��Je
persiste � croire que d�s l'origine, je parle des Origines que la science peut
�tablir, l'homme avait la propension � se servir de son prochain au m�me titre
qu'il consid�rait, et consid�re encore, tout ce qui se trouve � sa port�e comme
de possibles outils � utiliser pour satisfaire ses besoins et ses envies. C'est
un animal industrieux ; c'est un industriel, et le meilleur article de ses
rayons est l'homme.��
�
Jo �tait attabl� avec ses amis dans le jardin attenant � la
maison de sa sœur. Un cerisier sans �ge fournissait l’ombrage n�cessaire tandis
qu’� quelques pas une haie de bambous aux pousses fr�les s’aidait du vent pour
dispenser une musique de fond, monotone certes, mais discr�te. Le m�canicien et
ses amis avaient r�pondu � l’invitation de la sœur pour un s�jour de quelques
jours�; les dieux avaient accept� � la grande fiert� de Jo. Les invit�s
poursuivirent leurs �changes sur l’esclavage, ou plut�t, Jo �coutait ses amis
d�rouler leurs r�flexions sur les actes de l’homme vis � vis de l’homme,
passant d’une �poque � l’autre et d’une soci�t� � sa voisine. Pour le
m�canicien, ce qui l’�tonnait et le passionnait par dessus tout, c’est l’�tendu
de la vision avec laquelle ses� h�tes consid�raient
les th�mes qu’ils choisissaient de d�velopper. Ils voyaient l’homme comme une
entit� unique dont les diff�rentiations en soci�t� n’�taient que des accidents
de parcours, des accidents mineurs mais aux cons�quences redoutables. Une telle
vision �tait une nouveaut� pour Jo�; certes, il se reconnaissait comme
appartenant � la grande famille humaine, mais depuis toujours, la soci�t� dans
laquelle il avait grandi lui apparaissait comme une n�cessit� au m�me titre que
l’existence d’autres soci�t�s. S’il admettait une concertation entre tous ces
groupes d'humains, la hi�rarchie qui pr�valait ne lui posait aucun probl�me
particulier ; il n'avait jamais song� � y situer la source des maux qu’il �tait
pr�t � d�plorer. Jo n’�tait pas encore en mesure d’�pouser toutes les
conclusions de ses amis, mais il d�couvrait qu’une autre vision de la soci�t�
humaine �tait possible ; une autre vision du monde dans son �tat actuel, et
plus encore dans son devenir, gagnait peu � peu sa conscience ; toutefois, il
ne s'en faisait pas un motif de combativit� , bien qu'il �cout�t ses amis avec
plaisir et curiosit�.
�
Le jardin offrait un cadre serein, favorable � la poursuite
de la le�on ; car, c’�tait de cela qu’il s’agissait, c’�tait en �l�ve qu’il se
situait par rapport � aux dieux Fa et L�gba ; mais il ne pouvait admettre que
le comportement des hommes entre eux r�sulte d’une action, dont le but serait
une entente harmonieuse, qui comporterait de multiples �tapes programm�es, et
l’une de celles-ci serait l’esclavage. Pour lui, l’homme tout naturellement
avait une propension � asservir tout ce qui pouvait l’�tre y compris d’autres
hommes. Ce fut Fa qui le premier lui r�pondit�; la r�plique fut br�ve,
elle prit la forme d’une interrogation. Fa lui dit�:
�
-� Pour toi en somme, l’homme est un animal comme un
autre, ses actes r�sulteraient d’un instinct qui est propre � tous les
animaux�; dans ce cas o� devons-nous placer l’espoir�?
- Ah oui�! s’exclama le m�canicien�; c’est un
animal , rien de plus�! Sauf, peut-�tre que la crainte le conduit souvent
� rechercher une position d’attente, une position � partir de laquelle, quand
il jugera l’instant propice, il pourra porter ses attaques dont le but
essentiel est la domination.
