-�Voici, Jo. En ce temps l�, dit-on, il n'existait que
les dieux, ceux d'en Haut et ceux d'en Bas ; c'est-�-dire, les dieux Sup�rieurs
et les dieux Inf�rieurs. Tu me suis�?
-�Oui, parfaitement ; et alors�?
-�Alors�! Les dieux cr�aient les mondes, mais tout
le travail de cr�ation �tait fait par les divinit�s inf�rieures sur lesquelles
les dieux sup�rieurs se d�chargeaient. Les dieux travailleurs devaient trimer
nuit et jour ; ils devaient besogner qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige,
car la cr�ation est un processus continu qui ne conna�t pas de rupture.; il
arriva ce qui finit toujours par arriver quand la recherche de l'harmonie n'est
pas le moteur de l'action, le moteur de la pens�e. Les dieux inf�rieurs se
rebell�rent dit-on. Ils avaient fini par se r�volter ; ils se plaignirent de
tant travailler et d'�tre les seuls � œuvrer v�ritablement pour assurer la
cr�ation. A ce carrefour, l'ensemble des divinit�s avait le choix entre deux
attitudes : soit le combat, soit le d�bat. Il eut un d�bat pour �viter le
conflit arm�. Il ressortit de celui-ci que les dieux inf�rieurs avaient raison
dans leur r�volte. Les dieux sup�rieurs reconnurent le bien fond� de leur
protestation. Ce fut � ce moment-l� qu'on d�cida de cr�er l'homme pour qu'il
effectue le travail de cr�ation. L'homme fut cr�� selon ce mythe pour faire le
travail des dieux, le travail de cr�ation.
-�Ah oui�!�! Tu veux dire que selon ce mythe,
l'homme est n� pour �tre un esclave�! Esclave des dieux, mais esclave tout
de m�me ; ce n'est pas glorieux comme condition�!
-�Ce n'est pas glorieux en effet Jo ; mais, je n'ai pas
fini de raconter l'histoire. En attendant que je le fasse, remarque qu'�
Valladolid, on n'a pas fait autre chose, et en plus mal. Car, la cr�ation de
l'homme selon Sumer, si elle se justifiait par une n�cessit�, elle eut lieu
comme une porte qui donnait sur l'avenir. En effet, cette cr�ation-l� faisait
de l'homme un acteur dans l'œuvre de cr�ation de l'univers ; ce n'est pas
insignifiant. Cette gen�se faisait de vous un moteur de l'action et non
seulement un esclave qui serait un simple ex�cutant. Tout processus de type
Valladolid, pour �tre acceptable doit prendre en compte cette dimension de
l'homme�; il doit prendre en compte cet aspect d'acteur de l'humain dans
la cr�ation, en supposant que telles ou telles conditions particuli�res
conduisent � envisager le d�bat qui eut lieu dans ce monast�re. A Sumer, quand
les dieux inf�rieurs et sup�rieurs prirent la d�cision de cr�er l'homme, ils
avaient int�gr� cette dimension ; ils l'avaient non seulement int�gr�e, mais
ils se sont arrang�s pour qu'elle soit effective, en rendant le produit (
l'homme ) autonome ; l'homme dispose de la souverainet� pleine et enti�re ; ce
qui veut dire que l'homme fut cr�� libre. Les dieux l'avaient voulu ind�pendant
de ce que pourraient �tre leurs caprices �ventuels dans le temps ou dans les
temps. C'est pour cette raison qu'il faut relativiser ta r�action quant � l'homme
esclave de part les raisons qui semblaient motiver sa cr�ation.
-�Comment cela�?
-�Eh bien, voici comment les dieux proc�d�rent selon le
mythe. La d�cision prise, la communaut� des dieux en charg�rent celui d'entre
eux qui �tait pr�pos� � ce type d'op�ration ; il s'agit de la d�esse Matrice -
ce qui doit te renvoyer � la l�gende africaine selon laquelle quand Fa L�gba
jug�rent indispensable de remodeler la physiologie de la femme, ils se sont
adress�e � la d�esse. Matrice �galement. Les dieux sum�riens charg�rent la
d�esse Matrice de cr�er l'homme � partir de l'argile pour qu'il suppl�e aux
dieux inf�rieurs. La d�esse refusa. Elle refusa d'utiliser ce seul mat�riau,
car le produit d'une œuvre faite de cette mani�re serait effectivement
l'esclave perp�tuel que tu r�prouves avec �nergie et avec raison. C'�tait comme
si la d�esse renvoyait le projet devant la communaut� des dieux pour qu'elle
l'am�liore dans son essence. Les dieux firent ce r�examen et d�cid�rent de
sacrifier l'un d'entre eux...
