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La sorci�re, une construction mythique
dimanche 17 septembre 2006, par
Ce que l’on sait des sorci�res et du Sabbat provient de quelques religieux parano�aques qui puis�rent dans leurs propres d�lires les �l�ments d’accusation � l’encontre de certaines femmes, de la femme et du f�minin en g�n�ral. Ils reprirent en cela des repr�sentations du f�minin qui circulaient dans l’imaginaire depuis plusieurs si�cles… qui circulent encore.
Les holocaustes ont trouv� leur justification dans le d�lire de religieux parano�aques, dans des conflits politico-�conomiques que masquait le commerce avec le Diable, ou dans des aveux obtenus sous les tortures les plus sophistiqu�es. Le plus extraordinaire dans tout cela, c’est qu’il existe toujours, � l’heure actuelle, des ethnologues ou des historiens pour accr�diter la v�racit� de ces pratiques monstrueuses. M�me Marx s’�tait appropri�e l’id�e selon laquelle les Chr�tiens s’�taient livr�s � des pratiques cannibaliques. Or, Norman Cohn par un d�pouillage scrupuleux des documents d�montre que ni les h�r�tiques, ni les sorci�res n’�taient structur�s en secte et que rien ne permet de croire en l’existence des pratiques qui leur on �t� pr�t�es.
Les textes, sur lesquels se sont appuy�s les chercheurs, sont ou des faux, ou des amalgames de sources diverses. Ces derniers se sont laiss�s abuser par leur propre conviction, ou ont donn� des interpr�tations comme telles pratiques li�es au culte de la Nature qu’ils ne peuvent justifier. L’int�r�t ici, est non pas tant de traiter ces savants d’incapables, mais de voir � l’œuvre un imaginaire qui a aveugl� et aveugle encore.
Le rapport est complexe entre les croyances populaires et les textes �rudits, qui puisent souvent aux m�mes sources mythologiques anciennes, mais ayant diversement �volu� et qui s’influencent r�ciproquement.
L’anti-nature�: la d�g�n�rescence, l’ombre et le froid, le bouleversement des hi�rarchies, la d�composition
C’est du c�t� de ‘l’anti-nature’ que sera situ�e la sorci�re. L’‘aujourd’hui‘ des auteurs est d�sign� comme l’inverse du paradis perdu, et caract�ris� par la d�g�n�rescence, l’ombre et le froid, le bouleversement des hi�rarchies, la d�composition�: c’est ��un si�cle qui s’�croule��, un ��monde sur le soir descendant de son d�clin��,�[1] ��qui refroidit et descend sur son couchant���[2]. Les m�mes registres physiques serviront m�taphoriquement � d�signer les particularit�s m�taphysiques d’une �poque ��ou la malice des hommes grandit, la charit� se refroidit, tandis que surabonde toute l’iniquit� des sorciers.���[3]
La femme du monde m�di�val vue par l’Inquisition
De m�me que le Juif, la femme est alors identifi�e comme un dangereux agent de Satan non seulement par les hommes d’�glise, mais tout autant par les juges la�cs. Ce diagnostic a une longue histoire, mais il a �t� formul� avec une malveillance particuli�re — et surtout diffus� comme jamais auparavant gr�ce � l’imprimerie — � une �poque o� pourtant l’art, la litt�rature, la vie de cour et la th�ologie protestante paraissaient conduire � une certaine promotion de la femme. Encore un exemple de la transformation par la culture dirigeante d’une peur spontan�e en peur r�fl�chie.
