De la danseuse � la chor�graphe
C’est dans le courant de ce qu’on nomme commun�ment la danse contemporaine —�et il faut se pencher sur la difficult� d’en d�finir vraiment les contours —�que je me suis en grande partie form�e, que je danse et que j’enseigne jusqu’� pr�sent.
De l’int�rieur de ce ��courant��, je me propose d’�noncer quelques constats et questionnements sur les notions de base et les approches qui le caract�rise, en tentant par l� m�me de prendre une distance. Confrontations, �changes et remises en question, sont intrins�ques � la d�marche de recherche dans laquelle d�sirent s’inscrire la plupart des danseurs contemporains. Parall�lement, les critiques adress�es � la danse contemporaine permettent �galement de mettre en vis � vis des opinions contradictoires�; elles commandent de nous int�resser � ce qui nous motive encore ainsi qu’� l’histoire et aux fondements de nos pratiques et th�ories.
Le travail sur les images int�rieures, tel qu’il est envisag� dans l’Imagoth�rapie.�[1] —�et que j’ai commenc� � introduire largement dans ma profession —�m’ouvre des perspectives sur plusieurs plans. Cela m’aide notamment � esquisser ce qui pourrait se d�velopper, pour ce qui me concerne, comme v�ritable projet d’une pratique originale de la danse et de son enseignement dans un cadre et une coh�rence th�orique.
Il est l�gitime de s’interroger sur le bien-fond� d’un placement anthropologique...
� la fois art et science, l’anthropologie ne cesse d’�tre un lieu d’articulation de domaines apparemment �loign�s ou oppos�s. Mon parcours professionnel en danse n’a d�but� qu’apr�s un cursus universitaire en psychologie puis en psychomotricit� —�C’est un fait remarquable parmi les danseurs contemporains�: nombreux sont ceux qui ont commenc� "tard", en aval d’autres professions ou �tudes, et ceux qui cherchent � poursuivre dans plusieurs secteurs d’activit�s. Cela leur vaut assez souvent quelque m�pris de la part des artistes plus classiques, car bien s�r cela montre un certain dilettantisme et des carences techniques certaines�! Nous sommes loin des civilisations dans lesquelles l’acteur ou le danseur a le droit de vieillir, o� ��l’on accompagne ce vieillissement sur la sc�ne comme on soutient les arbres dans le jardin��.�[2]
L’anthropologie m’offre donc, bien que je n’en mesure pas encore la port�e exacte, un outil consid�rable pour relier diff�rents centres d’int�r�t, mais aussi pour appr�hender la r�alit� et les milieux dans lesquels j’�volue sous des angles plus diversifi�s et plus critiques. C’est � se d�marquer de certaines impasses rencontr�es dans des domaines trop sp�cialis�s que l’on a envie de s’attacher aujourd’hui, compte tenu du sentiment que l’�tre humain y est constamment priv� d’une dimension de lui-m�me.
Progressivement d�finie comme ��science de l’homme dans ses variations culturelles���[3], l’anthropologie est aussi ��un certain regard, une certaine mise en perspective���[4], l’�tude de ��l’homme tout entier��. �tude de ��tout ce qui constitue une soci�t�: ses modes de production �conomique, ses techniques, son organisation politique et juridique, ses syst�mes de parent�, ses syst�mes de connaissance, ses croyances religieuses, sa langue, sa psychologie, ses cr�ations artistiques��.�[5]
A l’homme diss�qu� et �tudi� en tranches par les multiples sciences de tous ordres, se substitue un �tre humain restitu� en permanence dans sa globalit�, dans un contexte social, culturel et historique. Science de la diversit� et des interactions, diversit� des cultures, diversit� des groupes � l’int�rieur d’une m�me soci�t�...
