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Hommes et Terre

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Léopard, H : 81,5 cm, Bénin. Ils étaient placés aux côtés de l'Qba pour l'apparat. Chaque animal est fait de cinq défenses. British Museum. L�gba-Fa, l'Homme, les hommes
La mythologie du golfe du B�nin � l'�preuve de l'humain
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Paul Aclinou

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Avant propos

Nous abordons � pr�sent la mythologie Yoruba - en lui donnant le nom du groupe ethnique le plus important num�riquement qui appartient � cette culture. Il me parait n�cessaire de pr�ciser au d�but de cette entreprise la forme que j'ai volontairement choisie de lui donner. Une mythologie peut s'entendre de plusieurs mani�re, la plus courante est celle qui y voit des errements du pass�, ceux de l'homme aux prises avec son ignorance (sommes-nous plus�� savants � aujourd'hui ?) , cette mani�re de voir ne m'int�resse pas ne serait-ce que parce que de tr�s nombreux auteurs l'ont d�velopp�e avec talent et depuis fort longtemps. Une seconde approche du fait mythologique consiste � y voir l'effort des hommes pour se doter d'outils ou de m�thodologie afin de baliser leur cheminement ou celui de leur semblables. L'exemple le plus remarquable qui me vient � l'esprit est l'�norme travail du regrett� Dumezil et de son �quipe sur la mythologie indo-europ�enne, et en particulier sa th�orie des trois fonctions. Ce qui signifie, dans cette optique qu'une mythologie ne vaut que par sa valeur p�dagogique et par le fait qu'elle s'adresse � l'homme sans autre limitation ni g�ographique, ni ethnique… Je n'ai ni la pr�tention ni les moyens de r�aliser un travail de cette qualit� et de cette importance � propos de la mythologie du golfe du B�nin. N�anmoins, nous pouvons d�gager les grandes lignes de la culture des peuples du golfe du B�nin, diff�rents �l�ment qui en font un outil p�dagogique remarquable. Pour se faire, je vous propose de suivre les dieux Fa et L�gba � travers le parcours de l'homme ; ce sont mes visiteurs qui auront un interlocuteur permanent, le m�canicien Jo et quelques autres personnages qu'ils rencontreront au fil de leurs p�r�grinations.
La mythologie du golfe du B�nin � l'�preuve de l'humain - Premi�re partie

