-�C'est logique, car, apr�s les dieux, il faut bien que
l'homme aussi prenne sa part de responsabilit�...
-�Au d�part
certainement ; mais il est ind�niable que sans le d�bat d'id�es, la Gr�ce
antique n'aurait pas rayonn� tant sur le monde et sur tant de mondes ; c'est de
ce d�bat-l� dont je parle,.
-�Dans ce cas, il a bien fallu justifier ce choix ? Il
faut bien que le syst�me repose sur une base�? Si tu exclus le divin comme
assise, comment la Gr�ce expliquait-elle son choix�? Pouvons-nous esp�rer
le comprendre � travers la mythologie grecque�?
-�On le pourrait en
partie, sans doute ; mais il ne faut pas oublier que la mythologie de la Gr�ce
antique reproduisait le psychisme humain avant tout ; l'enseignement de cette
mythologie repose sur le v�cu, sur les comportements de l'homme et les
enseignements que des g�n�rations successives en avaient retenus. Bien
�videmment, les pr�occupations th�ologiques, ou plus exactement th�ogoniques,
faisaient partie des interrogations des penseurs, parce que c'est la vie ; et
comme c'�taient des �tres conscients de cette appartenance, c'�tait naturel de
s'interroger ; c'�tait normal de se poser les questions qu'encore aujourd'hui
l'homme se pose ; � savoir la recherche du principe premier des choses. Mais,
la Gr�ce eut le g�nie de faire la s�paration dont il �tait question
tout-�-l'heure. Pour r�pondre pr�cis�ment � ta question, les savants arriveront
certainement � mettre en lumi�re les fondements complets du syst�me de
l'antiquit� grecque. C'est d�j� fait en partie ; et il ne faut pas s'�tonner,
quand tout sera bien clair, de voir que l�-aussi, le syst�me r�sultait des
cons�quences d'une lutte qui avait laiss� des vainqueurs et des vaincus, les
premiers organisant � leur avantage la coexistence in�vitable, et sans doute,
l'organisaient-ils aussi, de fa�on � �viter le retour des heures de conflit...
-�C'est-�-dire que les
vainqueurs avaient fait en sorte que cela aille de soi pour tout le monde !
-�Eh oui, Jo ! la
m�thode ne date pas de ton �poque, elle existait d�j�. C'est cela ; mais l�
aussi, comme dans la soci�t� indienne, une porte de sortie �tait pr�vue ; chez
les Grecs toutefois, celle-ci relevait uniquement du domaine de l'homme ; les
dieux n'y avaient pas acc�s ; je veux parler de l'affranchissement. Le syst�me
grec avait une autre caract�ristique, il ne pr�tendait pas � l'int�grisme ;
l'�galit� des hommes �tait r�tablie face aux dieux, puisque c'est l�, un
domaine qui ne relevait pas de la nature humaine. L'�galit� existait � un autre
niveau aussi, � celui de la pens�e ; car, rien ne fut tent� pour contrarier la
libert� de pens�e ; ainsi, Socrate pouvait surgir parmi les esclaves...
-�Ce n'�tait pas
n�cessaire d'interdire, puisque le consensus �tait total ; puisque le syst�me
social allait de soi pour tous. Cependant, Socrate justement, fut invit� � s'en
aller, ce qui revenait � dire que l'on fixait des limites � cette libert�-l�…
-�Non, tu te trompes ; �
Socrate, ce n'�tait pas de penser qu'on lui reprochait, mais de m�langer les
deux domaines, celui du divin et celui qui relevait de l'homme. Ce m�lange ne
pouvait �tre accept�, car, la s�paration des domaines est l'une des assises du
syst�me. La fa�on dont Socrate a d� s'ex�cuter est tr�s significative en ce
sens qu'elle constitua une r�affirmation du syst�me. Tu dois comprendre que le
calme et l'absence de r�actions indign�es et de la part de Socrate et de celle
de ses amis est aussi un signe...
-�Signe que la
condamnation allait de soi�? demanda Jo, et le dieu confirma sa pens�e ;
il lui dit " tout � fait, Jo", avant de poursuivre son expos�.
