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Les fanatiques de l’Apocalypse

Lecture du livre de Norman Cohn


Je livre ici une note de lecture qui �tait d’abord destin�e � la r�daction d’un ouvrage sur les peurs contemporaines. Mes commentaires sont en fait des aides m�moire destin�s � la r�daction du futur ouvrage. Par cons�quent toutes les citations de l’auteur, Norman Cohn, ne sont pas r�f�renc�es. Que le lecteur veuille bien me pardonner ces impr�cisions.

R�sum� et commentaires de l’�tude de Norman Cohn, Les fanatiques de l’apocalypse (�d. Payot, Paris, 1983)

Dans cet ouvrage Norman Cohn�[1] analyse les m�canismes de la tradition du mill�narisme r�volutionnaire et de l’anarchisme mystique, du xie au xvie si�cle. L’auteur �num�re et d�crit les obsessions propres � certains �l�ments marginaux mais influents de la soci�t� m�di�vale.

Ces connaissances nous conduisent � rep�rer des analogies parfois flagrantes entre ces courants apocalyptiques et certaines id�ologies contemporaines.

N. Cohn souligne cinq voies caract�ristiques par lesquelles un mouvement mill�nariste envisage l’av�nement du salut�:

� collectif, par l’amour

� terrestre et non pas dans quelque ciel lointain,

� imminent,

� total, il transformera la vie enti�re sur la terre,

� miraculeux car aid� par des forces surnaturelles et leurs repr�sentants humains. (p. 10)

A — La tradition de la proph�tie apocalyptique

L’eschatologie r�volutionnaire se constitue peu � peu durant les 4 derniers si�cles du Moyen �ge. Les premi�res proph�ties ont �t� �labor�es par les Juifs qui se distinguent des peuples de l’antiquit� dans le r�le qu’ils attribuent � leur peuple dans l’Histoire. Ils sont les seuls � allier un monoth�isme intransigeant � la conviction d’�tre le peuple �lu. Le sc�nario que l’on retrouvera par la suite en Europe Occidentale et Orientale s’organise comme suit�:

1) Le jour de la col�re de Dieu

2) Le jugement o� les ennemis seront �limin�s voire an�antis

3) Le peuple �lu amend� et r�g�n�r�, Yahv� renoncera � sa vengeance et sera Lib�rateur. Adviendra un monde heureux et paisible. Ce sera un monde de justice o� les pauvres seront prot�g�s, un monde de paix et d’harmonie o� les b�tes dangereuses et sauvages deviendront douces et inoffensives. Il n’y aura plus de d�sert, plus de famine. Bl�, vin, nourriture y seront en abondance. Les hommes seront lib�r�s des maladies et du chagrin, ils vivront conform�ment aux commandements de Dieu.

Tout change aux environs de 165 av. J.-C. comme le montre la vision ou songe de Daniel �crit � cette p�riode tr�s difficile. Apr�s l’exil de Babylone, les juifs de Palestine sous la protection des Perses ont connu une s�curit�. Mais au IIe si�cle av. J.-C. la Palestine tombe aux mains de la dynastie gr�co-romaine des S�leucides. Une crise spirituelle agite le peuple Juif, les aristocrates sont pr�ts � s’adapter � la culture grecque mais pas le peuple�: ce fut la r�volte des Maccab�es.

Se d�veloppe alors ce qui fera le corps de la doctrine r�volutionnaire eschatologique�: l’Univers est aux mains d’une puissance mal�fique et tyrannique — ce qui deviendra le clerg� � la fin du Moyen �ge. Sous cette dictature le peuple est humili�, sans ressource et il en sera ainsi jusqu’� l’an�antissement du monstre. Viendra enfin le temps d’une sorte de communisme o� tout appartiendra � tous.

De la conqu�te de la Palestine par Pomp�e, de 63 av. J.-C. jusqu’� la guerre de 66-72 ap. J.-C. les combats contre les romains nourrirent cette vision juive. Cette eschatologie s’adressant surtout au peuple, bient�t ce sera le Fils de l’Homme, le Messie qui lib�rera le peuple. Certes pour les Proph�tes il ne peut s’agir que de Yahv� Lui-M�me, mais d�s le premier si�cle av. J.-C. dans les songes de Daniel, il est d�j� question d’un �tre surhumain semblant incarner Isra�l. Les conflits �tant de plus en plus durs avec les Romains, les Juifs d�velopp�rent cet imaginaire messianique les pr�cipitant dans une guerre suicidaire aboutissant � la prise de J�rusalem et � la destruction du Temple en 70 ap. J-C. La derni�re r�volte fut men�e en 131 ap. J.-C. par Simon Bar-Kochba et qui aboutit � la suppression d’Isra�l en tant que nation et marqua la fin de la foi apocalyptique chez les Juifs.

Il est tout � fait remarquable de constater que l’acte suicidaire est une caract�ristique du mythe apocalyptique. Partout nous retrouvons ce m�me aveuglement quant aux forces en pr�sence avec une sous estimation de l’ennemi et un m�pris total pour le peuple qui � chaque fois est sacrifi� au nom d’un futur meilleur. Egalement, l’ennemi des faux proph�tes parvient � contaminer leur imaginaire ce qui conduit � des r�pressions terrifiantes de ces mouvements somme toute minoritaire. Ceci n’est pas sans nous rappeler les deux titans qui se sont affront�s durant la guerre du Golfe.

Comme les Juifs, les Chr�tiens r�agirent contre l’oppression dont ils �taient l’objet, en proclamant � la face du monde et d’eux m�mes, leur foi dans l’imminence de l’�re messianique.

Dans L’Apocalypse ou Livre des R�v�lations les �l�ments juda�ques et chr�tiens sont fondus en une proph�tie eschatologique. L� comme dans le livre de Daniel on trouve une b�te terrible symbolisant les pers�cuteurs romains. P�riode o� les fid�les � l’approche de dieu r�gneront avec le christ pour 1000 ans. Cette p�riode, le millenium s’ach�ve sur la r�surrection des morts et le Jugement dernier. Ceux dont on ne trouve pas le nom sur le Livre sont jet�s dans le lac de feu du dehors, et la nouvelle J�rusalem descend du ciel pour devenir � tout jamais le tabernacle des saints (p 18 et 17)

Le mouvement montaniste (cr�e par Montanus de Phrygie en 156 ap. J.-C.) montre combien ces proph�ties imaginaires tenaient lieu de r�alit�. En effet ce mouvement asc�tique o� la foi martyre prime joua un grand r�le dans l’attente de la Nouvelle J�rusalem et trouva encore plus d’adeptes quand les chr�tiens furent massacr�s aussi bien en Asie Mineure, qu’� Rome et m�me en Gaule. Tertullien au IIIe ap. J.-C. eut la vision d’une ville mortifi�e dans l’aube dans le ciel. Ce m�me type de vision hypnotisera les masses de la croisade populaire vers J�rusalem, 9 si�cles plus tard. Ici encore nous pouvons constater la force de l’imaginaire qui devient la seule source de r�alit�. Image arch�typiques en jeu�? On peut y penser mais aucune constellation n’a eu lieu sinon celle de Muhammad, proph�te, qui a peut �tre eu la chance de r�unir plus de conditions pour imposer sa doctrine que tous ceux d’Europe occidentale qui lui succ�d�rent.

Ir�n�e au premier si�cle propage aussi ces croyances chiliastiques dans son ouvrage ��contre les h�r�sies�� - sorte d’anthologie des proph�ties messianiques et mill�naristes des 2 testaments. Pour lui il faut prendre pour r�alit� ces faits et on doit les attendre. N. Cohn souligne l’effet �minemment compensatoire de ces fantasmes. Est-ce simplement compensatoire ou ne bute-t-on pas plus sur le sens que peut bien prendre la destin�e humaine devant tant de corruption, de mis�re, de famine, de maladies�? Qu’est-ce qui pourra bien pr�munir l’Homme de tous ces maux�? Lui-m�me certainement pas car il est trop faillible ou tyrannique. Dieu alors, mais ne va-t-on pas l’attendre ind�finiment�?

Aujourd’hui ces questions semblent toujours d’actualit� surtout pour le tiers monde et le quart monde qui se trouvent en marge de ceux qui profitent des progr�s. A nouveau apparaissent des croyances mill�naristes comportant le m�me aveuglement qu’il y a bient�t deux mille ans pour les premi�res, et 4 si�cles pour les derni�res. Plus que jamais l’humain est dans une impuissance totale s’il ne croit au changement possible de sa condition. Faut-il croire en l’utopie pour �viter le d�sespoir�? Ou n’est-il pas tant de nous servir enfin de l’histoire et de l’imaginaire qui la fabrique en partie, pour se demander enfin o� l’on va et pourquoi et surtout comment et � quel prix�?

