Pour commencer
Le
golfe du B�nin (l'Ouest du Nigeria ; le sud des r�publiques du B�nin et
du Togo) est le th��tre d'une pens�e de vie qui m�le tr�s �troitement
l'homme et un ensemble de divinit�s dont la manifestation la plus
connue est le vodou. On consid�re
le vodou comme un culte, c'en est un en effet, mais pas seulement cela, car l'objectif essentiel n'est pas,
� mon avis, l'accession, la fusion de l'Etre dans La Divinit� Supr�me ; il est, certes, la recherche
du d�veloppement spirituel de l'homme mais surtout, il vise � l'av�nement d'une soci�t� harmonieuse.
Comme nous le verrons plus loin (Les caract�ristiques) cette vision ne s'arr�te pas aux peuples de la
mouvance des dieux du Vodou.
Avant d'aborder les donn�es de la mythologie, nous pouvons pr�ter une attention particuli�re au lieu et
aux hommes qui y vivent.
Les
lieux
L'aire g�ographique qui
nous int�resse couvre ce qu'on appelle le golfe du B�nin, un ensemble qui
s'�tend de l'Ouest du Nigeria (le pays Yorouba), le sud du B�nin, le sud du
Togo et en partie le sud du Ghana.
L'actuel Etat du B�nin
constitue la partie centrale de la zone d'influence. Ce que l'on appelle �
La trou�e du Dahomey
�
r�sulte d'un particularisme climatique du
fait que la pluviom�trie diminue de moiti� environ par rapport � ce qui
s'observe de part et d'autre de cette zone. On n'y trouvera pas de foret
�quatoriale de p�n�tration tr�s difficile, mais une v�g�tation beaucoup moins
dense et donc plus facile � p�n�trer par l'homme. C'est un couloir de passage
par lequel des vagues successives d'�migrants vont d�ferler, entra�nant un
extraordinaire m�lange d'id�es. Nous avons � faire � un creuset.
Une seconde caract�ristique vient de la pauvret�
relative de ce coin d'Afrique, en particulier pour le B�nin et le Togo. Dans ces conditions,
nous allons assister � une intense activit� �
intellectuelle �
pour survivre.
(Je veux dire que l'absence de rente que serait l'abondance de ressources naturelles
obligeait et oblige encore � utiliser sa t�te pour survivre.)
�������� Avant la colonisation, cette n�cessit� de survie va
expliquer en partie le dynamisme, voire l'agressivit� des multiples royaumes
qui se partagent le territoire et qui ne cessent de se battre soit pour
contr�ler le march� de l'esclavage soit pour se fournir en esclaves � livrer
aux ma�tres �trangers de la traite. L� appara�t une premi�re contradiction avec
la culture de ces peuples, laquelle stipule que : �
Un roi ne fait
pas la guerre � un autre roi ; un peuple ne fait pas la guerre � un autre
peuple �
Voil� pourquoi, on l'ignore trop souvent, les rois d'Abomey
en particulier, organisaient une c�r�monie � la fin de chaque campagne
militaire pour se mettre en conformit� — en apparence en tout cas — avec les
pr�ceptes des anc�tres. Cette c�r�monie mettait en sc�ne � l'issue de la
campagne les espions du royaume, un corps de serviteurs du roi dont la
comp�tence �tait reconnue et redout�e. Le roi pr�sentait � la foule rassembl�e,
les espions, artisans de la victoire ; il les r�compensait, mais en m�me temps,
ces espions �taient pr�sent�s comme les responsables de la guerre qui
venait d'avoir lieu, d�gageant ainsi la responsabilit� morale et spirituelle du
souverain et du peuple. C'�tait une forme de la technique de bouc �missaire
apr�s coup. La signification d'une telle c�r�monie en direction du peuple �tait
que les n�cessit�s de la vie avaient rendu la guerre in�vitable, mais cela ne
devait en aucune fa�on signifier le rejet des enseignements des anciens dont
l'objet proclam� est la recherche de l'harmonie. Nous avons l�, beaucoup
d'hypocrisie bien s�r, mais l'essentiel �tait que les hommes ne perdent pas de
vue l'objectif de leur culture.
