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Esclavagisme et racisme anti-Noir�: Odile Tobner “ accuse ” la France


L’�pouse de feu Mongo Beti a publi�, en d�but d’ann�e, un ouvrage qui d�masque l’id�ologie et la pratique fran�aise de l’esclavagisme et du racisme. Ambroise Kom en pr�sente la trame. Les intellectuels, la classe politique fran�aise et l’Eglise de nouveau sur la sellette.

Date de premi�re publication�: Le Messager

DOUALA - 13 f�vrier 2008 � Ambroise KOM, Le Messager

L’ouvrage que publie Odile Tobner se pr�sente comme une suite �labor�e de N�grophobie qu’elle a �crit en collaboration avec Boubacar Boris Diop et Fran�ois-Xavier Vershave en r�plique au tr�s controvers� “ N�grologie. Pourquoi l’Afrique meurt (2003) ” de Stephen Smith. Dans une volont� �vidente d’exhaustivit� et de mani�re � la fois diachronique et synchronique, Tobner �tablit et analyse les manifestations de la n�grophobie fran�aise. Selon elle, le racisme fran�ais s’exprime tant au niveau du pouvoir politique, comme l’a rappel� publiquement Nicolas Sarkozy � l’Universit� Cheikh Anta Diop de Dakar en juillet 2007, qu’� celui des m�dias (cf. Georges Fr�che, 11) qui entretiennent une relation probl�matique avec les Noirs, ainsi qu’au niveau de l’intelligentsia, comme nous l’ont montr� � diverses occasions Saint Augustin, Montesquieu, Gobineau, L�vy-Bruhl, Leiris, Bruckner, Finkielkraut, Carr�re d’Encausse, Luc Ferry, Stephen Smith, etc.

Divis� en sept chapitres et comportant une longue introduction, un avant-propos et une conclusion, l’ouvrage consacre les cinq premiers chapitres � chacun des si�cles pris en compte. Le sixi�me chapitre, “ Le Sud rel�ve la t�te ”, montre comment s’organise la r�sistance du c�t� des victimes tandis que le septi�me d�construit les strat�gies de contr�le du discours et surtout de l’�criture, du c�t� de l’Occident, de l’histoire de l’Afrique. C’est dire que le livre de Tobner, d’une multidisciplinarit� achev�e, est une contribution majeure aux �tudes culturelles contemporaines. Tout comme Culture and Imperialism (1993) de Said par exemple, l’ouvrage montre que la mani�re dont un peuple se pense et se repr�sente est parfois le r�sultat des manipulations qui se sont, consciemment ou non, infiltr�es dans ses institutions culturelles. Ainsi en va-t-il de Lagarde et Michard, manuel scolaire le plus c�l�bre de France, “ qui a diffus� le dogme qui fait du chapitre de L’Esprit des lois de Montesquieu sur L’Esclavage des N�gres un texte ironique ” (253, alors qu’il s’agit d’un texte ouvertement raciste comme le prouve Tobner, cf. �galement 113 � 117). Chacun des chapitres de l’ouvrage est con�u dans cet esprit de d�voilement.

Racisme comme strat�gie d’appropriation du monde

Comme on le sait, l’esclavage, tout comme le massacre des Indiens d’Am�rique, est la cons�quence du complexe de sup�riorit� de l’Europe et de la civilisation jud�o-chr�tienne�: “ Il faut, �crit-elle, faire la guerre aux sauvages pour leur bien, pour les arracher � l’inhumanit� de la vie sauvage et pa�enne et leur procurer le salut par la soumission � une civilisation sup�rieure ” (59). Tobner rappelle opportun�ment les connivences entre l’�glise et les n�griers. Pour Saint Augustin, l’esclavage est une cons�quence du p�ch� originel�; on attribue au j�suite Luis Molinas (1535-1601) “ les premiers argumentaires de justification de l’esclavage des noirs ” (72)�; par la bouche de Saint Paul, le Saint-Esprit ordonne aux esclaves de demeurer en leur �tat. L’entreprise missionnaire est con�ue pour arracher les pauvres Noirs “ � l’enfer de la sauvagerie pa�enne et [de] les amener au ciel par le bapt�me et l’esclavage ” (73). Et pourtant, “ La traite et l’esclavage des Noirs sont le ph�nom�ne �conomique quantitativement le plus important, en nombre d’hommes exploit�s, en volume de production marchande, en chiffres mon�taires, de l’Histoire occidentale du XVe au XIXe si�cle ” (77). Cette activit� �conomique s’accompagne surtout d’une mutation intellectuelle puisqu’elle donne naissance au racisme�: “ Le racisme est l’id�ologie qui a le mieux servi le capitalisme comme stade terminal d’appropriation du monde ” (78).

