La
notion de l'�tre Supr�me dans la Gr�ce antique �tait une
donn�e sp�culative qui opposait deux �coles de pens�e ; la premi�re �cole,
majoritaire, consid�rait un Dieu du Bien qui correspondait � ce que nous avons
dit de la structure sociale des Grecs ; la seconde �cole posait comme �vident
l'existence de deux divinit�s supr�mes en quelque sorte, ce sont les D�miurges
; il y aurait un demi Dieu du Bien et un demi Dieu du Mal ; les deux seraient
en lutte permanente, c'est la base m�me de la Gnose, pour qui c'est le demi
Dieu du Mal qui aurait cr�e le monde pour qu'il soit si dur � vivre ; deux
D�miurges en lutte donc pour cette �cole, avec des adeptes pour chacun d'eux ;
et tandis que pour l'autre (l'�cole qui suppose un seul Dieu bon et cr�ateur)
dans ce contexte sp�culatif, il n'y aurait qu'un Dieu Bon, et le mal serait le
r�sultat des conditions de l'existence. Tu remarqueras que cette vision rejoint
la juda�que et la chr�tienne ; ici, le Mal serait une irr�gularit� qui serait
apparue apr�s la cr�ation par le Dieu Bon. La science d'aujourd'hui comme tu le
sais suppose qu'une irr�gularit� du continuum espace-temps explosa � un
��instant�� donn� - instant que la science n'est pas encore en mesure
de pr�ciser - entra�nant le Big Bang dont serait issu l'univers ; mais c'est
l�, une parenth�se dans notre propos. Certains dans le juda�sme vont jusqu'�
dire que le Mal est apparu en Dieu, et le combat est de l'en extirper ; je
simplifie, bien s�r. Nul part ailleurs que dans le Juda�sme, le r�le de Dieu,
consid�r� comme l'Unique, n'est aussi essentiel ; ce fut une rupture totale qui
�tait introduite par rapport � ce qui se pensait jusqu'alors. Le juda�sme va
faire du constant face � face entre l'homme et son Dieu le principal moteur de
toute sa d�marche p�dagogique. Face � face entre Dieu et l'homme, mais
�galement face � face entre les deux groupes humains que le juda�sme institue
comme �l�ment de sa d�marche ; c'est l�, le second moteur qui s'articule autour
d'un pr�-requis que suppose l'�lection divine. En fait, ce second face � face
n'est pas propre au juda�sme seul, on le retrouve partout, au sein des peuples
et entre les peuples, sans pour autant atteindre � l'exclusive juda�que ; et
pour cause, ce comportement ne se fonde pas dans tous les autres cas sur une
�lection. C'est un facteur extr�mement important pour la compr�hension du
probl�me qui nous pr�occupe ; car l'autre, le r�prouv� sert de levier �
l'action p�dagogique, nous y reviendrons, mais d�s � pr�sent , tu peux voir l�,
la signification du r�le p�dagogique de la notion d'esclavage con�ue comme
�l�ment essentiel des relations entre individus mais aussi et surtout comme
rapport entre les soci�t�s. Il faut en sortir si on veut �radiquer le mal.
-�Comment ?
-�Nous aurons l'occasion d'en parler. Dans le juda�sme
c'est dans l'opposition permanente entre les deux groupes que s'ins�re
l'esclavage comme �l�ment essentiel du rouage ; mais ici, il faut donner un
sens tr�s �tendu � la notion d'esclavage. Tu comprends bien s�r que cet �l�ment
parcours les deux ensembles d'humains que le juda�sme pr�suppose. Comme dans le
monde Grec, le syst�me h�bra�que n'avait pas besoin de r�f�rences pour fonder
le fait esclavagiste ; les conditions de la vie quotidienne et la nature
humaine suffisent pour en d�rouler les �l�ments. Ici �galement, une soupape de
s�curit� existe pour que l'individu, fils de Dieu, garde l'espoir d'acc�der �
un statut sup�rieur ; une s�curit� qui rel�ve autant de son action vis � vis de
la Divinit� que de celle du groupe en sa direction ; nous avons l�, l'aspect
p�dagogique que je pourrais qualifier d'interne.
-�En somme, dit Jo, cela allait de soi !
-�Oui et non, r�pondit L�gba qui poursuivit : Oui, par
le fait que cela d�coulait des conditions de l'existence ; non, par le fait que
fils de Dieu, l'homme en situation de d�pendance, l'esclave, se savait plac�
dans un �tat provisoire d'o� n�cessairement il devait sortir avec le temps ,
avec les temps : c'�tait l'Alliance, la Promesse. Sa situation �tait donc
passag�re : mais, et c'est l� encore un �l�ment de la p�dagogie, il ne pouvait
sortir de cet �tat que par son action d'une part, et par celle du groupe
d'autre part ; l'une ne va pas sans l'autre ; il s'ensuit une solidarit�, je
dirais obligatoire entre les deux, individu et groupe, ceci au sein de
l'ensemble h�breu.
