��Un b�cheron du Nord canadien qui rimaillait � la morte saison avait un jour dit � mon ami Jacques Meunier "La po�sie, c’est quand un mot en rencontre un autre pour la premi�re fois". Lorsqu’une chose rencontre le mot pour la dire - et souvent ces fian�ailles se font attendre longtemps�-, c’est aussi de la po�sie, et lorsqu’une image trouve enfin la phrase qui l’aime et qui l’habille, c’est encore de la po�sie.���[1]
��L’image au sens o� nous l’entendons est un r�seau de sensations charg� d’affects, figuration complexe d’une instance profonde de l’individu.���[2]
L’imaginaire, composante de la psych�, se constitue comme ��r�alit� psychique objective. Cette forme de vie qui s’�tale, s’exprime et vit en tous lieux, en d�pit des restrictions de sens impos�es par une r�alit� physique objective��.�[3]
� partir des informations capt�es � l’aide de nos cinq sens, commence l’aventure de l’entr�e dans l’image... L’odorat, le toucher, la vue, l’ou�e et le go�t sont les cinq officiants-guides essentiels qui nous permettent d’entrer en contact avec le monde qui nous entoure et avec des zones inconnues ou d�j� quelque peu famili�res de notre monde int�rieur.
L’exemple le plus imm�diat nous est donn� par des situations toutes simples de la vie quotidienne. Je go�te un plat et me voil� transport�e d’un coup, des ann�es en arri�re, dans le souvenir tr�s pr�cis d’une rencontre particuli�re�; toute l’ambiance du lieu me revient � la m�moire, avec ses odeurs, ses �motions, la disposition de la pi�ce et des amis qui m’entourent... Ce n’est pas une photo sur papier glac�, tout est “ comme si j’y �tais ”... Le go�t de ce plat a r�activ� une m�moire tiss�e d’affects, d’�motions, de sentiments... mais il se peut aussi que je sois transport�e dans un lieu que je ne connais absolument pas dans ma r�alit� physique, paysage peupl� de cr�atures �trang�res, et qui pourtant s’impose instantan�ment � cause de l’aigre-doux ressenti par mon palais...�! Nous avons tous v�cu de tels moments. La plupart du temps, ils n’affleurent � la conscience que lorsqu’ils sont suffisamment forts pour passer la barri�re de notre inattention. En r�alit�, ce r�seau souterrain fonctionne constamment et influence toute notre vie consciente. Je peux aussi m’amuser � percevoir le son de l’aigre-doux, son toucher, sa vue etc. et me promener des heures durant dans ce d�dale de tableaux qui se cr�ent par embo�tements successifs, au fur et � mesure... De la m�me fa�on que proc�derait un film, passant d’un travelling � une s�rie de plans de plus en plus rapproch�s, puis � un plan subjectif ou � un flash-back... C’est de notre imaginaire qu’il s’agit.
Lorsque nous sommes en contact avec toute cette “ vie des profondeurs ”, nous pouvons nous ouvrir � en communiquer des �l�ments aux autres. Elle nous caract�rise de mani�re sensible et pointue, car le m�me plat d�gust� par un voisin lui �voquera tout autre chose�!
��L’imagination se d�signe comme une activit� directe, imm�diate, unitaire. C’est la facult� o� l’�tre psychique a le plus d’unit� et surtout o� il tient vraiment le principe de son unit�.���[4]
Cela semble aller dans le sens de cette observation de noyaux, de centres qui animent l’entit� humaine et qui donnent des qualit�s et une �nergie sp�cifiques aux �v�nements et faits concrets de la vie d’une personne. Ces qualit�s sont accessibles � diff�rents niveaux d’expression et notamment au travers des r�ves et des images. ��L’hypoth�se d’un complexe central � la source de diff�rentes manifestations concr�tes et saisissables par la conscience nous a conduit � �mettre l’hypoth�se de l’existence de niveaux de manifestation de l’action de ce complexe. Un m�me noyau psychique profond se mat�rialise selon diff�rents degr�s de densit�. Les zones de manifestation, corporelles, �v�nementielles, �motives, psychiques, etc. ont entre elles des liens qualitatifs qui proviennent de cette origine en commun. Elles ont la m�me parent�, ce noyau interne.���[5]
Le travail sur les images offre donc � la conscience d’entrer en contact avec le r�seau des forces int�rieures et inconscientes pour les laisser agir et enrichir la vie concr�te.
