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L’inceste psychologique


Faut-il craindre les contenus de ses fantasmes�? Surtout lorsqu’il s’agit d’inceste. Nous aborderons la question � travers une s�rie d’articles consacr�s � cette question. Nous y d�couvrirons que loin de se restreindre � la sph�re personnelle, certains signes de l’imaginaire laissent penser que notre culture est �branl�e...

Communiqu�


Sur dix de vos amis, trois ont subi des violences dans l’enfance. Parfois durant plusieurs ann�es.

Ils n’en parlent jamais�? Cela vous �tonne�? Pas nous�!

Vous avez d�j� entendu parler de la p�docriminalit�, la presse en fait ses Unes mais, connaissez-vous cette violence sourde que l’enfant subi, souvent de l’un de ses parents�?

Parlez-en autour de vous, aidez-nous � lutter contre l’inceste, la p�docriminalit� ordinaire, celle qui existe en sourdine, dans les familles.

Sur les forums auxquels je participe, par mail ou de vive voix la question du fantasme agent est souvent pos�e, Le fantasme, le r�ve ont-ils une implication dans la r�alit� physique objective�? Doit-on craindre les fantasmes et toutes les fantaisies de l’imagination�? Pourquoi ne pas voir alors dans les r�ves une pr�figuration de notre propension au mal ou � la morbidit�? Le r�ve serait-il porteur ou incitateur d’un passage � l’acte�?

Certains se sont appuy�s sur les r�ves d’enfant pour assurer que celui-ci cultivait une certaine propension � la perversit�. L’enfant pervers polymorphe de Freud�! Que de litt�rature vaine en plus d’un si�cle pour tenter d’estomper une telle aberration psychologique�! Mais les fausses v�rit�s sont plus coriaces que le chiendent�!

Dans une soci�t� o� tout doit passer au filtre du contr�le conscient, il est �vident que le r�ve, sous son aspect volatile et inconstant pose probl�me. Voil� un insecte bien capricieux et, pourquoi pas, dangereux, compagnon du diable en quelque sorte.

Si nous r�duisons la dimension du r�ve � la r�alit�, bien s�r tout est � craindre. Mais qui pourrait contr�ler ses r�ves et l’activit� de son imaginaire au point d’en faire un mod�le de convenance�?

St Augustin qui faisait des r�ves torrides convenait qu’il n’avait pas d’influence sur eux, il en d�duisait donc qu’il ne fallait pas tenir compte de leur contenu au plan de la r�alit�,

Mais dans ce jeu entre le JE qui r�ve et cet autre qui parle � travers eux, de quoi parle-t-on�? Qui est JE�? Non pas qui suis-je mais au pr�alable qui est cette entit� JE�?

Dans nos soci�t�s JE invente, fabrique, contr�le, mesure, diss�que et m�morise tout�! JE para�t au centre et la p�riph�rie. Se nomme ainsi la Conscience, propri�t� de l’Homme blanc, elle se veut universelle et propri�taire de toute forme de connaissance. Si l’ethnologue conna�t bien la tendance ethnocentrique de l’Homme Blanc du Nord, le psychologue, lui, n’a pas encore int�gr� l’incontournable relativit� de son savoir, �dipe�? Complexe universel�! L’inconscient poubelle de l’histoire individuelle, certitude universelle�! En quelque sorte, tout ce qui surgirait hors de la conscience serait un pur produit de�la Sch�ol, anc�tre de l’enfer. La cr�ation, la facult� d’invention�? Des avatars opportunistes de quelques r�sidus de poubelle, des co�ncidences fructueuses�!

De tout temps les humains ont invent� des cosmogonies qui permettaient, un moment donn�, de rendre une coh�rence au monde. Mais fallait-il encore que ces cosmogonies soient op�rationnelles, qu’elles collent aux faits d’une part et qu’elles les anticipent d’autre part.

Si nous souscrivons � l’id�e d’un JE dominateur, dot� d’une Conscience universelle et que nous regardons le monde alentour, l’id�e diabolique nous prend alors de douter que tout cela soit coh�rent...

Du point de vue du Diable

Inspir� par un Diable imaginaire, supposons donc que notre conscience ne soit plus au centre de tout mais le simple outil d’un Autre qui reste � d�finir. Cela suppose qu’il existe une instance qui dicte ou cherche � dicter des contenus et des actes � la Conscience outil. Quid alors du fantasme cruel et meurtrier qui me d�montre que mon voisin est un dangereux pr�dateur�?