L’attitude masculine � l’�gard du ��deuxi�me sexe�� a toujours �t� contradictoire, oscillant de l’attirance � la r�pulsion, de l’�merveillement � l’hostilit�. Le juda�sme biblique et le classicisme grec ont tour � tour exprim� ces sentiments oppos�s. De l’�ge de pierre � l’�poque romantique la femme a �t�, d’une certaine mani�re exalt�e. D’abord d�esse de la f�condit� et image de la nature in�puisable, elle devint avec Ath�na, la divine sagesse, avec la Vierge Marie, le canal de toute gr�ce. Cette v�n�ration de l’homme pour la femme a �t� contrebalanc�e au long des �ges par la peur qu’il a �prouv�e pour l’autre sexe, particuli�rement dans les soci�t�s � structure patriarcale. Une peur que l’on a longtemps n�glig� d’�tudier et que la psychanalyse elle-m�me a sous-estim�e jusqu’� une p�riode r�cente. Pour l’homme, la maternit� demeurera probablement toujours un myst�re profond et Karen Horney a sugg�r� avec vraisemblance que la peur que la femme inspire � l’autre sexe tient notamment � ce myst�re, source de tant de tabous, de terreurs et de rites, qui la relie beaucoup plus �troitement que son compagnon au grand œuvre de la nature et fait d’elle le ��sanctuaire de l’�trange��. Pour cette raison elle a �t� cr�dit�e dans la civilisation traditionnelle du pouvoir non seulement de proph�tiser, mais encore de gu�rir ou de nuire au moyen de myst�rieuses recettes. En contrepartie, l’homme s’est d�fini comme apollinien et rationnel par opposition � la femme dionysiaque et instinctive, plus envahie que lui par l’obscurit�, l’inconscient et le r�ve.
Les Erinyes, esprits femelles de la justice et de la vengeance, personnifient un concept tr�s ancien de ch�timent. Elles �taient n�es des gouttes de sang qui tomb�rent sur Gaia, la Terre, lorsque Cronos mutila Ouranos�; elle �taient donc des divinit�s chtoniennes. Selon une variante, elles furent enfant�es par Nyx, la Nuit. Leur nombre reste g�n�ralement ind�termin�, quoique Virgile, s’inspirant s�rement d’une source alexandrine, en d�nombre trois�: Alecto, M�g�re et Tisiphon� – respectivement ��l’implacable��, ��la malveillante�� et ��la vengeresse du meurtre��. | |
��L’esth�tique, c’est le p�ch�, c’est la femme en l’homme, c’est le serpent dans la femme.�� ��Les premiers co�ts – sunodoi – du m�le et de la femelle ont pour guide-initiateur la jouissance��. De opificio mundi, op. cit. Il ne faut pas ignorer que la jouissance, semblable � une courtisane, � une putain, concupisce de copuler avec un amant et cherche des entremetteuses qui le lui fassent harponner. Or, ce sont les sensations qui lui am�nent, en entremetteuses et prox�n�tes, l’amant. Une fois qu’elle les a prises au leurre, elle a t�t fait de subjuguer l’intellect. en faisant p�n�trer au dedans les apparences du dehors, elle les lui annoncent et les lui repr�sentent, imprimant en lui les empreintes de chacune d’elles et suscitant l’affect correspondant. Car l’intellect, semblable � une cire, re�oit les images qui lui viennent par les sens et c’est par elles qu’il saisit les corps. Pour Philon d’Alexandrie, est d�clar�e jouissance illicite, celle qui n’a pas pour finalit� la maternit�. Le serpent repr�sente donc la pire jouissance, la jouissance illicite. Philon le d�clare en toutes lettres�: ��Pour la femme, la jouissance est par elle-m�me souillure�� –mochth�ra. | |
Erinyes, Johan Heinrich Wilhelm Tishe�n, 1751-1829 |
C’est l’ambigu�t� fondamentale de la femme qui donne la vie et annonce la mort. Ce n’est pas un hasard si, dans beaucoup de civilisations, le soin des morts et les rituels fun�raires ont incomb� aux femmes. On les jugeait beaucoup plus li�es que les hommes au cycle — l’�ternel retour — qui entra�ne tous les �tres de la vie vers la le mort et de la mort vers la vie. Elles cr�ent mais elles d�truisent aussi. D’o� les noms innombrables de d�esses de la mort. D’o� les multiples l�gendes et repr�sentations de monstres femelles. ��La m�re ogresse — M�d�e est du nombre — est un personnage aussi universel et ancien que le cannibalisme lui-m�me, aussi ancien que l’humanit�.���[4] Inversement les ogres masculins sont rares. Derri�re les accusations port�es aux xve et xviie si�cles contre tant de sorci�res qui auraient tu� des enfants pour les offrir � Satan, se trouvait, dans l’inconscient, cette crainte sans �ge du d�mon femelle meurtrier des nouveau-n�s. � la sanguinaire Kali, r�pondait d’une certaine fa�on dans les mentalit�s hell�niques les Amazones d�voreuses de chair humaine, les Parques qui coupaient le fil de la vie, les Erinyes “effroyables”, ‘folles’ et ‘vengeresses’.
