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Le Salon 2006 de la S.N.B.A., Soci�t� Nationale des Beaux-Arts, ouvre ses portes au Carrousel du Louvre, du 14 au 17 d�cembre 2006 sous le Haut Patronage de Jacques Chirac et avec le parrainage de Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres, Ministre de la Culture et de la Communication. Un hommage particulier sera rendu � Lador�-Lejeune (1932-1996) et � Lee Kwang-Ha, artistes-peintres. Invit�s d’honneur�: Humblot (1907-1962) et Avati, artistes-peintres.
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Le Salon exposition 2006 de la soci�t� Nationale des Beaux-Arts, a ouvert ses portes au Carrousel du Louvre. Il c�l�bre l’esprit des artistes visuels travaillant et cr�ant aux quatre coins du monde. Tous essayent d’exprimer leurs visions, leurs cultures, et id�es. Ces artistes, souvent ind�pendants, ne font partie d’aucun groupe ni �lite. En d�calage avec le syst�me des galeries et des mus�es, ils ont le m�rite de pers�v�rer dans leur m�tier. L’art visuel est une anomalie dans le monde d’aujourd’hui. Faire des choses � la main, chercher la beaut� ou le sens, participent de l’acte r�volutionnaire le plus ancien et le plus moderne. Le Salon d’exposition, regroupant le travail d’une centaine d’artistes, devient l’apoth�ose de l’esprit humain qui d�fie la violence, le nihilisme, la commercialisation et les id�ologies r�pressives de notre temps. Cependant, comme toujours, lorsque les nations, les fronti�res, les relations internationales entrent en jeu, les questions deviennent complexes et le royaume de l’art hors de port�e.
L’art id�al devrait garder ses propri�t�s, �tre loin de toute intrigue et des consid�rations politiques, cependant nous ne sommes pas isol� du monde et nous appartenons � des groupes appel�s citoyens. Nous sommes tous des citoyens.
Pierre L�vy �crit comment nous nous identifions�: le sexe, le nom, l’�ge, l’adresse, l’occupation et maintenant l’adresse �lectronique. Chacun de ces crit�res d’identification nous localise dans le monde. Nos histoires personnelles et nationales sont li�es et unies. Internet a consid�rablement chang� les relations sociales, nous donnant une identit� et une localisation d�passant les fronti�res nationales et existant en dehors de l’espace r�el. Il permet de nous engager dans une meilleure communication et d’acc�der � chacun d’entre nous comme cela n’a jamais �t� possible auparavant. Il am�ne aussi tous nos probl�mes et questions au premier plan, au devant du monde, o� nous nous retrouvons en train de participer au fameux r�cit historique. Les histoires personnelles des artistes sont entrelac�es dans ces drames, comme au spectacle pour ainsi dire.
L’histoire de la d�l�gation Turque est instructive quant � la fa�on dont l’art refl�te ces changements. Ce qui n’�tait autrefois que soucis locaux, est d�sormais vu globalement et maintenant tous s’av�rent reli�s entre eux.
La D�l�gation Turque
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Photo de droite, Nurhilal Harsa avec des artistes de la d�l�gation turque.
Nurhilal Harsa, une artiste turque d’Izmir, ville du sud de la c�te d’Eg�e, a commenc� � peindre apr�s une vie critique et a travaill� pendant des ann�es assid�ment, en d�veloppant son habilet�. Ses tableaux ont de nombreux th�mes, dont l’un est le r�le de la femme dans la soci�t� et son exp�rience d’�tre une femme. Elle expose son �me � travers des autoportraits sensibles, expressifs. Son travail est un expos� f�ministe, pourtant elle me parle d’une clart� stridente que chacun d’entre nous voit lorsque nous regardons dans un miroir. Madame Harsa �tait en train de chercher des salles pour son travail quand son jeune fils, �tudiant de fran�ais, a pris contact avec le directeur de la Soci�t� Nationale des Ecoles via Internet. Le directeur a aim� son travail et l’a recommand�e � la S.N.B.A. Apr�s des ann�es de participation en solo dans leur exposition annuelle, elle a demand� � former la D�l�gation Turque. Durant ces deux derni�res ann�es elle s’est consacr�e � la recherche d’artistes auxquels elle a prodigu� des conseils afin que leur candidature soit approuv�e par la soci�t� dans le but de participer � l’exposition. Avant Internet, cette histoire aurait �t� tr�s inhabituelle, elle est maintenant plus commune. Mon propos est bas� sur ces changements de l’acc�s � l’art. � travers son travail difficile et sa persistance nous pouvons voir le travail d’artistes Turcs qui nous �taient inconnus auparavant.