La loi simplement�! En tous lieux les Hommes ont �dict� des lois pour tracer une limite entre ce monde et celui de l’Autre. Certaines choses sont interdites, cela d�pend des lieux et du temps mais il existe des interdits qui durent, que tous les peuples du monde ont adopt�s. L’interdit de l’inceste semble �tre le seul... � quoi servirait donc cet Autre qui parle au travers de nos fantaisies imaginaires ou dans nos r�ves�? Et si cet Autre avait besoin de JE pour exprimer, inventer, cr�er et transformer le monde alentour�? Pour le mieux ou pour le pire�? Le pire diraient les int�gristes du contr�le de�la Conscience�! Le mieux diraient d’autres, � condition de tisser une alliance entre l’Autre, ses monstruosit�s, ses outrances et sa puissances et JE qui serait alors seul juge de l’opportunit� de la mise en place d’un diktat venu d’ailleurs.

Voil� JE, outil mais �galement instance de discernement entre la loi int�rieure et la loi des humains,

Pour ce qui touche � la transgression du tabou de l’inceste et � la p�docriminalit� cette relation, cette alliance entre la conscience et son �thique et les forces de l’Autre, s’av�re alt�r�.

Le point de vue du Diable �chappe � celui de la Conscience qui contr�le mais il se pourrait fort bien qu’il soit plus op�rationnel et porteur d’invention qu’il n’y para�t.

Dans la mise en place nous avons les acteurs suivants�:

La Conscience, le Moi-JE,

L’imaginaire que d’aucuns nomment Inconscient,

La loi.

Nos deux derniers acteurs d�finissent chacun un espace�:

La loi d�finit un espace commun dans lequel la vie est possible en toute harmonie, dans un r�seau d’�changes fond�s sur les sentiments. Lesquels d�finissent deux grands secteurs d’exercice du sentiment�: l’alt�rit� et l’altruisme. Pour l’alt�rit� la haine, pour l’altruisme l’amour,

L’imaginaire se comporte comme une source puissante mais aveugle.

Le JE en dispose dans un sens particulier, li� au circonstances, au temps et aux n�cessit�s dict�es par la Loi. Parfois cette derni�re s’av�re inapte � donner aux humains la paix et la prosp�rit� qu’ils esp�rent. Alors, peut-�tre l’Autre se prend-il d’envie de dicter une autre loi. Malheur � celui qui serait porteur, un temps donn�, de la parole s�ditieuse de l’Autre, pour inventer de nouvelle attitudes. Nous ne parlerons pas ici des ces nouvelles attitudes que nous n’avons pas la pr�tention de conna�tre. Mais nous �voquerons combien, � certains moments, la loi des hommes devient anachronique. Cela touche selon nous, nos attitudes collectives et individuelles face � un tabou universel, celui de l’inceste et sa transgression.

En quoi la r�alit� int�rieure de l’inceste est-elle en complet d�calage avec la r�alit� physique du m�me crime�? L’une et l’autre ne sont porteuses d’aucune �quivalence. C’est m�me dans une sorte d’alliance entre, d’une part, l’acceptation de l’inceste dans l’imaginaire, d’autre part, son interdit dans la r�alit� physique objective que r�sident les germes d’une invention de nouvelle attitudes individuelles et culturelles. Or, malgr� des �v�nements largement rapport�s par les m�dias, nous pensons que la transgression du tabou de l’inceste b�n�ficie d’une loi du silence qui s’apparente � de la tol�rance.

Il serait donc dit que l’alliance entre l’inceste dans l’imaginaire et son interdit dans la r�alit� commune serait source de futur. Mais il faut aussi ajouter que la confusion, avantageuse sous certains aspects, entre l’un et l’autre conduirait � une vraie catastrophe culturelle. Des �v�nements r�cents nous portent � �tre pessimiste sur ce point.

Du point de vue de l’enfant

Que veulent dire les r�ves ou les fantasmes d’inceste�?

Un homme de 45 ans se r�ve au pied de sa m�re dans une posture qui ne fait pas de doute sur le type de relation. Derri�re lui, dans une cache dispos�e au creux d’un mur tr�s �pais, son p�re est l�, ligot�, pr�t � �tre d�finitivement emmur�.