�������� Pendant la colonisation, la pauvret� du pays conduira les parents � pousser � l'extr�me l'instruction des enfants, ce qui
entra�nait des sacrifices parfois consid�rables des familles. Une
alphab�tisation qui ouvrait la porte � l'administration coloniale, source
d'emplois ; la fameuse �
Dahomey, quartier latin de l'Afrique
�
s'explique ainsi. On allait le plus longtemps possible � l'�cole, n'ayant rien
d'autre � faire, et surtout parce que c'�tait le seul moyen d'avoir un emploi
stable, et subvenir ainsi � ses besoins mat�riels. De fait, la colonisation
allait puiser largement dans cette main d'œuvre ; les hommes de cette partie
des colonies s'�taient retrouv�s dans tous les territoires ; ils formaient une
diaspora qui posera quelques probl�mes humains plus tard � la fin de la p�riode
coloniale.
Voil� donc les lieux et les
cons�quences de sa configuration sur la vie des hommes.
�
Les peuples
Yorouba, Adja, Minas. Fons, Popo P�da .Nago ...
�
Le golfe du B�nin est
probablement la r�gion d'Afrique o� nous trouvons la plus grandes vari�t�s
d'ethnies ; cela ne doit pas surprendre �tant donn� le caract�re de ce coin de
terre que nous venons de d�couvrir. La facilit� de p�n�tration se traduit par
un m�lange incessant de peuples venus en g�n�ral de l'Est.
Le sud de la zone, au B�nin
et au Togo en particulier est une r�gion sans reliefs notables parcourue de
cours d'eau et parsem�e de lacs, ces points d'eau vont servir de sites de
regroupement de la population allant jusqu'� servir de refuge pour des groupes
d�faits militairement et en fuite ; il n'est pas �tonnant de voir la naissance
de villages sur pilotis dont la vie se d�roulait enti�rement sur l'eau. (On
notera qu'au Nord, les points d'eau sont peu habit�s car sources de maladies —
pr�sence de moustiques — et surtout faciles d'acc�s pour les envahisseurs ; l�,
ce sont les zones montagneuses qui seront des centres de peuplement.)
�
On peut consid�rer que dans
une r�gion donn�e, la langue ou les langues parl�es constituent un excellent
indicateur pour appr�cier l'histoire des mouvements de peuples. Au B�nin, si
nous consid�rons cet �l�ment, on note une tr�s grande parent� entre plusieurs
des dialectes usit�s ; il en est ainsi du fon, du dialecte adja, du
mia, du popo ... ; entre ces parl�s, les diff�rences se situent
davantage au niveau du ton et non � celui des termes ou m�me de la structure
des phrases. Certes, la tonalit� est un �l�ment essentiel des langues du pays,
� tel point que pour ma�triser l'un de ces dialectes, il faut pratiquement y
avoir �
go�t� �
d�s le berceau, mais, ce n'est pas une barri�re.
Prenons par exemple le mot �
To �
il peut signifier : oreille, ville
ou pays, p�re, rivi�re ou fleuve ... or ce n'est pas le contexte de la phrase
qui va d�cider de la signification mais le ton (bas, moyen, ou haut) qui le
fera ; et souvent la nuance d'un ton au suivant est tr�s tenue et propre �
chacun des dialectes. Une personne qui parle fon comprend tr�s
facilement ce qui se dit dans les autres dialectes cit�s plus haut, sans pour
autant �tre forc�ment � m�me de le parler sans se rendre ridicule, � moins
d'une longue habitude.
Nous allons retrouver cette
parent� entre le yorouba et le nago, deux autres dialectes qui se pratiquent
par une partie tr�s importante de la population.
Cette situations vient du
fait que nous avons des couches successives de migrants, qui une fois sur place
vont se scinder en diff�rants groupes qui forment les ethnies qui aujourd'hui
peuplent le sud B�nin.
Il semblerait que le groupe
Adja soit l'un des plus anciens et proviendrait d'un groupe plus important dont
seraient issus aussi les Yorouba, qui eux-m�mes vont se r�partir entre le
Nigeria et le B�nin pour l'essentiel. Il faudra attendre les r�sultats de
fouilles arch�ologiques en cours pour en pr�ciser les origines, probablement de
l'Afrique de l'Est (de la zone consid�r�e).