- Le m�canicien avait un air goguenard quand il tenait ces
propos�; on aurait dit qu’il se connaissait bien et connaissait
parfaitement ses semblables�; il semblait ne rien attendre d’eux�;
�tait-il d�sabus� de la vie�? on pourrait le supposer en l’�coutant, mais
plus que les mots , ce sont le ton et les mimes qui les accompagnaient qui
donnaient cette impression. Quand il se fut tu, L�gba qui �tait rest� attentif
au discours dit simplement sans le quitter des yeux�: ��Je
vois�!�!�!��
-� C'est exact Jo, conc�da Fa � son tour, mais c'�tait
dit pour aborder plus s�rieusement le sujet ; le dieu d�veloppa ensuite le
th�me ; il dit:
-� C'est exact, si tu ne retiens dans l'homme que son
c�t� animal ; je ne dis m�me pas biologique. Un aspect animal qui nie qu'un
quelconque �l�ment spirituel puisse cohabiter en lui avec la bestialit�. Bien
s�r, si l'homme ne suivait que son seul instinct , sans y appliquer la capacit�
de discernement qui est en lui, on aboutirait sans doute � ce que tu dis du
temp�rament humain. Reconnais que tu es d�sabus�, non par exp�rience personnelle
des choses de la vie, mais d�sabus� par procuration en ce sens que tu tiens un
discours qui n'est, si je peux dire, que la l�gende des soci�t�s Tu dois
admettre que la r�alit� est tout autre que ces rumeurs que tant de g�n�rations
successives avaient colport�es au point de faire oublier la n�cessit� de la
m�ditation ; l'homme n'est pas ce que tu en dis , et cela quelque soit le type
de soci�t� et quelque soit le niveau culturel des dites soci�t�s. L�gba nous
dresse un tableau du parcours humain dont le but avou� est d'aller de
l'animalit� � l'humanit�, m�me si certaines soci�t�s ou bien certains individus
n'en ont encore qu'une perception imparfaite. Et crois moi, de ce parcours,
l'humanit� en a d�j� fait une bonne partie . Nous avons consid�r� plus pr�cis�ment
les voies et parfois les moyens de cette d�marche...
-� Oui, � ce propos, vous me disiez qu'une autre
d�marche, une d�marche parall�le et concurrente de celle de la Gr�ce antique et
de celles qui �merg�rent du monde oriental, visait �galement � proposer une
m�thodologie diff�rente par ses m�thodes et non dans ses buts.
C'�tait une embard�e par laquelle le m�canicien souhaitait
ramener le discours sur le comportement de l'homme face � son prochain au point
o� ses amis l'avaient laiss� ; il �tait impatient d'en entendre la suite.
L'intervention du m�canicien mit fin aux propos de Fa ; il se le reprocha. Ce
fut L�gba qui prit la suite pour poursuivre l'analyse.
-� C'est ce que nous pouvons appeler la voie de la
Synagogue r�pondit L�gba tandis que Fa avait regagn� son lieu de silence. Le
dieu des croisements se tut � son tour apr�s ce pr�ambule qui semblait annoncer
un d�veloppement important ; Jo gardait le silence lui aussi ; il attendait la
suite sans savoir lequel de Fa ou de L�gba allait donner l'explication de la
voie� qu'on venait de lui annoncer comme
�tant celle de la culture s�mite. Un instant de silence encore entre les trois
amis, et L�gba reprit la parole ; le m�canicien n'en �tait pas surpris, il
savait que toute explication, d�s lors que celle - ci entra�nait un long
d�veloppement qui �tait li� au r�el �tait toujours le fait du dieu L�gba. Celui
- ci se leva du fauteuil de toile dans lequel il se pr�lassait ; il fit le tour
du si�ge et vint se placer derri�re, les mains reposant sur le haut du dossier
; c'�tait un tube d'acier sur lequel la toile �tait fix�e. Il tritura un
instant l'�toffe �crue tout en regardant ses doigts � l'œuvre ; le m�canicien
l'observait en silence ; Fa se frottait le menton, son esprit �tait ailleurs,
son attitude en donnait l'impression � Jo ; on aurait pens� en� le voyant dans cette posture que ce
qu'allait dire son confr�re ne pouvait le concerner ou bien alors, que ce ne
pouvait �tre une nouveaut� pour lui. Une abeille vint se poser sur le front du
dieu, celui-ci poursuivait, imperturbable, le massage de son menton ; l'insecte
constatant sa m�prise reprit sa qu�te : la recherche d'une source de
nectar� peu divin sans doute, mais oh
combien n�cessaire � sa survie ! Fa n'avait pas bronch� ; l'abeille s'en alla,
d��ue. L�gba suivit du regard la course de l'insecte un moment puis il commen�a
la le�on :
-� Si la Gr�ce comme l'Asie avaient fait porter
l'essentiel de la d�marche �ducative en direction du groupe, avec de profondes
diff�rences certes entre les deux, la voie h�bra�que assigne un r�le
pr�pond�rant � l'individu, mais en l'int�grant tr�s fortement dans le groupe