La peur de la femme n’est pas une invention des asc�tes chr�tiens. Mais il est vrai que le christianisme l’a tr�s t�t int�gr�e et qu’il a ensuite agit� cet �pouvantail jusqu’au seuil du xxe si�cle…�[5] Ainsi, le Moyen �ge chr�tien dans une assez large mesure additionna, rationalisa et majora les griefs misogynes re�us des traditions dont il �tait h�ritier…
La diabolisation de la femme
C’est � l’�poque de P�trarque que la peur de la femme s’accro�t dans une partie de l’�lite occidentale.
Les pr�dicateurs ne faisaient que monnayer et distribuer largement une doctrine depuis longtemps �tablie dans de savants ouvrages. Mais ils connurent, � leur tour, un rayonnement nouveau gr�ce � l’imprimerie. Le De planctu ecclesiae r�dig� vers 1330 fut imprim� d�s 1474, puis r��dit� � Lyon en 1517. Au livre II, l’article XV d�roule la litanie des reproches adress�s aux filles d’Eve. Bien s�r, ��la femme�� partage tous les vices de l’homme, mais elle a les siens propres, ainsi�:
1��: ses paroles sont mielleuses�;
2��: elle est trompeuse�;
3��: elle est reine de malice. Toute malice et toute perversit� viennent d’elle�;
4��: souvent prise de d�lire, elles tuent leurs enfants….
Les femmes sont des ��devineresses impies��, et jettent des sorts. Elles sont ��insens�e��.
L’antif�minisme cl�rical (les chefs d’œuvre de la litt�rature monastique)
In De contemptu feminae, Bernard de Morlas, xiie, moine de Cluny�:
��La femme ignoble, la femme perfide, la femme l�che
Souille ce qui est pur, rumine des choses impies, g�te les actions…
La femme est un fauve, ses p�ch�s sont comme le sable.
Je ne vais cependant pas d�chirer les bonnes que je dois b�nir…
Que la mauvaise femme soit maintenant mon �crit, qu’elle soit mon discours…
Toute femme se r�jouit de penser au p�ch� et de le vivre.
Aucune certes, n’est bonne, s’il arrive pourtant que quelqu’une soit bonne,
La femme bonne est chose mauvaise, et il n’en est presque aucune de bonne.
La femme est chose mauvaise, chose m�lement charnelle, chair toute enti�re.
Empress�e � perdre, et n�e pour tromper, experte � tromper,
Gouffre inou�, la pire des vip�res, belle pourriture,
Sentier glissant… chouette horrible, porte publique, doux poison…
Elle se montre l’ennemie de ceux qui l’aiment, et se montre l’amie de ses ennemis…
Gouffre de sexualit�, instrument de l’ab�me, bouche des vices…
Tant que les moissons seront donn�es aux cultivateurs et confi�es aux champs,
Cette lionne rugira, cette fauve s�vira, oppos�e � la loi,
Elle est le d�lire supr�me, et l’ennemi intime, le fl�au intime…
Par ses astuces, une seule est plus habile que tous…
Une louve n’est pas plus mauvaise, car sa violence est moindre,
Ni un serpent, ni un lion.
La femme est un farouche serpent par son cœur, par son visage ou par ses actes,
Une flamme tr�s puissante rampe en son sein comme un venin.