Cela demande d’affiner une sensibilit� et une �coute des sensations, �motions, affects, sentiments qui nous sont propres. Dans ce monde, nous proc�dons comme dans notre r�alit� ext�rieure, par comparaisons et m�taphores. Lorsque nous nous trouvons face � l’inconnu, nous nous rep�rons toujours par rapport � ce qui nous est connu. C’est aussi par analogies et comparaisons que nous pouvons transmettre les propri�t�s et les qualit�s de ce qui est pr�sent pour nous, d’o� l’importance des nuances...
Ainsi, au travers d’un cheminement avec les images et dans les mouvements qui s’enclenchent, l’on peut percevoir des ��rapports de similitude���: ��Si Champollion r�ussit � d�chiffrer les hi�roglyphes �gyptiens c’est bien parce qu’il proc�da par rapports de contigu�t� et de similitude. Une image, un glyphe isol� peut prendre une certaine valeur. A proximit� d’un autre, le rapport qui s’�tablit cr�ant une autre structure, la signification change. Les images int�rieures, celles qui se cr�ent spontan�ment et parviennent � notre conscience, �voluent selon cette identit� et ces rapports de similitude. Bien plus, ce ne sont pas uniquement des rapports de formes qui existent, mais des relations impliquant l’ensemble des sens. La forme concerne la vision. Or, l’image se servant de tous les organes des sens, mettra en jeu la totalit� de l’interface entre l’entit� humaine et l’ext�rieur. Une image peut fort bien ne pas avoir de forme mais une odeur, cette derni�re mettra alors en jeu un ensemble d’images qui auront avec elle un rapport de similitude.���[6]
L’�uvre litt�raire ou po�tique est friande de cette “ langue des images ”, et lorsque nous l’entendons r�sonner en profondeur, elle nous inspire des liens et nous bouleverse.
J’aime la mani�re dont Bachelard dans son "enqu�te sur les songes et les po�mes", nous transmet sa passion de l’imagination... il �tudie les images litt�raires et ce faisant nous montre comment la langue du po�te s’appuie imm�diatement sur les images, leurs d�ploiements et leur exploration�; cette langue communique directement avec nos images personnelles en �veillant �chos et vibrations que nous pouvons capter pour les laisser se d�ployer � leur tour, elle communique instantan�ment avec notre �me...
��Un vrai po�te ne se satisfait pas de cette imagination �vasive. Il veut que l’imagination soit un voyage. Chaque po�te nous doit donc son invitation au voyage. Par cette invitation, nous recevons, en notre �tre intime, une douce pouss�e, la pouss�e qui nous �branle, qui met en marche la r�verie salutaire, la r�verie vraiment dynamique. Si l’image initiale est bien choisie, elle se r�v�le comme une impulsion � un r�ve po�tique bien d�fini, � une vie imaginaire qui aura de v�ritables lois d’images successives, un v�ritable sens vital. Les images mises en s�ries par l’invitation au voyage prendront dans leur ordre bien choisi, dans les cas que nous �tudierons longuement en cet ouvrage, un mouvement de l’imagination. Ce mouvement ne sera pas une simple m�taphore. Nous l’�prouverons effectivement en nous-m�mes, le plus souvent comme un all�gement, comme une aisance � imaginer des images annexes, comme une ardeur � poursuivre le r�ve enchanteur. Un beau po�me est un opium ou un alcool. C’est un aliment nervin. Il doit produire en nous une induction dynamique.��
��Ainsi le caract�re sacrifi� par une psychologie de l’imagination qui ne s’occupe que de la constitution des images est un caract�re essentiel, �vident, connu de tous�: c’est la mobilit� des images. Il y a opposition - dans le r�gne de l’imagination comme dans tant d’autres domaines - entre la constitution et la mobilit�. (...) l’imagination, pour une psychologie compl�te, est, avant tout, un type de mobilit� spirituelle, le type de la mobilit� spirituelle la plus grande, la plus vive, la plus vivante. Il faut donc ajouter syst�matiquement � l’�tude d’une image particuli�re l’�tude de sa mobilit�, de sa f�condit�, de sa vie.���[7]
��(...) La critique litt�raire oublie la grande le�on de Novalis�: �La po�sie est l’art du dynamisme psychique’.���[8]
De fait, lorsque l’image agit le mouvement na�t, rep�rable au travers du remugle des �motions. Par mouvement, il faut comprendre ce d�roulement qui du point d’entr�e dans l’image, et quel que soit son d�clencheur, nous entra�ne jusqu’� un point de sortie�; son temps est variable, de quelques secondes � plusieurs heures, jours... Peut-�tre plus, car parfois l’image poursuit son chemin et notre conscience, qui la retrouve de loin en loin, se sent compagne autant qu’accompagn�e.