Les dix artistes de la d�l�gation Turque, organis�e par Nurhilal Harsa, forment un groupe de professionnels accomplis. La plupart des membres du groupe sont connus dans leur pays. Ils travaillent g�n�ralement l’expression moderne, en dehors de Korkut qui peint � l’huile dans le style �uvre de ma�tre, en utilisant le d�grad�, les vernis et l’image r�aliste. Le contenu de son travail est tr�s puissant. Ses tableaux sur les yeux de Mustafa Kemal Atat�rk, le fondateur de l’�tat moderne de Turquie, sont per�ants et profond�ment �mouvants. Ils sont un hommage et un avertissement � la Turquie. En rem�morant cet homme, l’intensit� de son visage et de ses yeux, l’honneur et le tragique, les Turcs doivent se souvenir de ce qu’il a voulu dire. L’histoire et la vision d’Atat�rk r�sonnent en moi comme une figure historique particuli�rement importante pas seulement pour sa nation mais aussi pour d’autres.
Les images personnelles deviennent politiques dans le contexte des �v�nements historiques.
� la fin de la premi�re guerre mondiale, la Turquie, le centre de l’Empire Ottoman, tombe en ruines. L’Empire s’�croule sous le poids du pass�, l’assaut de modernit�, le r�glement despotique du sultan, les mauvaises alliances, la bureaucratie m�diocre et incompr�hensible qui n’�tait pas capable de s’adapter aux changements du monde. Il est int�ressant de noter que l’Empereur �tait aussi le sultan et le calife. Il d�cidait non seulement du r�glement politique mais aussi spirituel.
L’une des principales ambitions d’Ousama Ben Laden et des Islamistes radicaux est de restaurer le Sultanat et le Califat. C’est l’un de leur premier principe. Au contraire, Atat�rk (�galement musulman, bien s�r) a destitu� le Sultan, a mis fin au Califat et a entra�n� la Turquie dans le monde moderne. Il est, selon mon point de vue, l’un des plus grands leaders politiques du XXe si�cle. C’�tait un soldat d’une grande habilet� strat�gique et son charisme de leader a inspir� ses compatriotes dans la guerre et dans la paix. Il a battu les puissances occidentales, et toutes celles qui tent�rent de morceler la Turquie dans le chaos de l’apr�s guerre - Premi�re guerre mondiale. Il a utilis� le capital politique de ses succ�s militaires pour cr�er l’�tat moderne de Turquie. Il a cr�� une r�publique avec des �lections libres, a �mancip� les femmes, institu� l’�ducation obligatoire et a construit une infrastructure industrielle. Il aurait pu prendre le pouvoir pour des fins personnelles et pour sa gloire, mais il a cr�� des structures gouvernementales pour assurer la perp�tuation de la d�mocratie la�que de l’�tat Turc et pour assurer le d�veloppement de son pays. Pendant mon voyage en Turquie j’ai vu son portrait partout. J’avais d�j� entendu parler de lui mais je ne connaissais rien � son sujet avant ma visite. Beaucoup de turcs craignent aujourd’hui que l’�tat la�c qu’il a fond� soit en danger � cause des extr�mistes. Je pourrai �tre accus� de mysticisme mais je crois qu’Atat�rk avait une bonne vision du futur. Il connaissait le r�le que la Turquie aurait � jouer en s’opposant aux tendances totalitaires et r�actionnaires dams l’histoire du monde. Elle est aujourd’hui une force mod�r�e dans le monde musulman et l’a �t� depuis sa fondation. La Turquie est aussi une nation en changement perp�tuel. Elle ne s’est d�racin�e que r�cemment de son pass� m�di�val. La Turquie a lutt� pour maintenir une soci�t� d�mocratique progressive. Bien que les traditions, les m�thodes, la technologie et le mode gouvernance occidentaux aient �t� adopt�s, il y persiste encore des influences du pass�. La Turquie a longtemps �t� d��ue par le manque d’encouragements venus de l’ouest. C’est une nation qui est d’une importance capitale. C’est un bastion, une �le d’humanisme dans une mer de conflits religieux et tribaux. Le r�le de l’islam, et ses relations avec nous, est devenu un sujet de pr�occupation important pour le monde occidental. Malgr� ces conflits, ou peut-�tre � cause d’eux, les arts en Turquie sont matures, voire florissants. C’est une soci�t� ouverte � cheval entre l’Europe et le Moyen-Orient et elle rel�ve des deux cultures. L’art se d�veloppe en des temps de stress, de friction et de changement. � l’ouest, apr�s le 11 septembre, il s’est produit un grand changement dans notre attitude de sup�riorit� culturelle. Nous observons avec anxi�t� comment l’Islam nous affronte et s’affirme. La Turquie aussi, comme �tat la�c avec des bases islamiques fortes, n’est pas �trang�re � ces probl�mes. Les artistes de la d�l�gation Turque, qui travaillent dans diff�rents m�dias, font passer leurs messages personnels qui refl�tent leur exp�rience. Ceci ne signifie pas que le travail est directement politique mais le contexte ou leur r�alit� devrait d�noncer notre perception de l’art. Le travail de chaque artiste n’est pas seulement int�ressant du point de vue esth�tique mais il est aussi r�v�lateur d’un discours dans lequel nous avons d� �galement nous engager pour le meilleur et pour le pire. Nous devons observer avec attention leur travail.