L’histoire, dans ce r�ve, est-elle si claire qu’il y para�t�? Loin de r�duire cette image � la r�alit� en �voquant un d�sir inconscient, nous allons plut�t nous situer du c�t� de cette puissance notoire que Jung �voque si souvent, celle d’un arch�type. Pr�sentons ici l’arch�type comme un r�seau de forces instinctives dont le but est sp�cifique, Une sorte de masse d’instincts dont le but serait toujours le m�me. Chaque arch�type aurait ainsi un �ventail unique d’action et d’influence sur le JE-Conscience,

Sur la sc�ne de la vie enfantine deux personnages vivants, le p�re et la m�re, dans l’espace physique, deux arch�types, le P�re et la Grande M�re dans l’espace imaginaire. Les premiers supportent et relaient les premi�res figurations des seconds, la relation qu’ils vont donc entretenir avec leur enfant sera donc d�terminante. Mais, tout aussi primordiale sera la mani�re dont ils assurent un relais/alliance entre le plan de la r�alit� dans lequel ils sont charg�s de transmettre l’apprentissage du monde et le monde de l’Autre qui cherche � se faire une place dans la r�alit� physique ordinaire.

Au d�part c’est la figure paternelle qui donne � l’arch�type du p�re sa puissance fascinante. La projection s’appuie sur le p�re r�el et ��l’arch�type agit comme un r�sonateur qui intensifie jusqu’� la d�mesure des effets partant du p�re, si toutefois ils concordent avec le type existant.��[1] Lorsque l’individu parvient � retirer de son p�re personnel la projection de l’arch�type, il cesse d’ob�ir au besoin imp�rieux de se soumettre � une autorit� ext�rieure qui le subjugue. Il acc�de ainsi au c�ur de sa propre autorit� int�rieure, l� o� se fait sentir la n�cessit� d’accepter une r�gle puissante que lui seul peut r�aliser.

Si le complexe ainsi form� se constelle autour d’un p�re tyran, l’arch�type jouera de mani�re n�gative. Le passage de l’enfance � la maturit� est alors fortement entrav�. L’individu se maintient dans une inertie pu�rile et il n’ose affronter les probl�mes de la vie int�rieure. Quant au monde ext�rieur, il pourra s’y confronter mais toujours sur la d�fensive ou pas du tout.

Pour la fille, le p�re personnel est l’anticipation de sa propre force int�rieure, le mentor de ses convictions et la force avec laquelle elle s’affirme.

Plus l’enfant est �cras� par la puissance du p�re, plus il aura de mal � se forger ses propres armes pour affronter la vie et plus il aura tendance alors � se r�fugier dans une forme d’inconscience qui le rapproche du Complexe m�re forc�ment v�cu ici de mani�re castratrice. Elle donne la vie, mais elle la retient et l’emp�che de s’�panouir. Le mouvement est toujours dialectis� d’un p�le � un autre, du masculin au f�minin ou inversement. Souvent, dans les s�ries de r�ves, nous retrouvons ce mouvement par des s�quences f�minines - images de femmes - qui alternent avec des s�quences masculines - images d’hommes.

Pour acc�der � sa propre totalit� psychique et devenir cr�ateur et f�cond, l’individu doit triompher de l’image paralysante du P�re-arch�type, s’extirper de l’image trop protectrice de la M�re-arch�type.

P�re et m�re personnels sont les portails de l’�volution psychique qui ouvrent, c�t� int�rieur et Inconscient sur l’immensit� des arch�types, c�t� Conscience et ext�rieur, en miroir sur l’Histoire et la soci�t�.

Vie psychique et vie collective, �volution personnelle et �volution historique son intimement li�es. Pour qu’une soci�t� perdure, il lui faut proposer � ses composantes humaines de quoi nourrir leurs besoins d’�volution et de transcendance. Pour ce faire, la soci�t� propose des images, des rites au travers desquels les Hommes se reconnaissent. Ces images, � leur tour, parlent aux Hommes en leur donnant les cl�s d’un futur, d’un d�passement et d’une �l�vation spirituelle, philosophique, esth�tique... Les images illustrent une forme d’ordre conforme aux repr�sentations du moment sur le monde et la vie. Insistons sur le caract�re protecteur, "garde-fou" des rites et des dogmes qui prot�gent les hommes d’exp�riences dont la force peut �tre destructrice. Mais lois morales et dogmes demandent � �tre d�pass�s quant ceux-ci ne correspondent plus aux aspirations int�rieures des individus.