S’int�ressant en priorit� � une observation directe de son quotidien, dans un tissu social o� il est personnellement impliqu�, l’anthropologue exerce son �tude au sein de la soci�t� dans laquelle il �volue, tout en essayant de garder un esprit critique. On ne peut plus concern� par les agitations de l’�me des individus, il est tenu de les r�f�rer aux �v�nements collectifs concomitants, d�cal�s ou similaires. Op�ration d�licate stipulant un soigneux aller-retour entre un singulier et un pluriel, aller-retour qui d�voile corr�lations, r�ciprocit�s ou analogies.
L’introduction d’un espace de distanciation et de comparaison sp�cifie le regard de l’amateur de ph�nom�nes�: l’anthropologue...
Celui-ci s’interdit les pr�jug�s et les interpr�tations, il pr�f�re scruter attentivement les manifestations de sa culture en vis-�-vis d’autres cultures�; il s’applique ainsi � d�gager les particularit�s ou les ressemblances, comprises et int�gr�es dans l’optique d’une finalit� —�vers quoi tend tel comportement, quels sont ses qualit�s et d’o� provient-il�? Plut�t que comment.
Cette prise en compte d’une connaissance acquise par une mise en perspective et un d�paysement suppose d’interroger ��le point de vue de l’autre��... qui ne se prive pas de chambarder les certitudes et de remettre en question les a priori. Sans chercher � dissimuler ses impressions ou ses sentiments, l’anthropologue doit avoir le courage de revisiter ses positions premi�res, car c’est �galement par une introspection aussi honn�te que possible, incontournable et en dialogue avec les faits, qu’il pourra pr�tendre � quelques conclusions. D’autant que ��la r�flexion anthropologique ne saurait faire l’�conomie du concept d’inconscient, qui a �t� forg� dans le creuset du discours psychanalytique, mais dont ce discours n’a pas le monopole.���[6]
En ce sens, l’anthropologie �tudiant ��l’homme dans sa diversité », elle ouvre � ��l’�tude de l’homme dans toutes les soci�t�s, sous toutes les latitudes, dans tous ses �tats et � toutes les �poques.���[7]
La danse donne � contempler parfois certaines visions escarp�es des tableaux ordinaires que s’offre la vie...
Ainsi, si les danses d’aujourd’hui sont le fruit de multiples m�tissages et laissent transpara�tre quelques reflets de l’�tat du monde, si de nouveaux langages du mouvement semblent voir le jour, il n’en demeure pas moins que nous restons souvent accroch�s � nombre de codes esth�tiques, de clich�s m�me, qui continuent de figer � la fois l’expression et les institutions, en Europe du moins. La danse, en France particuli�rement, reste entach�e du label ��divertissement futile��, confin�e dans le cadre des loisirs r�serv�s � une classe sociale soit restreinte, soit consid�r�e comme une �lite.
D’autres cultures, dans les traditions africaines et chinoises par exemple, ont une posture bien divergente et justifient des comparaisons.
L’ouverture � ces points de vue distincts et le d�centrement qu’ils imposent, peuvent soutenir et appuyer une r�flexion sur les modes de pens�e et d’�criture op�rants, mais surtout valid�s dans notre culture... et sur l’alternative d’en envisager d’autres, compl�mentaires, diversifi�s et moins r�ducteurs. Car s’il est souvent reproch� aux danseurs de ne parler qu’avec le corps et de ne pas savoir utiliser la parole ou l’�crit pour exprimer leur pens�e, cela suppose que l’on persiste, au moins dans certaines sph�res de notre monde occidental, � ne valoriser qu’une seule forme de pens�e —�analytique et lin�aire.
Or, le fil conducteur ou narratif du chor�graphe est plus proche du "sc�nario" po�tique ou pictural, parfois cin�matographique, et para�t souvent, de prime abord, incoh�rent ou en tout cas sans lin�arit� “ qui fait sens ”�!!... On peut se rendre compte que le syst�me de pens�e qui lui est aff�rent proc�de plus par contigu�t�s, continuit�s parall�les, ruptures apparentes, ou superpositions, touches... que par raisonnements cart�siens. N’est-ce pas li� � ce qui fait le propre de ��l’imagination du mouvement�� —�emprunt � G. Bachelard —�dans son d�roulement et dans ses processus d’expression�?