��Dans cette vue, les images ne seraient plus de simples m�taphores, elles ne se pr�senteraient pas simplement pour suppl�er aux insuffisances du langage conceptuel. Les images de la vie feraient corps avec la vie m�me. On ne pourrait mieux conna�tre la vie que dans la production de ses images. L’imagination serait alors un domaine d’�lection pour la m�ditation de la vie. D’un seul mot, on peut d’ailleurs corriger ce qui semble excessif dans ce paradoxe�; il suffit en effet de dire que toute m�ditation de la vie est une m�ditation de la vie psychique. Alors tout est imm�diatement clair�: c’est la pouss�e du psychisme qui a la continuit� de la dur�e. La vie se contente d’osciller. Elle oscille entre le besoin et la satisfaction du besoin. Et s’il faut maintenant montrer comment le psychisme dure, il suffira de se confier � l’intuition imaginante.���[9]
��L’Imagoth�rapie (cr��e par Illel. Kieser el Baz), est un ensemble constitu� de techniques th�rapeutiques, d’outils d’�volution ou d’�panouissement de la personne et d’exercices spirituels au sens o� M.�Foucault l’entendait dans les derniers temps de sa vie, comme "souci de soi". Ce corpus s’articule sur la conjonction de la psychanalyse, des techniques d’image telles que l’�cole fran�aise de psychologie en a produites et sur des �l�ments de m�decine traditionnelle chinoise.���[10]
L’Imagoth�rapie n’a pas de vis�e curative en soi. Le terme th�rapie est employ� � dessein dans son sens �tymologique, celui de m�diateur, de passeur... L’image est cr�atrice de liens, le th�rapeute - il peut �tre enseignant, infirmier ou chef d’entreprise...�! —�permet qu’une personne se relie � une int�riorit� ou fasse des liens entre diff�rents aspects de sa vie.
L’Imagoth�rapie trouve ses sources dans diff�rentes techniques et traditions�; techniques de visualisation pratiqu�es dans certaines formes de yoga, traditions m�dicales et exercices spirituels du Maghreb, du soufisme, de la Chine. Elle s’est appuy�e sur des d�veloppements de la m�thode du R�ve �veill� Dirig� de R. Desoille... dont elle se distingue du fait que dans le RED, il s’agit surtout d’une �conduite imag�e’. Des images inductrices sont propos�es, �ventuellement offertes dans un ordre qui vise � une ascension. Dans l’Imagoth�rapie, il s’agit de partir de sensations r�elles, pr�sentes dans le moment, ext�rieures ou plus internes�; puis on laisse l’image surgir de la personne elle-m�me, on rep�re ce surgissement et l’on accompagne le mouvement qui est impuls� dans la dynamique de l’image par un travail d’orientation.
L’espace de l’image est alors trait� comme tout espace de notre r�alit� physique objective�: quel type de sol, qu’y a-t-il � droite, � gauche, en haut, devant moi, derri�re moi�? Quelles sont les qualit�s de cet espace�?
��La conscience, organe d’orientation, utilise certaines fonctions pour s’orienter dans l’espace ext�rieur, dans son ambiance. (Elle a en outre � charge l’orientation dans l’espace int�rieur�; nous y reviendrons.) Dans l’espace ext�rieur figurent des objets qui sont manifestement diff�rents de nous-m�mes. Pour percevoir ce monde d’objets et pour nous orienter en lui, nous utilisons surtout les impressions sensorielles. Je ne parlerai pas dans ce qui suit des impressions sensorielles prises une � une�; je les r�unis sous la rubrique de �la sensation’ qui les englobe toutes.
