Ce travail est n� d’une rencontre, d’un carrefour�: entre d’une part mon parcours de danseuse, de chor�graphe et d’enseignante, et d’autre part mes �tudes en anthropologie. En tant que danseuse et chor�graphe je me situe globalement dans le courant de ce qu’on nomme commun�ment la danse contemporaine —�cette danse contemporaine si difficile � d�finir vu sa diversit� —�avec une formation et une trajectoire suffisamment �clectique pour me permettre actuellement d’�noncer un certain nombre de constats et de critiques sur cette m�me danse contemporaine, tout en en d�fendant parall�lement certains aspects essentiels. J’ai �galement une formation de psychomotricienne, et mon travail s’articule dans une alliance entre diverses techniques ou approches du mouvement et de la danse. Dans cette optique, ma d�marche s’applique de mani�re similaire � la recherche chor�graphique en vue d’un spectacle, � mes cours ou ateliers, � des interventions dans d’autres cadres.
C’est � la Facult� Libre d’Anthropologie de Paris (FaLAP) que j’ai �t� form�e au travail avec les images int�rieures ou Imagoth�rapie par Kieser Il’L Baz.
L’Imagoth�rapie n’a pas de vis�e curative en soi, le terme de th�rapie est ici employ� � dessein dans son sens �tymologique de m�diateur, de "passeur". L’image est cr�atrice de liens, le th�rapeute (enseignant, chef d’entreprise, infirmier, psychologue, danseur, etc.) permet qu’une personne se relie � une int�riorit� ou fasse des liens entre diff�rents aspects de sa vie. L’imagoth�rapie trouve sa source dans diff�rentes techniques et traditions�: certaines formes de yoga, traditions m�dicales et spirituelles du Maghreb, du soufisme, de la Chine. Elle s’est appuy�e sur des d�veloppements de la m�thode du R�ve �veill� Dirig� de R. Desoille, mais s’en est d�marqu�e ensuite nettement en se r�f�rant essentiellement � la th�orisation de Jung sur l’image et l’Imagination active.
L’envie d’int�grer le travail sur les images int�rieures dans la danse est devenu progressivement une n�cessit�. � l’origine, une sorte de face � face entre ce qui se passe aujourd’hui en danse contemporaine —�� savoir les questionnements, les doutes, les critiques aussi bien internes qu’externes —�et un mouvement personnel qui m’a entra�n�e, � me repositionner d’une mani�re assez fondamentale par rapport � ma pratique. Ce Mouvement m’a �galement oblig�e � affronter un certain nombre de mes contradictions.
Depuis des ann�es je suis confront�e � l’�troitesse des milieux institutionnels�: si l’on s’int�resse de trop pr�s � la psychologie, on ne peut pas �tre un v�ritable "cr�ateur", si l’on est une danseuse, on ne peut pas avoir de discours cr�dible aupr�s d’une certaine psychananlyse, on oppose p�dagogie et cr�ation (cf le fonctionnement des attributions de subventions ou les derni�res mises en place du Minist�re de la Culture en mati�re de dipl�mes)... En certains lieux on est tax� de pas assez "d�lirant", en d’autres cercles on est trop �sot�rique etc.
Il y avait deux ou trois petites choses dont j’�tais s�re�:
Le terme de cr�ation ne signifie absolument pas syst�matiquement production d’une oeuvre d’art (telle qu’on l’entend souvent). � l’inverse, ce que notre soci�t� �tiquette avec le terme Art est loin de provenir syst�matiquement d’un r�el processus de cr�ation. Il y tout lieu de s’interroger sur la place et la fonction r�serv�es � l’imaginaire dans nos soci�t�s occidentales. Enfin, la danse et les autres arts ne doivent pas et ne peuvent plus �tre consid�r�s comme des seuls divertissements futiles ou accessoires. Ils doivent avoir place enti�re dans une r�flexion sur la culture envisag�e d’une mani�re beaucoup moins �triqu�e que celle que l’on nous propose actuellement.