Les voyageurs

Jo le m�canicien �tait content ce matin-l�. Il reprenait la mer � bord du���Revenant��. Un vieux cargo avec lequel il parcourt les mers depuis qu'il a d�cid� de quitter la terre ferme pour l'aventure maritime ; il en est le m�canicien. L'entretien et la bonne marche des machines relevaient de sa comp�tence ; il l'assumait et il participait �galement, comme les autres matelots, � divers travaux qui permettaient de mener une vie normale � bord. Le m�canicien prenait aussi sa part d'activit� dans les op�rations de chargement et de d�chargement du cargo. La nuit pr�c�dente avait �t� bonne ; Jo l'avait pass�e � terre, � Cotonou, apr�s qu'il eut accompli son devoir ; le cargo �tait pr�t � appareiller le lendemain � l'aube. Boire, manger et s'amuser ; tout un programme qui devait sa convivialit� � la g�n�rosit� des filles ; Jo aussi �tait g�n�reux ; avec elles et avec les braves gaillards qui sont incontournables dans tous les ports du monde. Apr�s le B�nin, Jo attendait la prochaine escale, Abidjan ; un port et une ville qu'il connaissait bien. L�, il allait retrouver de vieux amis, cafetiers ou tenanciers de commerces divers avec lesquels il �tait certain de passer des heures de f�tes et de ripailles. Des heures qui le distrairaient de la monotonie de la vie sur le cargo.
D'une main, le m�canicien tirait la porte de la salle des machines pour la fermer tandis que de l'autre il se d�barrassait instinctivement d'un reste de graisse sur le pantalon au niveau des fesses. En levant la t�te, Jo se trouva nez-�-nez avec deux gaillards, plut�t maigres, qu'il voyait pour la premi�re fois sur le bateau ; l'un d'eux �tait barbu. Les deux hommes semblaient vouloir p�n�trer dans la salle qu'il d�sertait. Jo fut surpris ; il les apostropha avant qu'ils n'aient le temps d'ouvrir la bouche.
��Qui �tes-vous ?�� dit-il ; la question �tait pos�e machinalement ; on aurait dit qu'il cherchait � se d�barrasser d'un reste de temps dont il ne savait que faire ; il allait poursuivre l'interrogatoire des deux inconnus quand la r�ponse venant de l'un d'eux lui coupa le souffle ; le barbu lui dit, en effet :
��Des voyageurs�!��
Deux mots seulement, mais ils suffirent pour aiguiser la curiosit� de Jo. Le regard se porta sur l'un puis sur l'autre. Il h�sitait. Il ne se sentait pas en mesure de leur donner un �ge. L'un des visiteurs, le barbu avait des yeux p�tillant de malice ; tandis que pour l'autre, rien ne vint � l'esprit du m�canicien - ni figures d'animaux ou attitudes de b�tes - qui lui aurait permis de le situer par rapport � lui-m�me ou bien � quelque �l�ment de son imaginaire. Jo v�cut un instant de flottement ; mais, ce fut vite oubli�. Il pr�f�ra commencer par le commencement ; il leur dit :
� Des voyageurs ?��
L'incr�dulit� �tait manifeste dans le ton qu'il employait. Il se pr�parait � poser d'autres questions, en attendant une explication qu'il n'esp�rait pas vraiment recevoir des deux hommes qui se trouvaient en sa pr�sence ; il le sentait ainsi ; sans pouvoir s'expliquer cette impression. Il se r�p�ta et compl�ta sa pens�e � l'intention de ses visiteurs.
Il dit :
� Des voyageurs, hein ! Nous sommes sur un cargo ; comment se fait-il qu'on vous ait accept�s � bord ? Le commandant est sans doute de vos connaissances ?��
Jo posait la question aux deux hommes ; mais, il ne voyait pas comment son chef (apr�s Dieu) pourrait �tre l'ami de deux n�gres. Il avait toujours vu le commandant grognon et distant avec tout le monde. Il fut rassur� par la r�ponse qui lui vint du m�me personnage qui l'avait gratifi� de deux mots pr�c�demment.
