Aussi loin qu’on remonte dans le pass� des hommes et, quel que soit le continent consid�r�, ceux-ci n’ont de cesse d’aller et de venir. Cette envie de se mouvoir dans l’espace pourrait, si l’on en croit les pal�ontologues, expliquer, en partie du moins, la dispersion des Homo sapiens sapiens sur la surface de la terre. Les raisons de cette tendance au d�placement g�ographique sont multiples. Les plus triviales et les plus ataviques tiennent, chez cet autre vivant qu’est l’Homme, aux n�cessit�s de survie, comme l’imp�ratif de satisfaire les besoins primaires tels que manger et boire. � cette raison s’adjoint une autre tout aussi essentielle, en l’occurrence, la volont� de conqu�te qui est une autre forme de l’occupation de l’espace. Mais, quand les hommes �chouent � parvenir � leur fin par ce moyen, ils sont comme conduits par n�cessit� � �changer entre eux sous diverses figures dont, en particulier, les �changes commerciaux.
Ces mobiles permanents se nourrissent, au cours de la p�riode moderne et contemporaine, d’une autre forme de d�placement ou de voyage, c’est-�-dire le tourisme. Selon le Dictionnaire Bordas, celui-ci est une fa�on particuli�re de voyager qui signifie l’��action de faire un voyage d’agr�ment pour conna�tre une r�gion, un pays��. Si l’on s’en tient � ce sens, le tourisme pose d�j� un probl�me�: ce n’est pas tant les habitants de la r�gion ou du pays visit�s qui compte que davantage la d�couverte d’un espace g�ographique pour sa beaut� ou son histoire, m�me si, sans les hommes, les paysages n’ont aucun int�r�t ni l’histoire aucun sens.
L’enrichissement des citoyens des pays du Nord aidant, il s’est d�velopp�, en cette zone du monde, une v�ritable industrie du tourisme qui g�n�re, chaque ann�e, des b�n�fices colossaux. D’o� la tentation des pays des Tiers-Monde notamment de s’organiser, avec l’aide de quelques agences ou bonnes volont�s du Nord, pour avoir part � cette manne financi�re. D’o� �galement l’�mergence, au cours des ann�es 1990 environ, du concept de tourisme �quitable (selon le Dictionnaire pr�cit�, ce terme d�rive d’�quit� qui signifie�: ��justice naturelle qui commande de donner � chacun ce qui lui est d���), suivant une double finalit�: d’abord, moralement ou humainement, organiser les activit�s des agences ou prestataires de service des pays du Sud et leur donner ce qui leur est d� comme part de b�n�fices g�n�r�s par le tourisme de masse ou non�; ensuite, �conomiquement, leur permettre de b�tir des projets de d�veloppement, si possible durables,�; � tout le moins, mettre en �uvre des actions qui participent � un certain confort mat�riel des populations locales des zones visit�es.
Les hommes sont, les uns par rapport aux autres, dans un �tat d’ignorance de ce qu’est l’int�riorit� de l’autre, l’�tranger, en raison essentiellement d’un sentiment que j’appelle l’egocentre-ethnique. Celui-ci est b�ti sur l’image du semblable, l’homog�ne culturel physique�; en somme, le prochain. Toute conscience humaine, quel que soit le niveau de complexit� d’une civilisation — si niveau il y a — �merge dans l’habitude de voir le semblable, ce qui incline � se rassurer en pr�sence de l’homog�ne, celui dont l’�tranget� n’effraie pas, au premier abord, parce que justement il est le semblable absolu. On s’est accoutum�, d�s la tendre enfance, � le consid�rer sous cette figure. � l’oppos�, l’h�t�rog�ne, le diff�rent absolu (aspect physique, culturel) n’inspire gu�re confiance. Il est, dans une rencontre inaugurale, d’embl�e jet� hors de l’homog�ne humain et culturel. Il est celui qui doit entreprendre un chemin ascensionnel pour prouver son humanit�; celui qui doit m�riter d’�tre reconnu comme homme.
