[Hommes et Faits] > Psychologie > Connaissance de C. G. Jung

Deux livres de Elie G. Humbert


Deux petits livres de �lie G. HUMBERT nous paraissent essentiels pour une approche rapide des principaux concepts de la psychologie de C.G. Jung. Ce sont�:

  • L’homme aux prises avec l’inconscient, chez Albin Michel, espaces libres, Paris, 1994.
  • Jung, �ditions universitaires, Presses Pocket, Paris, 1983.

�lie G. HUMBERT, ancien pr�sident de la Soci�t� fran�aise de psychologie analytique, fondateur et r�dacteur en chef (jusqu’� sa mort en 1990) des Cahiers jungiens de psychanalyse, est � nos yeux un des meilleurs et des plus fins connaisseurs de la pens�e de C.G. JUNG. Sa pr�sentation est claire, synth�tique et rigoureuse.

Rep�res sur le chemin de l’individuation

"�Connais-toi toi-m�me, et tu conna�tras l’univers et les dieux�". La confrontation avec l’inconscient appara�t comme une forme moderne de cette injonction socratique. Elle constitue une descente en soi, dans les profondeurs de la psych�; elle en explore et en r�v�le les diff�rents aspects. A plus d’un titre, elle appara�t comme une qu�te du sens. Qui suis-je�? Qu’est-ce qui s’agite en moi�? Quel est le sens de ce que je vis, quel est le sens de mon histoire�? Quel est le sens de ma relation � moi-m�me et quel est le sens de ma relation aux autres�?

Je cherche � devenir plus conscient de mani�re � mieux m’assumer et � mieux r�pondre de moi. Pourquoi�? Peut-�tre, tout simplement, parce qu’au d�part �je me sens mal dans ma peau’. Tout part de l�, de ce sentiment de fragmentation de mon identit� et de conflits entre certains de ces fragments. C’est cette souffrance int�rieure qui fonde la d�marche, c’est � cette question de la souffrance des hommes qu’en dernier ressort nous devons r�pondre. Cette question ouvre � la dimension spirituelle, voire religieuse. Le message du Bouddha et celui du Christ ne sont-ils pas au fond deux r�ponses � la question de la souffrance�? �Il faut la faire cesser’, dit le premier, �voici comme s’y prendre’. �Il faut l’accepter’, lui r�pond le second, �je suis la Voie’. Puisque la souffrance r�side dans cet �tat de conflits int�rieurs, nous pensons pour notre part que la r�ponse � lui apporter est � chercher dans une nouvelle mani�re d’�tre, une mani�re d’�tre qui se construit � partir d’une connaissance de soi. L’�volution int�rieure qui se produit alors est le processus d’individuation.

En 1913, alors que la brouille avec Freud est consomm�e et qu’il perd tous ses rep�res, Jung est persuad� qu’il existe tout au fond de lui une activit� psychique autonome et non consciente, sur laquelle il n’a pas de prise, mais qui rec�le des secrets.

“�Apr�s la s�paration d’avec Freud, a commenc� pour moi une p�riode d’incertitude int�rieure, plus que cela encore, de d�sorientation. Je me sentais flottant, comme totalement en suspens.�” C.G. Jung, Ma vie, p. 198.

Ne sachant plus que penser, Jung d�cide de donner la parole � son inconscient, de laisser �merger ce qui remonte du fond et de s’expliquer avec.

“�Je me dis alors, ’j’ignore tout � un tel degr� que je vais faire simplement ce qui me vient � l’esprit’. Je m’abandonnai de la sorte aux impulsions de l’inconscient.�” ibid., p.201.

L’exp�rience dura pr�s de six ans�; ensuite, le reste de sa vie, dira-t-il, ne fut que la mise en forme de ce qu’il a rencontr� durant cette p�riode.

Cette exp�rience de Jung est comme un mod�le de confrontation avec l’inconscient, exp�rience difficile o� l’individu est soumis � l’�preuve de lui-m�me.

Un peu de technique

Ceci �tant, comment s’y prendre�?

On s’accorde pour expliquer avec trois verbes l’action du conscient qui s’engage dans cette voie�: laisser advenir, consid�rer, se confronter.

