Hommes et Terre

 

 
Cérémonie rituelle ? Lêgba Lêgba-Fa, l'Homme, les hommes
La mythologie du golfe du Bénin à l'épreuve de l'humain
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Paul Aclinou

Chap.6 - Dieux les mythes et les hommes

- Voici, Jo. En ce temps là, dit-on, il n'existait que les dieux, ceux d'en Haut et ceux d'en Bas ; c'est-à-dire, les dieux Supérieurs et les dieux Inférieurs. Tu me suis ?

- Oui, parfaitement ; et alors ?

- Alors ! Les dieux créaient les mondes, mais tout le travail de création était fait par les divinités inférieures sur lesquelles les dieux supérieurs se déchargeaient. Les dieux travailleurs devaient trimer nuit et jour ; ils devaient besogner qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, car la création est un processus continu qui ne connaît pas de rupture.; il arriva ce qui finit toujours par arriver quand la recherche de l'harmonie n'est pas le moteur de l'action, le moteur de la pensée. Les dieux inférieurs se rebellèrent dit-on. Ils avaient fini par se révolter ; ils se plaignirent de tant travailler et d'être les seuls à œuvrer véritablement pour assurer la création. A ce carrefour, l'ensemble des divinités avait le choix entre deux attitudes : soit le combat, soit le débat. Il eut un débat pour éviter le conflit armé. Il ressortit de celui-ci que les dieux inférieurs avaient raison dans leur révolte. Les dieux supérieurs reconnurent le bien fondé de leur protestation. Ce fut à ce moment-là qu'on décida de créer l'homme pour qu'il effectue le travail de création. L'homme fut créé selon ce mythe pour faire le travail des dieux, le travail de création.

- Ah oui ! ! Tu veux dire que selon ce mythe, l'homme est né pour être un esclave ! Esclave des dieux, mais esclave tout de même ; ce n'est pas glorieux comme condition !

- Ce n'est pas glorieux en effet Jo ; mais, je n'ai pas fini de raconter l'histoire. En attendant que je le fasse, remarque qu'à Valladolid, on n'a pas fait autre chose, et en plus mal. Car, la création de l'homme selon Sumer, si elle se justifiait par une nécessité, elle eut lieu comme une porte qui donnait sur l'avenir. En effet, cette création-là faisait de l'homme un acteur dans l'œuvre de création de l'univers ; ce n'est pas insignifiant. Cette genèse faisait de vous un moteur de l'action et non seulement un esclave qui serait un simple exécutant. Tout processus de type Valladolid, pour être acceptable doit prendre en compte cette dimension de l'homme ; il doit prendre en compte cet aspect d'acteur de l'humain dans la création, en supposant que telles ou telles conditions particulières conduisent à envisager le débat qui eut lieu dans ce monastère. A Sumer, quand les dieux inférieurs et supérieurs prirent la décision de créer l'homme, ils avaient intégré cette dimension ; ils l'avaient non seulement intégrée, mais ils se sont arrangés pour qu'elle soit effective, en rendant le produit ( l'homme ) autonome ; l'homme dispose de la souveraineté pleine et entière ; ce qui veut dire que l'homme fut créé libre. Les dieux l'avaient voulu indépendant de ce que pourraient être leurs caprices éventuels dans le temps ou dans les temps. C'est pour cette raison qu'il faut relativiser ta réaction quant à l'homme esclave de part les raisons qui semblaient motiver sa création.

- Comment cela ?

- Eh bien, voici comment les dieux procédèrent selon le mythe. La décision prise, la communauté des dieux en chargèrent celui d'entre eux qui était préposé à ce type d'opération ; il s'agit de la déesse Matrice - ce qui doit te renvoyer à la légende africaine selon laquelle quand Fa Lêgba jugèrent indispensable de remodeler la physiologie de la femme, ils se sont adressée à la déesse. Matrice également. Les dieux sumériens chargèrent la déesse Matrice de créer l'homme à partir de l'argile pour qu'il supplée aux dieux inférieurs. La déesse refusa. Elle refusa d'utiliser ce seul matériau, car le produit d'une œuvre faite de cette manière serait effectivement l'esclave perpétuel que tu réprouves avec énergie et avec raison. C'était comme si la déesse renvoyait le projet devant la communauté des dieux pour qu'elle l'améliore dans son essence. Les dieux firent ce réexamen et décidèrent de sacrifier l'un d'entre eux...

- En somme, le premier sacrifice, ce sont les dieux qui l'ont fait ?

- Exactement ; et ils ne sacrifièrent pas n'importe lequel d'entre eux ; non, ils sacrifièrent le dieu Wê, dieu de l'intelligence, qui fut tué. Sa matière et son essence furent ajoutées à l'argile ; c'est ce nouveau matériau qui fut utilisé par la déesse Matrice, selon le mythe, pour créer l'homme.

Comme tu le vois, la Pensée était de l'aventure ; la pensée y était dès l'origine ; c'est pour cela que les engendrements de l'homme sont de la matière et de l'Esprit à la fois ; l'une ne va pas sans l'autre, car il faut un corps pour l'âme. Cela veut dire que les engendrements de la terre seule, cela ne peut exister ; c'est là, l'engendrement de l'universel.