Cette tendance naturelle des hommes, dans une rencontre initiale, est une donn�e permanente dans l’histoire de ces derniers. Pour prouver le sens d’une telle affirmation, il suffit de s’en r�f�rer � quelques faits du pass�. Si je m’en tiens au Grec H�rodote, (ve si�cle av. J.-C.) consid�r� comme l’un des tout premiers historiens des civilisations occidentales, il s’est employ�, dans ses fameuses Histoires, � pr�senter les peuples non grecs, parmi lesquels il put s�journer, sous de multiples traits �tranges. � titre d’exemple, il d�crit les femmes amazones�[1] comme des �tres assoiff�s de la haine du masculin en g�n�ral. Selon des l�gendes qu’il rapporta sans aucun examen critique, elles n’h�sitaient pas � mutiler leur descendance m�le en les rendant aveugles ou boiteux d�s le berceau, le but �tant de soumettre tous les hommes aux travaux serviles. Pire, elles �taient suppos�es se repa�tre de chair humaine, combattaient � cheval et, pour avoir plus de dext�rit� dans le maniement des armes, comme l’arc, elles se coupaient m�me le sein droit etc.
Plus pr�s de nous, Claude L�vi-Strauss montre � quel point la singularit� des cultures et l’image du semblable fa�onnent les consciences en opposition � l’h�t�rog�ne, ce qui peut conduire � des atrocit�s. Ainsi en est-il du cas des Espagnols et des indig�nes am�rindiens, premiers occupants des Grandes Antilles. En effet, apr�s la d�couverte de l’Am�rique, les conqu�rants espagnols avaient un souci majeur�: comprendre si ces indig�nes avaient une �me et ainsi participaient de l’humanit�. D’o� des commissions d’enqu�te envoy�es sur place et des controverses au sein de l’�glise catholique � ce sujet. Du c�t� des autochtones, on n’h�sitait pas � plonger les prisonniers blancs sous l’eau pour savoir si leurs cadavres �taient, comme les leurs, soumis � la putr�faction. L’attitude des Europ�ens en Afrique noire ob�issait � la m�me curiosit�, aux m�mes peurs de l’autre et, en d�finitive, � l’�mergence des id�es pr�con�ues � son sujet. Ainsi, au xviie si�cle, Rousseau fut le premier philosophe des Lumi�res � d�noncer les pr�jug�s qui se dessinaient d�j� dans les �crits et les r�cits de voyage sur les peuples de ce continent. Le propos de Rousseau est presque apolog�tique puisqu’il �tait �tabli que les id�es que l’on se faisait sur les peuples noirs n’�taient rien d’autre que des pr�jug�s r�sultant de l’ignorance des r�alit�s internes � l’Afrique profonde. C’est en ce sens que cet auteur �crit�: ��ainsi de ce que nous n’avons pu p�n�trer dans le continent de l’Afrique, de ce que nous ignorons ce qui s’y passe, on nous fait conclure que les peuples en sont charg�s de vices�: c’est si nous avions trouv� le moyen d’y porter les n�tres qu’il faudrait tirer cette conclusion. Si j’�tais chef de quelqu’un des peuples de la N�gritie, je d�clare que je ferais �lever sur la fronti�re du pays une potence o� je ferais pendre sans r�mission le premier Europ�en qui oserait y p�n�trer, et le premier citoyen qui tenterait d’en sortir�� [1971�: 117].
