Dragons, entre science et fiction, du 5 avril au 6 novembre 2006, Grande Galerie de l’évolution, Museum d’Histoire naturelle - Paris, Jardins des plantes. Un livre de Michel Meurger" />
CommuniquéSur dix de vos amis, trois ont subi des violences dans l’enfance. Parfois durant plusieurs années. Ils n’en parlent jamais ? Cela vous étonne ? Pas nous ! Vous avez déjà entendu parler de la pédocriminalité, la presse en fait ses Unes mais, connaissez-vous cette violence sourde que l’enfant subi, souvent de l’un de ses parents ? |
Histoire naturelle des dragons. Un animal problématique sous l’œil de la science, Rennes : Terre de Brume, « Terres fantastiques ; essais », 2001, 244 p., ill., notes bibliographiques, index, préface de Jean Céard.
Mots clefs : Dragons, Histoire, Serpents, Folklore, Dragons dans la littérature, Meurger Michel
L’auteur se livre à une analyse détaillée du courant naturaliste qui, depuis la Renaissance, s’efforçait d’appréhender le reptile ailé comme une créature réelle, menant une existence discrète à l’abri des regards curieux. Le livre que Michel Meurger consacre aux figures du dragon est un essai remarquable, où l’auteur met à profit son esprit critique et sa connaissance approfondie de l’histoire des sciences naturelles, alliée à une maîtrise du folklore européen, pour produire cette « zoohistoire », qui constitue aussi une véritable histoire culturelle des « idées draconiennes ». Au moment où a lieu à Paris une expositions sur les dragons, il fallait rappeler l’existence de cette étude. (Dragons, entre science et fiction, du 5 avril au 6 novembre 2006, Grande Galerie de l’évolution, Museum d’Histoire naturelle — Paris, Jardins des plantes)
L’originalité de l’ouvrage réside dans la présentation de l’histoire des représentations du dragon, et des tentatives de naturalisation périodiques de cette figure de l’imaginaire. Il s’agit de restituer une dynamique d’interaction complexe entre « nature » et « culture ». À cet égard, la relation probable entre l’expansion géographique croissante des reptiles mythiques et la « domestication » progressive des massifs forestiers européens, retracée par Meurger, symbolise bien la procédure épistémologique.
Sur le plan de la méthode, l’auteur limite son objet d’étude au monde occidental, s’interdisant de céder à des tentations comparatistes hasardeuses. Malgré cette limitation volontaire, les informations rapportées, les données culturelles traitées, frappent par leur variété et leur richesse, surpassant à ce point de vue les recherches anthropologiques antérieures (les livres de Louis Dumont et de Marie-France Gueusquin sur la tarasque et les saints exterminateurs de dragons). L’on passe ainsi des travaux des hellénistes à la paléontologie d’un siècle (le xixe) où les dinosaures sont appelés à jouer un rôle analogue à celui des monstres d’antan, sans oublier l’univers des chroniques du Moyen âge et de la Renaissance. Au fil des pages, l’on croise maints personnages étonnants liés à cette histoire, allant du pittoresque à l’inquiétant : parmi eux l’érudit bénédictin dom Calmet, que les encyclopédistes tenaient pour excessivement crédule, le démonologue Collin de Plancy ou encore divers littérateurs völkisch de la République de Weimar. De son incursion dans les replis alpins M. Meurger rapporte l’étrange « archéologie » d’un dragon alpin bien oublié : c’est l’occasion pour lui de faire un sort au fameux tatzelwurm, montrant que l’allure de cette bête légendaire, tenue par certains cryptozoologues pour un reptile inconnu, est si protéiforme qu’elle défie toute identification zoologique sérieuse. Une cible récurrente de l’auteur, tout au long de l’ouvrage, est le péché d’évhémérisme et de rationalisation forcenés qu’il impute aux paléontologues et aux cryptozoologues — le fait de rendre compte de l’origine des dragons par un phénomène naturel ou un animal réel. Il est vrai qu’à l’exception de cas limites — les « serpents volants » de la Bible et d’Hérodote, dont certaines analyses philologiques paraissent montrer qu’ils s’expliquent par une métaphore appliquée aux nuées de criquets —, cette perspective réductionniste a prouvé son peu de fécondité. Il suffit d’ouvrir la magistrale synthèse de Massimo Izzi, le Dizionario Illustrato dei Mostri [1] à l’article « Griffon » pour entrevoir la diversité d’apparences et d’attributs de ces créatures, et relativiser ainsi l’approche d’Adrienne Mayor [2], qui voudrait ramener la genèse du mythe à la découverte par les Anciens de fossiles de cératopsiens — des dinosaures — sur la Route de la Soie. Cela serait bien plutôt l’existence de la catégorie culturelle complexe « griffons » qui aurait permis aux hommes de l’Antiquité, en l’absence de conceptualisations paléontologiques, de donner sens à leurs trouvailles.