Au quatri�me si�cle pour convertir au christianisme Lactance s’appuie sur l’attrait du mill�narisme.

Au iiie si�cle, Orig�ne, influent th�ologien, de l’�glise s’attaque au mill�narisme pour dire que le royaume n’est pas � attendre sur terre dans l’espace et le temps, mais en soi, dans l’�me des fid�les. Il substitue ainsi une eschatologie individuelle � une eschatologie collective. On peut se demander si la psychanalyse �galement n’est pas tomb�e dans le pi�ge. Evidemment l’�glise voyant son pouvoir renforc�e, � pr�tention universelle et ayant des avantages en nature on ne peut plus convaincants pour certains hommes d’�glise qu’effectivement il n’y a plus � attendre la venue du Messie car ils ne sont pas loin de l’�ge d’or, dans l’opulence de leurs biens et dans la libert� des m�urs qu’ils cachent surtout aux plus humbles ceux qui ont besoin d’avoir un mod�le pour croire que le bonheur est possible sur terre�: les imb�ciles�!

Saint Augustin aussi alla dans ce sens au ve si�cle. Le Millenium �tait marqu� par la naissance du christianisme et l’Eglise en �tait la r�alisation sans faille. Ainsi d�truisit-on une partie de la croyance d’Ir�n�e. Cependant m�me exclue du dogme officiel elle subsista dans le monde obscur et souterrain de la croyance populaire. Si l’�glise faisait tout pour transporter les attentes de ce monde sur l’autre, n�anmoins en p�riode de crise, d’angoisse, d’incertitude les gens se tournaient vers l’apocalypse.

La tradition Joahnique (celle qui d�coule de l’Apocalypse et est attribu�e � Saint Jean) �voque l’image d’un guerrier paraissant aux derniers jours. La tradition sibylline parle de deux jours, toutes deux disent qu’alors viendra l’ennemi, l’Ant�christ. L’image de l’Ant�christ est aussi bien faite du dragon � 7 t�tes de l’Apocalypse que du vieux serpent Satan, elle gardera cet aspect d�moniaque tout au long du moyen �ge.

L’Ant�christ sera par la suite humanis�, despote s�duisant et cruel au service de Satan.

Sa venue �tait attendue avec force, on attendait les signes des derni�res tribulations avant la seconde venue du christ�: les mauvais princes, la discorde civile, la guerre, la s�cheresse, la famine, la peste, les com�tes, la mort soudaine de personnages illustres, les p�ch�s, l’ambition politique. Ainsi les signes �taient-ils nombreux�!!!

B — La tradition et la dissidence de l’�glise

Ces mouvements ne peuvent se comprendre que dans le cadre d’une insatisfaction religieuse universelle.

Appara�t alors, � c�t� des gens d’�glise des pr�dicateurs la�cs, surtout � partir de 1100. Au xiie on peut noter des noms c�l�bres�; Henri, Aldebert, Eon, Tanchelm. Tous se prenaient ou pour le christ ou pour un saint. Ils �taient suivis dans leur folie par des pauvres et des opprim�s dont le mode traditionnel s’est effondr� et n’ont plus foi dans les valeurs traditionnelles.

C — Le messianisme des pauvres d�sorient�s

Emerge l� o� il y a une surpopulation subissant un processus de rapide changement �conomique et social avec un foss� s’agrandissant entre riches et pauvres. Ce n’�tait plus la vie agricole stable m�me si celle-ci �tait une forme d’esclavage due au servage, mais en m�me temps les seigneurs avaient pour devoir de les prot�ger. Ceux qui avaient r�ussi � avoir des terres ne particip�rent pas � ces mouvements chiliastiques. (p. 55)�: Dans les grandes plaines du nord, les paysans vivaient pour la plupart dans des villages o� ils se pliaient � une routine agricole �labor�e par l’ensemble de la communaut�. Leurs lopins de terre �taient imbriqu�s les uns dans les autres, et le labour, les semailles et les moissons exigeaient bien souvent un travail collectif. Chaque paysan avait le droit d’utiliser les ��pr�s communaux�� dans certaines conditions d�termin�es � l’avance, et tout le b�tail paissait ensemble. Les relations sociales � l’int�rieur du village se conformaient � des normes qui, quoique variant d’un village � l’autre, �taient sanctionn�e constamment par la tradition et consid�r�es comme inviolable. Les paysans trouvaient l� cette s�curit� fondamentale qui s’attache � la possession h�r�ditaire et inali�nable du fermage d’une terre.

La famille �tait ��� m�me pot, feu et miche��, et travaillait les m�mes champs ouverts. Enracin�e sur le m�me lopin de terre depuis des g�n�rations, elle constituait une cellule sociale d’une coh�sion remarquable, m�me s’il lui arrivait d’�tre d�chir�e par d’am�res querelles. Quelle que fut sa d�tresse, et m�me s’il ne vivait pas � l’int�rieur de la famille, il pouvait toujours faire appel � elle sans crainte d’�tre d��u. Les liens du sang repr�sentaient pour l’individu un appui autant qu’une entrave. Le paysan avait ainsi un sentiment de s�curit�, d’une assurance inestimable. (p. 56)

Cet �tat de choses changea � partir du xie si�cle dans les r�gions fort urbanis�es et industrialis�e — forme archa�que d’un capitalisme anarchique — se d�veloppa un prol�tariat sans r�seau de relations sociales comparables au monde paysan.

Ce processus se propagea de la Somme au Rhin, puis en Allemagne centrale et m�ridionale, enfin en Hollande et en Westphalie aux si�cles suivants.

Ainsi le processus qui conduit � l’attente imminente de l’Apocalypse annonc�e par un proph�te est li�: ��Il se manifestait chaque fois dans des circonstances semblables�: essor d�mographique, industrialisation acc�l�r�e, affaiblissement ou disparition des liens sociaux traditionnels, �largissement du foss� entre riches et pauvres�; alors, chacune de ces r�gions, l’une apr�s l’autre, voyait un sentiment collectif d’impuissance, d’angoisse et d’envie se donner libre cours. Ces hommes �prouvaient le besoin pressant de frapper l’infid�le afin de redonner corps, par la souffrance inflig�e aussi bien que subie, � ce royaume ultime des saints, assembl�s autour de la grande figure protectrice de leur Messie, jouiraient d’une richesse, d’un confort, d’une s�curit� et d’une puissance �ternels.�� (p. 60)

Sans aucun doute cet �tat de faits explique la mani�re dont chaque grande religion a agonis�. Lorsque l’imaginaire ne trouve plus appui sur la r�alit�, lorsque dans cette r�alit� on ne peut plus lire des signes proph�tiques ou certifiant le lien existant avec la divinit�, lorsque, donc, la communaut� et, par surcro�t, l’individu se trouvent dans un espace profane ou plus rien ne le prot�ge des t�n�bres, il souhaite ces t�n�bres comme acte r�dempteur pour retrouver la puissance perdue. On pourrait dire ici qu’on croit na�vement gu�rir le mal par le mal.

Derri�re ce d�sespoir se cache le statut de l’Homme qui tente de domestiquer la Nature en l’int�grant � un fait de ��culture��. Et c’est son impuissance r�p�t�e � atteindre ce but qui g�n�re la sauvagerie.

C’est cela, pourrions-nous dire, la fonction religieuse�: assurer l’homme de son pouvoir ou de son importance. Ce que nous nommons souvent perte du religieux est bien plus qu’une grave crise religieuse car le foss� entre imaginaire et r�alit� devient b�ance. C’est aussi une crise ontologique�! Deux attitudes se manifestent alors qui toutes deux renvoient � un aveuglement sp�cifique�: ou on esp�re encore dans les vertus humaines et on regrette l’�tat de barbarie de l’Homme, ou on accentue cette barbarie au nom d’un assainissement et les dictatures sont alors toutes proches.

Ne croyons pas ces temps r�volus�: notre mill�naire r�p�te de mani�re catastrophique (dans les deux sens du terme) ce m�me d�ni majeur de la r�alit� et institue le r�gne de la peur.

Bien �videmment nous pouvons garder l’interpr�tation psychanalytique faite de l’histoire du Christianisme m�di�val comme repr�sentant une lutte entre le bon p�re/le bon fils contre le mauvais p�re/le mauvais fils repr�sent� dans le symbole de l’Ant�christ.