Le vieux roi doit laisser la place � un nouveau pr�tendant�; les anciens dieux doivent mourir, terrass�.

Si le P�re repr�sente les �l�ments de cet Ordre, la M�re en repr�sente les valeurs �motionnelles, affectives.

L’homme a toujours eu besoin de tendresse et d’amour.
Sa m�re l’en abreuve alors qu’il vient au monde,
Et ce bras, le premier, l’engourdit, le balance
Et lui donne un d�sir d’amour et d’indolence.
Troubl� dans l’action, troubl� dans le dessein,
Il r�vera partout de la chaleur du sein.
[2]

Le po�te ne s’y trompe pas.

� l’instar du p�re personnel, la m�re personnelle sera porteuse de l’image de la M�re-arch�type, nomm�e ici Grande-M�re. Jung pr�cise�: ��on est toujours impressionn� de l’importance apparemment pr�pond�rante de la m�re personnelle... Disons de suite, par anticipation, que ma mani�re de voir se distingue dans son principe de la th�orie psychanalytique en ce que je n’attribue qu’une signification relative � la m�re personnelle. Cela veut dire que�ce n’est pas simplement la m�re personnelle qui constitue la source de toutes les influences sur la psych� enfantine d�crite dans la litt�rature, mais bien plut�t l’Arch�type projet� sur la m�re qui donne � celle-ci un arri�re plan mythologique et lui pr�te ainsi autorit� et numinosit�.��[3]

Dans la m�moire des humains, cet arch�type nous a toujours �t� pr�sent� comme terriblement ambivalent. Il repose sur ��trois aspects essentiels�: une bont� tut�laire et nourrici�re, une capacit� orgiastique d’�motions et une obscurit� d’enfer��[4]

La M�re arch�type, sous son aspect sorci�re, est terrible, dans ce qu’elle a de secret, de cach� et d’obscur. Elle est ab�me, monde des morts et figures engloutissantes. Elle s�duit le faible et l’emprisonne.

Sous son aspect positif, la M�re/Nature/Arch�type/Inconscient est dot�e d’une formidable puissance de r�g�n�ration.

En dehors de multiples facettes dont il peut �tre charg�, l’Arch�type de la M�re se trouve, dans nos cultures, confondu avec l’Inconscient - singuli�re inversion pour un monde domin� par le masculin. Or, parmi les figures pr�sentatrices les plus r�guli�rement �voqu�es, la Nature universelle personnifie aussi cet arch�type. Les mythes anciens rapportent l’�tat de la relation que la soci�t� des hommes entretient avec elle.

Il y a donc une �quivalence psychologique entre Nature et Inconscient, versus maternel - et les rapports que nous entretenons avec la premi�re sont identiques � ceux que nous entretenons avec le second.

D’o� cette image que Jung propose souvent�: l’Inconscient g�n�re la Conscience et le petit ego. Le petit JE est bien le fils de l’Autre�!

��Alors, l’antique Nature aurait laiss� la place � la culture dans le c�ur des hommes et des femmes de la post-modernit�. Mais les hommes demeurant inchang�s, les vieilles terreurs demeurent vivaces, puissantes et inqui�tantes au regard des conqu�tes " �poustouflantes " de la technique qui mettent l’Univers entier � notre port�e... mais pas les caprices de notre �me.��[5]

Reste � savoir si l’ego d�mesur� de l’individu lambda de nos soci�t�s supporte ces caprices et comment.

Face � l’�nigme pos�e par l’ambivalence de la M�re-arch�type, l’ego se voit offrir deux possibilit�s. Ou bien il se lib�re de la terreur de l’Inconscient et s’incline devant sa souverainet�. Il accepte d’en �tre l’enfant, renon�ant alors � toute forme de contr�le et/ou de domination. Position de sagesse souvent �nonc�e par le Tao�sme ou le Bouddhisme, ��laisser advenir�!�� dit le sage.

�

Chacun amasse et th�saurise
Moi seul, je parais d�muni.
Quel innocent je fais�!
Quel idiot je suis�!