D’autant plus qu’avec l’exp�rience et le soutien des hommes d’�glise comme le tr�s dominicain Jean-Baptiste Labat (1663-1738), qui publie le Nouveau voyage aux �les d’Am�rique (1722), le commerce va �tre sacralis�: “ Son plus grand orgueil est d’avoir fait de l’�tablissement religieux qu’il dirige une entreprise fructueuse ” (91). Bien plus, il se pla�t � inventer des fables au sujet des Noirs en sugg�rant que “ la pauvret� [...] vient du vice par excellence, nomm� paresse, li� � la couleur ” (cf. 98-99). Nombre d’intellectuels fran�ais de l’�poque - Montesquieu, Condorcet, d’Alembert, Voltaire, etc. - suivent les traces du p�re Labat car si “ les hommes d’�glise [...] ach�tent et exploitent des esclaves, c’est bien la preuve que ces gens-l� le m�ritent. Quant aux philosophes, comme Voltaire, ils pensent et �crivent que la race des n�gres est une esp�ce d’hommes diff�rente de la n�tre ” (112).

Apr�s avoir �tabli le contresens g�n�ralis� qui a fait la fortune de Montesquieu � travers les si�cles, Odile Tobner se montre s�v�re � l’endroit du raciste et tr�s paternaliste Condorcet (1743-1794) qui semble d’ailleurs responsable dudit contresens. Le si�cle dit des Lumi�res, on l’aura compris, ne profita en rien aux Noirs � qui on refusa d’appliquer la D�claration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. M�me la Soci�t� des amis des Noirs, cr��e en 1788, sugg�re�: “ L’affranchissement imm�diat des Noirs serait non seulement une op�ration fatale pour les colonies, ce serait m�me un pr�sent funeste pour les Noirs dans l’�tat d’abjection et de nullit� o� la cupidit� les a r�duits ”. Seuls l’abb� Gr�goire, le d�put� Lanjuinais et Robespierre se singularis�rent par leurs prises de position favorables � l’application imm�diate de l’�galit� des droits.

Traitant du XIXe si�cle, Odile Tobner montre comment le b�tisier raciste s’orne de grandes signatures, presque tous hommes de science, comme Georges Cuvier, �tienne Geoffroy Saint-Hilaire, Paul Broca, Georges Vacher de Lapouge, auteur de L’Aryen et son r�le social (1899) qui a inspir� l’id�ologie nazie, et Gobineau, bien s�r. La vedette de ce cinqui�me chapitre demeure cependant l’Ha�tien Ant�nor Firmin, totalement m�connu, et pourtant “ premier penseur de la condition faite � l’homme noir ” (160) et auteur de De l’�galit� des races humaines (1885). L’auteur cl�t le chapitre en d�gageant le fil conducteur de la pens�e occidentale sur le sujet�: “ Depuis l’anthropologie raciste du XIXe si�cle se profile la philosophie dite des Lumi�res. [...] Depuis le XVIe si�cle, le rationalisme occidental �volue en effet du�: "Ils sont plus raisonnables que nous" de Montaigne, en passant par le�: "Ils sont aussi raisonnables que nous" de Descartes au�: "Nous sommes plus raisonnables qu’eux" de Kant, pour arriver enfin au�: "Nous seuls sommes raisonnables" de Hegel ” (161-162).

Perp�tuation de l’id�ologie raciste en France...