L’homme qui se d�signait comme chef eschatologique (apr�s souvent s’�tre isol� un an ou deux dans une grotte pour attendre les commandements de Dieu ou recevoir une r�v�lation, ce qui n’est pas sans rappeler l’exp�rience du proph�te Muahammad) avait des pouvoirs incomparables de thaumaturge. Ses arm�es ne pouvaient conna�tre que la victoire. Sa seule pr�sence donne des moissons prodigieuses et son r�gne apporte l’harmonie et la justice parfaite. Il est encore un fait int�ressant, ce type d’homme se cultive dans les couches inf�rieures de l’intelligentsia�: des repr�sentants du bas clerg�, des pr�tres en rupture de paroisse, des moines d�froqu�s, ou encore des clercs issus d’ordre mineurs, �galement des la�cs ayant acc�d� � une certaine culture, parfois m�me des nobles de rang modeste mais d’une ambition d�mesur�e. Leur ascendant tenait surtout � leur personnalit�, � leur charisme et ceux qui se regroupaient derri�re eux �taient un peuple saint et d�bonnaire, face � eux il y avait les p�res et fils d�moniaques. A l’instar de Satan il est fils des t�n�bres�: b�te qui �merge de l’ab�me sans fond, cr�ature chthonienne qui vomit crapauds, scorpions et autre symboles hideux. (p 89) Comme le note N. Cohn ces projections qui avaient pour objet imaginaire l’Ant�christ touchait bien s�r les groupes ext�rieurs dont les juifs consid�r�s - au mieux - comme enfants d�voy�s.

Les riches aussi lorsqu’ils renoncent � leur fonction patriarcale deviennent l’objet de projections analogues � celles dont ont �t� victimes les pr�tres et les juifs. (p. 105)

Les juifs furent victimes de massacres durant la croisade de Pastoureaux malgr� la tentative du roi de France pour les prot�ger. Dans tout le Sud-Ouest presque tous les juifs furent mis � mort. (p. 108)

Dans l’imagination des membres de sectes apocalyptiques des xiie et xviiie si�cles , les riches la�cs subissaient la m�tamorphose qui devait, avec le temps, aboutir � l’image du Capitaliste de la propagande du xxe si�cle�; �tre purement d�moniaque, destructeur cruel et libidineux, presque tout-puissant et aussi fallacieux que l’Ant�christ lui-m�me. (106)

Nous pouvons noter le parall�le existant entre ces faux proph�tes et nos gourous d’aujourd’hui. Ils sont cultiv�s mais sans plus, plut�t sp�cialis�s dans une discipline. Ils ont, de part leur situation en marge, l’intuition d’un autre monde plus juste, plus proche du peuple mais ils demeurent comme les faux proph�tes victimes de l’imaginaire. Ils ne peuvent renoncer � l’id�e qu’ils sont impuissants, comme tout un chacun. M�me la psychanalyse nous semble tomber dans une sous-estimation du pouvoir de l’imaginaire, car dans notre monde/modernit� d’aujourd’hui on peut se demander o� r�side la libert� humaine, le choix si ce n’est dans l’illusion d’un imaginaire bien pensant ce qui est le comble�!

� lire Andre Chesneau, devant le r�seau �conomique mondial qui d�termine l’avenir des pays et des peuples et bien entendu les famines et les catastrophes �cologiques qui suivront, il faut bien envisager, enfin, de nouveaux rapports entre imaginaire et r�alit�, � moins que nous d�cidions de r�p�ter ind�finiment ce qu’il y eut de pire dans l’Histoire. Rien ne sert de pleurer sur ce qui aurait pu �tre ou sur la cruaut� humaine. Il est temps de nous voir sur terre, ici bas, souffrant d’une maladie chronique aussi vieille que l’Homme�: la surpuissance comme mauvais rem�de � nos impuissances masqu�es. Mieux vaudrait nous interroger sur ce sympt�me et savoir enfin le soigner, le gu�rir puis le pr�venir.

Rien ne sert de tabler sur l’amour, sur un monde meilleur mais plut�t tenter d’�tablir un autre rapport entre l’imaginaire et la r�alit�.

D — Dans le ressac des croisades

Derri�re l’entreprise gigantesque des croisades se tenaient les mouvements messianiques. Ils commenc�rent avec Foulque de Neuilly en 1198�: thaumaturge et asc�te il r�vait d’une arm�e autonome ou la r�gle de pauvret� serait la r�gle d’or. Les foules qui le suivirent p�rirent toutes sur la c�te d’Espagne. Une croisade des enfants suivit. En 1212 plusieurs arm�es d’enfants se mirent en marche pour la ville sainte, leur chef enfant lui-m�me se croyait �lu de dieu. Ils p�rirent tous noy�s, de faim ou vendus comme esclave.

��Ces migrations massives avaient marqu�es la naissance d’une tradition�: pendant plus d’un si�cle, des Croisades autonomes de pauvres se succ�d�rent. Mais les pauvres n’en furent plus les seules victimes.�� (p. 93)

Les appels � la justice et � la d�mocratie demeurent comme des faits isol�s face aux puissances des firmes transnationales qui pr�voient pour le dieu Modernit� et non pour les pauvres. Ce qui ne manque pas d’alimenter des rancunes f�roces qui tendent � alimenter des mouvements de plus en plus h�t�roclites et violents.

De faux proph�tes arriv�rent encore comme le faux comte Baudouin. L’homme, d�masqu� apr�s avoir entra�n� derri�re lui nombre de gens, fut pendu. Mais les masses flamandes continu�rent a adorer le Comte latin d’Orient, on l’attendait comme les bretons attendait le roi Arthur. Il inaugura une �re d’effervescence sociale qui dura 150 ans.

En France les espoirs messianiques se concentr�rent sur la dynastie cap�tienne du xie au xiie�: Louis VII fut assimil� � l’empereur des derniers jours, Philippe Auguste se prenait pour le second Charlemagne et la bataille de Bouvines renfor�a cette croyance. Louis VIII �tait attendu comme un Messie. Louis IX, v�ritable saint, mort trop rapidement laissa derri�re lui un vide dont l’�glise se remit mal et on commen�a � se demander si Mahomet n’�tait pas plus puissant que le Christ. (p. 98)

S’ensuivit le vaste mouvement des croisades des Pastoureaux avec pour chef celui qu’on appelait le Ma�tre de Hongrie. Il disait avoir vu la Vierge et il appartenait aux bergers d’annoncer la bonne nouvelle de la nativit�: La conduite des pastoureaux fut bient�t identique � celle de Tanchelm.

La guerre civile �clate�: ��les villes �taient en pleine effervescence car elles voyaient un moyen de secouer le joug du roi de France, d�fendre leur libert� mais aussi par ce qu’elles croyaient que leur v�ritable seigneur leur avaient �t� rendu. L’ermite pilla�; d�truisit et incendia les �glises remplies de fid�les. C’�tait une guerre d’exaltation religieuse contre la princesse Jeanne qui refusait de reconna�tre dans l’ermite son p�re mort en croisade, et � raison d’ailleurs, mais le peuple la vivait comme parricide.�� (p. 94)

Entour�e d’une grande arm�e (bergers et faux bergers), Jacob stigmatisait le clerg�; accusait l’ordre des mendiants d’�tre hypocrites et vagabonds, les Cisterciens d’�tre avides de biens, les Pr�montr�s d’�tre orgueilleux et gloutons et les chanoines indignes de la robe. Ses attaques contre la curie romaine d�passaient toute mesure. Seules �taient valables les c�r�monies des pastoureaux. Il absolvait tous les p�ch�s se consid�rant comme un christ vivant. Quiconque le contredisait �tait abattu sur le champ par les gardes du corps. Le meurtre d’un pr�tre �tait m�ritoire.

Ceci n’est pas sans nous rappeler un Saddam Hussein ou un Milosevic avec leurs gardes rapproch�es ou les Skinheads dont le rituel initiatique consiste dans le meurtre d’un mahgr�bin ou d’un ��n�gre��.

Soutenu par la population, il fit de nombreux adeptes, souleva des villes, mit en danger l’�glise, pour finir pendu � force d’avoir utilis� la violence, celle-ci se retourna contre-lui surtout de la part de ceux qui tentaient de r�fl�chir � son action et r�prouvaient ses actes. (p. 99 et suiv.)

E — L’empereur Fr�d�rik comme messie

En marge de l’eschatologie d�riv�e des proph�ties sybillines et johannique, une eschatologie d’un type nouveau fit son apparition en Allemagne au xiiie. Ce nouveau syst�me proph�tique, qui devait devenir le plus influent d’Europe occidentale jusqu’� la naissance du marxisme, �tait d� � Joachim de Flore (1145-1202). Cet ermite et abb� calabrais eut une illumination�: les Ecritures recelaient un sens cach�...