Chacun para�t malin, malin,
Moi seul me fais, me tais.
Fluctuant comme la mer,
Je vais et viens sans cesse.

� chacun quelques affaires,
Moi seul, je m’abstiens,
Incivil et t�tu.
Pourquoi si singulier�?

Je sais t�ter ma M�re.
[6]

Le sage tao�ste d�veloppe sa conscience, inlassablement nourri par l’�nergie de son Inconscient/M�re. Il renonce � la magie conjuratoire d’une domination qu’il sait vaine.

��Lorsque je jette un coup d’�il en arri�re, je constate que toute ma vie se r�sume en ce d�sir de poss�der un pouvoir magique�; comment les objectifs de cette magie se sont transform�s avec le temps, comment, peu � peu, je d�pouillai le monde ext�rieur de cette magie pour l’absorber en moi-m�me, par quelles voies je m’effor�ai progressivement de changer non plus les choses, mais ma propre personne, comment enfin je m’entra�nai � remplacer l’�l�mentaire invisibilit� attach�e � la cape magique par l’insensibilit� de l’lniti� qui tout en poss�dant la connaissance, demeure constamment m�connu, voil� ce qui pourrait former la v�ritable trame de l’histoire de ma vie.��[7]

Pour parvenir � ce but l’individu doit vaincre l’attrait fascinant exerc� par ce ��dragon�� qui menace constamment d’engloutir la jeune pousse.

La M�re divine, dit Shri Aurobindo, ne tol�rant pas l’imperfection, traite rudement dans l’homme toute mauvaise volont� et elle est s�v�re pour ce qui est obstin�ment aveugle, ignorant et obscur�; son courroux est imm�diat contre la tra�trise, le mensonge, la m�chancet�, le mauvais vouloir est � l’instant frapp� de son ch�timent.��[8]

Sans la Conscience, il n’y a pas d’ordre possible, il n’y pas de vie. Sans l’Inconscient, la conscience se fige, s’ass�che et meurt.

La deuxi�me possibilit� qui s’offre � l’ego est celle de la soumission � l’autorit� de la Grande M�re. La conscience demeure infantile, livr�e aux menaces constantes du monde et de la vie. �touff� par l’Inconscient, le Moi se languit, aveugle � lui-m�me et aux autres.

Une troisi�me possibilit� - devenue banale en ces temps - semble �tre celle que certains humains ont choisie. La mort de l’ego n’est pas la mort du corps, une mort physique, c’est un �tat de langueur qui oscille entre une extr�me sensibilit� et une superbe indiff�rence, mani�res de se prot�ger des risques de la vie, une posture d’inertie que le temps �rode lentement jusqu’� la s�pulture.

Refusant cette mort, luttant contre l’�vidence d’une soumission aux forces de la Nature en nous, certains �tres persistent � vouloir vaincre la Grande M�re, � la dominer, � la maintenir sous la f�rule de la conscience et de la volont�. C’est ainsi que nous voyons se d�velopper une volont� f�roce de tout contr�ler dans la nature sous le meilleur des pr�textes�: la pr�servation d’un patrimoine. On mesure, on calcule, on manipule les esp�ces, on joue d’un savoir infaillible pour contrecarrer une catastrophe in�luctable. Ces �tres l� ne peuvent accepter la d�faite d’une conscience devenue trop vaniteuse. Ils sont dans l’air du temps.�

Certains autres - messies des lois du March�-, sont pris d’une fr�n�sie terrible et se lancent dans une agressive course en avant, ils conqui�rent encore quelques maigres territoires financiers ou industriels, d’autres, enfin, deviennent des pr�dateurs. Parfois - voire souvent - les deux se conjuguent. Tout cela demeure froid, rationnel, calcul�, consciemment ma�tris� mais terriblement opportuniste.

De la soumission totale de la Plan�te et de ses enfants � des lois froides, barbares et implacables � la soumission d’innocents livr�s nus � la main de leur pr�dateur, il y a une �quivalence psychologique.

L’inceste c�t� parents

La plupart des �tudes psychologiques portant sur l’inceste se placent du point de vue de l’enfant. On y discute de l’�ventuelle existence de fantasmes d’inceste, etc. Ce n’est donc plus tout � fait d’un enfant qu’il s’agit et on le suppose porteur du d�sir et acteur de la transgression. La relation fille p�re est la plus souvent envisag�e. Il est peu question de la relation incestueuse p�re/fils, m�re/fils ou m�re/fille. La nature humaine, dans son finie inventivit� nous donne aussi cela � voir... parfois les pires cruaut�s se m�lent en des rituels de sang dont les enfants sont les victimes.