Elle se farde, elle se falsifie, elle se transforme, se change et se teint…
Trompeuse par son �clat, ardente au crime, crime elle-m�me…
Autant qu’elle peut elle se pla�t � �tre nuisible…
Femme f�tide, ardente � tromper, flamb�e de d�lire,
Destruction premi�re, pire des parts, voleuse de la pudeur,
Elle arrache ses propres rejetons � son ventre…
Elle �gorge sa prog�niture, elle l’abandonne, la tue, dans un encha�nement funeste.
Femme vip�re, non pas �tre humain, mais b�te fauve et infid�le � soi m�me,
Elle est meurtri�re de l’enfant, et, bien plus, du sien d’abord,
Plus f�roce que l’aspic et plus forcen�e que les forcen�es…
Femme perfide, femme f�tide, femme infecte.
Elle est le tr�ne de Satan, la pudeur lui est � charge�; fuis-la, lecteur.���[6]
La sorci�re�: ��m�dium qui participe des extr�mes��
Les premi�res pages du Malleus Maleficarum font �tat de l’existence d’un ordre social et naturel, manifest� par des distinctions et des hi�rarchies, ordre qui a �t� interrompu par une r�volte entra�nant le malheur et l’ali�nation. Les auteurs insistent � plusieurs reprises sur le fait que ��l’h�r�sie des sorci�res�� est un mal ��r�cent��, et renvoie le temps du bonheur � autrefois qui, — on ne s’en �tonnera pas — �tait proche de l’origine�[7].
Or, au sein m�me de la subversion d’une cosmologie jadis hi�rarchis�e, la sorci�re appara�t comme le signe m�me de la perturbation, de ce qui �chappe aux normes. Elle est inclassable, ni humaine, ni esprit�: elle est un ��m�dium qui participe des extr�mes���[8]. Elle fait communiquer ce qui devrait rester s�par�, et met au jour tout l’occulte�[9]. Tout en elle participe du n�gatif et de l’illusion. Son propre parcours mythique qui va du pacte avec le d�mon - qui structuralement peut-�tre consid�r� comme son ��mandant�� — � l’�preuve glorifiante de l’activit� mal�fique, en passant par le sabbat � la ��marque�� corporelle que lui inflige Satan, est investi par l’imaginaire, le leurre. Sa qu�te n’est qu’un reflet de celle de Satan, son corps n’est que l’instrument qui d�pend de la volont� de l’agent principal�[10]. Sans la spiritualit� du Malin qui a besoin, pour r�aliser des ��effets mal�fiques�� qui ne peuvent avoir lieu sans ��contacts��, d’un m�dium corporel, la sorci�re n’aurait pas de raison d’�tre. C’est dire que si le libre-arbitre de la sorci�re est engag� au moment du pacte, la ��volont� immuable fix�e dans le mal�� dont elle est gratifi�e�[11] ne peut �tre consid�r�e comme v�ritablement sienne. Ce n’est que la volont� du ma�tre � laquelle elle s’est offerte et li�e toute enti�re. Son activit� n’est qu’une activit� programm�e, ses pouvoirs ne sont qu’une ��honteuse servitude��.�[12] Le pacte lui-m�me, c’est-�-dire du point de vue de la structure mythique le contrat, est d�cepteur. Lorsqu’il conf�re � la sorci�re le r�le de destinataire�: elle reste mis�rable car les pr�tendues r�compenses du Diable sont illusoires. Les pi�ces d’or se transforment en pi�ces s�ches, les banquets du sabbat sont le plus souvent immangeables ou non nourrissants, la copulation diabolique plus douloureuse que plaisante et Satan finit m�me par abandonner sa victime � l’Inquisition ou, bien mieux, favorise sa perte.
Il convient donc d’�tudier de plus pr�s le rapport de la sorci�re au monde chtonien et � la mort.
La sorci�re et la mort
��Il y a plusieurs Isles, baladines et danceresses […] Or en ces Isles, particuli�rement au milieu de la mer, les Diables ont fait leur sabbat avec les sorci�res […] Ainsi le Diable a accoustum� de faire ses plus grands exploits des choses branslantes et croulantes de toutes parts, et inconstant qu’il est, il choisit volontiers pour faire ses assembl�es des Isles inconstantes��.�[13]
Les lieux li�s � la sorcellerie sont souvent des lieux � l’�cart, ext�rieurs � l’enceinte sociale�: montagnes, for�t… L’�le, espace mouvant qui peut �tre englouti, pr�figuration du continent noir.