Une question : pourquoi ces
peuples migrent-ils ? La facilit� de circulation dans la zone n'est pas une raison
suffisante ; il y a l� en r�alit� un fait de culture qui, � ma connaissance,
n'a pas �t� soulign� jusqu'� pr�sent. Certes, les besoins mat�riels suffisent,
� l'instar de ce qui se passe dans d'autres contr�s pour justifier les
migrations ; mais ici, il faut noter que le golfe du B�nin n'est pas
exceptionnellement riche en mati�res agricoles. Reste un principe fondamental
des soci�t�s de cette culture que je vais appeler d�sormais YOROUBA ; cet �l�ment est le suivant :
�
quand tu n'es pas n�,
avec un royaume comme h�ritage, il faut te b�tir le tien �.
Ce pr�cepte est v�cu au
sens propre ; nous allons le voir en œuvre tout au long de l'histoire des peuples du
golfe. En voici une application historique dans le cas du royaume d'Abomey.
Le royaume d'Abomey — qu'on
appelait DAN HO M� (litt�ralement : dans le ventre de Dan) qui
donnera le Dahomey colonial — est probablement le plus connu du B�nin. Ce
royaume � une histoire qui d�coule directement du pr�cepte ci-dessus.
L'histoire commence vers le
XIIIe si�cle ; une groupe de migrants d'origine Yorouba (?) se fixa
� Tado et y fonda un royaume ; des d�cennies plus tard, se posa le probl�me de
succession au tr�ne, (probablement, parce que le roi n'avait pas d�sign� de
successeur avant de mourir). Il y eut une dispute et finalement, l'a�n� garda le
tr�ne de Tado ; le cadet s'en alla vers l'Ouest fonder le royaume d'Allada,
n'ayant pas h�rit� de celui de son p�re. Le m�me probl�me se posa une fois
encore � l'occasion d'une vacance du tr�ne � Allada des d�cennies plus tard. L�
aussi l'a�n� sortit vainqueur de la controverse, h�ritant du tr�ne. Le cadet et
le benjamin partirent avec leurs partisans. Le premier fonda le royaume de
Porto-Novo, et le second celui d'Abomey.
Un autre exemple nous est
fourni par les ethnies qui occupent les r�gions Agou�, An�cho ... (vers la
fronti�re du Togo) Ce sont des groupes venus de Accra (Ghana)
qui s'y sont install�s. Il y eut plusieurs vagues d'�migrants, qui apr�s avoir
perdu la bataille pour le contr�le de Accra ont du fonder ailleurs leur
royaume. Voil� donc des ethnies apparemment distinctes qui fonctionnent sur des
principes similaires.
�
Un autre �l�ment culturel
intervient dans le d�roulement de ces querelles qui porte sur le r�le que la
culture assigne � l'a�n� ; c'est un point que j'ai d�velopp� dans �
l'Horloger de
Kouti, Le Commencement
�
; nous aurons l'occasion d'y revenir.
�
J'ai voulu brosser un
tableau succinct de l'�l�ment humain, forc�ment incomplet, qui est la mati�re
sur laquelle repose la mythologie que nous allons aborder � pr�sent.
�
Les caract�ristiques de la mythologie
-
Absence de gestes
surnaturels ou surhumains (tout est � la dimension de l'Homme ; tout est au pouvoir de
l'Homme) ;
-
Absence d'agressivit� (que ce soit entre les
dieux ou bien que ce soit dans les pr�ceptes en direction de l'Homme ; nous
sommes loin de l'image populaire que l'on attache au vodou) ;
-
Absence de violence. (cela ne signifie pas
qu'il n'y a pas de querelles, de controverse ou bien de contestation) ;����
(�
un roi ne fait pas
la guerre � un autre roi. Un peuple ne fait pas la guerre � un autre peuple �) ;
-
Absence d'intervention de
f�es ;
-
Une situation g�ographique
non sp�cifi�e
;
-
Groupe ethnique ind�termin�.
Par ces deux derniers points, nous pouvons attribuer
une dimension universelle � cette mythologie.
P. G. Aclinou, le 21/10/00
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