��Pour la premi�re fois un effort �tait fait pour utiliser ces m�thodes non seulement dans un sens moral et dogmatique mais aussi comme moyen de comprendre et de pr�voir le cours de l’histoire. Il interpr�te l’Histoire comme une ascension � travers 3 �tats�:

1 celui du P�re ou de la Loi,

2 celui du fils ou de l’�vangile,

3 celui de l’esprit devant marquer l’apog�e de l’histoire humaine.�� (p. 113)

Si Joachim ne voulait pas �branler le pouvoir de l’�glise, il �tait n�anmoins en contradiction avec la th�orie augustinienne selon laquelle le Royaume de Dieu �tait entr� dans les faits. Sa doctrine mill�nariste infl�chit les g�n�rations ult�rieures dans un sens anticl�rical puis profane. Le nom m�me qui qualifia ce mouvement, Libre Esprit, ne laisse aucun doute quant � ses buts.

Les hommes �taient surtout sensibles � la description joachimite de la m�tamorphose finale du monde. Une p�riode d’incubation la pr�c�dait, comme cela s’�tait pass� pour les pr�c�dentes. (p. 115)

(Cela n’est pas sans rappeler la constellation d’arch�type dont parle C.G Jung).

��L’influence de ces sp�culations devait affecter indirectement jusqu’� certaines philosophies de l’histoire moderne, formellement condamn�es par l’�glise. Cet asc�te eut sans doute �t� horrifi� de retrouver sa th�orie des 3 �tats de l’humanit� repara�tre dans celles de Lessing, de Fichte, de Schelling ou de Hegel ou dans la classification de Auguste Comte pour qui l’Histoire conna�t 3 �ges�: le th�ologique, le m�taphysique et le scientifique ou encore dans la dialectique marxiste�: communisme primitif, soci�t� de classe et communisme, cette �tape �tait marqu�e par le r�gne de la libert� et le d�p�rissement de l’�tat (voir les philosophies modernes�: l�with, Taubes et Voegelin). De m�me et de fa�on plus paradoxale le terme de 3�me Reich forg� en 1923 par le publiciste Moeller van den Bruck et qui d�signa par la suite l’ordre nouveau - le mill�nium hitl�rien - n’eut gu�re entra�n� l’adh�sion des masses si le r�ve d’une 3e �re de gloire n’avait, des si�cles durant, fait partie des th�mes classiques de la mythologie sociale europ�enne.�� (pp. 158-159)

Mais la croyance aux derniers jours trouva son point culminant � travers Fr�d�ric II. La personnalit� de celui-ci favorisa le mouvement�: il �tait intelligent, pleins de dons, sensible et cruel. Il devint le h�ros tout d�sign� du ch�timent de l’�glise aux derniers jours. Le Saint Si�ge pla�a l’Allemagne sous interdit du sacrement. Mais la propagande n’en continua pas moins � gonfler et l’attente de l’av�nement de la 3e �re grandissait. Cela aurait pu tourner � la r�volution si Fr�d�ric II n’�tait mort avant la date pr�vue pour la r�alisation de sa mission eschatologique. Mais la rumeur pr�tendit qu’il �tait vivant et on attendit donc une r�surrection analogue � celle de Baudouin, Comte de Flandres. M�me lorsque un faux proph�te vint remplir la d�pouille du roi et commit les m�mes violences et les m�mes folies apocalyptiques qui le men�rent sur le b�cher, le peuple crut qu’il allait rena�tre. Enfin chaque fois que le r�gne d’un nouvel empereur commen�ait le peule caressait l’espoir de la r�incarnation de Fr�d�ric II. Vite d��u, il n’attendait pas moins cette m�me r�incarnation � l’av�nement d’un empereur futur.

F — Une �lite de surhommes amoraux

� travers ces tribulations on comprend l’�mergence progressive chez de quelques uns d’une tentative de se passer de Dieu par le recours individuel � une int�riorit� visant � d�velopper l’Imago Dei. On per�oit �galement, dans sa forme profane, le contact des �lites de l’esprit libre avec ce qu’on pourrait appeler�: l’anima ou l’animus dans sa forme anarchiste, anticonformiste, r�volt�e et amorale. Dans ces soubresauts on assiste n�anmoins � la naissance d’une forme nouvelle de dialogue int�rieur qui s’instaure sans l’aide d’une liturgie et qui a, vraisemblablement, pour but de lib�rer la conscience humaine de la culpabilit� jud�o-chr�tienne. Ce passage de l’imaginaire � la r�alit� donne une forme sociologique originale � ce mouvement dont certains pr�curseurs semblent pr�senter un profil pathologique tr�s net. La confusion faite entre une volont� de lib�ration de l’�me et son d�bordement dans la r�alit� par une sorte de r�volution totale est un indice net de la perte de conscience. Il est int�ressant de voir combien ces ��militants de l’apocalypse�� tentent de se lib�rer de ce qu’aujourd’hui on appellerait un Surmoi, combien ils d�couvrent avant la lettre le principe de plaisir, comment ils l�vent leurs refoulements, lib�rant ainsi leur libido mais dans la plus grande confusion entre le r�el et l’imaginaire.

N. Cohn situe cette doctrine dans un mouvement de lib�ration de l’affectif des peuples.

Le Libre Esprit jouera un r�le social plus important que le Catharisme. On notera combien les femmes ont adh�r� � ce mouvement — on peut d’ailleurs se demander si les B�guines n’ont pas influenc� Ste Th�r�se. N. Cohn explique cet int�r�t des femmes pour le L. E comme �tant li� � leur condition peu enviable�: souvent veuves, elles n’avaient aucun avenir. Selon lui elles ne pouvaient que tout attendre d’un saint ��dont le secours leur permettrait d’atteindre � une sup�riorit� aussi absolue que l’�tait leur humiliation��. (p 170)

On peut comprendre cet engouement pour le L. E d’un point de vue compensatoire, mais �galement comme l’aspiration � un statut �gal � celui de l’homme que permettait sans ambigu�t� aucune le L. E.

Au xve si�cle un groupe d’adeptes Picard influence la r�volution Taborite de Boh�me. Ce mouvement en d�pit des pers�cutions dura 5 si�cles en tant que tradition reconnaissable.

M�me si les adeptes ne font pas partie des r�volutionnaires, le Libre Esprit s’inscrit dans l’eschatologie r�volutionnaire. L’am�lioration des conditions de vie des pauvres n’est pas leur int�r�t. Ce qui priment pour eux c’est leur propre salut.

Leur gnose se d�finit comme un anarchisme quasi-mystique. Pour N. Cohn on peut les consid�rer comme les anc�tres lointains de Bakounine et de Nietzsche dans ce qu’ils ont de plus forcen�: ��Des individualistes aussi rigoureux peuvent facilement devenir des r�volutionnaires - et quels r�volutionnaires - pour peu qu’ils se trouvent dans une situation virtuellement r�volutionnaire. L’id�al du surhomme nietzsch�en hanta certainement l’imagination de nombre de ces ” boh�mes arm�s “ qui firent la r�volution nazie. Et nombre de ceux qui pr�nent aujourd’hui la r�volution mondiale doivent plus � Bakounine qu’� Marx. C’est de leur th�orie sociale profond�ment r�volutionnaire que sortirent les th�oriciens de la tentative la plus ambitieuse de r�volution sociale absolue dont l’Europe m�di�vale fut t�moin.�� (p 157)

Les adeptes du Libre Esprit produisaient une abondante litt�rature doctrinale qui fut en grande partie d�truite par l’Inquisition. Notons comme ouvrage d�couvert depuis peu�: ��Le miroir des simples �mes�� de Marguerite de Porette, br�l�e comme h�r�tique en 1310. (p 158)

��Historiquement, l’h�r�sie du Libre Esprit peut �tre consid�r�e comme une forme aberrante de ce mysticisme qui, � partir du xie si�cle s’�panouit dans la chr�tient� occidentale. Les mysticismes orthodoxe et h�r�tique poss�dent une origine commune�: l’aspiration � une appr�hension imm�diate de la divinit� (valorisation de l’intuition) et le d�sir de communion avec dieu (exp�rience extatique). Ici s’arr�te la similitude car les adeptes du Libre Esprit sont individualistes, ils ne sont int�ress�s que par leur salut et ne reconnaissent aucune autorit� en dehors de leur propre exp�rience. Pour eux l’�glise �tait une institution de toute fa�on d�pass�e, devant �tre remplac�e par leur communaut�.