Dans les affaires de p�docriminalit�, si nous nous pla�ons du point de vue de l’adulte, l’approche psychologique est radicalement diff�rente. C’est l’adulte qui, abusant de son autorit�, est agent de la transgression.

C’est une formidable puissance qui est ainsi mise en jeu et pervertie. ��L’image parentale est dot�e d’une �nergie extraordinaire�; elle influe sur la vie spirituelle de l’enfant � ce point qu’on est oblig� de se demander s’il est permis d’attribuer � un �tre humain ordinaire une telle puissance magique. Il est notoire cependant qu’il la poss�de. Mais alors la question se pose aussit�t de savoir si cette puissance est v�ritablement son bien propre.��[9]

Les mythes qui retracent le viol commis par un dieu ayant autorit� sur sa victime, sont nombreux. Bien moins nombreux sont ceux qui �voquent le viol incestueux.

Il y a de bonne raison � cela. Les mythes retracent la marche d’un peuple vers l’accroissement de la Conscience collective par la domestication des masses instinctuelles demeur�es sauvages. Ils d�crivent des cycles successifs de l’�volution. C’est pourquoi ce seront les jeunes dieux qui tueront les anciens, plut�t que le contraire. La marche vers la conscience impose que l’Homme se d�barrasse de ses anciennes adaptations devenues inutiles voire dangereuses. Le fils peut fort bien �liminer le vieux roi qui repr�sente les anciennes modalit�s de vie. Ainsi va la vie. Mais cela ne se fait jamais sans condition, la premi�re, qui est essentiel, est que l’�l�ment f�minin soit, lui aussi, renouvel�, Il ne peut exister de v�ritable changement d’habitude sans un �quilibre masculin/f�minin,

De m�me une �volution qui passerait par la victoire du vieux dieu ou du vieux roi au d�triment de ses successeurs, n’existe pas. Il peut arriver qu’un roi ex�cute de jeunes pr�tendants - cela indique que les anciennes habitude de la conscience collective se figent et se d�fendent dans un vain conservatisme - mais il survient toujours un h�ros plus rus� que les autres qui parvient � vaincre le probl�me pos� par le vieux roi.

On pourra dire alors que les pr�tendants ex�cut�s repr�sentaient des valeurs incompl�tes pour l’�laboration d’une nouvelle Conscience collective. Mani�re qu’avaient les anciens de repr�senter la marche du temps...

Un mythe qui �voquerait un viol et qui consacrerait la domination d’un vieux roi ou dieu sur les fruits de sa lign�e, on le soup�onne, repr�senterait un cas d’�volution r�trograde, une involution.

Il peut fort bien exister des contes ou des l�gendes qui retracent la mort d’un peuple ou d’une culture. Nombreuses sont les ethnies, qui � un moment de leur �volution, ont eu conscience de l’approche funeste de leur fin. Souvent la perte du dieu ou sa trahison sont li�es � un acte sacril�ge qui aurait �t� commis par quelque humain. Il n’y a pas l� trace de culpabilit� mais une profonde intuition humaine que l’Homme ne peut que vivre en alliance avec la Grande-M�re, On discerne toujours une notion de r�trogradation, de marche invers�e. Comme si l’humanit� avait inscrit d�finitivement dans son patrimoine psychologique le caract�re in�luctable de la marche vers un ��en avant��, lequel prendra un contenu diff�rent selon les groupes ethniques. M�me dans la Bible, le viol commis par les filles de Loth sur leur p�re, est pr�sent� comme un acte m� par la n�cessaire p�rennisation de la tribu. Suite � une catastrophe ultime, une formidable involution doit se produire pour que tout recommence et que la vie reprenne son cours normal le plus vite possible.