Jo demanda encore :
-�Et par rapport � l'autre partie de l'humanit� , celle
qui est issue de la division que fit le juda�sme et qui n'est pas h�breux,
selon toi ?
-�L'autre �l�ment, le groupe non-h�breux, quel est son
devenir dans la vision juive de la marche de l'homme ? c'est �a ta question ?
Seul le christianisme apporte une r�ponse connue, claire et pr�cise, mais,
celle-ci est situ�e � l'horizon des temps. D'une fa�on g�n�rale, entre les deux
groupes, h�breux et non-h�breux, c'est la peur de l'autre qui a jou� le premier
r�le dans un sens comme dans l'autre ; il faut compter �galement avec un
sentiment de frustration du groupe non-h�breux qui peut s'expliquer par son
exclusion de l'�lection (ce que corrige le christianisme, nous l'avons vu) ;
une peur qui ob�it dans tous les cas au reflex de d�fense ; c'est le reflex de
survie qui tient la premi�re place comme moteur de l'action...
-�En somme, nous retrouvons la peur de l'autre...
-�Oui, une peur biologique que seule l'action de la
pens�e peut aider � �carter. Mais il faut pour cela que la p�dagogie soit
�labor�e en ce sens, et ceci ne peut se faire que progressivement...
-�Tu disais que l'esclavage joue dans le juda�sme un
r�le p�dagogique...
-�Parfaitement, Jo ; et cela est tr�s clair dans le
face � face homme-homme qui se trouve dans la structuration interne au groupe
h�breux ; ce face � face n'intervient que dans cette structure interne ; �
l'ext�rieur, c'est le groupe tout entier qui est acteur, l'individu doit
s'effacer, et son effacement est exig� avec une rigueur sans faille. Peu
importe qui avait institu� ce principe, mais, si tu veux en conna�tre les
�l�ments, il te suffit d'aller lire le r�cit de la distribution des r�les que
fit le Patriarche Jacob lors de sa visite � ses fils en Egypte avant sa mort.
La distribution des r�les qui eut lieu � ce moment l� selon le r�cit, jointe �
la rigueur dont je parlais donnent une efficacit� redoutable au groupe ; mais
h�las , cela conduit aussi � une opposition farouche, une opposition sans
concession avec l'autre partie de l'humanit� ; tu comprends d�s lors,
l'importance de l'approche du christianisme qui tout en faisant deux groupes
lui aussi, laisse la porte ouverte � un rassemblement. ; il est n�cessaire
cependant que tu fasses attention � la mani�re de percevoir ce que je viens de
dire, car nous n'avons pas examin� les raisons qui fonde le syst�me juda�que ;
nous en avons seulement vu la structuration sans en d�terminer les raisons ;
pour cela il faudrait prendre en compte Mo�se qui avait pos� les bases
semble-t-il ; c'est � son niveau que nous pouvons tenter de d�terminer les
raisons qui fondent v�ritablement la structure h�bra�que.
-�Et l'Islam ? tu n'en dit rien ; n'intervient-il pas
comme voie d'acc�s � l'harmonie entre les hommes ?
-�Tu as parfaitement raison, c'est aussi une �cole de
formation ; elle est �troitement imbriqu�e � la juive et � la chr�tienne parce
que se r�clamant des m�mes fondements qu'elles. Tu peux consid�rer les trois
comme les c�t� d'une pyramide � base triangulaire dont le sommet serait
l'incommensurable, mais chacune revendiquant la primaut�. La p�dagogie se
distribue de fait entre les trois p�les, mais on assiste tout au long de
l'histoire � une empoignade triangulaire, parfois celle-ci se concentre entre
deux p�les, la troisi�me �tant relativement tol�r�e...
-�C�t� primaut�, il suffirait peut-�tre de consid�rer
l'ant�riorit� dans le temps , non ?
-�Non, Jo, non, car l'ant�riorit� ne conf�re pas � une
id�e une valeur sup�rieure � celle qui serait �mise apr�s ; c'est au niveau de
l'efficacit� qu'il faudrait mesurer la valeur d'un concept. C'est l� que se
situe l'une des raisons des confrontations entre les trois. Tu peux consid�rer
qu'� l'origine, l'islam apparaissait comme �tant destin�e � se substitu� aussi
bien au christianisme qu'au juda�sme...
-�Une roue de secours en quelque sorte ?