��Non�!�� dit le visiteur.
Cette fois, Jo n'eut droit qu'� un seul mot pour toute r�ponse. La r�serve de vocabulaire des deux hommes aga�a le m�canicien ; il r�agit brutalement � la discr�tion des deux intrus�:
� Vous �tes avares de mots, on dirait ! Et votre ami, il ne parle pas ?��
- Qui vous dit qu'il est mon ami ?
- Oh, l� ! Ne vous �nervez pas ; je ne sais toujours pas qui vous �tes ni ce que vous faites sur ce cargo...
- Lui, c'est Fa ou Ifa ; moi, on m'appelle L�gba ou Eshu...�� L'explication venait une fois encore du barbu ; il avait interrompu le m�canicien pour lui fournir ces quelques indications ; mais ce fut insuffisant. Jo le fit savoir, � sa mani�re, alti�re ; interrompant le visiteur � son tour :
��Je ne connais pas...��
- Je m'en doute...
- Votre ami a un nom alors ?�� Jo fit la remarque tout en s'assurant que la porte de la salle des machines �tait bien ferm�e. Il pr�tait attention dans le m�me temps aux propos du barbu. Celui-ci disait :
� Bien s�r qu'il a un nom ; il est silencieux ; mais, il est identifi�. Nous nous rendons en Europe ; en France. C'est l�, que vous allez, n'est-ce-pas ?
- Ah ! Je comprends ; vous �tes des clandestins sur ce bateau; alors l�...
- Du calme, s'il vous pla�t ; nous sommes, et nous ne sommes pas.
- Pardon ?
- Je veux dire que c'est plus simple que ce que vous vous imaginez.
- C'est-�-dire ? Je ne vous comprends pas. Vous �tes sur un cargo, qui, en principe, ne prend pas de voyageurs. Vous dites ne pas �tre des passagers clandestins ; vous n'�tes pas non plus des invit�s du commandant que je sache ?
- Voil� ! Nous sommes les invit�s des hommes !��
Le barbu jubilait en donnant cette r�ponse ; il �carquillait les yeux ; son plaisir �tait �vident ; il devait pr�voir la r�action de son interlocuteur ; celui-ci r�agit aussit�t ; le m�canicien hurla :
� Quoi ? Heureusement que votre ami est silencieux ; sinon, � vous deux, je ne sais quelles sornettes vous m'auriez d�bit�es. Bon, �a suffit ; Allons voir le commandant.�� Jo �tait bougon ; il s'appr�tait � prendre les devants quand il fut clou� sur place par ce qu'il entendit alors.
��Si vous voulez.��
C'�tait Fa, qui venait de s'exprimer pour la premi�re fois depuis que Jo �tait confront� aux deux visiteurs devant la porte. Il n'en croyait pas ses oreilles. Il nota avec surprise que les trois mots que Fa venait de prononcer l'avaient calm� ; il se sentait rass�r�n�. Il �prouvait une soudaine joie int�rieure, et il ne s'expliquait pas pourquoi ce sentiment prenait naissance en lui ; il se fit conciliant avec les deux inconnus. C'est avec un calme qui contrastait avec son �tat pr�c�dent qu'il leur dit :
� Bien ; si vous m'expliquiez un peu votre situation ; de toutes mani�res, vous devez aller voir le commandant, si, comme vous le dites, vous n'�tes pas des voyageurs clandestins.�� On aurait dit qu'il suppliait ces h�tes involontaires de l'aider � les secourir ; l'ennui, c'est que ceux-ci ne se sentaient pas en p�ril ; ils n'en donnaient pas l'impression ; bien au contraire, les deux hommes faisaient preuve d'une assurance d�sarmante. Jo en eut confirmation aussit�t par la r�ponse qu'il re�ut � sa requ�te :
� C'est fait, depuis toujours.�� Lui dit Fa, toujours aussi serein. Le m�canicien essayait d�sesp�r�ment de ramener les propos dans ce qu'il consid�rait comme la norme ; il dit encore :
� Vous l'avez d�j� rencontr� alors ? Pourquoi ne le dites-vous pas ?��
La r�ponse fut aussi incompr�hensible que pr�c�demment ; il s'entendit r�pondre quelque chose qu'il ne pouvait pas comprendre ; Fa lui dit en effet :