La sensation nous indique, par exemple, si l’espace dans lequel nous nous trouvons est vide ou s’il y figure quelque objet, si celui-ci est � l’�tat de repos ou s’il se meut. La sensation, en tant que fonction psychique, est par essence irrationnelle. Pourquoi�? Vous allez le comprendre. Si vous d�sirez percevoir une sensation de fa�on aussi spontan�e et pure que possible, vous devez faire abstraction de toute attente relative � ce que vous allez percevoir�; car, en toute g�n�ralit�, cette attente nuirait d�j� � la sensation � venir. Si vous d�sirez �prouver une sensation et seulement une sensation, vous devez exclure tout ce qui est susceptible d’en perturber la perception. Vous devez �tre tout yeux et toutes oreilles, mais vous ne devez rien faire, ni tol�rer la moindre immixtion�: gardez-vous, par exemple, de r�fl�chir � l’origine de l’excitation sensorielle. Vous ne devez rien en savoir, sinon votre perception serait d’avance sophistiqu�e, d�figur�e, voire r�prim�e. Lorsque, par exemple, un spectacle captive votre attention, vous en oubliez d’�couter et inversement. La sensation, pour �tre pure et vive, ne doit inclure aucun jugement, ni �tre influenc�e ou dirig�e�; elle doit �tre irrationnelle.���[11]
La tension, qui, dans notre vie en g�n�ral, provoque une mise en mouvement, provient d’un manque ou d’un besoin, et de temps � autre cela se manifeste � la suite d’�v�nements graves (accidents, maladies...). La dynamique qui en r�sulte, nous propulse vers un p�le oppos�, dont nous ne savons pas exactement ce qu’il est, mais qui n�anmoins nous attire. C’est un principe vital dans la nature enti�re�: la plante sort de terre et s’�lance vers la lumi�re... L’animal sort de sa tani�re pour satisfaire sa faim, sa soif, ou trouver l’herbe qui va le purger. L’homme est m� par les m�mes besoins... Avec quelques aspirations suppl�mentaires dues � sa conscience, aux sentiments qui l’agitent et le confrontent � ses pairs, � sa recherche morale et spirituelle (ce mot pouvant recouvrir des acceptions diverses selon les orientations de chacun)�!
Nous touchons ici � la notion essentielle de polarit� et de mise en dialectique, propre aussi bien � la m�decine chinoise, qu’� la psychologie des profondeurs de Jung, deux cadres conceptuels fondamentaux et combin�s de l’Imagoth�rapie. ��Ainsi que toute �nergie proc�de de p�les contraires, l’�me poss�de aussi sa polarit� int�rieure en tant que pr�supposition inali�nable de sa vitalit�, comme H�raclite l’a d�j� reconnu. Th�oriquement aussi bien que pratiquement, cette polarit� est inh�rente � tout ce qui vit. Face � cette puissante condition se tient l’unit� fragile du moi qui ne s’est form�e que progressivement au cours des mill�naires, et seulement avec l’aide d’innombrables mesures de protection. Que l’�laboration d’un moi en toute g�n�ralit� ait �t� possible para�t provenir du fait que tous les oppos�s tendent r�ciproquement � s’�quilibrer. Cela a lieu dans le processus �nerg�tique, qui commence par la tension entre le chaud et le froid, entre le haut et le bas, etc.���[12]
Ainsi la recherche d’une certaine clart� ne peut s’op�rer sans aller voir du c�t� du sombre et de la noirceur, du c�t� de ce qui nous r�pugne et nous d�go�te ou nous d�range... Dans l’exploration des images, nous avons � favoriser l’�mergence des polarit�s et la plong�e dans ces lieux r�barbatifs, qui nous effrayent, mais sans les juger ou les interpr�ter... Nous sommes souvent surpris des transformations qui s’y op�rent et des liens qui s’effectuent ensuite dans notre vie de tous les jours, bien que cela s’�tale sur des temps dont nous n’avons pas la ma�trise...�!
L’harmonie n’est donc pas une qu�te dans le sens d’un �tat paisible et d�gag� de toute tension ou conflit, mais dans l’esprit d�fini par la tradition chinoise d’un �quilibre interne de forces compl�mentaires, elles-m�mes en harmonie avec le milieu environnant.
La roue des cinq mouvements, dans la m�decine chinoise, est un outil de rep�rage (et de diagnostic s’il y a lieu) tr�s fiable, qui traduit des rapports de similitude dans la dynamique des cycles de tous les ensembles vivants�: �tres humains, v�g�taux, animaux. De la transformation et de la renaissance � la germination de la fin de l’hiver, de la naissance au printemps, de l’�panouissement � l’�t�, du d�clin � l’automne, de la mort au d�but de l’hiver...
