le S�n�gal sans
trop de difficult�s. Et sans probl�mes, nous travers�mes tout le pays en
direction de <st1:PersonName
ProductID="la Mauritanie." w:st="on">
la Mauritanie.

Mais, en ce pays, ce fut une totale catastrophe. Nous y
avions connu des difficult�s �normes, l’amertume, des douleurs infinies.
Nous voulions traverser le pays jusqu’� Nouakchott. Nous �tions alors
condamn�s � rester dans une petite ville, en plein d�sert, en attendant
d’avoir suffisamment de renseignements quant � la poursuite de notre route.
Pendant ce temps, nous avions fini de d�penser le peu d’argent qui nous
restait. Les gens du pays voyaient bien que bien que nous �tions des �trangers
et nous �tions objets de tous les m�pris. En effet, nous n’avions pas le m�me
port de v�tements. En Mauritanie, tout le monde s’habille de fa�on
semblable�: un grand boubou (dr�a)
qui les couvrait de la t�te aux pieds. Les hommes enroulent un turban (aouli ou litham) autour de
la t�te pour ne laisser appara�tre que les yeux. Ils ont aussi coutume
d’avoir un exemplaire du coran � la main et le ��tassabi�� qui repr�sente une sorte de croix. Partout o� nous
passions, on nous rep�rait facilement en nous indexant. Si nous demandions �
boire, on nous le refusait. Quand nous achetions quelque chose, ils refusaient
de nous servir � manger. Pour eux, nous �tions diff�rents des habitants du
pays, Noirs ou Arabo-berb�res. Ils nous intimaient souvent l’ordre d’�ter
nos habits avant de manger. Puisque nous ne sommes pas des croyants musulmans
comme eux, nous n’avions pas le droit de manger dans le m�me plat qu’eux.
Parfois, il nous arrivait de passer deux ou trois nuits sans manger.

Pour survivre, chaque jour, nous nous repartissions les
villages autour de la petite ville o� nous avions �chou� � la recherche de
quelque travail. Nous ne nous retrouvions que le soir. Il nous arrivait
souvent de travailler mais sans �tre pay�. Mais nous ne pouvions pas porter
plainte contre ces employeurs parce qu’ils nous disaient que personne ne
nous avait appel�s chez eux. Et quand nous �tions pay�s, ils
s’empressaient d’encaisser les frais de voyage en camion. Cependant, comme
nous �tions fermement d�cid�s d’aller jusqu’au bout de notre projet, il
nous fallait subir la haine de ces gens et la mis�re au quotidien. Nous d�mes
rester deux mois en Mauritanie avant de poursuivre notre route. Pendant notre
long trajet, nous �tions parfois contraints de marcher pour �conomiser notre
petite somme d’argent afin d’aller jusqu’� destination. Nous f�mes m�me
arr�t�s par des autorit�s militaires qui nous soup�onnaient d’espionnage�:
nous serions des soldats de pays voisins r�fugi�s chez eux afin de commettre
des attentats. Mais ils finirent par comprendre que nous n’�tions r�ellement
rien d’autres que des aventuriers et nous lib�rer. Nous fin�mes tous les
quatre compagnons que nous �tions par arriver � Nouakchott, derni�re ville
avant de rentrer au Maroc.

Avant
de p�n�trer sur le territoire marocain, nous avions travers� les fronti�res
sans trop de probl�mes car les polices des fronti�res qui nous demandaient
de pr�senter nos passeports, que nous n’avions, n’insistaient pas outre
mesure. Mais, au-del� des fronti�res, c’�tait autre chose.

Car, au Maroc, notre situation s’aggrava. En effet,
quand il s’est agi d’aller jusqu’� la fronti�re du Maroc avec
l’Espagne, il nous fallu beaucoup discuter, n�gocier avec certains
policiers. Nous avions tout tent�, tout fait pour passer, mais nos efforts
furent vains. En fait, des hommes exigeaient que chacun de nous paie une somme
de <st1:metricconverter
ProductID="300�000 F" w:st="on">
300�000 F
CFA (457.35 Euros) afin de nous prendre en charge jusqu’en Espagne. Leur
solution d’acc�s � l’Europe �tait la suivante�: ils devaient nous
enfermer dans des conteneurs de marchandises jusqu’en Espagne. Comme nous ne
disposions pas d’une telle somme, nous n’avions plus aucun espoir
d’aller jusqu’au bout de notre aventure. Apr�s maintes r�flexions, nous
d�cid�mes de faire demi-tour. Toutefois, nous n’avions plus d’argent
pour assurer les frais du voyage de notre retour au Burkina Faso.