-�En somme, le premier sacrifice, ce sont les dieux qui
l'ont fait�?
-�Exactement ; et ils ne sacrifi�rent pas n'importe
lequel d'entre eux ; non, ils sacrifi�rent le dieu W�, dieu de l'intelligence,
qui fut tu�. Sa mati�re et son essence furent ajout�es � l'argile ; c'est ce
nouveau mat�riau qui fut utilis� par la d�esse Matrice, selon le mythe, pour
cr�er l'homme.
Comme tu le vois, la Pens�e �tait de l'aventure ; la pens�e
y �tait d�s l'origine ; c'est pour cela que les engendrements de l'homme sont
de la mati�re et de l'Esprit � la fois ; l'une ne va pas sans l'autre, car il
faut un corps pour l'�me. Cela veut dire que les engendrements de la terre
seule, cela ne peut exister ; c'est l�, l'engendrement de l'universel.
Tu dois comprendre que cet engendrement est particulier, non
pas parce qu'il associe la terre et le souffle, mais parce qu'il est � la fois
la cr�ation, mais aussi de la cr�ation. Il est aussi cr�ateur par l'Esprit qui
est en lui. Dire que les dieux sont dans l'homme n'est pas une expression sans signification
; c'est une mani�re de dire que la pens�e qui porte vers la lumi�re, vers
l'harmonie est en lui ; seulement voil�, il y a aussi l'argile en lui. Toute
œuvre de cr�ation doit utiliser cet engendrement en entier ; et non en prendre
seulement tel ou tel �l�ment. Ceci doit �tre le fondement du combat. Ceci doit
�tre la raison principale qui porte � l'action.
-�Oui L�gba ; dit Fa ; toi qui es l'autre face de
l'unique concept, le principe de l'�l�vation, tu sais bien que ce ne peut �tre
l� qu'une porte, et cette porte ouvre sur un domaine qu'on ne peut exclure d�s
le d�part.
-�C'est exact, r�pondit L�gba ; toutefois, avant de
pouvoir ouvrir cette porte, il faut la trouver ; et pour cela, il faut savoir
la chercher. Ecoute Jo, l'homme n'a que l'homme pour le faire.
-�Je ne comprends pas tr�s bien, dit lentement le
m�canicien ; je ne comprends pas pourquoi tu viens m�ler les dieux �
l'esclavage et au racisme...
Ils se m�lent bien des affaires des hommes�! non�?
hurla L�gba. Fa souriait ; puis il dit :
-���C'est bien toi �a, L�gba��
Jo �tait h�b�t� par ce que l'Esprit de la r�flexion venait
de dire. Apr�s un silence, celui-ci reprit la parole :
-�Prendre conscience de l'universalit� de l'homme peut
conduire � se dresser contre l'esclavage ; mais, cela ne suffit pas...
-�Ecoute, je ne pense pas que tel ou tel mythe suffise
� expliquer les comportements humains. Je doute que la terre enti�re soit pr�te
� se ranger, m�me inconsciemment, derri�re des concepts dont la fonction
premi�re �tait de justifier des croyances qui aujourd'hui sont p�rim�es...
Tu te trompes ; je peux t'assurer que l'homme est loin
d'avoir d�pass� ce stade d'�volution psychique. L'�tre humain n'est pas encore
au stade o� ces arch�types jouent seulement un r�le de pi�ces de mus�e. Il est
loin d'avoir atteint un d�veloppement de la pens�e qui ferait que chacun de ses
actes soit du domaine de la pens�e consciente ; je ne dis pas de la raison ;
car, celle-ci est fonction du temps et du lieu. Ceci est vrai pour toutes les
soci�t�s humaines, quel que soit leur niveau d'�volution ou de d�veloppement.