Dans la plupart des cas, le sacrifice de l’enfant rev�t un caract�re exceptionnel et il est souvent m�diatis� - pr�tre sacrificateur. Ce ne sont ni le p�re ni la m�re qui offrent l’enfant eux-m�mes en sacrifice. Sauf pour �dipe, Mo�se et d’autre h�ros sacrifi�s par leurs parents ou abandonn�s par eux. C’est souvent le m�diateur qui �vite � l’enfant le sort auquel il �tait destin�. Si les mythes nous en rapportent le r�cit c’est bien parce qu’il y a l� un aspect exceptionnel, un retournement de l’histoire qui fait de l’enfant sacrifi� un puissant h�ros. Une fois encore cette ��marche en avant�� trouve ses propres moyens pour se perp�tuer.

Le culte de Baal Hammon t�moigne d’un de ces cultes sanguinaire auxquels on sacrifiait des nourrissons, Baal Hammon �tait le grand dieu de Carthage, le ma�tre du tophet[1] et seigneur du brasier, Il y recevait les nourrissons en offrande. Mais Baal repr�sente le principe m�le unique qui r�git la lumi�re, le feu, la chaleur. Le taureau lui est consacr� et sa repr�sentation sid�rale est le soleil. Aucune contrepartie f�minine ne lui �tait associ�e, Ce qui laisse supposer que la culture carthaginoise �tait purement guerri�re et d�vastatrice, L’�l�ment f�minin aurait apport� la part de sentiment n�cessaire � une alliance plus souple avec la nature,

En bref, il n’existe pas de culture ou de civilisation qui ait institu� le meurtre, le viol et, � plus forte raison l’inceste comme outil d’�volution.

On peut penser au culture cannibale, or, dans ce cas, ce sont les ennemis que l’on d�vore et cela ne se fait pas sans un rite conjuratoire destin� en fait � honorer la victime, � se mettre en paix avec son �me,

Que peut-on dire alors d’une civilisation qui banalise la p�docriminalit�, l’institue comme un agr�ment touristique et d�p�nalise, de fait, l’inceste�?

Les regards d�tourn�s, les protestations d’innocence, les accusations port�es sur l’enfant lui-m�me, les lenteurs juridiques constituent bel et bien un consentement.

L’Histoire contemporaine nous le rappelle assez bien. Nous avons exig� des allemands une contrition et des p�nitence globales, compl�tes et c’�tait bel et bien un d�but. La terre enti�re a consid�r� que tous les allemands �taient coupables... Nous ne pouvons nous offenser maintenant d’�tre mis au pied du mur de la prise de conscience et nous d�barrasser du probl�me de la transgression du tabou de l’inceste.

Plus nous touchons aux fondement d’une culture plus les r�sistances sont puissantes quand on tente de d�voiler les perversions qui la minent. Le vieux roi s�nile et st�rile se fait cruel et diabolique, Il y a donc lieu de penser que la route sera longue pour tous ceux qui luttent pour la reconnaissance de l’inceste comme crime majeur et imprescriptible.

Qu’est-ce que cela veut dire pour une culture�? Telle �tait la question pos�e plus haut.

Posons quelques principes issus de nos cultures. Seuls les dieux tout puissants peuvent se livrer � ce genre d’orgie meurtri�re.

Ils finissent toujours par �tre vaincus par un principe nouveau qui les d�tr�ne, les soumettant � leur tour. C’est ainsi que se succ�dent les civilisations, les religions. Ce que connaissent les historiens des religions.

Ces successions figurent la lente marche de l’humanit� vers un but que nous avons appel� progr�s... de la conscience.

Si nous nous pla�ons de notre propre sens des valeurs, supposant donc que cette longue marche vers la conscience d�t encore durer, nous pouvons d�j� nous dire que la situation actuelle aura une fin. C’est au moins un point sur lequel nous pouvons nous appuyer pour lutter. Cela ne dit encore rien sur ce qui se passe et pourquoi cela se passe.

Le p�docriminel se place d’un point de vue dominateur, tout puissant et sans aucun sentiment. Il s’octroie un droit de vie ou de mort. Sa conscience est dans la pire des inflations qu’il soit. Il se laisse submerger par des �nergies tr�s archa�ques - les dieux cruels sont les plus anciens, les plus archa�ques, ceux qui viennent � peine d’�chapper aux premi�res diff�renciations du cosmos. Il croit contr�ler mais il est d’un autre monde.

Le p�docriminel est connu pour �tre multir�cidiviste et il sait bien �chapper � ceux qui le traquent. Cela veut dire que ces pulsions archa�ques s’installent de mani�re durable et elles mod�lent sa personnalit� et il doit assujettir ses propres comportements � cette domination. On voit donc appara�tre une sorte de double personnalit�.