L’adepte �tait persuad� d’avoir atteint une telle perfection qu’il lui �tait impossible de p�cher. Ainsi la sexualit� est-elle fortement empreinte d’�rotisme qui ��rev�t l’allure d’un symbole d’�mancipation spirituelle��, sorte ��d’amour libre�� avant l’heure. (p. 159)

On ne voit appara�tre l’influence du Libre Esprit qu’� partir du xiiie si�cle en Europe Occidentale. Avant on trouve des cultes ressemblant plut�t � ceux de la Chr�tient� Orientale�: Les Euchites que dut �craser l’Eglise arm�nienne, �taient des saints hommes errants et mendiants, cultivant l’exaltation de soi l’autod�ification et un �rotisme anarchique. L’Espagne musulmane avec les Soufis exerce �galement une influence tr�s forte sur l’Occident Chr�tien. Apr�s une initiation tr�s dure qui les voue corps et �me au ma�tre, ils devenaient libres�:��toute impulsion �tait ressentie comme un commandement de dieu, tant�t, ils vivaient dans le luxe, tant�t mentir, voler, forniquer sans aucun trouble de conscience. Car comme int�rieurement leur �me �tait enti�rement absorb�e par dieu, leurs actes ext�rieur �taient sans importance��. (p. 160)

��Il est probable que le soufisme, tel qu’il se d�veloppa � partir du IXe devait lui-m�me beaucoup � certaines sectes mystiques chr�tiennes d’Orient. Et il semble � son tour avoir contribu� � la croissance du mysticisme du Libre Esprit dans l’Europe chr�tienne. Chacun des traits qui caract�risaient le soufisme espagnol (comme les robes mi-parties) fut retrouv� comme typique chez les adeptes du L.E�� (p. 160.)

G — Les mauriciens

Au d�but du xiiie si�cle la doctrine du L.E est � la base d’un syst�me th�ologique et philosophique universel, �uvre de clercs (14) form�e � la plus grande �cole de th�ologie de l’�poque�: l’Universit� de Paris. Leur chef, Amaury de B�ne est un brillant professeur de logique et de th�ologie � l’Universit� de Paris. De sa doctrine on conna�t un panth�isme mystique s’inspirant du n�o-platonisme. Il �tait philosophe de profession. Ses adeptes — pseudo-proph�tes — ne se souciaient gu�re d’id�es abstraites, ils cherchaient � exploiter l’enthousiasme des profanes. Ils �taient ��des saints dou�s de pouvoirs miraculeux��. (p. 163) Ils disaient que ��toutes choses sont une parce que tout ce qui est, est Dieu��. Ils �taient et le Christ et le Saint Esprit. Pour eux l’incarnation christique �tait d�pass�e. Comme Joachim, ils pensaient que l’Histoire se divisait en 3 �res avec pour chacune une incarnation particuli�re. Tout le monde devait un jour devenir dieu. Mais ils �taient aussi impr�gn�s de l’esprit chiliastique r�pandu parmi les masses. Il pr�voyaient donc des catastrophes et qu’un reste salvifique (eux-m�mes) en survivrait. Rien donc de tr�s original sur ce point.

H — Sociologie du libre esprit

��On peut assurer que tous les grands mouvements h�r�tiques de la seconde moiti� du Moyen Age ne sont compr�hensibles que dans le contexte du culte de la pauvret� volontaire. La soif du renoncement se retrouvait dans toutes les classes�: il �tait juste de prendre aux riches pour donner aux pauvres. Les pauvres pour leur part se trouvaient n�cessairement en un �tat de gr�ce que nulle complaisance charnelle en pouvait entamer��. (p. 167)

L’�glise, devant l’ampleur de son expansion, tenta de r�cup�rer ce mouvement en cr�ant deux ordres mendiants�: franciscains et dominicains. ��En apportant sa caution aux ordres mendiants, l’Eglise fut � m�me, un certain temps, de canaliser et de mettre � profit les �nergies affectives qui constituaient une menace pour sa s�curit�.�� (p. 168)

Mais l’h�r�sie du L.E tenue en respect pendant 50 ans conna�t une recrudescence rapide d�s la fin du xiiie. Elle fut r�pandu par les B�gards, des mendiants�: ��du pain pour l’amour de dieu��. Sorte de moines vagabonds, ils se faisaient un plaisir d’interrompre les services religieux et se refusaient � toute discipline religieuse.

��Le Millenium du Libre Esprit s’�tait mu en un empire invisible fond� sur les liens affectifs - souvent �rotiques d’ailleurs - entre hommes et femmes.�� (p. 172)

I — Une �lite de surhomme amoraux

a — La propagation du mouvement

D�s 1215 on les rep�re dans le Haut Rhin, puis � Strasbourg, � Cologne et vers 1270 dans le dioc�se de Tr�ves, dans les Pays Bas�: Hollande, Belgique. Durant toute cette p�riode ils furent violemment pers�cut�s, m�me ceux et celles qui appartenaient � des mouvements plus orthodoxes. Certains sont br�l�s, d’autres noy�s

b — Vers la d�ification de soi-m�me

Le substrat m�taphysique de la doctrine �tait fourni par le n�o-platonisme�; mais on n�gligeait totalement les efforts faits, depuis le Pseudo-Denys et Erig�ne, pour adapter le n�o-platonisme aux croyances chr�tiennes.

Les fr�res du L.E disaient�: ��Dieu est tout ce qui est, - Dieu se trouve dans chaque pierre et dans chaque membre du corps humain aussi s�rement que dans le pain eucharistique - toute chose cr��e est divine.�� (p. 184)

Ils disent �galement que le ciel et l’enfer ne sont rien d’autre que des �tats de l’�me d’ici-bas, et qu’il n’y avait apr�s la mort ni ch�timent, ni r�compense�; et�: ��Tout homme qui connaissait le dieu qu’il abritait portait en lui-m�me son propre ciel. Que l’on reconn�t seulement sa propre divinit�, et l’on ressuscitait Spirituel, citoyen naturalis� du ciel sur la terre. En revanche l’ignorance de sa propre divinit� constituait un p�ch� mortel, le seul p�ch� mortel en v�rit�. Telle �tait la signification de l’enfer, que l’on transportait �galement avec soi dans la vie d’ici-bas.��

L’aspect de la th�orie de Plotin les fascinait�: ��l’�me avait la possibilit� d’�chapper � ses attaches sensibles et � la conscience qu’elle avait d’elle-m�me et de se plonger un moment, inconsciente et immobile dans l’Un. ��En fait, ils aspiraient passionn�ment � d�passer la condition humaine et de devenir dieu et ��ils n’�taient pas rare qu’un adepte, homme ou femme, affirm�t n’avoir plus du tout besoin de dieu�� . p 187 et l’homme parfait est la cause immobile.�� (p 188.)

J — La doctrine de l’anarchisme mystique

��Du point de vue de la psychologie des profondeurs, on pourrait dire que tous les mystiques commencent leur aventure psychique par une p�riode d’introversion profonde, au cours de laquelle ils vivent, en adultes, une r�activation pouss�e des fantasmes d�formants de la premi�re enfance. Par la suite deux voies se pr�sentent. Il peut se faire que le mystique ait acquis — tout comme un patient qui a subi avec succ�s une cure psychanalytique — une personnalit� mieux int�gr�e, au champ affectif plus vaste, et plus d�tach�e des illusions qu’il pouvait entretenir sur lui-m�me ou sur ses semblables. Mais, il se peut �galement, que le mystique ��investisse�� les images gigantesques des parents, en ce qu’elles ont de plus capricieusement agressif et d’omnipotent, pour se transformer en m�galomane nihiliste. Tel fut le cas de beaucoup d’adeptes du L.E.�� (p. 188)

N. Cohn prend l’exemple de Jean Antoine Boullan (1824-1893) qui, selon lui, ��se comporte comme un adepte du L.E attard� et on retrouve dans son enseignement les th�ses typiques du L. E. Des analyses graphologiques et psychiatriques ont �t� faites et publi�es en 1948, r�v�lant un parano�aque typique, obs�d� par des r�ves de grandeur et par la manie de la pers�cution. C’�tait un homme intelligent, audacieux, d�bordant de vitalit� et d’initiative�; une personnalit� en proie � des d�sirs insatiables et forcen�s, d�ployant tout � tour, pour les satisfaire, la dissimulation la plus subtile et une brutalit� qui lui faisait fouler aux pieds quiconque �tait plus faible que lui. C’est une interpr�tation qui corrobore parfaitement tout ce que nous savons des fr�res du L.E au Moyen �ge, et de leurs successeurs, les Libertins Spirituels��. ��p. 189)

N. Cohn encha�ne sur un dialogue �crit vers 1330 � Cologne par le mystique catholique Suso qui fait �trangement penser � ce que Jung vivra plus tard dans son propre dialogue avec l’Anima sans toutefois se laisser absorber par la force de ce ph�nom�ne psychique�:

��Il raconte que par un dimanche ensoleill�, alors qu’il �tait assis, perdu dans ses m�ditations, une apparition incorporelle se pr�senta � son esprit. Suso l’interpella�:
—�D’o� viens-tu�?