Parlant d’image il n’est pas question de l’image visuelle � laquelle notre soci�t� fait le plus couramment r�f�rence. Il s’agit de l’image telle que C.G. Jung l’a d�finie puis d�velopp�e dans la notion d’Imagination active, et dont certains auteurs et cliniciens ont poursuivi l’�tude�: G. Bachelard, B. Tesseydre, Kieser ’l Baz.
L’image est directement reli�e aux sens et aux sensations, et l’on ne peut pas parler de v�ritable image tant que celle-ci n’est pas reli�e � un affect. ��L’image, au sens o� nous l’entendons, est un r�seau de sensations charg� d’affects, figuration complexe d’une instance profonde de l’individu."�[1] � partir des informations capt�es par nos cinq sens commence l’aventure de l’entr�e dans l’image... L’odorat, le toucher, la vue, l’ou�e, et le go�t sont les cinq officiants-guide essentiels qui nous permettent d’entrer en contact � la fois avec le monde qui nous entoure, et avec des zones inconnues ou d�j� quelque peu famili�res de notre monde int�rieur.
L’exemple le plus imm�diat nous est donn� par des situations toutes simples de la vie quotidienne. Un repas... Je go�te un plat et me voil� transport�e d’un coup, des ann�es en arri�re, dans le souvenir tr�s pr�cis d’une rencontre particuli�re�; toute l’ambiance du lieu me revient � la m�moire, avec ses odeurs, ses �motions, la disposition de la pi�ce et des amis qui m’entourent... Ce n’est pas une photo sur papier glac�, tout est "comme si j’y �tais"... D’ailleurs l’expression est couramment employ�e. Le go�t de ce plat a r�activ� une m�moire tiss�e d’affects, d’�motions, de sentiments... Si je peux retrouver la m�moire exacte d’un �v�nement, il se peut aussi que je sois transport�e dans un lieu que je ne connais absolument pas dans ma r�alit� physique�; un paysage, un tableau, une musique, une odeur, un texte, une pens�e... Paysage �ventuellement peupl� de cr�atures �trang�res, et qui pourtant s’impose instantan�ment � cause de l’aigre-doux ressenti par mon palais... Ce sont des moments que nous vivons tous. La plupart du temps, ils n’affleurent � la conscience que lorsqu’ils sont suffisamment forts pour passer la barri�re de notre inattention, ou lorsque nous sommes dans une recherche d’expression, quelle qu’elle soit. De toute mani�re, il s’agit presque toujours d’une irruption. Mais en r�alit�, ce r�seau souterrain fonctionne constamment, et influence toute notre vie consciente. Ainsi je peux jongler avec toutes les subtilit�s que m’offrent les cinq sens et laisser se cr�er des embo�tements successifs d’images, un peu comme les poup�es russes... ou explorer les sc�narios de mes mondes int�rieurs par flash-back, zoom et travellings... C’est aussi le monde et la langue des po�tes, "l’invitation au voyage " de Bachelard...�[2]
L’image entendue de la sorte peut tr�s bien �tre juste un son, une odeur, un go�t ou un toucher. Dans le cadre th�orique tel que Jung ou certains auteurs l’ont d�velopp�, les r�ves et les pens�es sont �galement des images...
L’imaginaire, composante de la psych�, trouve ses sources dans l’inconscient de la personne. L’inconscient s’exprime en images. Ce qui fait le propre de l’image, c’est qu’elle est vivante et agissante, c’est-�-dire que sa puissance a un impact sur la r�alit�. Elle est dynamique et on en d�c�le, on en rep�re les incidences dans notre vie�: c’est en cela qu’elle se reconna�t, elle n’est pas simple visualisation, elle na�t de la personne elle-m�me�; lorsque l’image agit le mouvement na�t, rep�rable au travers du remugle de nos �motions. Par mouvement, il faut d’abord comprendre ce d�roulement qui du point d’entr�e dans l’espace de l’image, et quel que soit son d�clencheur, nous entra�ne jusqu’� son point de sortie. Dans ce d�roulement le corps est totalement partie prenante. Son temps de d�roulement est variable, de quelques secondes � plusieurs heures, voire jours ou mois... L’image s’empare de nous... C’est ainsi que je chor�graphie, et que je fais travailler les interpr�tes. L’image poursuit son chemin et notre conscience la retrouve de loin en loin.