Quoi qu’il en soit, en cryptozoologie, le mode de raisonnement évhémériste n’a pas la place centrale que lui attribue Meurger. Le dragon, l’animal mythique en général, y sont le plus souvent conçus comme des catégories d’interprétation qui peuvent venir s’interposer entre l’observateur « naïf » et une créature bien réelle : c’est ce qui s’est passé à la Renaissance lors de la découverte par les européens de lézards arboricoles asiatiques à membrane alaire, qualifiés immédiatement de Draco volans.
On peut regretter la place réduite faite à Newton et Cuvier dans cet historique par ailleurs si complet. Le premier est évoqué à propos d’une expédition alpine cautionnée par la Royal Society (p. 117), ce qui serait tout à fait intéressant quand on sait que Boyle et Newton avaient été marqués par la pensée hermétique au même degré que le père Kircher, grand amateur de dragons devant l’Éternel [3]. Malheureusement, cette information prend sa source dans le seul ouvrage de Delaunay (1962) sur la zoologie du xvie siècle, entaché d’erreurs multiples. En ce qui concerne Cuvier, Meurger mentionne son refus d’assimiler le dragon à un reptile fossile (pp. 185-186). En fait, très attiré par l’évhémérisme, son opinion a varié sur ce point : il écrit ainsi que le plésiosaure pourrait justifier les « hydres » médiévales [4]. C’est son catastrophisme qui l’a dissuadé de postuler la survivance aux côtés de l’homme d’espèces fossilisées.
On peut enfin regretter que jamais Michel Meurger n’aborde le sujet, pourtant primordial, de l’inventivité de l’imaginaire qui, à travers les âges, a transformé en de multiples bêtes mythiques les forces titanesques de la nature. Si l’on s’en réfère, par exemple, à la civilisation chinoise, et au Feng Shui plus précisément, les dragons évoqués sont bien compris comme les représentations des veines animées de la terre et ce, bien avant que le géologue ne parle de failles dans l’écorce terrestre... Aussi bien côté M. Meurger que D. Heuvelmans, on retrouve le souci positiviste de ramener certains aspects de l’imaginaire à des événements ou à des faits concrets. C’est parfois prendre nos lointains ancêtres pour plus primitifs qu’ils n’étaient, ce que l’archéoanthropologie dément chaque jour.
À noter également :
Sciences et Avenir — Hors-série n° 123 - « Créatures imaginaires »
Lire également du même auteur : Evhémère et les monstres ainsi que la rubrique Limes de nos archives.
[1] — Massimo Izzi, Il Dizionario Illustrato dei Mostri, Roma : Gremese, 1989, pp. 158-160.
[2] — A. Mayor, The First Fossil Hunters, Princeton, NJ : Princeton University Press, 2000.
[3] — Sur Boyle, voir p. ex. Lawrence Principe, The Aspiring Adept, Princeton, NJ : Princeton University Press, 1998. Cf. aussi Richard Westfall, Newton, Paris : Flammarion, 1994.
[4] — Georges Cuvier, Discours sur les révolutions de la surface du globe (1825), Paris : rééd. Christian Bourgois, 1985, p. 241.