� Non ; nous ne l'avons pas vu ; mais, il nous conna�t depuis toujours ; et nous aussi, nous le connaissons.��
L�gba �tait silencieux depuis que Fa avait pris la parole. Le dieu de la t�te observait les deux interlocuteurs ; mais, � ce point de l'�change, il jugea pr�f�rable d'intervenir avant que le m�canicien, d�rout� par les propos de Fa, ne sombre dans la d�mence. Il se porta volontaire et dit�:
� Je vais vous expliquer, Jo...
- Vous connaissez mon nom ?�� L'intervention de L�gba n'arrangeait pas vraiment la situation du m�canicien. Il s'�tonna que son nom f�t connu des deux visiteurs. L�gba lui confirma le fait en le gratifiant d'un�� oui�� de la t�te ; Fa pr�cisa :�� depuis toujours��. L�gba revint � l'explication qu'il s'appr�tait � donner ; il dit :
� Fa ou Ifa et L�gba, ailleurs, on dit aussi Eshu, sont deux divinit�s qui initialement sont v�n�r�es dans le golfe du B�nin ...��
Jo pensait trouver une porte de sortie dans ce d�but d'explication ; il tira aussit�t la conclusion qui semblait s'imposer sans attendre la fin du commentaire ; il dit au dieu :
� Et vous avez pris leur identit� ; c'est cela ?
- Non, c'est nous�! Mais, laissons �a de c�t� pour le moment. Ce que Fa est en train de vous dire n'est pas autre chose que ce que les Esprits enseignent depuis la nuit des temps ; et ce qu'ils enseignent, c'est que les dieux sont dans l'homme ; ils sont en vous, mais, il faut l'entendre. Vous comprenez ?��
Le m�canicien pr�f�ra abandonner, car, il lui semblait impossible de trouver un point de convergence avec les visiteurs ; il en prit son parti.
� Non ; et je ne risque pas de comprendre...
- Je n'en suis pas si s�r !��, dit L�gba.
� Enfin, bon ! Moi, Jo, le m�canicien, je comprends surtout qu'il ne vous semble pas n�cessaire de vous pr�senter au commandant. C'est bien cela ? Mais alors, que faites-vous ici ? Que faites-vous sur mon territoire ?��
L�gba l'�coutait en souriant, tandis que Fa fixait un regard immobile sur l'homme ; le dieu ne semblait pas d�cid� � sortir de son silence ; le mutisme lui allait si bien. Fa contemplait, semblait-il, l'embarras, et bient�t le d�sarroi qui s'emparaient du m�canicien. Un sentiment ind�finissable encore, gagnait Jo en effet. Il �tait habitu� � affronter des situations claires ; des situations bien d�finies dans le temps et dans l'espace ; et qu'il savait traiter avec l'atavisme des siens. Voil� que deux intrus sortis d'on ne sait o� venaient lui raconter une histoire sans queue ni t�te. Il avait conscience qu'il lui revenait de formuler ce que pensaient les deux individus. Il lui fallait raconter une histoire qu'il ne connaissait pas ; mais dont-on lui disait que c'�tait la sienne. Jo baissa la t�te�; il dit machinalement dans un effort de concentration : ��J'ai aper�u deux hommes... non�? ....��
Il se tut apr�s ce d�but ind�cis ; il leva les yeux sur les deux inconnus ; L�gba souriait ; Fa restait impassible. Jo les regarda un moment ; puis, il revint � sa r�flexion, comme une tentative de faire le point pour lui-m�me ; il dit � nouveau dans un murmure qui �tait une r�flexion int�rieure�:
� J'ai vu... Oui, c'est �a ; j'ai vu...��
L�gba �clata de rire � ce moment-l� ; le dieu suivait l'effort d�sesp�r� que faisait le m�canicien pour se situer d'abord par rapport � ce qu'�tait son existence ; puis, peut-�tre, par rapport � ce qu'il vivait. L'hilarit� du dieu le fit changer d'avis ; il renon�a � comprendre et envoya promener les deux visiteurs ; il leur dit :
� Bon ; d�brouillez-vous. Faites comme chez vous. Moi, Jo le m�canicien, je vais informer le commandant que deux intrus sont � bord.��

Sur ces mots, il s'en alla d'un pas d�cid�, abandonnant Fa et L�gba dans l'�troit couloir. Parvenu au bout du passage il entendait encore le rire de L�gba ; il haussa les �paules et continua son chemin tout en poussant un grognement.

Les dieux se tenaient sur le pont du cargo ; derri�re eux, des empilements de containers formaient comme une cit� moderne ; une cit� aux tours carr�s, c'�tait comme si l'homme voulait prendre le ciel d'assaut. Il devait �tre dix-heures du matin ; peut-�tre onze. Le soleil avait conquis le ciel depuis longtemps et il dardait tous ses feux. L'astre du jour ne laissait aux humains que le choix entre la chaleur et ... la chaleur. Les deux visiteurs ne semblaient pas en souffrir. Ils observaient ce qu'on pouvait encore apercevoir de la ville de Cotonou qui s'effa�ait lentement ; � pr�sent, le site se signalait seulement comme un halo. L�gba tourna la t�te vers son compagnon et lui dit :
��Ils n'ont pas d� observer le spectacle du pays qui fuyait.
- A leur place, m�me si tu en avais le loisir, tu crois que tu aurais le cœur � la m�ditation ?��
Avant que L�gba ne r�ponde, une voix s'�leva derri�re eux qui couvrit le bruit ambiant�: ��Ah !��, s'�cria-la voix. C'�tait Jo le m�canicien qui se dirigeait dans leur direction, apr�s semble-t-il, les avoir cherch�s un peu partout sur le cargo. Quand il fut plus pr�s, il leur lan�a d'un ton courrouc� :
� Vous voici enfin ; je vous cherchais partout. Le commandant est furieux ; il veut vous voir imm�diatement.
- �a peut attendre.�� r�pliqua Fa. Il �tait aussi imperturbable que le matin devant la salle des machines.
� Ah ! Bon ?�� Fit Jo ; il se demandait � ce moment-l� si les deux hommes ne cherchaient pas les ennuis d�lib�r�ment. Il les consid�ra un instant ; puis, il choisit de mieux les conna�tre. Il leur demanda d'une voix dans laquelle on ne percevait plus le moindre signe d'�nervement :
� De quoi parlez-vous avant mon arriv�e ? Vous aviez l'air pr�occup�.
- Vous connaissez l'histoire de la ville ? L'histoire de Cotonou ?�� Lui demanda L�gba � son tour.
� Non, pas du tout. C'est une ville coloniale comme une autre ; c'est tout. Je ne me souviens m�me pas avoir entendu parler de Cotonou quand j'�tais � l'�cole. On nous parlait du Dahomey, comme de l'une de nos colonies ; Mais Cotonou ? Non, je ne me souviens pas. Bon sang ! Qu'est-ce que je dis moi ; la colonisation, c'est fini !��
- Vous croyez ?�� C'�tait Fa qui lui posait la question ; Mais, L�gba ne voulut pas que la conversation s'engage�t sur ce point. Il dit � ses deux voisins :
� Laissons cela ; revenons � Cotonou. La ville n'�tait qu'un village de p�cheurs ; le hameau �tait situ� plus � l'int�rieur des terres ; oh ! pas tr�s loin. L'emplacement actuel �tait, avec Ouidah, un centre d'embarquement - si on peut dire - des esclaves que le commerce livrait en Am�rique. Ouidah �tait un centre plus important en ce moment-l� ; les Portugais s'y �taient �tablis depuis de nombreuses ann�es avant que n'arrivent les colons Fran�ais. Cette localit� devait perdre peu � peu son importance au profit de Cotonou qui �tait aux mains des Fran�ais ; Eh oui ! La concurrence internationale ! Le site doit son nom actuel � ce sinistre souvenir. On disait alors Kou-To-Nou ; c'est-�-dire, l'embouchure du fleuve de la mort. En effet, ceux qu'on embarquait ne partaient pas en vill�giature...
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Ah ! Oui, l'esclavage ! Vous n'avez pas honte ; Vendre vos propres fr�res, et peut-�tre m�me vos fils...
- Doucement, monsieur�� dit L�gba au m�canicien qui venait de l'interrompre. ��Au banc des accus�s, nous serons deux inculp�s : vous comme acheteurs et nous comme vendeurs. Croyez-moi, dans un r�le comme dans l'autre...��
Fa qui �tait rest� silencieux jusqu'alors s'ins�ra dans la discussion ; il interrompit � son tour L�gba, et il dit : ��Au banc des accus�s ?��
A peine avait-il commenc� � parler que le dieu de la t�te s'insurgeait ; il dit… non, il hurla�:
� Quoi ? Tu ne penses tout de m�me pas que cette histoire va rester �ternellement sous silence�? Moi, L�gba, je ferai tout pour qu'il n'en soit pas ainsi ; il faudra que tout y passe, Valladolid comme le Code Noir, comme le reste...
- Oh ! Ca, je sais ; je peux compter sur toi pour qu'il en soit ainsi�� r�pliqua Fa avec une sorte d'ironie au dieu en col�re. Il lui dit encore :
� Tu penses sans doute, que c'est fini ? Crois-tu que l'esclavage s'arr�te � une histoire de vente et d'achat ? Si tu y tiens vraiment, il faudra aller plus loin alors, beaucoup plus loin...
- Oh ! vous deux ;�� intervint Jo le m�canicien qui commen�ait � se demander ce qu'il faisait en compagnie de ces deux divinit�s. ��Si je suis de trop, faites-le savoir.��
Pendant qu'il parlait, il per�ut un mouvement de personnes derri�re lui ; il se retourna vivement et il vit trois de ses camarades matelots qui l'observaient d'un air embarrass�. L'un d'eux lui demanda sur un ton calme qui cependant, ne suffit pas � dissimuler les craintes du matelot : � Ca va, Jo ?
- Pardon ?�� dit Jo qui ne comprenait pas pourquoi son camarade lui posait la question ni l'objet des inqui�tudes de ses amis qu'il sentait bien.
� Oui, on voulait savoir si tu te sentais bien ; tu parles tout seul...��
Le m�canicien se retourna avec vivacit� une fois encore pour regarder les visiteurs. L�gba venait en effet d'�clater de rire, un rire sonore qui l'aga�a. Jo s'adressa aux matelots ; ceux-ci portaient toujours le masque de l'inqui�tude sur leur visage ; Jo leur dit :
� Comment tout seul ? Que faites-vous des deux clandestins dont j'ai parl� ce matin ?��
� Jo ?�� C'�tait Fa, qui l'interpellait.�� Ils ne nous voient pas.��, lui dit-il. L�gba n'en pouvait plus de rire pendant ce temps, surtout quand le m�canicien ahuri leur demanda :
� Vous voulez dire que je suis seul � vous apercevoir ?��
L�gba lui fit ��oui�� de la t�te.
� Bon sang !�� s'exclama Jo, tout en s'�loignant sur la pointe des pieds ; les regards des matelots accompagn�rent ses mouvements ; l'un d'eux d�clarait � ses compagnons :
� Pourvu qu'il sache encore entretenir les machines.
- On devrait peut-�tre pr�venir le commandant��, ajouta un autre.
Le trio disparut dans les coursives un instant plus tard.