—�Je viens de nulle part ”, r�pond l’apparition.

—�Dis-moi qui tu-es�?

—�Je ne suis pas�?

—�Que d�sires-tu�?

—�Je ne d�sire pas.

—�C’est un miracle�! Dis-moi, quel est ton nom�?

—�On m’appelle force sans nom.

—�O� m�ne ta perspicacit�?

—�� une libert� sans entrave.

—�Qu’appelles-tu une libert� sans entrave�?

—�C’est quand un homme ob�it � tous ses caprices, sans faire de distinction entre Dieu et lui, et sans regarder l’avant ou l’apr�s...��. (Cf. Suso, pp. 352 � 357)

Les adeptes du L.E �taient d’un amoralisme total. Pour eux la preuve du salut r�side dans la n�gation de la voix de la conscience et du remords.

On peut se demander alors quelle est la voix qui parle � Suso sinon celle identifi�e par Jung comme une personnification de l’Anima.

Pour eux tout acte accompli l’est non pas dans le temps mais dans l’�ternit�, venant des plus intimes profondeurs du gouffre divin�: ��Que le monde entier soit d�truit et p�risse totalement plut�t qu’un ��homme libre�� s’abstienne de faire une seule action que sa nature le pousse � accomplir��.

Nous d�couvrons ici la version en n�gatif d’un espace sacr�.

Ils ne craignent pas de passer d’un extr�me � l’autre, sans pour autant qu’ils pensent se contredire ou se renier�: ��Ils n’ont pas d’uniforme dit un clerc�: ils s’habillent tant�t de la fa�on la plus mis�rable, selon le temps et le lieu. Se croyant incapables de p�cher, ils s’estiment vraiment autoris�s � adopter des v�tements de toutes sortes��. (p. 191)

Il est vraisemblable que ces v�tements de toute sorte renvoient � ce que Jung a appel� la persona. Ainsi les adeptes du L.E devaient jouer, se moquer, pervertir l’ordre �tabli et les fonctions et hi�rarchie sociales reconnues comme bonnes et vraies.

��Ils se faisaient une r�gle de d�fier les tabous �tant Dieu tout ce qui �tait leur appartenait�: l’homme v�ritablement libre est roi et seigneur de toutes les cr�atures. Toutes choses lui appartiennent, et il a le droit de se servir de toutes celles qui lui plaisent. Si quelqu’un l’en emp�che, l’homme libre a le droit de le tuer et de prendre ses biens��. (p. 195)

Ainsi ils pratiquaient l’adult�re comme signe de leur �mancipation�: ��tant que tu n’as pas accompli ce pr�tendu p�ch�, tu n’es pas d�livr� de la puissance du p�ch頻.

K — La th�orie de l’�tat de nature �galitaire

N. Cohn fait remonter la notion d’�tat de Nature � l’Antiquit� (grecs et romains)�: l� est la source de l’�galitarisme et du communisme con�u comme un �tat o� tous les hommes sont �gaux par le sang et la richesse, o� nul n’est exploit� ni opprim� par autrui. Il se distingue par une bonne foi universelle, un amour fraternel, et parfois par une mise en commun absolue de la propri�t� et m�me des femmes. Il est aussi repr�sent� comme un �ge d’or perdu depuis longtemps appel� encore ��le r�gne de Saturne�� d’o� l’id�e des f�tes saturnales pendant lesquelles �taient � tous accord�s des droits �gaux.

Pour exemple sur l’id�alisation de la Nature, voici ce qu’�crit St Augustin�: ��C’est l� ce qu’a prescrit l’ordre de la nature, et c’est ainsi que dieu a cr�� l’homme. Car Il a dit�: “ Qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux des cieux et sur tous les animaux qui rampent � la surface de la terre. ” Ayant fait l’homme � son Image, il a voulu que cet �tre dou� de raison commande, mais seulement aux �tres qui en sont d�pourvus�: il a voulu, non pas que l’homme soit plac� au-dessus des b�tes... La servitude a pour premi�re cause le p�ch� qui assujettit l’homme � l’homme par les liens de sa condition... Mais de par cette nature que Dieu donna � l’homme lorsqu’il le cr�a, personne n’est esclave, ni de l’homme ni du p�ch�.�� (p. 206)

Saint Ambroise, grand �v�que de Milan dit�: ��La nature a d�vers� sur tous les hommes ses richesses pour qu’ils les poss�dent en commun. Car dieu a ordonn� que toute chose soit produite de fa�on � ce que la nourriture soit commune � tous et que la terre soit propri�t� commune de tous les hommes. La Nature a donc cr�e un droit commun, mais l’usage et l’habitude ont cr�e un droit priv�.��

L — Le mill�nium �galitaire En marge de la r�volte des paysans en Angleterre

��Quand cessa-t-on de tenir une soci�t� sans distinction de statut ou de richesse pour un simple �ge d’or irr�m�diablement perdu � une �poque lointaine du pass�?

Ce nouveau mythe se cristallisa aux alentours de 1380. La r�volte qui �clate est li�e aux m�contentements des paysans qui, comme nous l’avons d�j� eu, ayant perdu le lien paternel qui les unissait aux seigneurs, ne voient plus pourquoi ils doivent des redevances si lourdes.��

M — L’apocalypse taborite

Dans cet �tat de boh�me, de rite latin, appartenant politiquement � l’empire romain (premi�re monarchie en 1200) l’empereur porte �galement durant la seconde moiti� du xive si�cle la couronne allemande puis la couronne imp�riale. La Boh�me constituait le premier �lectorat de l’Empire et la premi�re universit� � Prague (1348-1349). Elle perd cette situation privil�gi�e quand Venceslas IV est chass� du tr�ne imp�rial (d�but du xve si�cle) et quand l’universit� devient tch�que. A la m�me �poque la Boh�me est le lieu d’un vaste mouvement religieux dou� d’une force explosive qui dura des dizaines d’ann�es.

Une demande de r�formes du clerg� �clata avec Jean Milic et Mathieu de Janov et fut reprise par Wyclif. Jean Hus reprend les th�ses de Janov centr�e sur la corruption de l’�glise et sa mondanit�. Il fut br�l� comme h�r�tique pour son affirmation que la papaut� �tait une institution humaine, et non pas divine, qu’aucun pape si ce n’est le Christ, n’�tait le vrai chef de l’�glise, et qu’un pape indigne devait �tre d�pos�. (p. 226).

Le malaise se transforma en r�forme nationale ce un si�cle avant Luther, toute une nation d�fia l’autorit� de l’�glise incarn� par le Pape et le concile. L’�glise devint nationale et la communion fut donn�e aux la�cs sous les deux esp�ces�: l’utraquisme. Le roi Venceslas en 1419 abandonna la cause hussite et en chassa ou tua les conseillers�; Ceux-ci �taient surtout des hommes des guildes. La r�volte �clata en 1419 et du coup les artisans chassent les catholiques, les monast�res furent expropri�s. Ainsi les guildes organis�rent le mouvement des Taborites, mais ses troupes sont recrut�es dans les couches les plus basses. Et c’est dans un prol�tariat radicalis� et accabl� que se recruta le mouvement hussite. Les paysans aussi se joignent aux mouvements car au xve si�cle les nobles font tout pour les mettre dans une d�pendance totale et pour les priver du droit de l�guer les terres afferm�es � leurs h�ritiers. D�s 1419 une aile se radicalise. Ces nouvelles congr�gations se transform�rent en colonies dont la plus importantes se r�fugia sur le mont Tabor - selon une tradition du ive si�cle ou Tabor �tait le nom de la montagne o� le Christ avait annonc� son second av�nement. Ils rejetaient l’�glise de Rome, ne voyaient rien � v�n�rer dans les reliques ou les images des saints. Chacun interpr�tait les Ecritures selon ses propres lumi�res. Ils rejetaient le purgatoire, les pri�res, les messes des morts. Ils �taient contre la peine de mort et que rien ne devait �tre consid�r� comme article de foi qui ne soit pas dans les �critures. (p. 230)

Jean Milic et ses successeurs vivent dans l’attente du second av�nement du Christ. De plus comme l’Eglise de Rome �tait la prostitu�e de Babylone et le Pape l’Ant�christ, ils avaient le sentiment de vivre � la veille du millenium ou, comme les Homines Intelligentiae, du Troisi�me et Dernier �ge.