Surgit l’�cho des grandes cosmogonies antiques�: la Nuit, la Terre, la Mer, principes de d�sordre, et engendrant des monstres ��� principe d’endormissement, d’envo�tement et d’ignorance���[14] comme les petits-fils de la Nuit, ou ��� principe de violence et d’agressivit�, de r�bellion et incapables de prendre des formes stables��, comme les monstres issus de la Terre-M�re ou des puissances marines. La Nuit elle-m�me sous sa forme de nuit paresseuse, est ��le nom mal�fique donn� chez H�siode � la femme qui refuse de c�der au r�gne du premier m�le, et de s’accoupler sous la m�diation de l’amour�: la reine refusant le partage, la m�re solitaire d’une lign�e mal�fique��.�[15] (quel bel amalgame�!!!!)
Le fantasme d’une soci�t� autre qui refuse la Cit� suscite chez ceux qui l’�voquent une r�action toujours ambivalente, ��horreur ambiguë » et ��fascination devant l’�pouvantable��, rapproche ainsi la sorci�re sur le plan de l’imaginaire d’autres traditions semi-mythiques�: les Luperques.
Dans cette optique, tout ��l’infra-humain�� que Norman Cohn impute � une psychologie de la pers�cution peut se trouver revendiqu� dans une construction l�gendaire, o� la sorci�re assume la position � la fois respect�e et redout�e de m�diatrice entre le monde des vivants et des morts.
Dans les romans m�di�vaux, les �les sont des lieux de passage vers un autre monde - souvent les enfers — o� vivent les morts et les divinit�s chthoniennes.
Un certain nombre de d�tails transcrits par les juges mettent la sorci�re en relation avec le monde des morts�: utilisation des cadavres, d’o� vient l’id�e que les sorci�res sont ordinairement puantes. Leur rapport avec les vampires, stryges, lamies ou autres hybrides incite � penser qu’elles sont con�ues dans la mythologie populaire comme des �tres fantastiques. Ni femmes, ni d�esses, ni vivantes, ni mortes, elles sont particuli�rement aptes � assurer le contact entre les deux mondes.
Les figures divines de Diane et d’H�cate ainsi que celle de Holda dans la mythologie germanique, elle aussi associ�e aux sorci�res, et plus ou moins assimil�e dans l’est de la France avec les deux premi�res, sont en relation � la fois avec la f�condit� et la mort. Toutes les d�esses-m�res sont ambivalentes, protectrices des agriculteurs et des nourrices, et li�es au monde infernal, dont Bakhtine et Gaignebet trouvent trace dans le baiser du derri�re du Diable�: ��les motifs et images relatifs � l’envers du visage, et au remplacement du haut par le bas sont li�s de la mani�re la plus �troite � la mort et aux enfers�� — parce que la mort est l’envers de la vie, et l’enfer l’envers du monde.
La popularit� litt�raire de M�lusine est li�e � la famille de Lusignan, tandis que son existence dans le folklore provient de son caract�re de b�tisseuse, de son appendice serpentin et des cris qu’elle poussa en s’envolant de Mervent�: ��Puis elle prit la direction de Lusignan, dans un tel bruissement –�esroiz�–, un tel tapage, qu’il semblait, partout o� elle passait, que c’�tait la foudre et la temp�te qui allaient s’abattre��. | |
L’existence des femmes-serpent est confirm�e par les Propos rustiques de No�l du Fail, parus en 1548�: l’auteur place une histoire de femme serpent dans le r�pertoire de Robin Chevet, un conteur de village actif entre 1490 et 1500.