plus qu'ailleurs car ici, ce n'est pas seulement le besoin de se regrouper pour
assurer sa d�fense qui est l'unique liant. Il faut, pour revenir sur ce que nous
avions dit , signaler que l'Eglise joua un r�le de pont. Formellement, l'Eglise
est issue du juda�sme, elle revendique les m�mes fondements que celui-ci, c'est
la premi�re extr�mit� du pont ; la seconde �tant la pens�e grecque, nous avions
vu ce qu'�tait le fondement de cette pens�e et ses cons�quences, l'Eglise avait
su l'int�grer magistralement dans son fond de commerce pour en faire une donn�e
universelle et un outil pour la pens�e, plus que la Gr�ce antique ne l'avait
fait. La premi�re extr�mit�, le juda�sme, proposait et propose toujours une
autre structuration de sa soci�t� ; ici, le groupe et l'individu ont leur
importance propre et bien distincte ; c'est le premier particularisme - je te
rappelle que pour la Gr�ce l'individu devait se plier aux exigences du groupe -
Le second particularisme vient du fait que le juda�sme distingue deux types de
groupes, le sien et tous les autres qui pour cette �cole de pens�e n'en forme
qu'un avec quelques nuances . Cette diff�rentiation ne va pas sans probl�mes�;
on peut penser que tous les peuples l'ont fait , c'�tait un syst�me de
protection, mais � des degr�s moindres que dans le juda�sme. L'un de ces
probl�mes est justement celui qui nous int�resse en ce moment et qui est
l'esclavagisme. C'est un fait que toutes les soci�t�s recherchent l'homog�n�it�
du groupe en un reflex de survie, mais dans la plupart de ces cas cette
recherche ne pr�tend pas � l'exclusivit�, pas � ce point ; elle n'est pas aussi
fortement exig�e ni aussi fondamentale que chez les h�breux. Si tu consid�res
les dieux Grecs, ils n'�taient attach�s � aucun groupe particulier, de m�me les
dieux Africains ne limitent pas leurs enseignements � une ethnie particuli�re
ni � une soci�t� pr�cise ; Fa comme les dieux grecs voit l'homme ; L�gba y
ajoute la pr��minence du r�el. Que des ethnies (Afrique) ou des cit�s (Gr�ce)
se d�vouent plus pr�cis�ment � tel dieu plut�t qu'� tel autre� ne traduit qu'une mani�re de structurer le
quotidien ; pour l'essentiel, tous les dieux comptent ; l'esclavage trouve une place
l� aussi mais seules les peurs de l'autre et les r�actions de d�fense que ces
peurs entra�nent qui l'expliquent. Le juda�sme propose un Dieu et le met hors
de l'individu et hors du groupe, il le met � un niveau qui se situe au del�
m�me du concept - Dieu est inconnaissable � l'homme dit-on. Tous les dieux que
nous trouvons ailleurs sont conceptualis�s ici , ils sont soumis non pas
groupe, mais � l'individu et � lui seul ; c'est � ce niveau que se situe le
point central de l'achoppement entre le christianisme naissant et le juda�sme,
le premier proposait de soumettre les dieux conceptualis�s au groupe, ce que le
second a toujours refus� depuis Mo�se, semble-t-il, qui avait fix� la ligne de
partage ; Dieu est invariant pour les deux �coles bien s�r, alors que les dieux
conceptualis�s ne le sont pas et ne peuvent pas l'�tre aussi bien pour le
christianisme que pour le juda�sme, autres points de convergence...
-� Tu veux dire qu'ici aussi, dans le juda�sme, on peut
parler de dieux ? c'est ca ?
-� Bien s�r ! cher ami. R�pondit Fa qui donna ensuite
une source ; il dit : ��La loi
appelle dieux, ceux qui ont entendu l'Ehad�� C'est le Christ qui
l'avait dit; tu ne l'avais pas entendu ? L'homme rebut� ne r�pondit rien � Fa ;
rien d'abord, puis il pr�f�ra s'�loigner de ce sujet qui semblait en dehors de
son entendement ; il revint donc aux anciens Grecs pour souligner ce qu'il
avait cru comprendre� de leur pens�e :
-� Oui mais, dit le m�canicien, les Grecs aussi avaient
l'�quivalent d'un �tre Supr�me qu'on pourrait identifi� au Dieu unique h�breu
...
- C'est exact , mais ayant opt� pour une s�paration entre le
domaine divin et celui de l'homme, cette notion ne joua aucun r�le de premier
plan dans leur structure p�dagogique. Nous retrouvons cette notion d'�tre
Supr�me ailleurs aussi , je dirais qu'on la retrouve presque partout, dans
toutes les soci�t�s d'hommes. Les diff�rences proviennent du r�le qu'on lui
fait jouer ; par exemple, Mawu est seulement remerci� ; on le loue ; on se
r�f�re � Lui comme garant� de la pri�re
aux dieux mais Il ne joue aucun r�le direct dans la d�marche p�dagogique. Il en
est de m�me de la philosophie grecque et des philosophies de l'Asie depuis
l'antiquit�.
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