Laisser advenir. Il s’agit l� de laisser �merger les images et les id�es qui viennent du fond. Ces images, ce sont celles des r�ves qui animent nos nuits, ce sont les fantasmes dont on arrive peu � peu � prendre conscience, ce sont �galement les fantaisies qui se forment lorsque l’on s’adonne � l’imagination active. Laisser �merger ne signifie pas qu’il faille se laisser submerger. Il y a l� un subtil dosage � trouver entre les donn�es et les valeurs diurnes d’une part et ce qui �merge ainsi de la nuit de la conscience d’autre part. Un �quilibre est � trouver, les images doivent �tre contenues.

“�Naturellement, tandis que je travaillais � mes phantasmes, j’�prouvais le besoin, pr�cis�ment � cette �poque, d’avoir "un point d’attache dans le monde" et je puis dire que celui-ci me fut donn� par ma famille et le travail professionnel. Il �tait pour moi vitalement n�cessaire d’avoir une vie rationnelle qui allait de soi, comme contrepoids au monde int�rieur �tranger. La famille et la profession demeur�rent pour moi la base � laquelle je pus toujours faire retour et qui me prouvait que j’�tais r�ellement un homme existant et banal. Les contenus de l’inconscient pouvaient parfois me faire sortir de mes gonds. Mais la famille et la conscience que j’avais un dipl�me de m�decin, que je devais secourir mes malades, que j’avais une femme et cinq enfants, et que j’habitais Seestrasse 228 � K�snacht, c’�taient l� des r�alit�s qui me sollicitaient et s’imposaient � moi. Elles me prouv�rent, jour apr�s jour, que j’existais r�ellement et que je n’�tais pas seulement une feuille ballott�e au gr� des vents de l’esprit, comme un Nietzsche. Nietzsche avait perdu le contact avec le sol sous ses pieds parce qu’il ne poss�dait rien d’autre que le monde int�rieur de ses pens�es - monde qui, d’ailleurs, poss�dait plus Nietzsche que lui-m�me ne le poss�dait. Il �tait d�racin� et planait sur la terre, et c’est pourquoi il fut victime de l’exag�ration et de l’irr�alit�. Cette irr�alit� �tait pour moi le comble de l’abomination, car ce que j’avais en vue, c’�tait ce monde-ci et cette vie-ci. Quelque ballott� et perdu dans mes pens�es que je fusse, je ne perdais cependant jamais de vue que toute cette exp�rience � quoi je me livrais concernait ma vie r�elle, dont je m’effor�ais de parcourir le domaine et d’accomplir le sens. Ma devise �tait�: Hic Rhodus, hic salta�! (C’est ici Rhodes, c’est ici que tu dois danser). De la sorte, ma famille et ma profession furent toujours une r�alit� dispensatrice de bonheur et la garantie que j’existais normalement et r�ellement. .�” ibid., pp. 220-221.

Consid�rer, prendre en consid�ration. Les images et les �motions dont elles sont charg�es doivent �tre accueillies aussi paisiblement que possible et pour cela il est techniquement int�ressant de ne pas s’identifier � elle et m�me de s’attacher � les objectiver.

“�En objectivant l’�motion ou l’impulsion, dit Elie Humbert, le sujet s’en d�gage et s’en diff�rencie. Il entre alors dans une autre relation avec ce qui l’affecte.�”

Plut�t que de chercher - r�flexe courant - � traduire ces images en une version intellectuellement correcte, il est plus int�ressant de les laisser vivre au grand jour. Plut�t que chercher � raisonner sur ces productions inconscientes, il para�t plus profitable de les laisser r�sonner en nous et de laisser � notre imagination le soin de les amplifier. Petit � petit, c’est du sens qui va ainsi se construire.

Se confronter. Gr�ce � ce sens qui se construit, le moi conscient va pouvoir se confronter ou, si l’on pr�f�re, s’expliquer avec ces bulles auxquelles il ne s’identifie pas et qui remontent pourtant � la surface des eaux de l’inconscient. S’expliquer, cela signifie engager le dialogue, le laisser se d�rouler, le laisser guider notre r�flexion.

