Le m�canicien pr�cisa sa pens�e en disant :
—�C'est logique, car, apr�s
les dieux, il faut bien que
l'homme aussi prenne sa part de responsabilit�...
—�Et cette part est
importante ; elle est d�terminante,
car, des dieux, il n'en a �t� question qu'au niveau des temps
primordiaux ;
ensuite, il faut revenir au temps de l'homme, lui qui est le ma�tre
d'œuvre...
—�Et la victime, compl�ta le
dieu Fa.
—�C'est certain, r�pondit
L�gba ; mais il est la
victime non par le fondement de la cr�ation, mais par le choix des
voies et des
moyens par lesquels l'homme pensait aller de l'homme qui �tait � celui
qui sera
; c'est-�-dire, de l'Adam Kadmon � l'Adam Rishon. Je veux dire que les
voies
qui furent retenues pour conduire l'homme � l'humanisme g�n�r�rent ce
ph�nom�ne
qui est l'esclavage, comme l'une de ses cons�quences.
—�Si cela est vrai, dit Jo ;
je veux dire, si les
options ont �t� retenues pour conduire les soci�t�s humaines vers un
monde
d'harmonie, pouvait-on pr�voir que la haine de l'autre, source premi�re
de
l'esclavage, soit l'une des cons�quences de la d�marche ?
—�Sans doute, r�pondit Fa ;
on pouvait le pr�voir ;
mais ce point n'est pas l'essentiel. Peut-�tre que l'�tape
esclavagiste, dans
un sens g�n�ral, �tait apparu comme une n�cessit� temporaire mais
in�vitable.
Cette �tape �tait , peut-�tre m�me per�ue comme un moteur dans l'œuvre
p�dagogique qu'�tait et que reste l'�ducation des peuples. C'est dans
cette optique
de temporalit� que doivent se placer aussi bien l'analyse du ph�nom�ne
que la
recherche des voies, forc�ment p�dagogiques, qui permettent d'en
sortir. C'est
cet aspect qui n'�tait pas soulign� lors de cette journ�e contre le
racisme.
Nous aurons, je pense, l'occasion de revenir sur ces diff�rents aspects.
—�Vous voulez dire, tous les
deux, que l'homme n'est
pas fondamentalement esclavagiste, mais que, par suite du d�veloppement
des
soci�t�s...
Absolument ! s'exclama L�gba ; le
dieu reprenait la parole apr�s
avoir laisser Fa donner une possible justification � la naissance du
racisme.
L�gba poursuivit, et il dit :
—�L'esclavage ne va pas de
soi ; mais la peur de
l'autre, elle, semble �tre une donn�e inh�rente � l'homme, et elle le
restera
tant que celui-ci ne consid�re pas que l'humanit� est une . De cette
peur vont
surgir des maux ...
—�Il n'y a pas que la peur,
rench�rit Fa, qui entrain �
nouveau dans la discussion�; il y a bien d'autres �l�ments,
dit-il, qui
s'associent � la peur pour nourrir le fl�au. La peur seule ne peut
expliquer la
gen�se de ce comportement. Viola pourquoi, selon les contr�es et selon
les
�poques, on peut observer de grandes diff�rences dans les traditions
qui
fondent les soci�t�s humaines.
—�Je sais, r�torqua le dieu
des croisements, toujours
prompt � la r�partie. Il suffit, poursuivit-il, de parcourir le temps
des
hommes pour en �tre convaincu. Prenons le monde asiatique, et plus
pr�cis�ment,
le sous-continent Indien avec ses castes, une division de la soci�t�
qui
remonte � la nuit des temps. Ici, quelles furent les n�cessit�s qui
conduisirent les ma�tres � penser qui furent � l'origine de la
tradition, �
exclure une partie de la soci�t� du monde des vivants ; la peur ? la
faim�? l'ambition ? l'orgueil ? Aucun de ces �l�ments n'a la
force
n�cessaire pour donner naissance et la dur�e � ce qui appara�tra plus
tard
comme allant de soi…
—�Il me semble, dit Jo, que
toutes les soci�t� ont
�labor� des m�canismes de structuration ; toutes les soci�t�s l'ont
fait, y
compris la n�tre, m�me si aujourd'hui, l'acuit� est moindre, et
surtout, si les
diff�rentes couches sont moins �tanches, autorisant par l�-m�me, des
transferts
d'un groupe � l'autre ; la soci�t� indienne n'a pas fait autre chose...