D�s 1419 les Taborites sont pers�cut�s. Ce qui renfor�a en m�me temps les fantasmes apocalyptiques. Des pr�dicateurs dont Huska, annon�aient l’imminence du combat final contre l’Ant�christ, chaque ville, chaque village serait d�truit comme Sodome. Nombre de pauvres gens vendirent leur bien. Un pr�dicateur Jean Capeck devan�a le miracle et se mit en devoir de tuer, d’exterminer les sans-dieu. Il d�montrait � l’aide de citations tir�es de l’Ancien Testament que c’�tait le devoir in�vitable des �lus de tuer au nom du seigneur.

L’extermination, les bains de sang sont donc compris comme une purification devant aboutir au millenium, nouveau paradis o� ni la mort ni la maladie ne seraient connues. Les femmes y concevraient sans commerce charnel et n’accoucheraient pas dans la douleur. (p. 234)

N — L’anarcho-communisme en Boh�me

Imp�ts, redevances et fermage allaient �tre abolis, ainsi que la propri�t� priv�e sous toutes ses formes. ��Tous les hommes vivront ensemble comme des fr�res, aucun ne sera assujetti � autrui. Le seigneur r�gnera, et le royaume sera rendu au menu peuple.�� Le conflit prend la forme d’une lutte de classe contre ��les grands��.

Une fois la purification achev�e, les Saints quittent la Boh�me pour conqu�rir le monde. Ils constituent ��l’arm�e envoy�e � travers le monde entier pour porter les plaies de la vengeance et se venger des nations, de leurs cit�s et de leurs villes, et condamner tout peuple qui lui r�sistera. Les rois seront leurs serviteurs, et toute nation qui n’acceptera pas de les servir sera extermin�e�; les Fils de Dieu passeront sur le corps des rois, et tous les royaumes qui sont sous le ciel leur seront donn�s��. (p. 236)

La Parousie n’arrivait pas, l’ordre social ne changeait pas, une r�volution �galitaire n’avait aucune chance d’aboutir pourtant ces utopies continuaient de vivre.

Quelques caisses communales furent cr�es en Boh�me et en Moravie. Les paysans et les artisans y laiss�rent leur bien et ralli�rent les Taborites. Mais � tout mettre en commun ils oubli�rent de produire. Ils r�solurent le probl�me en se d�clarant ��hommes de la loi de Dieu��, ils pouvaient s’emparer des biens de tout non taborites. Ainsi�: ��De nombreuses communaut�s ne songent pas un instant � gagner leur vie par le travail de leurs mains, mais n’ont d’autres d�sirs que de vivre de la propri�t� des autres et d’entreprendre des campagnes injustes dont le seul but est le vol��. (p. 238)

Ils affam�rent les paysans non convertis � leur cause qui connurent alors une situation pire qu’avec leurs anciens ma�tres.

Le pr�dicateur Marti Huska, �labore une nouvelle doctrine de l’eucharistie (ce n’est plus le corps du christ mais un banquet messianique).

Ainsi dieu vivait en eux et ils �taient sup�rieurs au Christ qui n’�tait qu’un homme puisqu’il �tait mort. (p. 240)

Des gens s’empar�rent de cette doctrine sous son aspect le plus militant�: les Adamites boh�miens. A leur t�te Peter Kanis, puis Adam-Mo�se. La communaut� pratiquait la libert� sexuelle avec la b�n�diction de Adam-Mo�se pour chaque couple. ��Ils semblent avoir pass� une grande partie de leur temps tout nus, n�gligeant la chaleur ou le froid se disant dans l’�tat d’innocence d’Adam et Eve avant la chute. Ils disaient qu’un d�luge de sang devait envahir la terre jusqu’� la hauteur d’une t�te de cheval. Ils firent tout pour cela pillant, volant, �gorgeant entre autre les pr�tres avec un enthousiasme tout particulier.�� (p. 241)

Quand ils furent menac�s par 400 soldats de Zizka, un mod�r� taborite, ��sans se d�monter, Mo�se-Adam d�clara que l’ennemi allait �tre frapp� de c�cit� en plein champ de bataille, et que, m�me s’il s’agissait d’une arm�e, elle serait totalement impuissante alors que les saints, s’ils demeuraient fermes autour de lui, seraient invuln�rables. Ses disciples le crurent mais n’en furent pas moins extermin�s.��

Ce mouvement se propagea en France, en Espagne mais surtout en Allemagne.

O — Le mill�nium �galitaire

D’autres sectes mill�naristes foisonnent du type de celle des Pastoureaux. Pour exemple nous retiendrons celle de Thomas M�ntzer. C’est l’�ternel �tudiant. Ce ne fut jamais un �rudit�: ��son app�tit de lecture trahissait son d�sir d�sesp�rer de r�soudre un probl�me personnel. Car il �tait une �me troubl�e, pleine de doutes sur la v�rit� du christianisme et m�me sur l’existence de dieu, mais plong�e dans une qu�te obstin�e de la certitude, dans cet �tat labile qui m�ne si souvent � la conversion��. (p. 257)

Martin Luther, de 5 ou 6 ans son a�n�, s’affirmait alors comme le plus grand ennemi que l’�glise de Rome ait connu et aussi - temporairement - comme v�ritable chef de la nation allemande. En 1517, il placarde ses th�ses c�l�bres vitup�rant contre le commerce des indulgences, en 1519, il met publiquement en question la supr�matie papale, en 1520, il publia les 3 trait�s qui d�clench�rent la r�forme allemande et le firent excommuni�. Bien qu’il faille longtemps pour voir des �glises �vang�liques, il n’en existe pas moins un parti luth�rien face � la vieille religion. (p. 257)

M�ntzer part en guerre contre le clerg�, les princes, nouveau Daniel se proposant �tre un meneur populaire divinement inspir�.

Tout autant que M�ntzer, Luther agit par conviction de la fin du monde imminente. Mais le seul ennemi � ses yeux, est la Papaut�, dans laquelle il voit l’Ant�christ et le Faux proph�te�: r�pandre le v�ritable �vangile �tait la seule mani�re de renverser la papaut�. La r�volte arm�e pour lui ne peut �tre qu’inutile et risquait de porter tort � la r�forme, plus importante que tout. Il fallait donc s’attendre � ce que Luther combattit l’influence de M�ntzer qui lui voit en Luther la b�te apocalyptique et la prostitu�e de Babylone cherchant � flatter les grands�: ��des hommes de chair priv�s de l’Esprit��. (p. 266)

M�ntzer s’adresse directement au Christ pour juger les princes ces�: gredins impies. Pour lui le plus grand crime de Luther est de justifier les injustices que subissent les pauvres.

Il joue un r�le important dans la r�volte des paysans qui appartiennent � une classe montante et s�re d’elle-m�me�: ��les paysans ne se d�finissent pas comme des mill�naristes mais au contraire comme des politiques, en ce sens qu’ils pensaient en termes de situations r�elles et de possibilit�s pratiques��. (p. 268)

Tandis que M�ntzer pr�pare la voie du millenium par la r�volte des paysans Luther �crit son pamphlet contre les bandes de paysans pillards et assassins qui �veilla les princes et les firent s’unir contre M�ntzer. Celui-ci avec ses 300 paysans se met en route. Il rallie le camp des paysans et les entra�ne dans une bataille en disant que dieu s’est adress� � lui, dans le m�me temps un arc en ciel appara�t dans le ciel. Les paysans le croient, les princes tirent et tuent environ 5000 paysans. M�ntzer fut d�capit�.