Le m�me cycle naturel est � l’�uvre, si simple de prime abord, si complexe lorsqu’on en ouvre la porte pour d�couvrir les associations et les diff�rents plans qu’il met en jeu. Id�es, croyances, comportements d’un groupe, sentiments, �v�nements, somatisations, vie psychique... Chaque manifestation de l’�nergie vitale peut �tre class�e en relation avec un des mouvements. ��Par exemple�: l’Hiver peut repr�senter des comportements de retrait, de pr�paration, de m�ditation et d’introversion. Chaque mouvement repr�sente donc une somme d’humeurs et d’�motions.���[13] Au printemps correspond l’�l�ment bois, l’organe foie, la couleur verte, l’acide, le sens de la vue, la fonction d’assimilation, l’Est...�; � l’�t� correspond l’�l�ment feu, l’organe c�ur, la couleur rouge, l’amer, le sens du go�t, la fonction d’expression...�; la terre, intersaison, correspond au changement, au principe r�gulateur, au centre, etc.
Des lois r�gissent les influences et les engendrements entre les mouvements, et, malgr� cette pr�sentation succincte, on peut se rendre compte de toutes les implications, imbrications et interrelations que cela suppose.
Cette roue ��permet d’�valuer o� se trouve un individu � l’int�rieur d’un cycle et de percevoir comment la situation va se d�velopper��.�[14] La repr�sentation occidentale de ce cycle, l’abaque des cinq mouvements, est certes r�ductrice de la pens�e chinoise extr�mement minutieuse�; mais elle nous donne acc�s � une compr�hension des influences et des engendrements des mouvements de la vie.
La notion de finalit� du mouvement est donc une autre des originalit�s qui fonde le travail sur les images�: �l’�nergie psychique a un but’ —�A. Kieser, Ibid.�: toutes les reformulations qui suivent prennent leur source dans le chapitre de pr�sentation de la m�thode. que nous ne connaissons pas, mais elle est toujours en relation avec un noyau central qui lui donne ses caract�ristiques et d�finit une identit�. Cette identit� teinte l’enti�ret� de la tranche de vie d’un individu, prise comme un instantan� et les ph�nom�nes qui s’y expriment.
La finalit� n’implique pas une intention de la mati�re et il n’est donc pas utile de chercher � interpr�ter �un sens cach�’ dans le contenu des images. Un mouvement, quel que soit son niveau de manifestation, physique ou psychique, se d�veloppe selon une trajectoire. On pourrait presque dire que certaines images r�v�lent un mouvement de l’�me, et que ce mouvement tend naturellement dans une direction de r�alisation pr�par�e pour lui. (Toutes les images qui nous viennent ne sont pas forc�ment reli�es directement � un complexe psychique profond... elles n’en ont pas moins une trajectoire).
��Il y aurait alors, au dedans de nous, une sorte d’organe, parfaitement adaptable, qui disposerait de la capacit� d’organiser des messages selon un ordre et une volont� parfaitement discernables. La mystique chiite (On peut s’initier � cette mystique � travers les �crits de Ibn Sina-Avicenne) nous dit que cette instance existe, qu’elle est au centre de l’imagination agente, elle la nomme Imaginal, ou Monde de l’Ange —�Malak�t. Une telle affirmation est proprement in�dite en mati�re de psychologie, mais on doit cependant � C. G. Jung d’en avoir balis�, le premier, l’acc�s. Il a nomm� Imaginal, cet organe o� s’�labore les messages qui, du fond de l’Inconscient, viennent �clairer notre conscience d’une lumi�re myst�rieuse.���[15]
Les images, ��dont la port�e est d’une puissance souvent tr�s grande��, ont besoin de se repr�senter par l’interm�diaire d’un m�diateur, quel qu’il soit (et il peut varier pour un m�me personne)�: calligraphie, �criture, expression picturale, corporelle, musicale...