Tu dois comprendre que cet engendrement est particulier, non pas parce qu'il associe la terre et le souffle, mais parce qu'il est à la fois la création, mais aussi de la création. Il est aussi créateur par l'Esprit qui est en lui. Dire que les dieux sont dans l'homme n'est pas une expression sans signification ; c'est une manière de dire que la pensée qui porte vers la lumière, vers l'harmonie est en lui ; seulement voilà, il y a aussi l'argile en lui. Toute œuvre de création doit utiliser cet engendrement en entier ; et non en prendre seulement tel ou tel élément. Ceci doit être le fondement du combat. Ceci doit être la raison principale qui porte à l'action.

- Oui Lêgba ; dit Fa ; toi qui es l'autre face de l'unique concept, le principe de l'élévation, tu sais bien que ce ne peut être là qu'une porte, et cette porte ouvre sur un domaine qu'on ne peut exclure dès le départ.

- C'est exact, répondit Lêgba ; toutefois, avant de pouvoir ouvrir cette porte, il faut la trouver ; et pour cela, il faut savoir la chercher. Ecoute Jo, l'homme n'a que l'homme pour le faire.

- Je ne comprends pas très bien, dit lentement le mécanicien ; je ne comprends pas pourquoi tu viens mêler les dieux à l'esclavage et au racisme...

Ils se mêlent bien des affaires des hommes ! non ? hurla Lêgba. Fa souriait ; puis il dit :

- « C'est bien toi ça, Lêgba »

Jo était hébété par ce que l'Esprit de la réflexion venait de dire. Après un silence, celui-ci reprit la parole :

- Prendre conscience de l'universalité de l'homme peut conduire à se dresser contre l'esclavage ; mais, cela ne suffit pas...

- Ecoute, je ne pense pas que tel ou tel mythe suffise à expliquer les comportements humains. Je doute que la terre entière soit prête à se ranger, même inconsciemment, derrière des concepts dont la fonction première était de justifier des croyances qui aujourd'hui sont périmées...

Tu te trompes ; je peux t'assurer que l'homme est loin d'avoir dépassé ce stade d'évolution psychique. L'être humain n'est pas encore au stade où ces archétypes jouent seulement un rôle de pièces de musée. Il est loin d'avoir atteint un développement de la pensée qui ferait que chacun de ses actes soit du domaine de la pensée consciente ; je ne dis pas de la raison ; car, celle-ci est fonction du temps et du lieu. Ceci est vrai pour toutes les sociétés humaines, quel que soit leur niveau d'évolution ou de développement. Certes, quelques individus, peut-être aussi quelques groupes d'individus possèdent cette conscience ; mais elle fait encore défaut à la majorité. Même dans le cas de ces individus, ce sont d'autres considérations qui les amènent à adopter parfois des comportements que nous déplorons. Je veux dire que la générosité qui relève de la conscience que l'humanité est un seul corps existe chez quelques individus, mais que des éléments particuliers qui sont propres à leur éducation, à leur histoire, à leur culture ou encore à leur tempérament, occupent une place primordiale dans la plupart de leurs actions ; ceci est vrai sur la terre entière.

Bien sûr, la Mésopotamie ne fournit pas à elle seule, tous les points d'ancrage inconscients ou qui sont volontairement exploités, ne serait-ce que par suggestions insidieuses, pour justifier des comportements qui relèvent de la nature perverse de l'individu. Ces archétypes ne cesseront pas tout seuls d'induire les comportements que nous pouvons déplorer puis combattre ; il faut les ramener au niveau de l'intellectualité et faire en sorte qu'ils ne puissent servir de points d'appui négatifs. Je vais te donner un exemple d'objet de pensée qui précise bien mon propos. Je disais il y a un instant que d'où je viens, là où on m'a mis, la pensée considère que l'Harmonie, la Fureur et la Sérénité portent l'héritage ; car, ce sont des portes d'entrée. Cette façon de voir ne peut être exacte que pendant les heures où notre errance nous tient éloignés de notre pensée consciente. Tu peux comprendre néanmoins que cette structure ne peut jamais servir d'argumentaire au racisme ou à ses avatars ; parce que ce sont des structures qui traversent horizontalement l'humanité ; tu ne peux pas les relier à un groupe racial ou à un autre, et t'en servir comme des justificatifs dans tes œuvres ; tu ne peux pas t'en servir comme point d'ancrage pour justifier la haine de l'homme pour l'homme parce que ce système est de tout homme.

- Non, Lêgba ; je redis, un fois encore mon désaccord ; dit Jo. Son intervention suscita un intérêt soudain de Fa ; le dieu se redressa sur son siège ; il plissa légèrement le front montrant ainsi sa curiosité pour ce que l'homme allait dire. Lêgba, quant à lui, s'était tu, mais, la bouche était restée entrouverte ; les mots qu'il était sur le point de dire avant l'interruption du mécanicien étaient trop près de sortir ; voilà pourquoi la bouche ne pouvait se fermer. Le mécanicien sourit ; il ne quittait pas les lèvres du dieu des yeux. Il finit par se décider, car, l'attente des divinités était trop grande.

