Un vendredi du mois d’ao�t 2007. L’implacable lumi�re blanchit le ciel. La montagne assombrie de broussailles rafra�chit ses basques dans les ourlets d’�cume de la M�diterran�e. Le vendredi - islam oblige - est devenu le dimanche des Alg�riens. Impeccable, la route d�roule ses lacets depuis Tigzirt, minuscule port de p�che sans p�cheurs, jusqu’au col d’Agouni Gueghrane qui r�v�le un fascinant paysage de sommets chaotiques�: Haute Kabylie vers le sud, barr�e par le puissant Djurdjura, Tamgout vers le nord, ce pic o�, selon la tradition le brouillard a cr�� ses racines.
Une lieue plus bas, c’est Boudjima, un village kabyle accroch� � un replat, d�figur� par les nouvelles et laides b�tisses � �tages de parpaings, de briques et de b�ton, en �ternelle voie d’ach�vement faute d’argent. Une piste rugueuse conduit, au-dessus du village, � une villa isol�e, blanche, � deux �tages, rev�tue d’une enseigne insolite�: Eglise de Boudjima. Un couple de Kabyles de Tigzirt auquel j’avais demand� de me faire rencontrer des chr�tiens m’avait invit� � assister � un ��culte�� (l’�quivalent d’une messe) � Boudjima.
Depuis longtemps, je tenais � entendre ces compatriotes n�s musulmans puis devenus chr�tiens, non sous l’influence des P�res Blancs de l’�poque coloniale mais de leur propre chef, longtemps apr�s la d�colonisation. Le motif avanc� par l’opinion courante est que les conversions au christianisme permettraient d’obtenir facilement un visa pour �migrer en France.
Deux rideaux ferment la fa�ade d’un ancien garage attenant � l’�glise. De l’ext�rieur, j’entends un ch�ur de voix puissantes chanter des psaumes rythm�s par un accompagnement de tambour, de guitare et de fl�te. Profitant d’une pause, je tambourine sur la t�le. Un jeune vient m’accueillir, me souhaite la bienvenue et m’invite � assister au culte.
Le local du culte couvre une soixantaine de m�tres carr�s. C�t� gauche, une douzaine de femmes, certaines en robe et fouta kabyles, d’autres en polo et blue-jean ou en robes claires. C�t� droit, une vingtaine d’hommes en pantalons longs et chemisettes, chauss�s de sandales. Deux ou trois en costume cravate.
Devant un autel, le pasteur, la trentaine �lanc�e, d�livre son pr�che en langue kabyle m�l�e de mots fran�ais que toute l’assistance comprend. Une croix orn�e de lierre est accroch�e � l’un des murs. De temps en temps, guitare au flanc, un assistant le relaye. Le th�me de ce vendredi, c’est la l�gende biblique de David et Goliath. Sur un signe du pasteur, l’un des fid�les lit un passage (en fran�ais) de la Bible. L’essentiel du pr�che�; ��Dieu s’est fait homme pour racheter nos p�ch�s. Il faut l’aimer, avoir une totale confiance en lui, aimer toutes ses cr�atures.��
Une jeune (et belle) jeune femme chante un psaume, micro en main. Un jeune offre � chacun des pr�sents un morceau de galette kabyle en guise d’hostie (le corps du christ) et une gorg�e d’un excellent vin rouge (le sang du Christ.) Tout ce monde communie avec ferveur. Parfois, debout, les bras lev�s en arc, les fid�les chantent une pri�re. Les visages lumineux, les voix ardentes donnent l’impression qu’en face leur appara�t le visage de J�sus. L’un des fid�les, en costume de ville, s’agenouille et prie d’un air d’extase.
Le pasteur me renseigne�: il y a des jeunes, des hommes m�rs, des vieux. Des fonctionnaires, des ouvriers, des professions lib�rales, des sans emploi. Il y a des femmes au foyer, des enseignantes, des employ�es.
��- Les gens disent que vous vous convertissez pour obtenir plus facilement un visa.��
Un �clat de rire me r�pond�:
��- Nous attendons du christianisme un visa pour le paradis de Dieu.��
Le culte a dur� trois bonnes heures. Dans une salle rectangulaire, une assiette de couscous aux haricots verts suivie d’un dessert de figues fraiches est offerte � chacun. Une bo�te est accroch�e � un mur. Celui qui le d�sire peut y glisser une obole. Avant de se disperser, les adeptes devisent sur l’esplanade. Maintenant le soleil est br�lant. En contrebas le village para�t anesth�si�.
Des communaut�s chr�tiennes se r�unissent dans de nombreux autres villages. On dit que la r�gion de Tigzirt est la plus concern�e. Le christianisme perce aussi dans des r�gions arabophones d’Alg�rie, quasiment clandestin. Au hasard des rencontres, j’ai demand� � des Kabyles musulmans leur avis sur l’�vang�lisation. R�ponse unanime�: ��Chacun est libre de choisir sa religion.��
Je songe aux 84 ans de cet ancien �migr�: ��J’ai v�cu en Bretagne. Amoureux d’une Bretonne, j’ai demand� sa main. Ses parents me l’ont refus�e parce que je ne suis pas catholique. Je suis alors devenu ath�e et je le reste.��
L’attitude des autorit�s gouvernementales�? Deux lois vot�es cette ann�e 2007 menacent de sanctions p�nales quiconque tenterait de d�tourner les gens de l’islam. L’exercice collectif du culte chr�tien est soumis � des formalit�s bureaucratiques. Cependant, la Constitution garantit � tous la libert� de conscience. Certains affirment que le Coran ordonne de tuer les musulmans qui apostasient. En effet de nombreux versets le prescrivent.
Songeur, je regagne Tigzirt. L’�vang�lisation serait-elle une chance pour la Kabylie�? Un violent vent d’est souffle une chaleur d’incendie de for�t. Des combats font rage depuis une semaine � Yakourene, � une trentaine de kilom�tres � vol d’oiseau de Boudjima�: des militaires musulmans de l’arm�e alg�rienne tentent d’exterminer les rebelles musulmans qui viennent d’attaquer la gendarmerie de cette localit� et de tuer quelques gendarmes musulmans. Ad majorem dei gloriam�!