��C’est pourquoi la notion de repr�sentation est ici � prendre au sens large, comme m�taphore mais aussi comme mise en spectacle. Nous pouvons l’exploiter jusqu’au bout en cr�ant de v�ritables repr�sentations th��trales de nos univers intimes. Nous pourrions au moins les �crire sous forme de sc�nario. Ce serait d�j� une forme de c�r�monie. (...) L’image, c’est ce qui surprend notre raison, est dou�e en elle-m�me d’un pouvoir r�parateur. Son exploration vise � ce que chacun d�couvre sa propre relation � la r�alit�, per�oive sa mani�re propre de faire face � de multiples situations, exp�rimente sa capacit� intime � r�agir opportun�ment � n’importe quel facteur perturbateur. Il est certain qu’aucune r�gle, aucune morale, aucune th�orie ne peut s’opposer � cette spontan�it� profonde de l’�tre. C’est � la conscience d’assumer ou non ce que cela pourrait impliquer dans la vie de devoir ainsi se livrer � des forces irrationnelles. C’est tout au moins ce que nous serions tent�s de dire � priori, tant les choses de l’imaginaire nous paraissent primitives, sauvages et violentes. C’est oublier le formidable pouvoir d’adaptation de l’Imaginal � la vie r�elle.���[16]
L’Imagoth�rapie, en nous rendant sensibles � tous ces espaces, en nous apprenant � nous y rep�rer et � les utiliser dans notre quotidien, nous incite donc � dialoguer, non seulement avec nous-m�mes, mais �galement avec les autres... Ce qui n’est pas toujours une mince affaire�!
Les r�sonances, les �chos, les images suscit�es en moi par mon interlocuteur, sont les t�moins de ce qui m’a touch�e, de ce qui me fait r�agir et c’est de ce lieu l� que je peux r�pondre et communiquer.
��Les images sont des espaces-temps diff�rents de notre espace-temps ordinaire. On souscrit �videmment � l’id�e que dans notre quotidien ordinaire, il faut un langage, des codes, etc., communs aux �tres en pr�sence, pour qu’il puisse y avoir communication. Je pense qu’il en va de m�me dans d’autres types d’espaces-temps�; simplement nous connaissons moins bien ou pas du tout les codes ou langages appropri�s � ces contr�es. Certes, si nous nous y trouvons immerg�s partiellement ou totalement sans pr�paration, cela cr�e un choc pour notre conscience ordinaire.(...) Ainsi, nous n’acceptons pas qu’il faille du temps pour nous familiariser avec ces territoires, pour en apprendre les moeurs, pour y poser des jalons adapt�s. La pr�occupation la plus souvent dominante est de revenir (s’il s’agit de nous-m�mes) ou de ramener (s’il s’agit de quelqu’un d’autre) � la "normale", c’est-�-dire ce que nous nommons comme tel, en niant l’existence pourtant bien r�elle de lieux � peine entrevus.���[17]
J’ajouterai que tout l’art auquel on aspire, consiste bien � dialoguer du dedans des images, aussi � pouvoir les traduire en diff�rents langages, � savoir adapter notre expression � celui que nous avons en face de nous —�ici nous sont utiles les m�taphores et analogies —.
Tendre vers l’art de vivre par cons�quent avec une conscience de ces multiples mondes en parall�les... Mondes qui ne cohabitent pas n�cessairement dans des relations paisibles�! Une certaine coh�rence ne nous dispense pas du doute et de la contradiction, mais nous engage � suivre le mouvement de la vie tout en respectant les limites de notre condition d’homme. En t�moigne Jung � propos du processus d’autonomisation personnelle�:
��(...) D�s lors, il ira seul, repr�sentant sa soci�t� � lui. Il sera sa propre multiplicit� qui se compose de nombreuses opinions et de nombreuses tendances, qui ne vont point n�cessairement toutes dans le m�me sens. Au contraire, il sera dans le doute avec lui-m�me et il �prouvera de grandes difficult�s pour amener sa propre multiplicit� � une action homog�ne et concert�e. M�me s’il est ext�rieurement prot�g� par les formes sociales d’un de ces degr�s interm�diaires, dont nous venons de parler, il n’en poss�de pas pour autant une protection contre la multiplicit� int�rieure qui le d�sunit d’avec lui-m�me et qui le pousse � s’en remettre au d�tour que repr�sente l’identit� avec le monde ext�rieur.���[18]
Infinies facettes de chaque �tre humain, infinies facettes de ce qui peut s’exp�rimenter...