��En Russie, jusqu’en Allemagne, depuis Engels jusqu’aux historiens communistes d’aujourd’hui, il s’est trouv� des marxistes pour transformer M�ntzer en un gigantesque symbole et en faire un h�ros de la “ lutte des classes ”. C’est l� un point de vue na�f r�futable en ce sens que M�ntzer avait des pr�occupations essentiellement mystiques et �tait indiff�rent � l’�gard du bien-�tre mat�riel des pauvres. En v�rit� il fut un proph�te hant� par des mythes eschatologiques qu’il essaya de traduire dans la r�alit� en exploitant le m�contentement social. Peut-�tre, apr�s tout, est-ce une saine intuition qui a pouss� les marxistes � le revendiquer comme un des leurs��. (p. 274)

P — Le mill�nium �galitaire

Contre l’�glise de Rome, les r�formateurs se r�f�rent � la bible. Quand leurs adeptes commencent � la lire, ils l’interpr�tent aussi tout seul et leurs interpr�tations ne concordent pas toujours avec celles des R�formateurs. Partout o� l’influence de Luther se fait sentir, les pr�tres perdirent de leur pouvoir de m�diateur entre les la�cs et dieu. Certains la�cs une fois qu’ils comprirent qu’ils �taient seuls face � dieu et que la conscience individuelle �tait leur seule guide ils dirent recevoir des messages divins. Jusque l�, les gens avaient accept� - et, g�n�ralement de fa�on aveugle - l’interpr�tation coh�rente de l’univers et de la nature humaine �tablie par l’�glise de Rome. (...) C’�tait une autorit� avec laquelle on comptait aussi. (p. 275)

��Depuis de nombreux si�cles l’�glise de Rome, malgr� ses d�fauts, remplissait une tr�s importante fonction normative dans la soci�t� europ�enne.�� (p. 276) Ainsi en m�me temps qu’une lib�ration la r�forme apporte le d�sarroi et peine � faire face aux angoisses lib�r�es dans la population. Luther ne sut pas s’attacher les humbles. Apparut alors le mouvement anabaptisme oppos� au catholicisme et au luth�risme, c’est un successeur � une �chelle plus vaste des sectes m�di�vales.�� (p. 276)

Il se composait d’environ 40 sectes regroup�es autour d’un chef, un proph�te ou un ap�tre inspir� de Dieu. Leur valeur �tait surtout �thique�: pour eux la religion �tait surtout une question d’amour fraternel actif calqu� sur l’Eglise primitive. Les adeptes critiquaient la propri�t� priv�e et avait pour id�al la communaut� des biens. Ils rejetaient la soci�t� en g�n�ral, se m�fiaient de l’�tat n�cessaire aux m�chants mais non pour eux. Ils supportaient mal l’ing�rence de l’�tat dans le domaine de la foi et de la conscience. IIs �taient les seuls �lus et le deuxi�me bapt�me, d’o� leur nom, �tait une distance face au monde priv� de gr�ce.

Le mouvement s’�tendit en Suisse, en Allemagne apr�s la guerre des paysans. La majorit� d’entre eux ne songeait pas � la r�volution sociale. Compos�s des paysans et artisans ils �taient craints par les autorit�s qui les pers�cut�rent pour cela et plusieurs milliers furent mis � mort. Ils interpr�t�rent leurs souffrances d’un point de vue mill�naristes comme �tant les derni�res.

En 1531 un jeune homme�: Rothmann form� � l’universit� attire les foules � M�nster. Il se fait luth�rien. Contraint le nouvel �v�que � reconna�tre la ville comme cit� luth�rienne mais pas pour longtemps, car Rothmann influenc� par l’arriv� d’anabaptistes pers�cut� se convertit. En 1531 la vieille source de la doctrine anarcho-communiste, la cinqui�me �p�tre apocryphe de Cl�ment est r�imprim�e. On vit des usuriers renoncer � leur usure�; des gens ais�s vivre en fr�res aimants, c�dant aux pauvres le superflu. Mais ce mouvement attire aussi les mis�rables, les d�racin�s, les rat�s de toute sorte. Ce sont chez les ch�meurs en Hollande que prolif�ra l’anabaptisme (p. 284). Face � cette menace luth�riens et catholiques serrent les rangs.

Un nouveau proph�te arriva de Hollande � M�nster�: Bockelson.

Q — M�nster, la nouvelle j�rusalem

Se lan�ant dans les rues, il obtient chez les femmes des visions apocalytiques, elles se jettent par terre, hurlent et se tordent, l’�cume aux l�vres. On occupe l’H�tel de ville, est reconnu officiellement le principe de la libert� de conscience. Les luth�riens se sauvent emportant leur bien. Munster devient la nouvelle J�rusalem, le reste de la terre serait d�truite pour P�ques�; Puis arrive Jan Matthys qui se rend ma�tre de la ville avec Bokelson. Rothmann et les autres sont d�pass�s par le mouvement populaire et les deux hollandais.

��Ce r�gime �tait une th�ocratie dans laquelle la communaut� inspir�e de Dieu avait d�vor�e l’�tat. Et le dieu que cette th�ocratie �tait cens�e servir - �tait dieu le p�re - ce p�re jaloux et exigeant qui, dans sa toute puissance, avait fascin� l’imagination de tant de mill�naristes dans le pass�. C’est afin que les enfants de dieu pussent servir le P�re dans l’unit� qu’ils r�solurent de cr�er une nouvelle J�rusalem purifi�e de toute souillure. Apr�s avoir pens� tuer tous les luth�riens et les catholiques, ils les expulsent et les obligent � laisser tous leurs biens, leurs v�tements. Ceux qui rest�rent furent rebaptis�s.��

L’�v�que avait � contre c�ur reconnu la communaut� luth�rienne, il n’�tait pas pr�t � en faire autant avec les anabaptistes. Pendant les semaines qui suivent il tente de lever une arm�e de mercenaires. Les anabaptistes pr�tendirent ensuite qu’ils se d�fendaient contre l’agression catholique, ils �taient sans doute sinc�res.

Le 28 f�vrier, le si�ge commen�a et le r�gne de la terreur �galement avec Matthys. L’argent sous toutes ses formes fut pris aux gens sous la menace spirituelle ou corporelle, de m�me les portes de toutes les maisons durent rest�es ouvertes nuit et jour, ainsi la communaut� de tous les biens fut institu�e. La r�volution sociale �tait farouchement anti-intellectuelle, on pr�tendait m�me que les ignorants avaient �t� choisis par dieu pour racheter le monde. Bient�t tous les livres furent br�l�s sauf la Bible. Cet acte symbolisait un rejet absolu de l’h�ritage intellectuel des g�n�rations pr�c�dentes. Ainsi l’interpr�tation des Ecritures fut dans les mains des seuls anabaptistes. Matthys meurt brusquement, Bockelson le remplace. Il est plus fin politicien, mais aussi plus mystique et m�galomane. Apr�s un temps d’un moralisme de type calomniateur, il permet soudain la polygamie. Li�e au fait qu’il y avait plus de femmes que d’hommes. Elles furent forc�es � se marier et souvent de devenir la troisi�me ou la quatri�me �pouse. Ici �tait reprise la voie des fr�res du libre Esprit et des Adamites avec le fameux�: ��croissez et multipliez, des patriarches d’Isra�l��.

Bockelson en vint � se proclamer roi, comme messie des Derniers jours. Le nouveau roi et sa cour s’habill�rent somptueusement, la masse, elle, �tait soumise � une aust�rit� rigoureuse. Divers �l�ments de manipulation tinrent le peuple mais surtout la terreur. Il s’entourait de ses hommes, venus de son pays qui sans lui n’�taient plus rien. Ils savaient aussi qu’en cas de famine ce serait les derniers � mourir de faim. Ils �taient � cheval pr�ts � charger aussi bien l’ennemi que le peuple. Finalement l’�v�que d�cida un blocus avec tous les �tats de l’empire. Il n’y eut plus besoin de prendre d’assaut mais d’attendre. Les gens mouraient d’inanition. Finalement, Bockelson entra�na les anabaptistes � leur perte. Ils furent des milliers � �tre massacr�s, un par un. Bockelson apr�s avoir �t� tortur� publiquement fut ex�cut�.

Le mouvement anabaptiste se termine avec le dernier b�cher sur lequel p�rit Willemsen, en 1580.

Autre note de lecture�:

f�vrier 2009 par Illel Kieser ’l Baz


Notes�:

[1] — Les fanatiques de l’Apocalypse, Payot, 1983.

Norman Cohn, n� � Londres en 1905, �tait professeur � l’Universit� de Sussex et directeur du centre de recherche en psychopathologie collective qui y fut cr�� aux alentours de 1966. Il s’est consacr�, dans ses �crits aux obsessions collectives. Son �uvre est peu connue en France, probablement parce que ses travaux cadrent mal avec le structuralisme ambiant et le psychanalisme. The pursuit of the Millenium dont il sera question ici constitue une �uvre fondamentale qu’il faut associ� � Warrant for genocide, traduit en Fran�ais sous le titre�: Histoire d’un mythe, ce qui att�nue fondamentalement le sens d’une recherche sur les fondements historiques du g�nocide. En effet, qui conna�t le protocole des sages de Sion dont il est question en sous-titre de cet ouvrage�?

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