Intuitivement, on peut rep�rer les analogies entre des aspects de la composition chor�graphique et l’organisation de r�seaux d’images qui affleurent�? Mais comment cela se d�veloppe-t-il et o� se situent les blocages �ventuels�?
� l’�coute de ses intuitions et dans son effort d’enqu�te minutieuse, l’anthropologue chemine donc sur une fronti�re de tensions, pris entre l’universalit� et les diff�rences, la compr�hension par le dedans et la compr�hension par le dehors, le point de vue du m�me et le point de vue des autres...���[8]
Je dirais que cet emplacement, en soi, n’est pas pour d�plaire au danseur, funambule suspendu sur ces zones limites et fronti�res entre le dedans et le dehors, entre la d�couverte de soi et la confrontation au regard de l’autre. Ce n’est pas pour d�plaire non plus � qui s’int�resse � la psychologie... La notion d’expression est ici un point crucial...
Il n’est pas exclu de penser que toute forme d’art peut s’inscrire dans une d�marche anthropologique�: l’art ne se situe pas forc�ment dans ce qui est actuellement reconnu comme l’Art, qui bien souvent proc�de d’une mani�re d’�liminer de son domaine tout ce qui lui est �tranger.
Cet art qu’est l’anthropologie... contribue � accro�tre une ��observation impliquante�� et une pens�e personnelle, qui astreint la citoyenne que je suis, � �largir son champ de vision et � s’aventurer hors d’un milieu quelque peu herm�tique ou intimiste, tout en lui imposant la rigueur. Les instruments d’investigation et la m�thodologie en sont utilisables quel que soit le m�tier et son lieu d’exercice, et cela pr�sume aussi que nous cessions de r�agir par ��clans���: les artistes de leur c�t�, les travailleurs sociaux ou les professionnels de la sant� de l’autre, les intellectuels recourb�s sur leurs pens�es tandis que le vulgus peccum n’a pas droit � la parole... Car c’est bien aussi en termes de philosophie et de politique —�entendue comme une participation de chacun � la vie de la cit� —�que l’on peut s’orienter et poser des jalons.
Cette science qu’est l’anthropologie resitue la danse dans un contexte plus vaste et m’oblige � amorcer une r�flexion r�elle sur la place de l’art et de l’esth�tique dans une soci�t� en g�n�ral et dans la n�tre en particulier, sur ce qu’on entend par cr�ation, sur des modes de fonctionnement auxquels je participe parfois sans les rep�rer, parfois tout en les d�non�ant...
Tout aux long de la s�rie d’articles qui vont suivre, j’esp�re mettre en lumi�re un certain nombre de ces contradictions et commencer � d�broussailler quelques pistes qui me semblent importantes � explorer, car l’�tude de ces contradictions annonce peut-�tre l’amorce d’une �volution assez radicale, zigzaguant en souterrain et dont nous ne sommes pas forc�ment conscients. Les d�bats, quant � l’appr�hension de l’art spectaculaire, par exemple, ne sont pas nouveaux, mais je tenterai une sorte de m�ditation —�au sens d’une imagination, pr�cis�ment... —�sur des prolongements concrets et des �clairages qu’une approche de l’imaginaire me permet d’envisager, et le positionnement moral qui y fait �cho.
S’agissant de faire un pont entre l’imaginaire et l’univers de la danse, o� rep�re-t-on les "images" � l’�uvre dans la danse et comment sont-elles utilis�es�? Quels sont les points d’impact et la pertinence d’un ��travail�� avec l’imaginaire�?... Au travers de t�moignages, entretiens et �crits, et d’observations personnelles, j’aborderai ces questions, apr�s avoir donn� quelques rep�res sur le paysage actuel de la danse, ainsi que sur l’int�r�t que mon parcours m’a amen�e � porter � l’imaginaire. Ces �l�ments autoriseront des rapprochements imm�diats entre danse et travail avec l’imaginaire, ce dernier offrant d’embl�e des enrichissements � la danse.