Le cargo poursuivait sa route sur une mer �tincelante de luminosit�.

Jo eut beaucoup de mal � s'endormir la nuit suivante. Il ne cessait de s'agiter sur sa couche. Les soubresauts qui le secouaient aga�aient ses compagnons de chambr�e ; mais, aucun matelot n'osait se plaindre. Peu � peu, tous s'endormirent les uns apr�s les autres ; seul Jo veillait. Il ne lui �tait jamais arriv� d'avoir tant de mal � trouver le sommeil apr�s une journ�e de labeur. Les roulis et les tangages du navire, en le ber�ant, facilitaient d'ordinaire la venue du sommeil. Il aimait ces mouvements du bateau ; il disait :���C'est pour �a, que je ne suis jamais constip� quand je suis en mer.�� Ce soir, les deux visiteurs le hantaient ; Jo s'inqui�tait d'�tre le seul � les voir sur le navire. Il se sentait ridicule aupr�s de ses camarades. Il savait le commandant m�fiant et exigeant quant � la conduite des matelots sur le cargo ; peut- �tre, risquait-il de perdre sa place de m�canicien. ��C'est simple, dit-il � haute voix. Je deviens dingue, c'est tout !��

Jusqu'� ce jour, Jo, le m�canicien �tait persuad� qu'on lui demandait seulement de vivre ; il pensait s'en �tre sorti tant bien que mal jusqu'alors. On lui avait trac� une route, celle de la soci�t�, celle des siens. C'est une vie d'anonymat dans laquelle on n'exigeait pas de lui qu'il comprenne absolument le sens de chaque pas qu'il faisait ; on ne lui avait jamais enseign� � faire le tour de lui-m�me ; on ne le lui avait jamais demand� non plus. Il n'avait pas � savoir jusqu'o� allait la conscience qu'il poss�dait de sa personne en tant qu'�l�ment d'un ensemble ayant ses imp�ratifs et qui avait des objectifs � atteindre ; un ensemble qui avait une raison d'�tre. Jo se sentait d'abord un individu, et il s'en contentait. Son bonheur, si tant est-il, qu'il pouvait d�finir ce concept avec suffisamment de pr�cision, �tait fait d'une fille par-ci et d'une fille par-l�. Son bonheur �tait fait aussi de bons repas en compagnie de gens aussi ternes que lui, et qui compensaient leur non-existence par des rires bruyants ; mais, un rire qui ne pouvait avoir de profondeur ; ce n'�tait pas n�cessaire ; car, boire, manger et s'amuser ne demandaient aucun justificatif ; c'est ainsi ; exister.

En une nuit, Jo le m�canicien dut refaire le parcours de sa vie ; bilan de quelques d�cennies qui lui parut subitement bien d�cevant. Il s'aper�ut qu'il n'�tait m�me pas encore n� � la vie ; et cela, parce que dans la matin�e, il avait eu le malheur de croiser la route de deux quidams sortis de nul ne sait o�. Deux quidams qui pr�tendaient d�tenir le sens et le non-sens de toutes choses.

Jo sentait confus�ment qu'il n'allait pas poursuivre sans d�g�ts le voyage en compagnie des deux nouveaux-venus. Paradoxalement, cela ne l'inqui�tait pas. �tait-ce parce que les visiteurs lui avaient dit que l'homme n'a jamais renonc� et ne renoncera jamais � faire un pas de plus d�s l'instant o� il s'est persuad� qu'il le fait vers l'avant ; et peu importe ce que r�v�lerait ce futur-l�. ��Vous voyez,�� lui avait dit L�gba, le dieu de la t�te. ��Avec ce que l'homme sait, il peut construire l'avenir ; mais, avec ce qu'il croit, il peut engendrer l'�ternit�.
- C'est une devise de Fa.�� avait ajout� la divinit� pour donner un auteur � son adage.
� Oui, peut-�tre, avait r�torqu� Jo. Mon probl�me, ce n'est pas l'�ternit� ; c'est aujourd'hui, c'est maintenant ; c'est tout de suite. Vous saisissez ?��
En v�rifiant le bon fonctionnement des machines aux premi�res heures de la matin�e, comme son travail l'exigeait, Jo se r�p�tait � intervalles r�guliers :���Engendrer ; engendrer ; engendrer�� ; puis il finit par se demander :���C'est quoi �a encore !�� Le vacarme des machines semblait apporter une r�ponse ; mais, l'homme ne pouvait pas la comprendre.
Plus tard, quand il arriva sur le pont apr�s son petit d�jeuner, Jo constata qu'une brume l�g�re nimbait encore l'horizon ; bien que d�j� vaillant, le soleil n'avait pas encore r�ussi � entamer la relative opacit�.
Le cargo avan�ait dans un ronronnement r�gulier de moteurs ; �couter cette sonorit� �tait toujours un plaisir pour Jo, le m�canicien. Il dit � voix basse, pour lui-m�me :���J'y suis pour quelque chose�� ; il exprimait l�, la fiert� de tout homme qui contemple un travail bien ex�cut�. Il apercevait au m�me moment par la vision lat�rale le visiteur L�gba ; le dieu �tait adoss� au bastingage ; Jo n'avait pas remarqu� sa pr�sence jusqu'� ce moment-l� ; le dieu l'observait ; Jo ne sut pas dire depuis combien de temps ni s'il avait d�j�, de si bon matin, le sourire narquois qu'il arborait constamment la veille. L�gba �tait seul. Le m�canicien h�sitait. Il se d�cida � l'aborder ; il fit face au visiteur ; puis il se dirigea dans sa direction. Quand il fut � c�t� de L�gba, Jo lui demanda :
� C'est vous d�j�... �
Le���d�jà » fut � peine audible ; Jo s'�tait ressaisi en effet. Il jeta un clin d'œil autour de lui ; il lan�a ensuite un regard inquiet au dieu. L'Esprit des croisements le rassura ; il lui dit :
� Non ; il n'y a personne d'autre que vous sur le pont en ce moment.
- Et vous aussi, non ?
- Oui, si vous voulez.
- Pourquoi �tes-vous seul ? Votre ami est malade ?
- Vous ne pouvez pas parler d'amiti� ; je vous l'ai dit hier. Quant � votre question, je vous r�ponds que je ne suis pas seul ; Fa est pr�sent �galement...
- Allons ! Vous n'allez pas recommencer comme hier ! S'il est pr�sent, Fa, comment se fait-il que je ne vois que vous ? Vous pouvez m'expliquer �a ?��
Apr�s un court silence, et comme L�gba ne r�pondait pas ; il ajouta :
� Cela vaut mieux finalement ; peut-�tre que d'ici quelques jours, je ne vous apercevrai plus, vous aussi.��

Le m�canicien avait � l'esprit le regard de ses compagnons quand il p�n�tra dans le mess pour le petit d�jeuner ; de toute �vidence, chacun se demandait si Jo avait retrouv� son �quilibre. Pour tous en effet, le m�canicien avait des hallucinations ;���Le soleil d'Afrique !�� laissa �chapper quelqu'un dans la salle quand il y p�n�tra ; Jo fit semblant de ne pas l'avoir entendu. Il �tait sur ses gardes ; mais le d�sir d'en apprendre davantage sur ces visiteurs inhabituels �tait trop fort pour qu'il tint compte s�rieusement des sentiments de ses amis de travail. Il �tait d��u ce matin l� de ne voir que L�gba sur le pont ; mais il n'osait pas exprimer sa d�ception.���D��u, hein ?�� lui lan�a le dieu, comme s'il lisait dans ses pens�es. Jo restait silencieux ; il n'�tait pas tr�s surpris par la question ; il couvait un sentiment de r�signation en lui ; un sentiment qui se transformait lentement en une acceptation voulue. Il s'approcha davantage de L�gba et s'accouda au bastingage � c�t� du visiteur. Les deux hommes se tournaient le dos ; Jo faisait face � l'oc�an ; il pensait qu'ainsi, aucun de ses compagnons ne soup�onnerait qu'il �tait en conversation avec les visiteurs, pour eux, imaginaires.

� Vous admirez la mer ?�� lui demanda ensuite L�gba, sans se retourner, et apr�s que le m�canicien se soit bien install� sur son observatoire. Une fois encore le m�canicien ne r�pondit pas au propos ; il voulait laisser un silence peser entre eux, pour qu'en reprenant la parole ensuite, il donne l'impression de conduire la discussion. Il r�fl�chissait � ce qu'il allait pouvoir dire, quand il entendit la voix de Fa ; le dieu disait :
� Eux ne pouvaient contempler la mer que quelques instants chaque jour. Le reste du temps, hommes, femmes et enfants restaient encha�n�s dans les cales. C'�tait un royaume d'odeurs, de peurs et de lamentations entrecoup�es de g�missements ; eh oui ! La mis�re comme la souffrance ne sont jamais totalement silencieuses.��
D�s les premiers mots du dieu de la divination, Jo se retourna vivement ; mais il ne vit personne d'autre � c�t� de lui que L�gba ; il �tait d�compos�. Pendant un instant, l'homme se demandait si les quelques matelots arriv�s depuis sur le pont n'avaient pas entendu eux aussi, la voix de Fa. Puis, plus s�rieusement, il se posa la question de savoir si au fond, ses camarades n'avaient pas raison ; il se demanda avec angoisse s'ils n'�taient pas dans le vrai, quand ils laissaient entendre que lui Jo, �tait devenu fou. Il eut la tentation d'abandonner le pont et L�gba pour regagner la salle des machines. Il n'en fit rien, cependant ; au contraire, il se tourna vers le seul Esprit qu'il voyait et lui demanda :
� - Pourquoi disiez-vous hier qu'un proc�s devrait avoir lieu ? L'esclavage n'a plus cours ? La terre enti�re convient que ce sont des errements du pass� des hommes ; nous en avons pris conscience en m�me temps que la valeur de l'�tre humain s'est impos�e � nous, non ?