Telle est la base sur laquelle va se construire la culture fran�aise moderne, culture au sein de laquelle des intellectuels parmi les plus dou�s et les repr�sentants des instances sup�rieures de l’�tat semblent perdre toute leur raison d�s qu’il s’agit de la question noire. Pour Odile Tobner, le concept d’art primitif ou “ premier ” par exemple n’est qu’une mani�re de perp�tuer l’erreur de jugement de L�vy-Bruhl. M�me le sens critique de Gide, sugg�re-t-elle, ne le lib�re pas des pr�jug�s de l’Occident (182). Et que dire alors de Michel Leiris qui appr�cie le Code noir (190), de L�o Frobenius, avatar germanique de la pens�e europ�enne inaugur�e par Montesquieu, ou m�me de L�on Blum, artisan du Front populaire mais raciste av�r�: “ Nous admettons, dit-il, le droit et m�me le devoir des races sup�rieures d’attirer � elles celles qui ne sont pas parvenues au m�me degr� de culture et de les appeler aux progr�s r�alis�s gr�ce aux efforts de la science et de l’industrie... ” (185)�?

On pourrait m�me supposer que c’est en raison de son trop grand abreuvement aux sources de la culture occidentale, d’une certaine absence de distanciation que Senghor s’est fait le chantre “ d’un inn�isme qui fonde et justifie le racisme et contredit le bon sens ” (193), ce qui l’a amen� � proclamer son axiome essentialiste, “ L’�motion est n�gre, la raison hell�ne ”. Il aurait donc p�ch� par contamination et n’a jou� qu’involontairement le r�le d’intellectuel suppl�tif. Heureusement, ses contemporains, intellectuels comme hommes politiques, ne se sont pas laiss�s duper, la post�rit� encore moins. C�saire, Fanon, Lumumba, Cheikh Anta Diop et... Mandela ont, chacun � sa mani�re, oppos� une r�sistance de taille aux discours imp�riaux. Tobner souligne par ailleurs que Sartre demeure le seul intellectuel fran�ais � s’�tre sinc�rement int�ress� � la cause du tiers-monde. De ce point de vue, sa rencontre intellectuelle avec Fanon est un moment capital de sa pens�e�: “ Sartre est le premier intellectuel fran�ais pour qui l’Africain sera non pas quelqu’un dont on parle, mais quelqu’un � qui l’on parle ” (218).

N’emp�che qu’aujourd’hui comme hier, une id�ologie raciste dominante et infantilisante continue de se d�velopper en France. C’est ce qui explique la fabrication et le maintien au pouvoir des dirigeants africains qui vampirisent leurs peuples. C’est dire que “ ni Mobutu, ni Houphou�t-Boigny, ni Bongo, pas plus que Pinochet, [qui] n’ont d’autre patriotisme que celui de leur portefeuille et de leurs int�r�ts personnels ” (243) ne sont les fruits d’une g�n�ration spontan�e mais bien des pantins fabriqu�s pour servir une cause, � savoir montrer l’incapacit� du tiers-monde � se prendre en main. Citant Nietzsche, Odile Tobner nous “ met en garde contre une Histoire comme re-cr�ation d’un pass� convenable et comme "jugement dernier" ” (281). Tout comme Nietzsche �galement, elle “ recommande une Histoire critique de l’Histoire, dont la finalit� est l’avenir et la vie ” (ibid.).

� vos plumes, donc, intellectuels africains et du tiers-monde en g�n�ral�! Lire et m�diter l’ouvrage de Tobner nous permettrait de mieux appr�cier la relation qui nous lie � l’ancien colonisateur et/ou � ses descendants. Peut-�tre comprendrons-nous enfin que la belle Marianne n’est qu’une grande illusionniste dont il ne faut rien esp�rer. Comme l’aurait dit Mongo Beti, il vaut mieux compter sur nos propres forces.

Odile Tobner, Du racisme fran�ais. Quatre si�cles de n�grophobie, Paris, Les Ar�nes, 2007, 304 p. 19,80 euros

mai 2008 par Webma�tre


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