-�Il faut saluer la
performance des Grecs antiques ; la saluer, mais il ne faut pas la consid�rer
comme un point de mire ; or, aujourd'hui c'est sa situation ; nous le
constatons d�s que nous �cartons le voile qui le recouvre ; nous retrouvons
cette division, elle est tr�s subtile, et elle tente d'�viter deux d�bordements
du syst�me antique...
-�Si d�bordement il y a
eu, cela revient � dire que le syst�me n'�tait pas aussi parfait qu'on pourrait
le croire ; comment peut-on expliquer, dans ces conditions, qu'il ait tant
dur�, pour constituer, encore aujourd'hui, une r�f�rence m�me avec les
am�nagements�?
-�On devrait parler
plut�t d'attirance, car la Gr�ce n'a jamais �t� une puissance dominante
absolue, comme le fut Rome, ou comme l'est aujourd'hui les Etats- Unis. Une
attirance purement intellectuelle donc, les am�nagements dont tu parles sont de
profondes modifications qui tiennent aux apports issus d'autres sources ; mais,
c'est exact que la pens�e grecque constitue le fond permanent du syst�me
occidental actuel, si tu te places sur le niveau intellectuel ; par contre, si
tu te situes dans la pratique de la vie quotidienne actuelle, ce sont les
am�nagements qui pr�valent. L'explication tient en plusieurs points :
D'abord, parce que " cela
allait de soi " ; ce fut, et c'est toujours la victoire du mot : obtenir
le consensus du plus grand nombre, non pas comme la suite d'une controverse,
mais par une structuration de la soci�t� qui �tait orient�e sur la base de
certaines valeurs, celle qui refl�tait au mieux, le niveau de conscience des
vainqueurs ; ou bien celle qui traduisait leurs aspirations de groupe. Le r�le
qui �tait d�volu au groupe esclave inhibait la recherche des applications des
id�es sauf dans l'exploration intellectuelle ; la n�cessit� de transcrire les
concepts dans le concret de l'existence au quotidien ne se faisait pas sentir ;
ce n'�tait pas une urgence ; y avait-on m�me song�? L'esclave s'occupant
des t�ches ancillaires de moindre valeur. Ce fut l�, le premier d�bordement....
-�Je veux bien ; mais,
la Gr�ce antique avait fait bien des inventions, militaires notamment, sans
parler du domaine artistique. La d�lectation intellectuelle ne leur fermait pas
les yeux sur le quotidien...
-�Pas tout-�-fait ; mais
dans ces cas-l�, ce sont d'autres facteurs qui sont intervenus, et qui, par la
pression sur les hommes ont contraint � la r�action. Pour le domaine militaire
que tu cites, il y a eu les affrontements avec les �l�ments ext�rieurs, avec
d'autres peuples, ou bien avec d'autres branches de la famille qui conduisaient
� l'innovation. Il me semble qu'il faille parler plut�t de r�flexe de survie,
et quelques fois, des r�flexes d'orgueil ou d'honneur jouaient le m�me r�le.
Dans le domaine militaire, il n'est pas �tonnant que ce soit Rome, h�riti�re de
la tradition grecque qui ait le plus innov� ; il le fallait pour r�aliser la
politique de conqu�te et d'expansion qui caract�risait l'empire romain. Dans le
domaine artistique que tu �voques �galement, il convient de noter, que nous avons
l�, une interf�rence des deux domaines que je d�finissais plus haut ; entre le
monde des dieux et celui de la nature. L'art grec se voulait d'abord divin
avant de s'ouvrir au profane ; et m�me l�, dans le domaine profane, l'art se
voulait avant tout un hommage au divin. Il n'est donc pas �tonnant que le
syst�me social constitu� d'hommes libres d'une part, et d'esclaves d'autre
part, ne fut pas mis en question � aucun moment du d�veloppement de la pens�e.
Les variantes qui apparaissaient �a et l�, ne peuvent �tre consid�r�es comme
une remise en question de cette organisation strictement humaine.
Le second aspect de la
r�ponse � ton interrogation porte sur ce que j'appelle le d�bordement
intellectuel. Cet aspect culmine avec la condamnation de Socrate...
-�C' est � dire ?
-�Que reprochait-on �
Socrate�? Seulement de consid�rer et de dire que le syst�me n'allait pas
de soi, c' est tout. Il faut d�cortiquer l'affaire Socrate pour le d�couvrir.