Certes, quelques individus, peut-�tre aussi quelques groupes d'individus
poss�dent cette conscience ; mais elle fait encore d�faut � la majorit�. M�me
dans le cas de ces individus, ce sont d'autres consid�rations qui les am�nent �
adopter parfois des comportements que nous d�plorons. Je veux dire que la
g�n�rosit� qui rel�ve de la conscience que l'humanit� est un seul corps existe
chez quelques individus, mais que des �l�ments particuliers qui sont propres �
leur �ducation, � leur histoire, � leur culture ou encore � leur temp�rament,
occupent une place primordiale dans la plupart de leurs actions ; ceci est vrai
sur la terre enti�re.
Bien s�r, la M�sopotamie ne fournit pas � elle seule, tous
les points d'ancrage inconscients ou qui sont volontairement exploit�s, ne
serait-ce que par suggestions insidieuses, pour justifier des comportements qui
rel�vent de la nature perverse de l'individu. Ces arch�types ne cesseront pas
tout seuls d'induire les comportements que nous pouvons d�plorer puis combattre
; il faut les ramener au niveau de l'intellectualit� et faire en sorte qu'ils
ne puissent servir de points d'appui n�gatifs. Je vais te donner un exemple
d'objet de pens�e qui pr�cise bien mon propos. Je disais il y a un instant que
d'o� je viens, l� o� on m'a mis, la pens�e consid�re que l'Harmonie, la Fureur
et la S�r�nit� portent l'h�ritage ; car, ce sont des portes d'entr�e. Cette
fa�on de voir ne peut �tre exacte que pendant les heures o� notre errance nous
tient �loign�s de notre pens�e consciente. Tu peux comprendre n�anmoins que
cette structure ne peut jamais servir d'argumentaire au racisme ou � ses
avatars ; parce que ce sont des structures qui traversent horizontalement l'humanit� ; tu ne peux pas les relier � un groupe
racial ou � un autre, et t'en servir comme des justificatifs dans tes œuvres ;
tu ne peux pas t'en servir comme point d'ancrage pour justifier la haine de
l'homme pour l'homme parce que ce syst�me est de tout homme.
-�Non, L�gba ; je redis, un fois encore mon d�saccord ;
dit Jo. Son intervention suscita un int�r�t soudain de Fa ; le dieu se redressa
sur son si�ge ; il plissa l�g�rement le front montrant ainsi sa curiosit� pour
ce que l'homme allait dire. L�gba, quant � lui, s'�tait tu, mais, la bouche
�tait rest�e entrouverte ; les mots qu'il �tait sur le point de dire avant
l'interruption du m�canicien �taient trop pr�s de sortir ; voil� pourquoi la
bouche ne pouvait se fermer. Le m�canicien sourit ; il ne quittait pas les
l�vres du dieu des yeux. Il finit par se d�cider, car, l'attente des divinit�s
�tait trop grande.
-�Je ne suis pas d'accord, reprit le m�canicien, pour
ramener le racisme ou tout autre comportement ignominieux de l'homme envers
l'homme, tout comportement qui nie la dignit� de l'�tre, � une histoire de
l�gendes et de mythes. Que les mythes et les arch�types aient influenc� nos
actes me semble �vident ; mais, c'est beaucoup plus nos travers qu'il faut
consid�rer. Quant � la version que tu donnes de la Gen�se du monde et de
l'homme, je la trouve inqui�tant. Je trouve inqui�tante de fonder un syst�me de
pens�e l�-dessus. J'ai d�j� indiqu� une premi�re raison - l'esclavage - que je
ne peux accepter comme fondement d'une p�dagogie. Tu vois, cette gen�se est
inqui�tante dans son essence aussi, car elle suppose que l'homme - esclave -
n'aurait aucune issue ; alors, pourquoi se battre�? Pourquoi se battre si
nos comportements ne reproduisent que la destin�e commune de l'homme face aux
dieux�? Cela ne revient-il pas � donner raison � ceux qui sont convaincus
qu'une in�galit� structurelle traverse le genre humain, et cela, dans un sens
tr�s diff�rent de celui que tu d�cris�?