“�Cette attitude est essentiellement une Auseinandersetzung entre le conscient et l’inconscient. Ce terme allemand, intraduisible, signifie qu’une explication a lieu, une discussion approfondie, au cours de laquelle on aborde chaque aspect, on examine chaque argument pour et contre, sans jamais oublier � l’arri�re-plan, que le but � atteindre est de parvenir � un accord. Une Auseinandersetzung est, encore actuellement, une entreprise exigeante et, malheureusement, tr�s peu d’�l�ves de Jung en per�oivent la r�elle valeur et acceptent de faire cet effort consid�rable, mais, en fin de compte, fructueux. C’est, � ma connaissance,, le seul moyen de permettre � des personnes qui prennent au s�rieux l’inconscient d’acqu�rir leur ind�pendance par rapport � l’analyse et de trouver leur propre �quilibre entre le conscient et l’inconscient. Jung affirmait m�me que c’�tait la pierre de touche permettant de discerner les personnes qui souhaitaient sinc�rement devenir autonomes et celles qui pr�f�raient esquiver la difficult�.�” Barbara Hannah, Jung, sa vie, son �uvre, pp. 129-130.

Finalement, qu’est-ce qui se joue ainsi, si ce n’est la mise en place d’une relation entre le dedans et le dehors�? Par cette d�marche consciente, par cette acceptation du dialogue, c’est comme une porosit� qui s’�tablit entre le dedans et le dehors. Leur s�paration n’est plus aussi nette que ce qu’elle �tait auparavant. Une impression de transparence gagne progressivement du terrain, mais il ne faudrait pas croire pour autant que tout va se faire dans la facilit� et dans la continuit�. La rupture et le conflit sont tr�s pr�sents, ils sont m�me des acteurs essentiels de l’aventure�; au point que le sujet de la th�se de Sabina Spielrein, qui joua un si grand r�le aupr�s de Jung, sera�: "�la destruction serait-elle la cause du devenir�?�"

Les r�ves�: porte d’entr�e

Pour une approche plus g�n�rale des r�ves et du sommeil, on pourra consulter le site�: Le sommeil de A � Z��: http://membres.lycos.fr/jmcmed/reves/index.htm

Confrontation avec l’ombre

Une des premi�res figures � laquelle on va se trouver confronter est celle de l’ombre. Jung d�signe ainsi cette part active en nous qui est faite de ce que nous n’avons pas d�velopp�, de parties rest�es archa�ques, des aspects que nous ne voulons pas voir. G�n�ralement, on la voit appara�tre dans les r�ves sous la forme d’un personnage de m�me sexe que le r�veur, souvent d�linquant ou malform� ou de couleur fonc�e, voire noir (pour les blancs en tous cas). Les types psychologiques de Jung fournissent une approche int�ressante � travers la fonction inf�rieure qui se trouve �tre la composante principale de cette derni�re.

La confrontation sinc�re et effective avec l’ombre n’est pas une r�elle partie de plaisir puisque elle renvoie de nous les images que nous aimons le moins voir et auxquelles pourtant nous devons faire face. Il nous appara�t ainsi que nous ne sommes pas seulement ce personnage bien sous tous rapports auquel nous aimons nous r�f�rer quand nous pensons "moi", nous sommes aussi ce minable, ce pauvre type, cet avorton sous-d�velopp� qui appara�t dans nos r�ves. Oui ce minable, nous le sommes aussi, par certains c�t�s, dans la r�alit�. Finalement, quelle que soit notre position dans la soci�t�, nous sommes des individus somme toute assez quelconques, avec des qualit�s certes, mais aussi avec des d�fauts, comme tout un chacun. La diff�rence entre les individus doit beaucoup � la reconnaissance sociale de ces qualit�s et de ces d�fauts.

On a donc � se confronter avec notre ombre et � s’expliquer avec elle. Les r�ves nous y aident ainsi que le dialogue avec nous-m�mes qu’ils induisent. La confrontation avec l’ombre est un grand moment de l’aventure int�rieure. Ce n’est pas une �tape que l’on franchit une fois pour toutes. On l’aborde, puis on passe � autre chose, puis on y revient � un autre moment et ainsi de suite. On progresse par approximations successives, on est toujours dans l’approximation et l’impression qui vient c’est qu’on n’en finit jamais de commencer.

Ainsi va l’aventure int�rieure.

Les images abondent, se succ�dent les unes aux autres, empruntant au patrimoine symbolique universel de toutes les cultures, de tous les mythes, de tous les contes.

Cette confrontation avec l’ombre est l’occasion de revisiter toute son histoire personnelle, de revivre tous ces moments sur lesquels nous nous sommes construits, moments souvent peu glorieux, moments que nous avons voulu oublier, moments toujours actifs au fond de nos inconscients. D’autant plus actifs, semble-t-il, qu’ils ont �t� refoul�s profond�ment. Et tout �a, tout ce terreau - toute cette pourriture, aurons-nous souvent l’impression - il faut le r�actualiser, le revivre avec la m�me intensit�, il faut y faire face, en souffrir � nouveau et faire les deuils qui n’ont pas �t� faits en leur temps. C’est l’�uvre au noir, avec ses remises en question, avec ses refus, avec ses angoisses, ses passages � vide, ses d�primes.

