R�cit�:
Fran�oise est une jeune femme de 28 ans. Elle a commenc� � prendre des somnif�res et des anti-d�presseurs vers l’�ge de 16 ans. Elle a subi � cette p�riode un avortement et a arr�t� ses �tudes � ce moment l�. Puis elle a commenc� � avoir des crises de spasmophilie aigue, t�tanie�; elle a vu alors des neurologues, un psychoth�rapeute�; ses parents refusent une hospitalisation en psychiatrie�; elle re�oit donc un traitement sp�cifique contre la spasmophilie auquel s’ajoutent tranx�ne et anti-d�presseurs.
Elle quitte le domicile familial. C’est quelqu’un de tr�s actif, qui fait du th��tre, de la danse, du mime, qui milite activement dans des groupes de femmes, une radio, etc. Elle voyage au Mexique et en Espagne, puis travaille avec diff�rentes compagnies de Butoh.
Depuis l’�ge de 16 ans, elle a toujours eu des probl�mes de sant� et des �tats d�pressifs qui vont en s’aggravant.
Elle commence l’alcool et le LSD, le soir, par convivialit�. � d’autres p�riodes, c’est tous les extr�mes�: la d�fonce, la cigarette, les alcools forts, toujours associ�s � des neuroleptiques et anti-d�presseurs. � certaines p�riodes, elle se retrouve compl�tement perdue, ayant l’impression d’avoir l�ch� tous ses contacts, sans logement, avec des gens vivant plus ou moins dans l’ill�galit�. Elle vit de petits boulots.
Vers l’�ge de 20 ans, elle a une maladie du cuir chevelu et perd tous ses cheveux. Trois ans plus tard, elle fait une salpingite. Elle est op�r�e d’urgence�; c’est tr�s grave et pris trop tard. On lui dit qu’elle sera st�rile et qu’il faudra beaucoup de temps avant de pouvoir danser � nouveau, du fait de la cicatrisation et de son �tat de fatigue. C’est l� qu’elle situe le d�but de son anorexie. Appara�t alors un d�nigrement de tout ce qu’elle fait�; elle vit une coupure totale avec ses activit�s pr�c�dentes�; ses cheveux continuent de tomber�; elle commence � d�tester son corps�: sensation de destruction, de pourrissement � l’int�rieur�; sentiment de chercher cette destruction�; elle pense que tous ses organes vont dispara�tre, mais qu’il faut maintenir une image correcte � l’ext�rieur.
Quand elle reprend la danse, elle veut travailler sur des th�mes et des gestuelles personnelles�; l�, elle s’esquinte le dos, d�chirure grave. Nouvel arr�t complet. Elle a des douleurs �pouvantables, profondes et tr�s aigu�s, par crises�: mal au foie, aux intestins�; elle a un ulc�re. Ces douleurs l’obligeaient � se recroqueviller, � se mettre � quatre pattes. Elle prend des traitements m�dicaux, tout en continuant de boire. La spasmophilie revient. Elle souffre terriblement. Elle savait que ses douleurs avaient un lien avec tout ce qu’elle prenait mais de toute fa�on elle n’avait pas envie d’arr�ter.
1990�: cure de d�sintoxication lors d’une hospitalisation d’urgence � cause de la spasmophilie et d’un �tat h�patique catastrophique. C’est en �t� et les m�decins la s�vre de tout en m�me temps (alcool, m�dicaments, etc.). C’est l’horreur�: souffrances terribles�; crise grave d’�pilepsie au bout de 48 heures�; elle tremble tout le temps, elle est gel�e en permanence et ne dort plus pendant une dizaine de jours.
��Je me vidais, j’avais la chiasse et envie de vomir�� Cette cure lui a �t� impos�e et elle se sent plong�e vers l� o� elle ne voulait pas aller.
��Je ne vais pas m’en sortir�!��, envie de mourir, images morbides tout le temps�; perte de contact�; elle ne mange plus rien�; elle n’�coute plus de musique alors qu’elle aime beaucoup cela�; elle ne suit plus les conversations, ne peut plus soutenir son attention, n’a plus go�t � rien. Elle est obnubil�e par une seule pens�e�: mourir ou recommencer � boire. Il lui semble que c’est ��comme si on essayait d’amener � la vie quelqu’un d’autre que moi��. Sensation d’�tre �clat�e. En m�me temps, on ne peut plus la toucher. A la sortie, elle recommence comme avant.