Rabelais rapporte que la l�gende de M�lusine est bien vivante � son �poque, et trouve des gens pr�ts � jurer qu’elle ��avoit corps f�minin jusqu’aux boursavitz et que le reste en bas �tait andouille serpentine ou bien serpent andouillicque��. Une miniature des Tr�s riches Heures du Duc de Berry repr�sente la forteresse de Lusignan avec un dragon d’or perch� sur le donjon. Brant�me dit encore qu’on entendait M�lusine ��crier d’un cri tr�s aigu et effroyable par trois fois lorsqu’il devait arriver quelque grand d�sastre au royaume, ou un changement de r�gne ou une mort.�� (Œuvres compl�tes, L. Lalanne, T. V.�: ��Grands Capitaines Fran�ais��, 1869, p. 19) | |
Fair Melusine, Julius Hubner, 1806-1882. Il fit partie du groupe des Nazar�ens qui remit l’art religieux au go�t du jour. |
La sorci�re, comme les magiciennes antiques et les d�esses qui leur sont associ�es sont en relation avec la lune�; or, dans certaines traditions gnostiques et n�oplatoniciennes, la lune est consid�r�e comme lieu de transmigration des �mes des morts. (cf. Cyrano de Bergerac)
On retrouve �galement chez Boguet le reflet de la l�gende qui veut que les femmes pendant leurs r�gles soient mordues par un serpent lunaire, et que leur regard soit alors empoisonn�. Le serpent est un des �l�ments caract�ristiques du bestiaire de la sorci�re. Au-del� du rapport �vident � Eve, Boguet signale que les cheveux de sorci�res, enterr�s dans du fumier, produisent des serpents.
L’ambivalence des sorci�res est soulign�e par l’insistance des juges � d�noncer leurs pratiques comme sages-femmes�: ils les accusent de tuer, de vouer au Diable les nouveau-n�s qu’elles aident � mettre au monde. Mais d’autres faits qu’ils rapportent sans les comprendre, montrent aussi le lien de la sorci�re avec la f�condit�, avec la terre. Le M.S. t�moigne par exemple que le contact avec la terre permet � la sorci�re de prendre des forces, d’o� la m�thode d’arrestation qui consiste � soulever la sorci�re de terre�; et lorsqu’elles sont sur le point d’�tre br�l�es.�[16]
Les fonctions positives - naissance, gu�rison, d�sensorcellement — des sorci�res sont d’ailleurs tr�s souvent �voqu�es par les d�monologues, par exemple � propos de leur action sur la force g�nitale des hommes, qu’elles peuvent favoriser ou au contraire retirer, comme les d�esses-m�res.
La repr�sentation du sabbat o� l’on fait cuire des cadavres dans des chaudrons �voquent les rites de r�g�n�ration�: Dionysos, tu� par les Titans�; et aussi dans les rituels chamaniques rapport�s par M.�Eliade.�[17]
Il ne faut pas oublier que les maladies ont longtemps �t� consid�r�es comme des possessions, et que la sorci�re, ouvrant son corps aux d�mons, est particuli�rement apte � en d�livrer autrui. Un rapprochement s’impose encore avec les chamans�: celui d’une vertu psychopompe.
Peut-on � partir de ces indices avancer l’hypoth�se que la sorci�re est v�cue mythiquement comme m�diatrice avec le pays des morts et des divinit�s infernales, et par l� objet de respect autant que d’horreur�? Leur rapport au temps est ind�niable�: les sorci�res au fuseau sont les �quivalents des Moires ou des Normes germaniques, ma�tresses du destin, responsables des hommes qu’elles ont comme sages-femmes, aid� � mettre au monde. Elles interviennent comme gardiennes des rites dans les grands moments de l’existence.
L’utilisation et la manipulation de la mythologie antique
L’association des d�mons et sorci�res aux vents et aux tourbillons n’est pas sans rappeler certaines traditions mythiques qui ne seraient pas �trang�res aux croyances de l’ancien monde �g�en.�[18] Or c’est sous la forme de chevauch�es nocturnes, conduite par Diane, que les premiers textes des th�ologiens sur la croyance en la sorcellerie d�crivent le vol des sorci�res�:
��Certaines femmes sc�l�rates, retournant � Satan […] croient et professent que pendant les nuits avec Diane, d�esse pa�enne ou avec H�rodiade, et une innombrable tourbe de femmes, chevauchant des b�tes, elles traversent les espaces dans le calme des nuits, ob�issent � ses ordres, comme � leur ma�tresse absolue���[19], Diane dont on retrouve de nombreuses traces dans la tradition populaire, plus ou moins assimil�e � H�cate, d�esse des terreurs de la nuit, qui pr�side aux �vocations des morts.