Confrontation avec l’anima (us)

Deuxi�me grande p�riode que l’on observe dans l’aventure int�rieure, c’est celle de la confrontation � l’anima (pour les hommes), ou � l’animus (pour les femmes). Il s’agit de la rencontre de l’autre, de l’autre de l’autre sexe. Et pas n’importe quel autre�! d’un autre transfigur� par la projection de l’arch�type, un autre ainsi dot� d’un pouvoir de fascination qui nous le rend totalement diff�rent des autres, �tre exceptionnel. Peut-�tre vous demandez-vous pourquoi ce sujet de la confrontation avec cette instance psychique qu’est l’anima(us) est pr�sent�e ainsi � travers la relation � un autre �tre r�el�?

“�Le processus de diff�renciation du moi et de l’inconscient est l’�quivalent de la purification. [...] L’int�gration de l’inconscient n’est possible que si le moi tient bon. [...] Dans l’alchimie, la purification s’op�re au moyen de distillations r�p�t�es�; en psychologie, elle a lieu par la s�paration radicale du moi de l’homme ordinaire d’avec toutes les contaminations inflationnistes de l’inconscient. [...] Comme le montre le symbolisme alchimique, ce travail de diff�renciation n’est pas possible sans relation avec un partenaire.�” C.G. Jung, Psychologie du transfert, p.162.

Certes, il y a bien des images de l’anima(us) qui apparaissent dans les r�ves sous diff�rentes formes, avec lesquelles il est recommand� d’engager le dialogue, mais il semble illusoire de penser effectuer cette confrontation ’en interne’, avec les seules images que l’on porte en soi.

Le concept m�me d’anima a �t� �labor� par Jung � la suite de sa relation avec Sabina Spielrein. La fameuse voix dont il �crit dans Ma vie p.215 qu’elle lui a r�pondu "C’est de l’art", cette voix "d’une psychopathe tr�s dou�e qui �prouvait un fort transfert � son �gard" et qui "�tait devenue un personnage vivant � l’int�rieur de lui-m�me", cette voix c’�tait celle de Sabina. Pour en savoir plus sur la relation de cette derni�re avec Jung, on lira avec beaucoup d’int�r�t�: Sabina Spielrein, Entre Freud et Jung, Aubier Montaigne, Paris (1981).

Ensuite, c’est Toni Wolff qui appara�t dans la vie de Jung � partir de 1911. Sur cette relation qui dure jusqu’� la fin de la vie de Toni, on conna�t assez peu de choses car Jung en a br�l� toute la correspondance. Celle qui en dit le plus sur le sujet, � notre connaissance, c’est Barbara Hannah.

“�Toni Wolff fut le r�ceptacle privil�gi� de la projection de l’anima positive, au d�but de ’la confrontation avec l’inconscient’. Plus tard, la figure de l’anima s’int�riorisa et se r�v�la de plus en plus clairement sous ses aspects positifs et n�gatifs. Ainsi, Jung devint moins d�pendant d’une femme ext�rieure, comme interm�diaire pour parvenir � l’inconscient qu’il put affronter enti�rement seul.�” Barbara Hannah, Jung, sa vie et son �uvre, p.149.

Si la ’confrontation avec l’ombre’ est l’�uvre du compagnon, disait Jung, la �confrontation avec l’anima’ est celle du ma�tre.

f�vrier 2006 par Webma�tre


Notes�:

Cet article issu de notre documentation personnelle est sans r�f�rence d’auteur. Nous en r�servons donc les droits. Si vous connaissez son auteur ou si vous pouvez nous donner des moyens de le joindre faites le nous savoir.
L’�quipe de r�daction
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  • Deux livres de Elie G. Humbert

    23 f�vrier 2006, par Yvette Reynaud-Kherlakian

    Cette pr�sentation de Jung a l’immense m�rite d’inscrire sa d�marche dans un contexte existentiel qui leste les concepts de toute la densit� du v�cu. On mesure la distance entre cette d�marche et celle de Freud, dont le caract�re syst�matique, voire doctrinal fait trop souvent obstacle � l’�change.

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