Car l’image a un but et une finalit� que la conscience n’appr�hende pas au d�part. La conscience doit se laisser guider�: l’image est un m�diateur qui nous donne acc�s � nos sc�narios int�rieurs. Ce qui importe c’est la mise en forme � l’ext�rieur de ces sc�narios, qui peut varier�: danse, texte, peinture, sons, etc.
��La production � l’ext�rieur d’une �uvre d’imagination cr�e un espace tiers � l’int�rieur duquel la personne —�la conscience plut�t —�et sa psych� interf�rent, se transformant parall�lement. (...)
Cette transformation d�bouche sur un lien plus souple et plus fluide entre les diff�rentes instances qui constituent la trame de l’entit� humaine.
Par suite la relation au monde s’en trouve r�g�n�r�e et la personne renforc�e.��
Pour conclure, rappelons que Jung, par exemple, a repris le terme d’imaginal, emprunt� � la mystique chiite et � la philosophie Orientale.
Par imaginal, donc, on entend ��cette sorte d’organe, au dedans de nous, parfaitement adaptable, qui disposerait de la capacit� d’organiser des messages selon un ordre et une volont� discernables��.�[3]
Lorsque nous sommes en contact avec toute cette ��vie des profondeurs��, nous pouvons nous ouvrir � en communiquer des �l�ments aux autres. Elle nous caract�rise de mani�re sensible et pointue.
Le travail sur les images offre donc � la conscience d’entrer en contact avec le r�seau des forces int�rieures et inconscientes pour les laisser agir et enrichir la vie concr�te. Ce travail demande d’affiner une sensibilit� et une �coute des sensations, �motions, affects, sentiments qui nous sont propres.
Dans mon approche de l’Imagoth�rapie, tr�s vite j’ai �t� frapp�e par l’existence d’analogies entre certains modes de recherche des danseurs et le d�roulement d’une s�ance d’image ou l’organisation de r�seaux d’images. C’est ce qui m’a permis de faire des rapprochements imm�diats entre la danse et l’Imagoth�rapie, avec le sentiment tr�s pr�gnant que cette derni�re me semblait pouvoir apporter des enrichissements � la danse.
Et dans un premier temps, il y a eu des questions�:
O� rep�re-t-on les "images" � l’�uvre en danse et comment sont elles utilis�es�? Quels sont les points d’impact et la pertinence de l’Imagoth�rapie introduite dans ce cadre�?
C’est ce qui m’a amen�e � confronter mes propres observations avec les t�moignages d’autres chor�graphes et enseignants, � r�aliser des entretiens et � pister les avis des uns et des autres...
Il y a eu tout de suite deux niveaux de comparaison�:
—�Par rapport aux �l�ments concrets du travail, au jour le jour, quels sont les moyens utilis�s pour se pr�parer, "entrer dans la danse", y faire entrer les autres, et pour composer�? Quels sont les d�clencheurs, les sources d’inspiration�? etc.
—�Par rapport � la composition chor�graphique et l’�criture elle-m�me.
Dans le travail des danseurs contemporains il y a la recherche constante d’une int�riorit� et d’une expression personnelle et il y a une composante essentielle qui est l’improvisation. D�j�, L’int�gration d’autres approches du mouvement, arts martiaux, diff�rentes techniques de centration, font commun�ment partie actuellement de la formation et des entra�nements du danseur, favorise un temps de recueillement et d’attention aux sensations et aux ambiances int�rieures.
Or, dans l’improvisation, justement, il s’agit avant tout de p�n�trer dans des espaces susceptibles d’apporter des mat�riaux nouveaux qui pourront ensuite �tre d�velopp�s et malax�s en vue d’une �criture. Cet aspect primordial permet de laisser le corps lui-m�me entrer dans des formes nouvelles. Le d�roulement de la danse n’est plus alors conditionn� par un agencement “ raisonnable ” de codes mais par ce qui conduira le mouvement aux endroits non connus...
Et cela, au vu des observations, semble souvent fonctionner, lorsque ���a marche�� de la m�me mani�re que l’entr�e dans l’image�: c’est � dire qu’� partir de sensations, d’un �tat pr�alable, d’un cadre ou d’un th�me, il y a subitement une bascule, une entr�e et un passage dans un espace autre, � l’int�rieur duquel prend naissance un mouvement qui va avoir un certain d�roulement, une trajectoire, et un point d’arriv�e. � ce moment, les danseurs ne sont plus dans une ma�trise volontaire de ce qui advient mais ils laissent la place � une instance � l’int�rieur d’eux-m�mes qui les guide, tout en restant dans la conscience de ce qui se d�roule.
C’�tait un premier niveau de rep�rage�: voir comment en d�finitive les danseurs utilisent l’image dans leur quotidien, parfois de fa�on plus ou moins consciente.
Rep�rer comment fonctionne la composition chor�graphique, l’�criture finale d’une danse�? Le fil conducteur ou narratif du chor�graphe est plus proche de ce qu’on pourrait appeler un "sc�nario" po�tique ou pictural, parfois cin�matographique, et para�t souvent de prime abord incoh�rent ou en tout cas sans lin�arit� “ qui fait sens ”�!!...
C’est, je crois, le propre du travail sur la mati�re�: la coh�rence est assur�e par un rapport de correspondances. M�me dans certaines compositions dites al�atoires il existe une logique qui est de l’ordre d’une certaine synchronicit�. Par exemple, � partir de l’improvisation sur un th�me ou une qualit� de mouvement, se cr�ent des rencontres ou des modules qui entrent en relation � distance dans une simultan�it� ou un d�calage de temps et d’espace. La conscience du spectateur, et du danseur, doit appr�hender en m�me temps ces diff�rents �v�nements, qui peuvent de plus �tre associ�s avec un temps musical qui ne "colle" pas � la danse, qui a son ind�pendance et ses propres modes de composition, qui dialogue avec la danse.
Le mode d’organisation des s�quences dans�es, lui aussi, s’appuie sur une organisation interne qui � mon avis, proc�de par r�seaux d’images. Au sens o� peut l’entendre un cin�aste comme Tarkovski, parlant du montage d’un film�: il parle d’une loi de corr�lation � ressentir, pour effectuer le collage des diff�rentes parties. loi qui d�pend de qu’il nomme l’�tat int�rieur du mat�riau. Les articulations entre les s�quences se font par des liens qui se cr�ent de par une logique interne aux images, et pas forc�ment selon un processus narratif illustratif ou chronologique...
Alors les impasses de la danse, et pourquoi s’int�resser plus pr�cis�ment au travail avec les images�?
Pour �tre synth�tique, je dirais que les danseurs et les chor�graphes, plus ou moins consciemment cherchent de ce c�t� de l’image, mais qu’ils restent volontiers dans un certain flou, en n’allant pas voir de quoi il s’agit, ni les cons�quences que cela peut impliquer de s’appuyer r�ellement dessus.
Entre autres, on peut se rendre compte que bien souvent, alors que l’on pense s’appuyer sur l’expression des interpr�tes ou des �l�ves, en fait il s’agit rarement de travailler r�ellement avec les profondeurs et le dialogue avec ces images. C’est �tonnant de constater que c’est parfois au bout de nombreuses ann�es que tout � coup on d�couvre qu’il y a � travailler dans cette relation � l’autre, si tant est qu’on s’en rend compte un jour�! Souvent le chor�graphe travaille � partir de ses propres images et fantasmes, qu’il projette sur les autres, mais il ne cherche pas � faire explorer leurs images � ses interpr�tes.
C’est dans cette recherche d’une expression du mouvement fondamental que je situe l’originalit� fondamentale de l’Imagoth�rapie appliqu�e � la danse.
Traiter le mouvement non plus au sens d’un mouvement, mati�re, uniquement ext�rieur, mais en prenant en compte la dimension du mouvement int�rieur. Dans cette acceptation d’aller rep�rer l’origine d’un mouvement int�rieur, puis de l’accompagner jusqu’� son expression, en devenant par l� un m�diateur�; les images elles-m�mes �tant des m�diateurs permettant le dialogue de la personne avec son int�riorit�, le chor�graphe ou l’enseignant est conscient que sa ��cr�ation�� devient alors un tiers m�diateur. Il me semble que cela peut s’appuyer sur des �l�ments d�j� en germe dans le travail des danseurs, que cela peut fonctionner comme une sorte d’amplification de ce qu’ils recherchent.
L’objectif premier est donc de permettre l’acc�s � une int�riorit�; plus pr�cis�ment, d’amener � une orientation int�rieure et de jouer sur diff�rents registres avec les images pour acc�der en soi � une expression beaucoup plus fondamentale et spontan�e avec laquelle dialoguer.
A priori c’est une redondance pour un chor�graphe de dire qu’il travaille sur le mouvement ... Oui, mais de quel mouvement s’agit-il�? Celui qui nous int�resse au premier chef et au point de d�part, c’est bien le mouvement int�rieur, d�clencheur par suite d’une expression. Dans mon domaine il est plus question d’expression corporelle, mais il n’y est nullement interdit —�au contraire —�de s’appuyer et de dialoguer avec un texte, un graphisme ou un chant�: il me para�t essentiel de faire des ponts entre les disciplines.
Sans ce mouvement int�rieur, je ne pense pas que l’on puisse parler de danse...
Pour moi il ne s’agit plus d’associer dans des concepts le corps et l’�me, mais bien de consid�rer qu’il s’agit d’�tats diff�rents d’une m�me mati�re... Sensations, �motions, sentiments, en un instant donn�, sont trois expressions d’un m�me �tat int�rieur, d’une m�me mati�re�: ce que la psychologie des Chinois comparerait par exemple � l’eau dans ses trois �tats, liquide, solide et gazeux... (c’est important de le souligner � une �poque o� l’on pr�tend se d�marquer de la dualit� corps/esprit mais o� l’on continue � baigner dedans)
Dans ce travail avec les images je deviens donc un m�diateur, un accompagnateur de ce qui se d�veloppe, tout en restant en contact avec mes propres images.
Je peux laisser se d�rouler la danse improvis�e qui na�t�; je peux guider l’autre dans l’exploration de l’image avec laquelle il est en contact en entrant dans ce monde avec lui, de fa�on � l’amener � enrichir le geste et � le nuancer�;
je peux lui permettre de dialoguer ensuite avec ce qui est n�, pour trouver progressivement une �criture de sa danse�: une composition chor�graphique transmissible et communicable.
L’image est puissance de transformation en elle-m�me et poss�de une coh�rence (qui ne semble pas forc�ment coh�rente avec notre logique habituelle) � d�chiffrer progressivement dans le dialogue avec elle.
Je n’induis pas l’image, elle na�t de la personne�: mon r�le est de provoquer le passage dans un �tat qui permette le d�clenchement d’une image. En ce sens, je suis loin d’�tre passive ou simple observatrice. Les th�mes proviennent, selon le cadre, de mes propositions, ou des enfants, adolescents ou adultes avec lesquels je travaille —�de leurs pr�occupations du moment, �crits, r�ves ou autres.
Toutefois, envisager les choses sous cet angle, dans mon propre cas, cela a d�clench� une s�rie de remise en questions, non seulement par rapport � une gestuelle ou � un positionnement, mais notamment aussi par rapport aux codes esth�tiques et aux normes de la danse contemporaine, qui sont � mon avis loin de s’�tre d�tach�s de l’esth�tique classique et d’un dualisme corps/esprit. C’est aussi la porte ouverte, bien s�r, � un d�bat sur la question de l’art du spectacle, et de sa fonction dans nos soci�t�s.
A la suite de ces constatations, j’ai r�interrog� des pr�occupations ant�rieures, qui concernent la pens�e. On peut se rendre compte que le syst�me de pens�e qui est aff�rent � ce mode de recherche et de composition, � cette "imagination du mouvement" (emprunt � G. Bachelard�!) proc�de plus par contigu�t�s, analogies, continuit�s parall�les, ruptures apparentes, ou superpositions, touches... que par raisonnements cart�siens.
Et si l’on regarde ce qui se passe dans nos structures d’�ducation —�mais aussi dans les sph�res intellectuelles et/ou culturelles d’ailleurs�! —�on s’aper�oit que ce mode de pens�e est tr�s peu reconnu. C’est ainsi que nos disciplines, par exemple, font encore partie des mati�res dites ��non fondamentales��, et qu’il y a de v�ritables m�prises sur ce qu’est l’imaginaire, l’imagination etc. Une forme de fascination, qui ne prend pas en compte l’aspect structurant et essentiel de la dimension qu’elles sous-tendent.
Les lieux de cr�ation, ce sont forc�ment des endroits irruptifs et d�rangeants... puisque l’imaginaire est irruptif et, comme la cr�ation, � la source de vie d’une certaine violence�: ce ne sont donc bien souvent pas nos th��tres, ou nos belles structures culturelles, qui finissent par ressembler � des �glises en passe d’�tre d�saffect�es.
Ainsi l’on peut se tourner vers certains aspects d’autres cultures, qui elles int�grent des modes de pens�e et de conscience diff�rents. C’est ce qui m’a amen�e � aller voir du c�t� de la tradition africaine ou de la langue et de la pens�e chinoise�; traditions dans lesquelles la danse, comme la musique, la calligraphie ou le conte font partie int�grante de l’expression d’une pens�e et sont valoris�es comme des enseignements � part enti�re.
Malgr� tout, je pense qu’il y a, en arri�re plan, un mouvement qui se dessine, de par les brassages et les m�tissages qui existent au sein de la danse. Ce mouvement laisse envisager, au travers peut-�tre d’une disparition de ce courant appel� danse contemporaine, et difficilement d�finissable, la possibilit� de nouvelles voies, la possibilit� d’accepter que d’autres cultures, d’autres pens�es prennent le pas sur la culture occidentale.
Dans cette perspective, utiliser l’Imagoth�rapie, c’est aussi trouver le chemin d’un engagement, qu’on peut dire politique —�au sens premier du terme —�par rapport aux institutions actuelles, s’engager � d�fendre d’autres modes de fonctionnement, s’engager par rapport�:
—�aux d�bats et aux soubresauts divers qui agitent et traversent nos soci�t�s,
—�aux changements auxquels nous allons �tre n�cessairement confront�s dans les ann�es qui viennent,
—�aux probl�mes qui se posent � nous en tant qu’�ducateurs, appel�s � transmettre et � guider, � interpeller aussi.
Et cela me para�t essentiel, notamment au vu d’une certaine institutionnalisation que l’on rep�re actuellement dans la danse contemporaine, et qui me semble tr�s grave. Ce sont des pr�occupations �galement communes � d’autres chercheurs, artistes et professionnels dans de multiples domaines, qu’ils viennent des sciences, des sciences humaines, de la sant� ou du travail social...�; c’est pourquoi mon intention �tait d’�laborer ce travail avec les outils de l’anthropologie. L’anthropologie m’offre, bien que je n’en mesure pas encore la port�e exacte, un outil consid�rable pour relier plusieurs centres d’int�r�t, mais aussi pour appr�hender la r�alit� et les milieux dans lesquels j’�volue sous des angles plus diversifi�s et plus critiques.
[1] �—�A. Kieser - El Baz, La Naissance Accompagn�e, Lierre & Coudrier, 1991.
[2] �—�Pour ce qui concerne la danse, relire � tout prix les magnifiques textes de M.�Wigman d�crivant l’origine de ses danses. M.�Wigman, Le langage de la danse, Papiers, 1986.
[3] �—�Kieser ’I Baz, Manifeste de la M�lancolie, 1996.