- Vous savez,�� lui dit L�gba, valeur est le mot ; les hommes en ont toujours attach� une � l'homme. Ce qui a chang�, c'est la mesure que vous en faites aujourd'hui. Je veux dire que la notion de�valeur, appliqu�e � l'homme est encore un concept relationnel ; ou si vous voulez, un concept d'�change ; et en tant que tel, son acception n'a pas vari� fondamentalement. La notion de valeur appliqu�e � l'humain n'est pas encore devenue, pour beaucoup trop d'hommes encore, un concept d'appartenance. Ce qui a �volu�, c'est la mani�re dont cette�valeur-l� est exploit�e aujourd'hui ; je crois que c'est sur cette �volution que vous fondez votre conclusion. Est-ce � dire pour autant que rien, absolument rien n'a chang� ? Non, bien s�r ; car, de plus en plus de voix se l�vent pour combattre la vieille conception ; il y a donc de l'espoir. Je veux dire que le refus qu'on observe, et qui se g�n�ralise dans toutes les couches de toutes les soci�t�s signifie qu'il y a davantage d'harmonie dans chaque homme et entre les individus. Mais, si l'homme conscient ferme les yeux sur le pass�, son esprit n'en est pas moins impr�gn� pour autant ; et quand arrivent les jours de temp�te, son action rel�ve autant, sinon davantage, de ce qui est enfoui dans les tr�fonds de sa personne, qu'elle n'est dict�e par la peur et la haine de l'autre. Ce sont l�, de mauvais refuges de la personnalit� ; des refuges p�rilleux pour l'individu et pour le groupe ; des refuges qui ne peuvent �tre qu'une mis�re spirituelle. Vous savez, Jo ; il faut que l'homme soit, tout l'homme ; et les dieux ne servent qu'� cela. Pour finir, voici une devise : Se dresser contre le mal n'est pas se dresser pour le bien ; il faut faire les deux, distinctement et consciemment.
- Si je comprends bien, dit Jo apr�s un moment de silence, vous �tes en train de me dire que l'esclavage est plus que jamais d'actualit� ; ...
- Esclavage de l'homme par l'homme, oui.�� dit, pour conclure, le dieu Fa qui les avait rejoints, Jo ne sut dire comment.
D'un m�me mouvement, comme si les trois hommes s'�taient donn� le mot, ils port�rent le regard vers le large. Le bateau avan�ait � vive allure ; cela se traduisait par des bruits divers. C'�tait en r�alit� un vacarme qui englobait le ronronnement des moteurs et les cliquetis des pi�ces m�talliques du b�timent ; ceux-ci avaient pris du jeu avec l'�ge. On distinguait �galement les vibrations des containers. Tout cela s'ajoutait aux claquements de l'eau dont la masse s'opposait d�sesp�r�ment � l'�trave du navire. L'univers de Jo baignait sous un soleil si farouche que l'on pouvait se demander s'il arriverait un moment o� on le verrait dispara�tre � l'horizon. Ce n'�tait pas l'heure.

� Ce soir, nous serons � Abidjan ;�� dit Jo sans quitter la ligne d'horizon des yeux. Son esprit �tait plus loin encore. Le m�canicien laissait son imagination vagabonder sur un march� de la capitale ivoirienne ; ou bien alors, sa pens�e s'attardait sur le corps fr�le et luisant d'une femme qui �tait vautr�e sur un lit aux draps de couleurs ind�termin�es. Au bout d'un moment, L�gba tourna la t�te vers lui ; le dieu scrutait le profil de l'homme, en silence ; Jo sentit le regard qui se posait sur lui ; il se retourna et fit face. L�gba lui dit, sans le quitter des yeux :
� - Vous allez vous promener � terre je pense ?
- Je vais aller en ville en effet ; j'y vais en compagnie de l'infirmier qui fait office de m�decin � bord...
- C'est grave ?
- Non ; mais, j'ai un abc�s mal plac� qui m'emp�che de m'asseoir.��
Fa entra dans le dialogue � ce moment-l� et il dit :
��Apportez-moi quelques feuilles de tomates fra�ches.
- C'est le sacrifice ?��, interrogea L�gba.
Le m�canicien �tait surpris. Il crut d�celer de l'ironie dans les propos du dieu des croisements � l'intention de son pair. Il ne saisissait pas tr�s bien le sens de l'�change ; mais des feuilles de tomates, il savait ce que c'�tait ; il se tourna vers Fa pour protester et lui demander des pr�cisions par la m�me occasion ; il dit au dieu :
��O� voulez-vous que j'aille prendre des feuilles de tomates fra�ches ? Et puis, que voulez-vous en faire ?��
Le dieu restait silencieux. Le m�canicien �tait d�sesp�r�. Il comprenait de moins en moins ses interlocuteurs ; mais, malgr� cela, il n'arrivait pas � prendre de la distance. Il �tait certain d'�tre le seul, parmi les trois, � avoir une r�alit� physique.���Je dois �tre fou�!�� se dit-il � voix basse en m�me temps qu'il abandonnait les dieux pour regagner la salle des machines et y accomplir ce qui �tait sa raison d'�tre sur le cargo.

P. G. Aclinou, le 21/12/00

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