Qui mieux que M.�Wigman peut conter et illustrer les propos pr�c�dents en lien avec la danse�? Il serait impardonnable de ne pas citer cet admirable extrait�:
Je cr�ai de nouvelles danses, solos et groupe�: les divers personnages de Visions commen�aient � se dessiner. Le besoin de cr�er me saisit � nouveau. Quelle en �tait l’intention�; o� cela m�nerait-il, je ne le voyais pas clairement. Mais j’�tais nerveuse et ressentais dans mes mains une esp�ce de rapacit� mauvaise. Elles s’enfon�aient comme des serres dans le sol, comme si elles voulaient s’enraciner. J’avais la sensation d’�tre pleine � �clater et proche du d�sespoir�; j’�tais persuad�e qu’il devait �tre possible de donner corps � ce je ne sais quoi qui me remplissait d’une d�tresse insurmontable. Parfois la nuit, je me glissais dans mon studio et cherchais � provoquer en moi un �tat d’intoxication rythmique qui m’e�t rapproch�e de ce personnage qui se r�veillait lentement. Je sentais que tout indiquait un personnage tr�s d�fini. La richesse des id�es rythmiques me submergeait. Mais quelque chose s’opposait � ce qu’elles devinssent claires et organis�es, quelque chose qui for�ait mon corps vingt fois dans une position assise ou accroupie dans laquelle mes mains avides pouvaient poss�der le sol.
Lorsqu’un soir je rentrai dans ma chambre, compl�tement hagarde, par hasard je me regardai dans la glace. Elle refl�tait l’image d’une poss�d�e, sauvage et lubrique, repoussante, fascinante. �chevel�e, les yeux enfonc�s dans les orbites, la chemise de nuit de travers, le corps sans forme�: la voil�, la sorci�re —�cette cr�ature de la terre, aux instincts d�nud�s, d�brid�s, avec son insatiable app�tit de vie, femme et b�te en m�me temps.
Je frissonnai devant ma propre image, devant cette facette de moi-m�me ainsi d�voil�e que je n’avais jamais laiss� para�tre de mani�re si cr�ment �hont�e. Mais apr�s tout, n’y a-t-il pas un peu de la sorci�re cach�e dans toute femme vraiment femme, quelque forme que cela puisse prendre�? Ce qui restait � faire �tait d’apprivoiser cette cr�ature �l�mentaire, lui donner forme et travailler son corps comme on le ferait d’une sculpture. C’�tait merveilleux de s’abandonner au d�sir mal�fique de s’imbiber des puissances qui osent � peine se manifester sous notre fa�ade civilis�e. Mais tout ceci devait ob�ir aux lois de la cr�ation, lois qui se fondent sur l’essence et le caract�re de la forme chor�graphique m�me, dans le but de la d�finir et la contenir une fois pour toutes. Je devais prendre tout ceci en consid�ration et �tre tr�s prudente afin de ne pas affaiblir ou bloquer l’impulsion cr�atrice originale dans le processus de la mise en forme.�[19]
[1] —�N. Bouvier, Visite d’une image, Le hibou et la baleine, �d. Zo�, Gen�ve, 1993.
[2] —�A. Kieser, La Naissance Accompagn�e, Lierre & Coudrier �d. 1991, p. 20.
[3] —�A. Kieser, Ibid., p. 31.
[4] —�G. Bachelard, L’air et les songes, essai sur l’imagination du mouvement, 1943, Poche p. 149.
[5] —�A. Kieser, Ibid., p. 26.
[6] —�Illel Kieser �l Baz, Notion de synchronicit�, Facult� Libre d’Anthropologie de Paris, 1994, Fond de documentation et de recherche.
[7] —�G. Bachelard, Ibid, p. 6 et 7.
[8] —�G. Bachelard, Ibid., p. 246.
[9] —�A. Kieser, Ibid., p. 25.
[10] —�A. Kieser, Ibid., p. 129.
[11] —�C.G. Jung, L’homme � la d�couverte de son �me, Albin Michel, 1987, p. 107.
[12] —�C. G. Jung, "Ma vie" - Souvenirs, r�ves et pens�es, Gallimard, 1973, p. 393.
[13] —�A. Kieser, Ibid., p. 51.
[14] —�A. Kieser, Ibid., p. 49.
[15] —�Illel Kieser el Baz, L’Anthropoth�rapie, op. cit.
[16] —�L’Anthropoth�rapie, op. cit.
[17] —�Mass� (N’Dolo), “ L’�veil des sens ” dans la petite enfance et dans la relation parents/enfants, sous la direction de Illel Kieser el Baz, FaLAP, Fond de documentation et de recherche, 1993.
[18] —�C. G. Jung,, Ma vie —�Souvenirs, r�ves et pens�es, p. 390.
[19] —�M.�Wigman, La danse de la sorci�re (Hexentanz), in Le langage de la danse, Papiers, 1986, p. 42-43.