La conscience du pr�dateur est partag�e entre deux finalit�s, cr�er une surface lisse, un masque impalpable et banal qui permette � la b�te d’agir � l’abri�; pr�m�diter tous les actes, contr�ler tout son environnement pour accomplir ses actes barbares d�s que l’occasion se pr�sentera. C’est pourquoi le terme pr�dateur largement consacr� par l’usage est tr�s appropri�.

Il n’avale pas, il ne cannibalise pas, ce qui pourrait �ventuellement laisser croire qu’il cherche un but d’appropriation, donc un futur, il soumet sa victime � l’�nergie la plus puissante dont disposent l’Homme et la Conscience, la sexualit�, ici sous une forme bestiale. Son but, le seul, la domination, �touffer la jeune vie, ne pas la laisser grandir, la trahir, la priver de toutes les lumi�res de l’espoir et de la vie. Une inf�me involution,

Le pr�dateur est li� aux forces de l’Ombre et des t�n�bres. Il est � l’anti-p�le de la vie.

��L’inceste, comme relation endogame, correspond � une libido qui cherche � maintenir une coh�sion, un ordre �tabli. C’est une libido de conservation qui, telle une gardienne voudrait qu’aucune intrusion ne vienne troubler la qui�tude d’un paradis. En cela elle s’oppose en tous points � la libido exogame qui pousse l’individu � sortir de ce paradis ant�rieur.��[10]

Quand, dans une culture, apparaissent des contenus psychiques que la Loi consid�re comme des ph�nom�nes pathologiques, quoique isol�s, on peut supposer que l’Inconscient est sous pression et qu’il est anim� par des contenus � tr�s forte charge �nerg�tique. D’o� menace d’explosion ou de d�flation, en tous cas, pr�sage d’un changement de r�gne, dans ce cas sp�cifique de la transgression d’un tabou fondateur, la catastrophe serait de type involutif,

Nous pouvons nous poser la question de savoir si notre d�but de mill�naire est en phase avec le progr�s ou, au contraire, en pleine r�gression, La question est-elle bien n�cessaire�?

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Notes


[1] - Jung, C. G. (1963) Psychologie et �ducation, p. 240 - �d. Buchet Chastel, Trad. Roland Cahen.

[2] - Alfred de Vigny.

[3] - Jung C. G. (1971), Les racines de la conscience, trad. R. Cahen, �d. Buchet Chastel, p. 98

[4] - Ibid. p. 98.

[5] - Lenoble Robert, Histoire de l’id�e de nature, Albin Michel, Paris 1969.

[6] - Tao Te King, verset 20 - trad. Houang-Kia-Tcheng et Pierre Leyris, �d. Du Seuil, 1949.

[7] - Hess Hermann, Enfance d’un magicien.

[8] - Shri Aurobindo (1950), La m�re, �d. Adyar, p. 40.

[9] - Jung, C. G. (1963) Psychologie et �ducation, p. 230 - �d. Buchet Chastel, Trad. Roland Cahen.

[10] - Jung, C. G. (1946), Psychologie du transfert, �d. Albin Michel, p. 84, Paris 1980.


[1]Topheth ou Tophet (h�breu�: תֹּפֶת tōfet) est le nom d’un lieu proche de J�rusalem o� selon la Bible les Canan�ens sacrifiaient des enfants au dieu Moloch en les br�lant vifs. Ce lieu �tait situ� dans la vall�e de la G�henne (h�breu�: גֵיא בֶן-הִנֹּם ġēy ben-hinnōm, vall�e de ben Hinnom). La pratique des sacrifices d’enfants ayant �t� interdite par le roi Josias, l’endroit devint celui o� l’on incin�rait les carcasses d’animaux et les cadavres des condamn�s dans des feux br�lant en permanence. (Source Wikip�dia). Par suite, Tophet recouvre le lieu o� �taient d�pos�es les urnes des enfants sacrifi�s. On en a retrouv�s � Carthage notamment.

f�vrier 2006 par Illel Kieser


Notes�:

Cette s�rie d’articles constitue la base d’un ouvrage qui fera suite � Inceste, p�docriminalit�: crimes contre l’humanit�, paru en mars 2007.

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