Akin Yildirim et Kemal Uludag sont deux sculpteurs de la d�l�gation. Les deux ont, selon mon point de vue, des tendances surr�alistes. Yildirim incorpore le m�tal et principalement le cuivre. Son travail est figuratif et les abstractions tendent vers le fantastique, le romantique et m�me le macabre.
Ses �uvres dans l’expos�, ��Visages�� et ��La Trace�� ont toutes deux un ancien look qui est tr�s d�concertant. Leurs pr�sences rappellent des objets fa�onn�s d’un certain milieu lointain de la culture orientale. Ce sont tous deux des objets myst�rieux et obscur�ment magiques qui ont des liens avec le mysticisme et l’inconscient.
Le travail de Kemal Uludag, en c�ramique, semble comme du liquide transform� en solide. � sa vue, je me suis rappel� des photographies de microstructure.
Les �uvres ont aussi une r�f�rence figurative subsum�e � l’int�rieur d’une structure plus large. Je suppose que les deux sculpteurs r�v�lent le conflit psychique des cultures qui font partis de leur h�ritage. Le surr�alisme fait surface lorsque l’inconscient se montre malgr� la structure de notre ego protecteur. Le changement, le stress, les d�sirs psychiques profonds peuvent alimenter ces images, presque comme dans un r�ve.
Le troisi�me sculpteur, Sel�uk Yilmaz, a r�alis� un travail tr�s int�ressant avec une vari�t� de mat�riaux aussi bien abstraits que figuratifs. Son travail est tr�s sophistiqu�. Il est spirituel mais aussi myst�rieux. Une de ses �uvres repr�sente la t�te d’un cheval de mani�re classique�: �trange et �vocateur. Le cheval semble musel� mais il est envahi par une puissance r�prim�e. C’est magique. En d�crivant son travail il mentionne la relation entre le pass� et le futur. Son travail est chamanique. Je suis d’accord avec lui, le pass� et le futur semblent comme des embrasures de portes. Peut-�tre � cause de l’anxi�t� du pr�sent, il cherche � conna�tre ce qui �tait et ce qui sera. Serdar Leblebici, un peintre, a �galement une tendance surr�aliste. Ses tableaux sont � califourchon sur beaucoup de monde. Ce sont des abstractions. Ce sont des paysages. Ils contiennent des images r�alistes. Ils changent d�s que quelqu’un les regarde. Ils r�v�lent une sensibilit� postmoderne. Ils sont bizarres mais ils ne le montrent pas au premier coup. Ils vivent aussi dans des �tats semi conscients, comme le travail de quelques artistes que je viens de d�crire. Ils disent que la Turquie est un pays d’�normes contradictions. Je pense que les quatre artistes qui viennent d’�tre d�crits les ont construits.
Semih Kaplan, Ahmet R�st� Dogan, Hakan Esmer et Saime Hakan D�nmezer sont des peintres tr�s talentueux. Leurs travaux n’ont pas l’angoisse montr�e par certains des autres artistes de la d�l�gation. Semih Kaplan montre de beaux tableaux de poissons cr��s avec textures, textures qui se montrent comme du r�alisme. Ils ont un air oriental et montrent un bon sens de l’observation. Ahmet R�st� Dogan peint des paysages et des sc�nes de rue qui renferment chaleureusement la vie Turque. Ils sont remplis de lumi�re et de joie. Ils r�v�lent un autre c�t� de la vie turque. C’est une culture de chaleur et d’hospitalit�. La sensualit� et la beaut� sont appr�ci�es. Voir des choses de cette fa�on demande un �tat de conscience d�gag�, des yeux ouverts et un c�ur ouvert.