Les r�unions des sorci�res �voquent ��l’arm�e spectrale de Dionysos��, les M�nades emport�es par le tourbillon de la danse. Dionysos, rapproch� de Diane, pr�sente dans certains rituels un aspect chtonien et infernal.
Le plus surprenant, pour nous mais manne pour le h�ros du futur, est que certaines femmes adh�rent enti�rement aux id�es de sorci�res qui volent, tuent et mangent les enfants. Elles t�moignent m�me en ce sens. Mais quelle signification donner � ce corps qui s’envole�?
��Les Benandante, comme ils le d�clar�rent eux-m�mes, � plusieurs reprises, faisaient ces exp�riences en �tat de catalepsie�: tout au long de la p�riode concern�e, ils gardaient le lit, immobiles et frapp�s de stupeur. C’�taient leurs esprits, disaient-ils, qui sortaient se battre�; en v�rit�, si l’esprit ne r�ussissait pas � revenir promptement, le corps mourait.���[20]
C’est une autre fa�on d’exclure une femme pr�alablement rep�r�e comme ��sorci�re�� de la communaut� humaine pour que s’exprime le message et de dissiper l’angoisse que provoquerait une trop grande proximit� de ‘l’Autre’.
[1]�— Henri Institoris et Jacques Spenger, Le Marteau des Sorci�res, p. 127 pr�sent� et traduit par A. Denet, Plon, 1973.
[2]�— Op. cit. p. 254.
[3]�— Op. cit. p. 153.
[4]�— W. Lederer, Gynophobia ou la peur des femmes, Paris, 1970, p.63-64.
[5]�— J. Delumeau, La peur en Occident, xive-xviiie, p. 313-317, Fayard, Paris 1978.
[6]�— Cit� par J. Delumeau, op. cit., p. 323.
[7]�— Malleus Maleficarum, p. 344.
[8]�— Op. cit. p. 141.
[9]�— Op. cit. p. 278.
[10]�— Op. cit. p. 148.
[11]�— Op. cit. p. 165.
[12]�— Op. cit. p. 127.
[13]�— De Lancre, Op. cit. p.18.
[14]�— Ibid.
[15]�— Cl�mence Raoux, ��Histoire d’un symbole — Histoire antique de la Nuit��, in Cahiers internationaux du symbolisme n�3, 1967.
[16]�— Op. cit. p. 557.
[17]�— Le Chamanisme et les Techniques archa�ques de l’extase, Paris, Payot, 1951.
[18]�— Jeanmaire, Dionysos, Paris, Payot, 1951, p. 270.
[19]�— Canon Episcopi, ant�rieur au ixe si�cle. L’Eglise niait alors l’existence de sorci�res.
[20]�— Normann Cohn, D�monol�trie et sorcellerie au Moyen �ge, op. cit. p. 263.
Messages
1. La sorci�re, une construction mythique, 8 octobre 2006, 09:50, par Yvette Reynaud-Kherlakian
Vos analyses d�m�lent avec brio l’enchev�trement des causes qui ont produit la repr�sentation de la femme-sorci�re.
En les lisant , j’ai pens� au tr�s beau film de Carl Dreyer, Jour de col�re qui sugg�re aussi une face subjective du r�le de sorci�re lequel met certes la femme en danger de mort mais l’arrache � la passivit� � laquelle la voue le m�pris de Dieu et des hommes.La sorci�re a bien pu �tre , pour certaines femmes, un mod�le fascinant et exaltant.
Ce qui n’infirme en rien vos dires qui m’ont beaucoup appris. Merci.