-�La question se poserait si on oubliait les deux
entit�s qui sont la mati�re et le souffle ; si on oubliait le corps et
l'esprit, si on oubliait que l'homme est � la fois mati�re et pens�e comme je
l'ai dit. Cette gen�se ne pose aucune in�galit� d'aucune sorte dans l'essence
de l'homme. Les in�galit�s viendront plus tard ; elles seront introduites plus
tard au niveau de l'h�ritage, et l�, je viens de dire ce qu'il faut en penser,
et surtout, ce qu'il est urgent de commencer � faire. Si tu consid�res d'autres
gen�ses - grecque, africaine ou autre ... - aucune ne pose le moindre �l�ment
de diff�renciation, et donc d'iniquit� dans son fondement.
Non, Jo, il n'est pas question d'expliquer le racisme par
les mythes et seulement par eux ; mais ils forment la base d'une partie
importante des arch�types ; et ces arch�types, parce qu'enfouis dans le
subconscient humain, se retrouvent dans bien de vos comportements et cela �
votre insu ; et pour peu que ces paradigmes partent de pr�mices fausses ou mal
comprises, l'homme se retrouve dans de redoutables tourbillons. Voil� pourquoi,
dans l'analyse pr�cise des eaux dont tu parlais, tu ne peux pas te permettre de
les n�gliger. Au contraire, il faut les intellectualiser en les ramenant au
niveau de la pens�e consciente. C'est � ce niveau qu'il faut les d�cortiquer
comme je l'ai indiqu�. Bien s�r, on peut se contenter de les fouler au talon,
mais n'oublie pas que c'est l�, que le serpent mord. Tu ne peux pas nourrir le
serpent, et pr�tendre le combattre en m�me temps ; pas plus qu'il n'y a un,
deux, trois ... racisme ; non, il n'y en a qu'un et un seul ; celui qui refuse
de croire que l'homme est l'unique r�alit� du principe d'ascension ; toute
autre consid�ration rel�ve de la pens�e d�voy�e.
Tu as raison, s'agissant de dieux, de l�gendes, de
mythes et d'arch�types par rapport au racisme ; non, on ne peut ramener
l'esclavage, comme le racisme � une histoire de dieux ; il nous faut examiner
les autres �l�ments qui les expliquent plus ou moins compl�tement. Nous pouvons
acc�der � ces �l�ments par l'�tude des fonctions que le racisme et l'esclavage,
qui ne sont que des aspects d'un m�me mal, ont assum� et continuent d'assumer.
Il nous faut examiner le r�le qu'a jou�, et que continue de jouer encore le
racisme au niveau des groupes humains, mais �galement, � celui de l'individu.
Ce r�le, mieux : ces r�les, font aussi partie des eaux malsaines et insipides ;
m�me si, en apparence, certains de leurs aspects se pr�sentent sous un jour
qu'on pourrait qualifier de favorable quant aux r�sultats. Nous devons passer
par l�, si nous voulons combattre le mal et lutter pour le bien.
-�Soit�! dit Jo, le m�canicien. A Valladolid,
qu'aurait-on pu dire ou faire�? Devait-on laisser se poursuivre le
massacre des Indiens d'Am�rique�? Je ne sais pas ; r�ponds-moi,
qu'aurait-on d� faire�?
L'interrogation s'adressait au dieu L�gba ; mais, ce fut Fa
qui y r�pondit. Le dieu le fit � sa place, c'est-�-dire, de l'int�rieur ; il
dit :
-�Que faut-il consid�rer�? Je pense que c'est
l'id�e que l'homme se fait de l'homme qui doit pr�valoir. Les arch�types comme
les mythes constituent une premi�re approche. Mais, celui qui ne croit pas �
l'influence ni des uns ni des autres, pour celui-l� qui se bat aussi, quelles
seraient ses motivations�? Tu vois Jo, la r�ponse � ton interrogation
rel�ve du questionnement ; la premi�re est celle-ci : � Valladolid avait-on
sauv� les Indiens et les sauve-t-on aujourd'hui�? Le reste viendra Jo ; �a
viendra ; patience et s�r�nit�, n'est-ce pas�?
�
