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La psychanalyse est une coque vide

contre critique


La psychanalyse fut une véritable aventure à l’aube du XXe siècle, mais elle ne sut pas suivre l’évolution qui agita ce siècle. Les successeurs de Freud s’enfermèrent dans une idéologie rigide et dans un dogmatisme sectaire voire féroce. Cela dura un temps. Désormais la psychanalyse est une coque vide.

La parution de mon étude sur la pédocriminalité, Inceste, pédocriminalité, crimes contre l’humanité – mars 2007, Lierre & Coudrier éditeur –, semble susciter quelques critiques de la part de collègues psychanalystes. Il se dégage trois types de critiques :
Je reprendrais à mon compte des éléments du Livre noir de la psychanalyse ;
ma démonstration de la théorie Œdipienne s’établirait sur une confusion entre le réel et le symbolique ;
enfin, assimiler la transgression du tabou de l’inceste à un crime contre l’humanité ne repose sur aucune base juridique.

Concernant le premier point, une sorte d’écriture mimétique du Livre noir de la psychanalyse, la critique ne m’étonne pas. Chacun sait que les intégristes et les dogmatistes n’accordent crédit qu’aux écrits de leur foi. Quand, en 1974, à L’Hôpital Marcel Rivière, je dénonçais l’hégémonisme de la psychanalyse et sa volonté d’universalité, nul ne pouvait accepter une parole aussi outrancière. Les temps n’étaient pas venus. Que le Livre noir de la psychanalyse fasse maintenant débat résulte d’un effet de manche un peu tardif, d’autant plus opportun que le courant comportementaliste et causaliste de la psychologie s’érige en successeur de la psychanalyse.

Plus tard, en 1982, encore, je dénonçais l’impasse de la psychanalyse comme recours scientifique possible en psychologie. J’insistais sur la façon particulière dont la psychanalyse semblait ignorer l’histoire, reléguant de nombreux penseurs dans les limbes de la barbarie, comme si l’inconscient n’avait commencé d’exister qu’avec Freud. J’y développais la thèse selon laquelle la notion d’imaginaire pouvait fort bien se substituer à celle d’inconscient avec l’avantage certain d’une vision plus globale des phénomènes psychiques. Je m’appuyais alors sur la pensée de deux grands philosophes d’expression arabe, Ibn Sina et Ibn Arabi. Une partie de ma démonstration fut publiée en 1989 par les éditions Lierre et Coudrier sous le titre : Inanalyse ou le déclin de la psychanalyse en Occident. J’ai poursuivi ces recherches sur l’imaginaire et elles feront l’objet d’une publication prochaine sous le titre : Les empreintes du futur.

Cependant, même à cette époque, je n’étais pas moi-même un novateur, car dès le début des années 70, la psychanalyse fut mise en critique au plan historique, anthropologique et clinique. Mais les croyances se nourrissent des critiques qui leur sont adressées et rien n’est plus difficile que d’argumenter contre la mauvaise foi d’un prêcheur.

Il ne fallait pas être grand clerc, à l’époque, pour constater que la défense de la psychanalyse tenait plus du débat doctrinaire que de la recherche scientifique.

Le public français ignorait largement que l’on devait à Pierre Janet de nombreuses hypothèses cliniques que Freud s’empressa d’assimiler à sa doctrine, tout en méprisant ce « petit français ». Après avoir été délaissée par Freud, l’hypnose fut réintroduite en France, pour innover, grâce à de talentueux thérapeutes comme François Roustang, mais on oubliait les travaux de Robert Desoille sur le rêve éveillé dirigé... Lors d’une conférence donnée au premier congrès maghrébin de Psychologie, Culture et identité, 14-15-16 mars 1989 – Hammamet, Tunisie, je mettais en doute l’universalité de la théorie du Complexe d’Œdipe, ce qui me valut d’être exclu du congrès et le texte de ma conférence fut mis à la trappe lors de la publication des actes du congrès. Dans cette conférence, je présentais des hypothèses anthropologiques pour refondre les notions d’identité et de culture. La lecture de A. Leroi-Gourhan, de Robert Jaulin m’avait largement convaincu de la nécessité d’une exploration pluridisciplinaire qui inclurait l’ethnologie et l’anthropologie historique pour nourrir les recherches en psychologie clinique.

En neurophysiologie, les travaux de Michel Jouvet à Lyon s’avéraient extrêmement prometteurs et tendaient à valider les hypothèses de Jung sur l’inconscient comme ferment de création. Actuellement ce chercheur continue de publier... au Canada et les résultats de ses recherches servent désormais à l’exploitation outrancière de brevets. Foin de la recherche fondamentale.

Comme la recherche ne peut progresser que dans l’échange et la communication, le foisonnement des années 60 – La revue Psyché disparut à cette époque, s’y exprimaient de nombreux chercheurs venus d’horizons très divers, il n’y eut plus d’équivalent après – s’éteignit rapidement dans le silence : aucun congrès de psychologie en France, l’édition prise d’assaut par les cartels lacaniens au point que des œuvres de fond demeurent encore inédites, notamment les écrit de Pierre Janet, Maryse Choisy, Mary Balmary, Claude Prévost et j’en oublie beaucoup.

Il aura fallu plus de trente ans, en France, pour que l’on produise enfin des écrits « apostats ». Entre temps, il faudra bien affronter la vague comportementaliste qui déferle sur les sciences humaines, il s’agit, n’en doutons pas, d’un retour inévitable sur le dogmatisme et l’hégémonisme de la psychanalyse. Le pendule reviendra lentement à un point d’équilibre et l’on pourra, sans doute, reprendre les recherches avec plus de sérénité, là où elles s’étaient arrêtées dans les années 60.

Le Livre noir de la psychanalyse, publié sous la direction de Catherine Meyer, est un corpus d’articles de plus de 800 pages dont l’ambition affichée est de contredire les théories et de réfuter les succès de la psychanalyse. Ce livre, paru en septembre 2005, rassemble une quarantaine d’auteurs de différentes nationalités et de différentes spécialités : historiens, psychiatres, philosophes...

Il s’agit en fait d’un ouvrage qui attaque la psychanalyse, non sur le fond mais sur la forme. Il s’agit d’un procédé juridique bien connu aux USA, attaquer les personnes sur le plan moral et éthique pour discréditer leurs œuvres. Les psychanalystes français ont fait de même dans les années 80 en tentant d’accuser C.G. Jung de collusion avec le nazisme pour discréditer son œuvre. Que les psychanalystes se retrouvent maintenant les sujets de tels procédés est un retour d’une histoire qu’ils ont eux-mêmes écrite.

Mais Le Livre noir de la psychanalyse, ne s’attaque nullement à la théorie psychanalytique, tout juste, son pouvoir de guérison est-il mis en doute. Il n’est nulle part fait critique de l’incapacité dans laquelle la psychanalyse s’est trouvée de faire le lien avec l’histoire, de donner une claire représentation des événements tant contemporains que passés. Par suite la psychanalyse et sa fille la psychologie clinique sont dans l’incapacité de produire une quelconque prospective historique. Cela a laissé le champ libre aux historiens et aux sociologues. Ce n’est pas un hasard si l’on convoque quasi exclusivement des sociologues dès qu’il s’agit de donner un avis sur des faits contemporains.

De même n’est-il jamais question dans les nombreux articles de ce document, d’une remise en cause des catégories nosographiques largement inspirées par la psychanalyse.

Les historiens, grâce à des personnalités ouvertes telles Vidal Naquet, Duvignaud, etc. a très rapidement intégré la dimension anthropologique dans ses recherches. La sociologie, par exigence pour combler un vide, a donné à l’expression francophone des penseurs contraints d’intégrer la psychologie à leur démonstration, Maffesoli, Yves Lecerf, Bourdieu.

La psychanalyse ignore le fait ethnique, même si Tobie Nathan, prolongeant les travaux de Georges Devereux, a tenté de combler un manque. La méthode comparatiste si familière désormais aux archéo-anthropologues et aux historiens est largement ignorée des psychanalystes. Pourtant sur des terrains comme celui de l’anorexie, par exemple, s’intéresser au brahmanisme pourrait nous apporter des enseignements intéressants à propos de ce qui sous-tend la capacité du jeûne prolongé chez les adeptes. Non seulement, nous y trouverions des informations sur les mécanismes psychologiques mis en jeu mais nous pourrions aussi aider les anorexiques, durant leurs crises, en leur apportant les enseignements issus d’une étude attentive de personnes qui soutiennent ces jeûnes durant plusieurs mois parfois. L’apport de la physiologie serait également fructueux. Mais l’histoire aurait aussi son mot à dire en nous renseignant sur ces ascètes du désert qui, au début de l’ère chrétienne ou peu avant, s’engageaient, durant plusieurs années parfois, dans la solitude la plus totale en plein milieu du désert. Dans mon étude sur le voyage de Mohammed – Le Prophète de l’Islam – j’aborde cette question. (« Le voyage nocturne de Mohammad » et « L’imaginaire, les rêves et l’Histoire », sur le site Hommes et Faits)

C’est à la lecture minutieuse des témoignages antiques que l’on entrevoit la rigidité matérialiste et causaliste de nos théories psychologiques contemporaines. Plus loin encore, en se cantonnant à l’individu seulement, la psychanalyse s’aliène la possibilité d’une vision globale, donc historique, donc politique. Et elle ne peut alors dire qu’une chose, la politique, comme l’art ne sont que sublimation plus ou moins réussie d’une névrose.

Si la chose est vraie, admettons, pourquoi dès lors, ne pas accepter de se lancer dans l’interprétation de l’histoire en dressant des lignes pour le futur. C’est la voie de toute science, savoir pour prévoir ?

La psychanalyse ne peut envisager l’étude l’histoire qu’en la réduisant à sa propre dimension et en faisant entrer de force l’événement dans ses registres sémantiques. C’est là une fâcheuse tendance de nos mentalités hégémonistes : l’assimilation et la digestion du corps étranger.

Ainsi, pour la psychanalyse, la création du monde ne serait que pathologie... Qu’elle résulte du Big Bang ou de l’œuvre de Dieu, la vie découle du pathos. Peu de penseurs ont insisté sur cette vision pessimiste des fondateurs de la psychanalyse, Freud en tête. Or, resituer cette doctrine dans le contexte du moment, entre deux mondes, entre deux siècles, au début de l’industrialisation à outrance du monde et de ce qui laissera probablement une empreinte profonde dans l’histoire de l’humanité, apporterait de précieux renseignements. L’œuvre de Freud ne peut pas être dissociée du courant romantique allemand. Que nos cultures aient plongé dans la démesure, par la guerre, par la marche vorace du « Marché », par la déshumanisation a totalement échappé à la psychanalyse. Freud a voulu hisser la psychologie hors de la « boue noire » de la barbarie, il a dépossédé l’homme du sentiment en le réduisant à des mécanismes, ouvrant une voie royale au comportementalisme contemporain qui achèvera son œuvre.

Or, je ne conçois pas de science humaine qui ne saurait avancer une expertise, même prudente, sur les dévoiements collectifs.

Je ne conçois pas l’individu sans une place dans le collectif, dans le temps et dans l’espace. Je ne conçois pas d’œuvre humaine sans l’émergence d’une part d’imaginaire qui aurait bien plus à voir avec un mystère nommé univers que ne l’envisagent nos modernes psychanalystes.

La psychanalyse est une doctrine qui dérive de la prétention d’une forme de mentalité qui voudrait tout nommer et tout contrôler. J’ai nommé, ailleurs, cette mentalité : Conscience Blanche, pour faire contrepoint à la mentalité soi disant primitive de l’Afrique. Pour dire aussi qu’il existe à coup sûr d’autres formes de conscience que celle que nous connaissons et qui ne serait que le fruit circonstanciel d’une culture. Si l’on s’en tient, par exemple, aux données qui nous viennent des traductions des traités chinois de « médecine traditionnelle, le So Wen, entre autres, il y aurait cinq formes différentes de conscience... De même, selon ces traités, entre le physique et le psychique la différence ne serait que dans la manifestation car, d’un point de vue dynamique, il n’y aurait de différences que qualitatives. La médecine traditionnelle chinoise nous permet aussi de prévoir et de dire pourquoi tel trauma aura une manifestation physique et non psychique...

La psychologie moderne en est incapable. Que l’on croit ou non de telles assertions, qu’on les disent primitives, n’a pas d’importance, il est cependant du devoir d’un chercheur scrupuleux de les étudier d’un peu plus près, plutôt que de crier : « Halte, primitif, fétichiste ! » et de s’en retourner avec arrogance à la lecture de ses grimoires.

Concernant maintenant la critique qui m’est adressée sur ma volonté affichée d’inscrire le crime d’inceste comme crime contre l’humanité. Je ne fais là que me reporter aux sources du droit et rappeler la détermination de ceux qui, au lendemain de la Shoah, voulurent que plus jamais cela ne se reproduise. Leur volonté s’appliqua, à l’époque, aux atteintes collectives car on en sortait à peine et nul n’aurait imaginé que l’Europe puisse en arriver là. Le « crime contre l’humanité » fut ainsi inventé, sur le fond, comme une atteinte à la pérennité de l’humanité entière. Quand on constate que la transgression du tabou de l’inceste se répand comme une épidémie, que chaque enquête voit s’alourdir le nombre de victimes ; quand on sait que ce tabou est universellement répandu, on s’interroge ; quand le mal se « banalise » et qu’il touche la souche de nos lignées humaines – l’enfant –, je n’imagine pas d’autre dénomination que « crime contre l’humanité ». Si je lis Anna Arendt, je me trouve conforté dans cette démarche. Il y a bien quelque chose de fondamental dans ce tabou et si l’humanité a traversé tant d’épreuves tout en évoluant, on peut lui accorder le bénéfice d’une certaine sagesse, même occasionnelle. Par contre on pourrait s’interroger sur l’éthique d’une culture, la nôtre, tout à fait éphémère au regard de l’Histoire, qui ne parvient même pas à envisager l’inceste comme un crime, qui érige la pédocriminalité en argument touristique, qui feint d’ignorer que ce mal gagne chaque jour un peu plus, qui érige l’esclavage sexuel au rang d’institution...

Quant à l’argument selon lequel je ferai une confusion entre le « réel » et le « symbolique », ceux qui en usent ignorent de quel point de vue ils se placent ainsi que les mots de l’histoire des religions. Ils sont à ce point inconscients de leur placement doctrinal et religieux qu’ils me traitent, en fait, d’idolâtre. L’Afrique n’ignore pas ce que ce terme voulut dire dans l’histoire du colonialisme et de l’évangélisation forcée, l’Amérique indienne ne l’ignore pas non plus. J’ai résisté à l’évangélisation forcée, j’ai la chance de ne pas craindre le bûcher. L’argument est théologique car la « théorie du complexe d’Œdipe » résonne comme un dogme fondamental dans l’édifice doctrinal de la psychanalyse. Y porter atteinte c’est vouloir la détruire. Je n’ai jamais eu ce souci, peut-être les rédacteurs du Livre noir de la psychanalyse sont-ils animés par un tel objectif. Pour ma part, j’ai appris de certains de mes pairs que la psychologie était une science jeune et que la théorie devait s’effacer devant ce qui lui résistait, qu’il fallait s’en tenir au terrain, que du témoignage de l’être pouvait surgir une vérité. Je m’en tiens à cela et les soucis doctrinaux de mes collègues psychanalystes me laissent indifférents. Cependant, il est temps maintenant de ne plus leur laisser un seul pouce du terrain de la prise de parole. Si les éditeurs demeurent encore frileux, Internet est là pour fournir aux lecteurs attentifs et bien moins crédules qu’il n’y paraît des informations diversifiées.

La psychanalyse fut une véritable aventure à l’aube du XXe siècle, mais elle ne sut pas suivre l’évolution qui agita ce siècle. Les successeurs de Freud s’enfermèrent dans une idéologie rigide et dans un dogmatisme sectaire voire féroce. Cela dura un temps. Désormais la psychanalyse est une coque vide. Cela ne veut pas dire que les psychanalystes, thérapeutes en exercice soient tous des sectateurs intégristes. Nombreux sont ceux qui ont sut faire évoluer leur pratique au gré de l’évolution des mentalités. Ils n’ont pas, cependant, de cadre théorique pour rendre leur pratique cohérente et pleine de sens. Les mots manquent.

juin 2007 par Illel Kieser


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