Les travaux de Hakan Esmer sont des abstractions fort bien structur�es, magnifiquement r�alis�es. Ils �voquent beaucoup de possibilit�s, ils sont une figuration qui cr�e un espace embaum� en eux. Ils sont synth�tiques et pourtant, ils semblent �galement interrogateurs et humanistes, rappelant la mani�re dont Picasso et Braque n’ont pas totalement d�truit le sujet aux d�buts du cubisme. Ils sont �galement myst�rieux, sugg�rant beaucoup plus qu’ils n’expriment. Saime Hakan D�nmezer peint des arbres et laisse comme un motif et un fragment. Les arbres coupent en deux les toiles. Ils deviennent des sujets se pr�sentant en dehors du paysage. Si les arbres pouvaient parler que pourraient-ils dire�? Je grandis, je vis, je suis, je reste debout...
La d�l�gation turque occupe l’une des sections les plus en vue de cette exposition. Dans le pass�, beaucoup de participants ont jou� sans risque, se contentant d’envoyer de jolis travaux qui ne vexaient pas, ne posaient pas de questions ou ne heurtaient pas les sensibilit�s. Un vrai travail d’art doit �tre plus qu’un kitsch. Il doit plus sonder la profondeur que la surface. La beaut� est importante. Mais la beaut� sans contenu ni sens est vide. Nous acceptons souvent des remarques polies plut�t que de nous engager dans des conversations honn�tes. Tous les artistes Turcs sont enti�rement engag�s dans leurs travaux qui sont en contraste avec ceux d’autres artistes qui prennent moins de risques.
Quant � mon impression concernant toute l’exposition, certains critiques la d�crieront pour les raisons m�mes qui me font la trouver fascinante. L’une des grandes critiques qui peut �tre faite � l’encontre d’une telle exposition est le d�s�quilibre qui existe entre les �uvres expos�es. Souvent ce qui, de nos jours, est appel� le grand art se confond avec la mode, la c�l�brit� ou le sensationnel. Je visite beaucoup d’expositions de galeries ou mus�es et j’en repars vide et abasourdi. On nomme souvent ��bon art�� parce qu’un expert l’a affirm�. Les cultures occidentales c�l�brent le g�nie mais pas le contexte ou l’exp�rience contextuelle. La lutte et les m�thodes des artistes du monde entier expliquent leur travail, rendent fascinant et excitant.
Je me rappelle d’une histoire qu’un ami, homme de th��tre, m’avait racont�e � propos des grands directeurs, acteurs et enseignants am�ricains, Harold Clurman et Stella Adler. Ils �taient venus dans leur compagnie de th��tre qui d�butait leur premi�re production. L’endroit �tait dans un d�sarroi complet la veille de l’ouverture. Mon ami et sa compagne �taient d�courag�s et confus envers ce couple qui tenait le premier r�le dans leur pi�ce. Lorsque Clurman a entendu leur humiliation, il a cri� ��De quoi parlez-vous�? Ceci est le th��tre�!��. Ce qui, en d’autres mots, revient � ce qui est dit ici�: prendre le risque. Les couples se sont lanc�s et ont aid� les jeunes acteurs.
Le chemin est le m�me pour l’art visuel. Il y a de nombreux excellents artistes dans cette exposition et peut-�tre beaucoup de travaux banals et m�diocres en comp�tition dans un march� d’id�es et d’imagination. Ces expositions sont un bazar, un confluent cr�ant une zone autonome provisoire tel le d�crit le philosophe contre culturel Hakim Bey.
L’exposition a lieu dans un mus�e mais les travaux expos�s sont ext�rieurs au domaine d’un mus�e traditionnel. Ils n’ont pas � �tre sacralis�s ou canonis�s. Il est merveilleux que cette exposition soit tenue au Louvre. L’exposition devient pour moi une action situationniste. Elle emporte les artistes � l’ext�rieur du canon des enceintes sacr�es du mus�e, sans avoir recours � des experts. Les situationnistes ont voulu changer la conscience en cr�ant des espaces publics qui pouvaient encourager le dialogue, l’interactivit� sociale et la libert�. Ce salon d’exposition change l’espace social du mus�e. Ouvrir les portes, laisser entrer la lumi�re. Les artistes travaillant dans la solitude, sans renomm�e, luttant pour rester � la surface, peuvent se relever avec fiert�. Laissez vos yeux �tre juges, sans id�es pr�con�ues, calculs ou pr�jug�s.