-�Oui, mais une roue de secours qui a su se constituer
et faire �merger sa personnalit� propre, avec fougue et d�termination, la foi
oblige ! une roue de secours qui a su p�n�trer en profondeur l'esprit de
l'homme, nonobstant les avatars introduits par la nature des hommes.
L'�mergence de l'entit� islamique en tant que force constitu�e et vivante est
due �galement � son alliance ici aussi avec la pens�e Grecque tout en
produisant ses fruits propres. Mais, tu vois cet aspect ��roue de
secours�� n'est pas propre � l'�re moderne, elle n'est pas propre au
sixi�me si�cle, presque un mill�naire plus t�t, l'�mergence du fait h�bra�que
�tait accompagn�e, elle aussi de sa roue de secours ; il ne semble pas qu'il
fut n�cessaire de s'en servir, et surtout, elle n'a pas su se hisser au niveau
d'une entit� agissante et conqu�rante comme le fera plus tard l'islam...
-�Ah bon ? une roue de secours qui accompagnait le
juda�sme naissant ?
-�Oui, parfaitement ! les tziganes semble-t-il �taient
dans cette position.
Le syst�me que la Gr�ce antique avait mis en place est
universaliste, de m�me que celui qui � cours en Afrique ; il y a l'homme et il
y a les dieux; Dieu �tant plus lointain�; Il est con�u comme
l'Inaccessible, et non comme l'Inutile, surtout en Afrique. Il y a cependant
une grande diff�rence entre le syst�me grec et le syst�me africain ; dans le
premier cas, il y a les dieux, l'homme doit les v�n�rer, et il y a la nature
dont l'homme doit s'occuper activement et positivement ; comme tu le sais,
cette d�marche � conduit � tout ce qui est science aujourd'hui. Dans le second
cas, c'est � dire en Afrique, on dit que l'anc�tre mythique avait deux fils,
l'un, l'a�n� demanda aux dieux de le suivre, alors que le second, le cadet
demanda aux dieux de passer devant lui. Il faut reconna�tre que l'attitude de
l'a�n� fut pr�f�r�e, c'est tr�s peu efficace, car l'homme avance tr�s lentement
et ne fut pas oblig� de courir derri�re les dieux comme cela aurait d� �tre le
cas.
-�Tout cela ne nous explique pas le quotidien du
racisme !
-�Non, pas enti�rement bien s�r, Jo ! Ce ne sont l� que
quelques uns des �l�ments, et ils sont importants. Il y a d'autres donn�es qui
entrent en jeux, mais le fondement est celui-la m�me que nous venons de voir.
Un autre facteur qui intervient et qui est commun � toutes les approches que
nous avons consid�r�es tient au fait que l'homme est l'unique client de
l'homme, mais surtout, il est per�u comme la meilleure marchandise ; et une
marchandise qui est active en ce sens que par sa capacit� de r�action qui est
tr�s �tendue, l'homme participe activement, volontairement ou non, � la
dynamique du racisme ; il faut �tre conscient que tous les aspect de
l'esclavage sont li�s � cette dynamique. C'est dire que quand m�me la peur de
l'autre serait surmont�e par l'�ducation , par l'ouverture sur le monde, il
faudrait encore trouver une autre dimension � l'action humaine, une dimension qui
ne fasse pas de l'homme une proie de pr�dilection pour ses semblables. Il ne
peut pas en �tre autrement ! Tant que l'on n'aura pas trouv� un objectif, je
dis bien objectif et non un d�rivatif, pour ses passions, ses envies, ses
intrigues, ses ambitions, et que sais-je encore, qui ne prenne pas l'autre
comme cible, on peut craindre que le concept d'esclavage soit toujours
d'actualit�. Il y a deux caract�ristiques dans la nature humaine qui nous
donnent la dimension du probl�me. L'homme est l'animal le plus fragile, le plus
vuln�rable de la cr�ation ; c'est le seul qui, abandonn� � lui-m�me � la
naissance , poss�de la plus faible chance de survie ; voil� donc la premi�re
caract�ristique : sa tr�s grande vuln�rabilit� qui demeure jusqu'� sa mort. La
seconde est son potentiel intellectuel, un potentiel fantastique, un potentiel
�volutif marqu� par une �norme capacit� d'acquisition, d'adaptation volontaire
et de transmission sans limite. J'insiste sur le volontaire, car, il ne s'agit
pas seulement d'une donn�e biologique. Ce pouvoir de choix volontaire va
d�cupler ses possibilit�s et le faire dans des proportions inimaginables, sans
pour autant annuler compl�tement sa fragilit�. Est-il n�cessaire d'ajouter que
le but de toute p�dagogie est ou devrait �tre le renforcement de ce potentiel.
- Mais alors, dit Jo ; quelle autre voie pouvons nous suivre
pour que l'homme soit ce qu'il devrait �tre ?