LN �: Cet �tat �tait-il compl�tement nouveau ou est-ce que tu connaissais d�j� ce type de d�sespoir�?
Fran�oise �: "Les �tats d�pressifs ont en fait commenc� depuis tr�s longtemps�: des heures d’attente et de pleurs o� je me vidais�; impression de ne plus rien pouvoir faire. L� je buvais ou je me shootais et �a repartait dans l’action."
Novembre 91�: tentative de suicide, coma de 10 jours, 2 mois d’H.P. Anorexie totale, perfusions. Elle sort contre avis m�dical, avant qu’on lui fasse des �lectrochocs.
Elle reprend des �tudes � la facult�, soutient un m�moire, elle est tr�s brillante.
Actuellement, elle ne se drogue presque plus, mais elle continue � consommer beaucoup d’alcool et de tranquillisants. Dans la journ�e, il y a des moments o� elle est en manque, avec des manifestations telles que�: vertiges � la limite de la syncope, pertes d’�quilibre, tremblements, froid, jambes molles. Elle a un �norme probl�me physique, des troubles de la vision. Au niveau des douleurs, elle a tout le temps mal, avec des crises plus aigu�s mais qui ne sont pas forc�ment directement li�es au manque.
Elle dit qu’elle est devenue compl�tement d�pendante de l’alcool et des m�dicaments, mais moins accro aux drogues quelle qu’elles soient.
Elle ne peut pas imaginer qu’il n’y ait plus d’alcool�: ���a me sauve des larmes��, ���a me permet d’exister��. Elle boit le plus dans des lieux o� elle peut se laisser aller�: chez elle, dans l’intimit� d’une maison amie. Elle dit�: ��je me cr�e alors des histoires, des r�ves��.
LN �: est-ce que ce sont des r�ves que tu imagines qui peuvent se r�aliser ou bien des choses compl�tement perdues apr�s�?
Fran�oise �: cela d�pend. C’est justement parfois l’alcool qui me permet de mettre en place des projets et de les r�aliser.
Quand elle n’a pas d’alcool, elle tourne en rond, casse des objets, est hyper-nerveuse, ne peut pas se concentrer et ne pense plus qu’� trouver de l’alcool. Elle dit qu’elle est quelqu’un qui pense tout le temps sauf quand elle est compl�tement "absorb�e par le corps"�: par ex. se d�foncer physiquement dans la danse, ou dans l’alcool, etc.
Quand elle n’a pas de m�dicaments, tr�s grande angoisse, nervosit� excessive...
Dans le manque, elle mentionne une angoisse d�mesur�e face � la vie. Elle a toujours pr�sents en elle ces �lans pour apprendre, pour danser, pour aller � la fac, mais ce n’est pas suffisant par rapport � une id�e de mort tr�s violente. Elle a l’impression qu’elle n’est pas capable de se r�aliser toute seule, qu’il faut qu’elle prouve tout le temps qu’elle est capable. Elle est tout le temps insatisfaite�: elle a toujours l’impression, m�me quand elle r�alise quelque chose, que �a pourrait �tre autre chose de mieux, qu’il y a un d�calage. Elle dit qu’elle a mal mais que si tout se transformait, est-ce que le choc ne serait pas encore plus violent�?
Quand elle �tait enfant, elle �tait plut�t grassouillette et toute sa famille �tait contre la danse, pensait qu’elle serait bien en chair... Actuellement, elle a un v�ritable d�go�t de son corps, de l’image de son corps... Elle dit que tout �a ��a un rapport avec sa f�minité »... Elle a l’impression qu’elle s’oppose � toute cette image que sa famille lui a impos�e.
Globalement par rapport aux sensations�: elle a l’impression d’�tre coup�e des "sensations premi�res", de ne pas vivre en entier le toucher, ce qu’elle voit autour d’elle, etc. Impression d’�tre tout le temps dans un autre monde. Actuellement, elle a par moments peur parce que son corps para�t �puis�; pour elle, ��il y a quelque chose que je peux pas contr�ler qui me d�passe��. Avant sa tentative de suicide, elle avait l’impression qu’il y avait toujours de l’�nergie�; maintenant, c’est ��comme si quelque chose est pass� dans l’ordre du corps��, elle se sent tout le temps fatigu�e.
Elle dit "�tre dans la tristesse sans arr�t et y �tre seule".
LN �: qu’est-ce qui fait qu’� un moment tu raccroches�?
Fran�oise �: les livres et les autres, les amis...