Le syst�me grec ne pouvait fonctionner que si on laissait leur place aux dieux.
On ne pouvait bouleverser un �l�ment sans entra�ner une distorsion de l'autre,
et donc une rupture de l'�quilibre pr�existant. Si tu veux, on peut consid�rer
que pour les Grecs, le syst�me des dieux est un outil, et rien d'autre ; mais c'est
un outil qui, s'il faisait d�faut, entra�nait l'�croulement du syst�me. Ceci,
sur le plan humain ; par contre sur le plan intellectuel, la th�ogonie et la
th�ologie sont des objets de pens�e au m�me titre que les autres questions dont
les penseurs s'occupaient.
-�Mais l'�glise issue du
christianisme a d�truit ce qui revenait aux dieux, et pourtant, l'esclavage n'a
pas disparu pour autant du syst�me gr�co-romain ?
-�Tout � fait, mais elle
n'a fait que remplacer dieux par Dieu ; elle fut oblig�e ensuite d'�quilibrer
le nouveau syst�me en donnant une autre dimension � l'esclavage de l'homme par
l'homme. Elle avait ouvert une br�che, en ce sens qu'elle avait install�
involontairement un pont entre ce qui revenait aux dieux et ce qui �tait du
ressort des hommes. Ce pont va permettre, au niveau de l'intellect,
d'introduire de la divinit� dans l'homme�; quelques si�cles encore et
cette part grandissant finira par faire �clater, en apparence tout au moins, le
syst�me esclave/homme libre. Il faut dire que dans ses fondements, le
Christianisme accorde la primaut� � Dieu, alors que les Grecs l'accordaient �
l'humain ; nous verrons les cons�quences plus tard et ceci constitue l'un des
apports dont nous avons parl�s. En somme, Rome n'a pas innov� par rapport � la
Gr�ce; elle a amplifi� la vision grecque, et par ses conqu�tes, elle l'a
introduit en des lieux g�ographiques o� il n'avait acc�d� �
l'intellectualisation. L'�glise va enfourch� ce cheval...
-�L'�glise, selon toi,
n'aurait fait que chevaucher une monture qui ne lui appartenait pas...
-�Elle a fait mieux que
cela ; elle a gomm�, pour le commun la fronti�re entre le divin et le profane,
fronti�re qui fut institu�e par la Gr�ce. Mais cet effacement fut progressif,
de l'esclavage on passa au servage qui dispara�tra � son tour. Voil� pour
l'aspect mat�riel de la question. Nous nous trouvons dans un syst�me,
apparemment diff�rent, et dans lequel nous trouvons Dieu et sa cr�ation dont
l'homme serait le fleuron. L'�glise n'a pas aboli pour autant, la
stratification � deux �tages qui pr�valait ; nous assistons � l'�mergence d'une
autre gradation qui, sans �tre aussi formelle que la vision grecque ou
asiatique, n'en est pas moins une vision esclavagiste dans son application. La
notion d'homme sup�rieur, ou classe sup�rieure, repr�sent�e par la noblesse en
particulier, n'est qu'une autre forme du syst�me grec et cela parce que en face
de cette classe se trouvent tous les autres ordres auxquels sont d�volus les
fonctions sociales moins nobles ou suppos�es telles. Bien s�r, il peut exister
une stratification de second niveau, voire de troisi�me si ce n'est de
quatri�me.
-�Dans ce cas il y a
contradiction entre les buts que s'est assign� le christianisme et la pratique
quotidienne. En effet, l'enseignement du christianisme ne comporte pas � mon
avis, des �l�ments qui inciteraient � la naissance d'un syst�me esclavagiste.
Je ne crois pas que l'�glise ne fasse que remplacer les dieux grecs par un Dieu
jud�o-chr�tien.
-�Oui, il y a
contradiction, si nous nous r�f�rons � l'histoire de l'�glise dans les 20
si�cles �coul�s ; nous en parlerons, mais on ne peut le faire sans y associer
la d�marche Juda�que, c'est-�-dire la " maison-m�re " du
Christianisme ; et l�, nous abordons le cas de ceux qui, dans leur d�marche
p�dagogique, ont pr�f�r� structurer le groupe social avant de structurer
l'individu.
�
... � suivre.