�Alors, il
ne nous restait plus d’autre solution que de travailler co�te que co�te.
Nous nous m�mes � la t�che et � travailler tr�s dur comme des �nes. Nous
nous contraign�mes � toutes sortes de travaux pourvu que ce fut r�mun�r�.
Ainsi, on creusait des caniveaux, on balayait les cours des gens ais�s, on
lavait les v�tements des familles et des c�libataires, on faisait la plonge
dans des restaurants. Parfois, on gardait les marchandises des commer�ants du
matin jusqu’au soir pour une somme d�risoire de <st1:metricconverter
ProductID="1�000 F" w:st="on">
1�000 F
CFA (1.52 Euro). Certains d’entre nos employeurs occasionnels nous donnaient
� manger en guise de salaire. En r�alit�, nous faisions l’exp�rience de
choses incroyables dans des conditions normales au point de nous demander
souvent qui nous avait pouss� � entreprendre cette m�saventure. Car nous
avions v�cu toutes sortes de mis�res l� aussi. Par exemple, on nous d�logeait
de notre mansarde parce que nous �tions incapables de nous acquitter du prix
de notre loyer. Il fallait nous alors soit dormir dans les rues, soit faire
les cents pas toute la nuit.

Toutefois, nous supportions tout cela afin de
rechercher l’argent n�cessaire aux frais de notre voyage de retour au pays.
Car nous avions fini par conclure qu’il valait mieux vivre en esp�rant que
de mourir en voulant � tout prix r�aliser ce qui �tait impossible. Voil�
pourquoi, nous avions d�cid� de retourner chez nous. D’apr�s un proverbe
de chez nous, ��rien n’est jamais trop tard ni vain si la vie se
prolonge��. Nous ne cessions de ressasser ce proverbe pour nous remonter
le moral. Nous pensions qu’un jour notre patience nous conduirait � la r�ussite.
Eu �gard � toutes les �preuves tr�s difficiles que nous traversions alors,
sans aucun r�sultat probant qui change en rien le cours de notre avenir imm�diat,
pourquoi chercher � r�aliser des ambitions utopiques�? Notre objectif
�tait d’aller en Europe pour acqu�rir de la fortune afin de revenir chez
nous pour mieux vivre. Mais fallait-il s’ent�ter � partir au point de
perdre sa vie dans cette aventure�? Il valait mieux revenir chez soi.

Si moi Ousmane Ganam�, j’ai abandonn� mon projet de
poursuivre ma route jusqu’en Europe, c’est parce que je veux toujours esp�rer
tant que je serai en vie. Je sais qu’un jour ou l’autre, la chance ms
sourira peut-�tre et je pourrais recommencer cette aventure ou un autre
voyage. C’est aussi parce que je suis illettr�; ce qui m’avait
d’ailleurs pos� de s�rieux probl�mes aux fronti�res des diff�rents pays
travers�s. Ainsi, je n’avais pas assez d’arguments solides pour me d�fendre
face aux questions des polices des fronti�res. L’on me posait des questions
que je ne comprenais pas. Alors, comment faire pour exprimer mes sentiments�?
Donc, retourner chez moi afin d’�viter de perdre ma vie �tait le parti le
meilleur que je pouvais prendre.

�Aujourd’hui,
revenu sain et sauf au Burkina Faso, apr�s m�res r�flexions et au vu des
souffrances atroces subies, tout compte fait, je ne pense plus recommencer une
telle aventure. Je ne voudrais plus retomber dans le m�me pi�ge
qu’auparavant. M�me si on m’en donne � nouveau l’occasion d’y aller,
je refuserais. Je pr�f�re finalement rester chez moi, vivre selon les moyens
dont je disposerais d�sormais. Je pr�f�re rester aupr�s de ma famille que
d’aller mourir tragiquement, mon corps livr� � la voracit� des poissons
de l’Oc�an. Je ne voudrais pas vivre un tel drame. Voil� pourquoi, je ne
pense plus y retourner un jour.

Si j’avais un conseil � donner � tous ceux qui
tentent encore d’aller clandestinement en Europe, je leur dirais ceci�:
il n’existe pas de lieu sur terre o� il n’y aurait pas de souffrances. M�me
aux �tats-unis, je pense qu’il n’y a pas de richesse qui d�passerait la
valeur que nos parents ont � nos yeux. S’ils vivent toujours, il vaut mieux
rester aupr�s d’eux. Et celui qui se porte bien, m�me s’il est pauvre,
vaut mieux que celui qui est riche mais malade. J’aimerais bien faire appel
� tous ceux qui tentent toujours d’aller en Europe afin qu’ils
comprennent les risques qu’ils encourent sur ce chemin p�rilleux et
qu’ils restent chez eux. Ils pourraient �tre fiers de ce qu’ils sont. Ce
n’est donc pas la peine de s’engager dans une aventure si dangereuse
sachant qu’on peut ne pas arriver au bout. S’engager souvent avec tous ses
biens et rentrer chez soi un jour totalement d�pouill�. C’est d�courageant,
d�sesp�rant m�me. Il vaut donc mieux garder sa fiert� en restant chez soi
et en consentant � vivre selon les moyens dont on dispose que de vouloir am�liorer
les conditions de sa vie en tentant d’aller o� on risque finalement de tout
perdre y compris sa dignit� d’�tre humain en raison des humiliations
qu’on nous fait subir.

Pour moi, cette aventure m’a fait tout perdre�:
j’ai vendu les deux v�los dont je disposais, mes ch�vres, mes poules et m�me
ma parcelle de terre acquise pour construire une maison. J’ai fait tout cela
pour pouvoir payer les frais de mon voyage en Europe. Aujourd’hui, revenu
chez moi sans fortune, avec mes mains vides, je n’ai plus que mes yeux pour
pleurer. Car je n’ai plus de parcelle de terrain constructible, ni de moyen
de locomotion. Cette situation, mon �tat pr�sent, est la cons�quence de ma
malheureuse aventure, de mes illusions perdues.��


�

Finalement, pour mettre un terme � ces drames devenus
quotidiens au Sud de l’Espagne ou ailleurs dans d’autres contr�es de
notre plan�te, il faut envisager un d�veloppement global qui soit soucieux
d’�tablir, sur toute la terre, le plus d’�quilibre possible entre les
croissances �conomiques et les responsabilit�s sociales. Un autre monde
humain est possible si on le veut�: un monde plus juste, plus �quitable,
plus durable, plus solidaire�; surtout un monde dont l’�conomie serait
davantage compl�mentaire que concurrentielle.

Pierre
Bamony, novembre 2005

Bibliographie

Livres

- Bamony, Pierre, To Eskhaton, le triangle de la
mort
- Essai d’anthropologie critique - Grenoble, Thot 2000, 559 p.
(www.editionsthot.fr)

- Bamony, Pierre, La solitude du mutant - �loge
de la bi-culture
(�tudes des rapports entre Fran�ais et Communaut�s �trang�res
� partir de ma propre exp�rience au milieu des Fran�ais. Cette perspective
s’apparente � une d�marche de “�sociologie participative�”),
Grenoble, Thot, 2001, 426 p. (www.editionsthot.fr)

Revues

- ��CFDT
Magazine�� n��264-Novembre 2000, n��269-Avril 2001

Hebdomadaires

- ��Le Courrier Afrique, Cara�bes, Pacifique,
Union europ�enne n��178




[1]

— On peut comprendre, m�me si on n’y adh�re pas, la r�action de
certaines personnes qui pensent que l’expansion de l’esp�ce humaine g�n�re
partout des effets mortif�res comme les d�sastres pour les autres esp�ces
vivantes et des d�solations pour l’environnement �cologique. Notre esp�ce
ne semble gu�re supporter la diff�rence, ce qui a �t� cause de sa
cruaut� dans le temps.



[2]

— CFDT Magazine n�269-Avril 2001

[3]
— In ��Le courrier Afrique, Cara�bes, Pacifique, Union europ�enne��
n�178.

[4]
— Selon un article de CFDT magazine (n��264, novembre 2000), m�me dans
les pays riches ou industrialis�s, on estime que 37 millions d’�tres
humains ��n’ont jamais, ou rarement, le ��ventre plein��.
Pour les sp�cialistes, il existe une v�ritable plan�te des affam�s,
parall�le � la plan�te de ceux qui mangent, effac�e mais partout pr�sente
sur tous les continents��.

[5]
— CFDT magazine, n�264-novembre 2000.