—�Parfait, Jo ; mais il faut
d�finir les crit�res selon
lesquels se faisaient les divisions de la soci�t�s et celles qui les
gouvernent
aujourd'hui ; ceci est important, car, c'est de l'analyse de ces
crit�res que
nous pouvons d�duire si nous sommes ou non en pr�sence d'une forme
d'esclavage.
On peut se poser la question suivante : dans le monde Indien, les
castes
r�pondent � quelles n�cessit�s ? Ici, il serait difficile de pr�tendre
�
l'institution d'un processus p�dagogique dans lequel une �tape
esclavagiste
soit n�cessaire. La soci�t� Indienne se fondait sur la puret� de
l'�tre...
—�Puret� ou bien saintet� ?
demanda Jo qui n'avait pas
manqu� de croiser sur ses routes maritimes cet aspect tr�s important de
la
culture indienne ; le dieu lui r�pondit :
—�Ne lie-t-on pas les deux,
comme si cela allait de soi
? Sortir l'�tre de la puret� pour le sortir de la saintet� ; on le
sortira
ensuite de l'humain pour en faire l'Intouchable. La civilisation
indienne n'a
pas le monopole en la mati�re ; en Inde, c'est au sein de la
communaut�,
ailleurs, c'est entre communaut�s que se fera la division. La
civilisation
indienne a pos� le probl�me � sa fa�on�; elle a centr� la
d�marche
p�dagogique sur l'individu ; elle l'a centr� sur la conscience que
celui-ci
doit poss�der de lui-m�me. Cela a conduit � stratifier les hommes avant
de
stratifier la soci�t� en classe...
—�Je dois comprendre alors,
dit Jo, que ceux qui ont
con�u le progr�s de l'humanit� sur la base d'un groupe ont fait
l'inverse ;
c'est-�-dire, qu'ils ont oppos� des groupes humains avant,
�ventuellement,
d'opposer les hommes � l'int�rieur de chaque groupe.
—�C'est tr�s juste,
s'exclama Fa, avec un enthousiasme
qui surprit les deux interlocuteurs ; h�las, l'empressement du dieu
retomba
aussit�t ces mots dits. L�gba reprit son r�le, celui d'assurer la
continuit� du
quotidien ; il dit :
—�Oui, Jo ; c'est une autre
possibilit� ; c'est une
voie que d'autres peuples ont adopt�e. Ainsi, comme tu l'as not�, on
peut
structurer le groupe humain pour conduire � l'homme ; nous parlerons
aussi de
ceux qui avaient choisi cette direction pour structurer leur p�dagogie.
Tu peux
noter d�s � pr�sent que le peuple Yourouba et ses d�riv�s ont cherch� �
structur� l'individu essentiellement, sans pour autant donner naissance
� une
classe d'intouchables dans la soci�t� ; bien au contraire, l'harmonie
au sein
de celle-ci est une condition incontournable dans la d�marche p�dagogie
africaine. Un autre aspect de la pens�e indienne est que celle-ci
semble dire
que vivre rend impur ; on peut se demander alors par rapport � quoi
d�finit-on
cette puret� qui ferait d�faut , d'autant plus que la mort ne garantit
pas la
fin de l'impuret�...
—�Alors ? demanda le
m�canicien.
—�Alors ? La r�ponse est un
paradoxe. La puret� se
place face � la saintet� ; car, elle n'est pas, comme ailleurs, une
condition
de celle-ci. C'est un paradoxe, car, toujours selon la pens�e indienne,
la
saintet� se trouve dans l'individu. Et ce paradoxe a une cons�quence
terrible ;
c'est qu'il exclut certains de toute possibilit� d'aller vers la puret�
et, par
cons�quent, vers la saintet�...