- Je ne suis pas d'accord, reprit le mécanicien, pour ramener le racisme ou tout autre comportement ignominieux de l'homme envers l'homme, tout comportement qui nie la dignité de l'Être, à une histoire de légendes et de mythes. Que les mythes et les archétypes aient influencé nos actes me semble évident ; mais, c'est beaucoup plus nos travers qu'il faut considérer. Quant à la version que tu donnes de la Genèse du monde et de l'homme, je la trouve inquiétant. Je trouve inquiétante de fonder un système de pensée là-dessus. J'ai déjà indiqué une première raison - l'esclavage - que je ne peux accepter comme fondement d'une pédagogie. Tu vois, cette genèse est inquiétante dans son essence aussi, car elle suppose que l'homme - esclave - n'aurait aucune issue ; alors, pourquoi se battre ? Pourquoi se battre si nos comportements ne reproduisent que la destinée commune de l'homme face aux dieux ? Cela ne revient-il pas à donner raison à ceux qui sont convaincus qu'une inégalité structurelle traverse le genre humain, et cela, dans un sens très différent de celui que tu décris ?

- La question se poserait si on oubliait les deux entités qui sont la matière et le souffle ; si on oubliait le corps et l'esprit, si on oubliait que l'homme est à la fois matière et pensée comme je l'ai dit. Cette genèse ne pose aucune inégalité d'aucune sorte dans l'essence de l'homme. Les inégalités viendront plus tard ; elles seront introduites plus tard au niveau de l'héritage, et là, je viens de dire ce qu'il faut en penser, et surtout, ce qu'il est urgent de commencer à faire. Si tu considères d'autres genèses - grecque, africaine ou autre ... - aucune ne pose le moindre élément de différenciation, et donc d'iniquité dans son fondement.

Non, Jo, il n'est pas question d'expliquer le racisme par les mythes et seulement par eux ; mais ils forment la base d'une partie importante des archétypes ; et ces archétypes, parce qu'enfouis dans le subconscient humain, se retrouvent dans bien de vos comportements et cela à votre insu ; et pour peu que ces paradigmes partent de prémices fausses ou mal comprises, l'homme se retrouve dans de redoutables tourbillons. Voilà pourquoi, dans l'analyse précise des eaux dont tu parlais, tu ne peux pas te permettre de les négliger. Au contraire, il faut les intellectualiser en les ramenant au niveau de la pensée consciente. C'est à ce niveau qu'il faut les décortiquer comme je l'ai indiqué. Bien sûr, on peut se contenter de les fouler au talon, mais n'oublie pas que c'est là, que le serpent mord. Tu ne peux pas nourrir le serpent, et prétendre le combattre en même temps ; pas plus qu'il n'y a un, deux, trois ... racisme ; non, il n'y en a qu'un et un seul ; celui qui refuse de croire que l'homme est l'unique réalité du principe d'ascension ; toute autre considération relève de la pensée dévoyée.

Tu as raison, s'agissant de dieux, de légendes, de mythes et d'archétypes par rapport au racisme ; non, on ne peut ramener l'esclavage, comme le racisme à une histoire de dieux ; il nous faut examiner les autres éléments qui les expliquent plus ou moins complètement. Nous pouvons accéder à ces éléments par l'étude des fonctions que le racisme et l'esclavage, qui ne sont que des aspects d'un même mal, ont assumé et continuent d'assumer. Il nous faut examiner le rôle qu'a joué, et que continue de jouer encore le racisme au niveau des groupes humains, mais également, à celui de l'individu. Ce rôle, mieux : ces rôles, font aussi partie des eaux malsaines et insipides ; même si, en apparence, certains de leurs aspects se présentent sous un jour qu'on pourrait qualifier de favorable quant aux résultats. Nous devons passer par là, si nous voulons combattre le mal et lutter pour le bien.

- Soit ! dit Jo, le mécanicien. A Valladolid, qu'aurait-on pu dire ou faire ? Devait-on laisser se poursuivre le massacre des Indiens d'Amérique ? Je ne sais pas ; réponds-moi, qu'aurait-on dû faire ?

L'interrogation s'adressait au dieu Lêgba ; mais, ce fut Fa qui y répondit. Le dieu le fit à sa place, c'est-à-dire, de l'intérieur ; il dit :

- Que faut-il considérer ? Je pense que c'est l'idée que l'homme se fait de l'homme qui doit prévaloir. Les archétypes comme les mythes constituent une première approche. Mais, celui qui ne croit pas à l'influence ni des uns ni des autres, pour celui-là qui se bat aussi, quelles seraient ses motivations ? Tu vois Jo, la réponse à ton interrogation relève du questionnement ; la première est celle-ci : à Valladolid avait-on sauvé les Indiens et les sauve-t-on aujourd'hui ? Le reste viendra Jo ; ça viendra ; patience et sérénité, n'est-ce pas ?

 

 

À suivre...
P. G. Aclinou, le 15/07/01
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