[1] —�Je reviendrai plus tard sur cette approche particuli�re de l’Imaginaire.
[2] —�S. Sampere, Entre l’Inde et le Japon, Revue Mouvements, janv-mars 1995.
[3] —�N. Rouland, L’Anthropologie Juridique, Paris, Presses universitaires de France, Collection Droit fondamental, 1988, 496pp.
[4] —�F. Laplantine, Clefs pour l’anthropologie, Ed Seghers, Paris 1987, p 16.
[5] —�N. Rouland, L’Anthropologie Juridique, Paris, Presses universitaires de France, Collection Droit fondamental, 1988, 496pp.
[6] —�Laplantine, Ibid, p. 101.
[7] —�Laplantine, ibid, p. 16.
[8] —�Laplantine, Ibid, p. 181.
Le site Irpecor publie un article de Benoit Lesage sur l’histoire des danses-th�rapies.
L’auteur nous dit comment "le d�veloppement de la danse-th�rapie proprement dite date des ann�es quarante et s’intrique au d�but avec l’histoire de la danse moderne".
Si l’explication para�t int�ressante et compl�te, on ne comprend pas pourquoi il est question de danse-th�rapie.
Pourquoi, chez certains, ce rabattage sur La Th�rapie comme si la conclusion "th�rapie" �tait incontournable. � partir de "Mary Wigman (1886-1973) qui d�finissait son art comme danse d’expression et voyait la danse comme langage artistique, qui cherche � rendre visible des images encore invisibles", la filiation se situe d’abord sur la mani�re dont de nombreux artistes ont cherch� � "rendre visible" la langue des images int�rieures. Ce que H�l�ne Mass� a cherch� dans sa danse et ses chor�graphies.
Que cela s’applique ensuite � des personnes en difficult� est tout � fait logique.
Si nous revenons � la racine�: la facult� de l’entit� humaine de communiquer par la langue des images, la danse, comme outil d’expression non mentale, n’est pas seule concern�e. Ce sont tous les outils qui permettent � un moment ou � un autre d’acc�der aux images int�rieures que l’intellectualisme forcen� masque et d�voie. Et cela Jung l’avait parfaitement compris.
Par contre, si nous accordons une certaine attention aux "m�ditations" ou aux exercices spirituels ainsi qu’aux arts dits martiaux, nous d�couvrons que la filiation est bien plus pertinente et "naturelle". De ce point de vue la psychologie et ses filles "th�rapies" sont tr�s en retard. Il faudra bien � un moment ou un autre que nous r�alisions enfin que nos psychologies modernes sont primaires et pitoyablement pauvres. Il existe, dans le patrimoine de l’humanit� des archives innombrables qui nous d�voilent une �coute de l’humain de mani�re extraordinairement pertinente. Mais pour cela il faudrait vaincre des pr�jug�s f�roces selon lesquels ce qui appartient � la mystique est impropre � servir la connaissance psychologique. La science n’a pas vaincu sa m�fiance � l’�gard du sacr�. Quant aux psychologues et aux sociologues ils croient demeurer dans le droit fil de la science en faisant des compilations statistiques, ce qui r�duit la dimension unique et globale de l’�tre humain � une moyenne et les diff�rences � des �carts-types. Il manque encore une vision globale de l’�tre humain qui compl�terait judicieusement le morcellement atomisant du chiffre. � partir de l� le clivage corps/psych� appara�trait vraiment comme un archa�sme, une repr�sentation un peu rustre que la science actuelle s’offre pour tenter d’expliquer certains myst�res de l’�me. La division corps/psych� n’est qu’un param�tre, sans r�alit� au plan humain.