—�C'est une situation sans
porte de sortie alors�;
sans �chappatoire�? Dans ce cas, quel est le moteur de
l'action humaine,
le moteur de la vie ? Je n'ai pas l'impression que certains habitants
de
l'Inde, m�me ceux de la classe des Intouchables, qui de toutes fa�ons
est moins
voyante � pr�sent, ceux-l� ne m'ont pas donn� le sentiment d'exister
pour
rien...
—�Parce que une porte de
sortie th�orique est propos�e
en r�alit�, mais elle est une fiction dans la mesure o� cet espoir est
plac�
dans l'�ternit�. Qui le garantirait ? Autant dire que la fin de
l'impuret�
n'est situ� nulle part ; personne ne sait comment passer de cette
impuret�-l�,
� la puret� pour enfin esp�rer atteindre la saintet�. L'asc�tisme
purifie,
dit-on, l'�me de cycle de vie en cycle de vie, mais quelle est la
limite ?
L'homme l'ignore, parce que la m�tempsycose n'est qu'une th�orie de
l'espoir
parmi tant d'autres ; en aucune fa�on, cette vision ne met le probl�me
de
l'esclavage de l'homme dans le cycle du d�veloppement.
—�Si je comprends bien,
vouloir structurer la soci�t�
en individus purs et en individus impurs n'est qu'une forme d�guis�e
d'esclavage de laquelle on ne peut �chapper ni par l'action ni par la
pens�e
active, mais uniquement par une th�orie inv�rifiable ...
—�Une forme � peine d�guis�e
devons nous dire ; que
l'on ne puisse en sortir que par la m�tempsycose n'est pas, et ne
peut-�tre
garanti ; par contre l'esclavage lui, est bien r�el ; en clair, nous
sommes,
dans le cadre d'une dur�e de vie humaine, en pr�sence d'un esclavage
sans
retour. Ceci n'est pas un cas g�n�ral, poursuivit L�gba ; ce n'est pas
une
d�marche universelle que nous pourrions placer � la base du fait
esclavagiste
qui lui est bien universellement r�pandu, aussi bien dans le temps que
dans
l'espace. D'autres syst�mes de pens�e ont accord� la primaut� �
l'individu dans
leur d�marche p�dagogique ; c'est le cas de la Gr�ce antique, qui
n'avait pas
fait pour autant appel � une mythologie de type m�tempsycose, m�me si
le
concept n'est pas absent de la pens�e des H�l�nes pour �quilibrer ou
tenter
d'�quilibrer les diff�rentes composantes de la soci�t�. Pour les Grecs,
l'esclavage allait de soi, et c'�tait tout ; la vie se chargeant des
compensations individuelles si la question se posait ; les Grecs
laissaient � la
vie le soin d'�quilibrer les ressorts de la soci�t�. C'�tait le cas de
bien
d'autres groupes humains de la m�me �poque. La sp�cificit� de la Gr�ce
venait
du fait que tout �tait pens� par l'homme et pour l'homme ; la pens�e
religieuse
n'y avait aucune part directe ; il n'y avait pas une th�orie divine de
l'espoir, mais il existait, la- aussi, une porte de sortie qui �tait
purement
humaine....
—�En somme, c'�tait de
l'esclavagisme honn�te alors ?
ironisa le m�canicien.
—�Oui, Jo ; l'honn�tet�
n'est pas �tanche ; on pourrait
en parler, mais plus tard. L'homme Grec revendiquait sa condition
d'homme et
entendait assumer une part notable de sa destin�e. La Gr�ce cr�a sans
doute la
premi�re �cole de pens�e o� l'individu revendiquait son r�le d'acteur
et le
disait. La pens�e Grecque s�para nettement le sacr� du profane,� et elle d�cida que tout ce
qui relevait ce
dernier �tait de sa comp�tence exclusive. La division de la soci�t� en
hommes
libres et en esclaves �tait de la comp�tence des hommes et la Gr�ce
assuma ce choix.
—�Je doute que
l'organisation de la soci�t� grecque
rel�ve d'une d�cision �tablie sur une base issue d'un d�bat d'id�es ;
il me
semble plut�t que l'accumulation de petits faits, de hasards et, sans
doute,
aussi d'audace de quelques uns avait conduit peu � peu les Grecs �
vivre comme
ils vivaient...