M�me si Paul Ric�ur admet que, dans la rencontre entre les hommes, l’�tranget� d’autrui n’est jamais tout � fait absolue, il n’en demeure pas moins qu’il reconna�t en m�me temps que les cultures sont, en apparence, incommunicables�; m�me si, en r�alit�, des voies restent toujours ouvertes vers l’Autre dans le champ de la culture. En effet, par-del� l’�trange en l’autre que je d�couvre, que j’appr�hende en face et dont j’ignore tout de son int�riorit�, il y a comme une invitation � la communication, c’est-�-dire � une forme de compr�hension soit par imagination, soit par sympathie. La singularit� de la personne particuli�re n’est pas un frein absolu � l’instauration d’un espace de rencontre humaine�; ce qui peut diff�rer grandement au niveau de la culture des autres. Comme tout se passe dans une ignorance r�ciproque, on comprend que l’acc�s � autrui diff�rent passe par une sorte de transfert dans son espace culturel sans garantie d’atteindre l’authenticit� de ce qu’est l’autre. On court le risque de se m�prendre sur son compte, de se tromper, de l’imaginer en le d�figurant. Ce sont ces possibles m�sinterpr�tations de l’essence culturelle d’autrui que le philosophe am�ricain, d’origine palestinienne, Eward W. Said a magistralement d�montr� dans son Orientalisme. En effet, dans la rencontre de l’occident avec le monde arabe, les civilisations orientales (Moyen et Proche-Orient essentiellement) il y a, d�s le d�part, une incompr�hension. L’autre, l’Arabe, est plut�t imagin�, d�figur� � la fois dans le p�joratif et le laudatif tant dans la litt�rature, la philosophie, que dans les sciences humaines comme l’histoire. Bref il est devenu un objet culturel que la puissance des concepts s’est employ� � manipuler � son aise, suivant les imp�ratifs, les besoins, les tendances ou les attentes des Europ�ens depuis le Moyen-�ge jusqu’au xxe si�cle. Une telle donn�e historique conduit Said � �tablir que cette image d’Epinal, en s’imposant � l’imaginaire europ�en, a fa�onn� les mentalit�s au point de devenir pour ainsi dire constitutive des cultures occidentales. Car, d�s qu’appara�t un probl�me en Orient impliquant un conflit avec l’homme occidental, on n’h�site pas � aller chercher dans les m�andres de la m�moire ou dans les biblioth�ques les m�mes concepts, les m�mes id�es, les m�mes repr�sentations pour leur conf�rer des fonctions adapt�es aux besoins du moment, comme si le temps n’avait aucune prise sur les mentalit�s des uns et des autres.
N�anmoins, si cette analyse, dans sa g�n�ralit�, reste valable, l’�trange dans l’autre, peut �tre apprivois� et augurer ainsi une forme vivante de rencontre. Comme l’affirme Paul Ric�ur citant Heidegger, ��il nous faut nous d�payser dans nos propres origines�� pour cheminer vers ��une sorte de consonance, en l’absence de tout accord��, ou, plut�t, de tout amour-amiti� spontan�. La transcendance individuelle, me semble-t-il, r�side dans le droit de rena�tre � l’autre comme singuli�re r�alit� humaine parmi le r�gne des vivants. Dans cette perspective, les voyages trans- g�ographiques devraient pr�parer � une telle renaissance dans l’unit� des h�t�rog�n�it�s.
Dans un �crit assez r�cent�[2], je me suis fond� sur l’observation des comportements des touristes contemporains pour soutenir qu’en d�pit de la masse des gens qui voyagent sans arr�t � travers notre plan�te, ceux-ci sont dans l’ignorance des peuples visit�s. D’o� la faillite des rencontres inter-humaines. En g�n�ral, c’est moins les habitants des contr�s travers�es qui int�ressent ce genre de touristes que la soif d’assouvir des d�sirs�: exp�riences sexuelles, d�couvertes des paysages, passions des aventures d’endurance etc. Ce d�sint�r�t pour l’autre (sa culture, sa vie r�elle, ses us et coutumes) n’est pas un comportement sp�cifique � nos contemporains. D�j�, en son temps (xvie si�cle), Michel de Montaigne stigmatisait la conduite de ses compatriotes fran�aises qui ne savaient pas voyager. Du moins, selon Montaigne, ils voulaient retrouver � l’�tranger (les pays europ�ens) tout ce qu’ils avaient coutume de faire chez eux m�me. D�s lors, l’art de voyager consiste � suspendre ses habitudes, l’espace d’un tour, pour aller � la rencontre de l’autre, pour s’ouvrir � lui avec tout ce qu’il est�: sa culture, ses coutumes, ses habitudes culinaires, son mode d’accueil de l’�tranger etc. Mais, ceci n’est possible qu’au prix d’un renoncement � soi-m�me, � ses attaches, � sa vie triviale.
En ce sens, Jacques Lacarri�re n’h�site � parler de changement qui appel � diverses attitudes, jusque dans le d�tail, comme il l’�crit � juste titre�: ��Votre t�te, pour commencer, l’impression imm�diate que vous donnez avec votre regard, votre visage [...]. Et puis votre attitude, votre comportement � l’�gard du nouveau milieu et de ses habitudes [..., attitude qui doit faire de vous un h�te � la fois invisible et pr�sent�: invisible parce que vous devez oublier vos propres habitudes, vous fondre autant que possible dans le nouveau milieu, pr�sent parce qu’au fond, ce qu’on attend de vous n’est pas que vous deveniez brusquement Cr�tois pour un seul soir, mais d’�tre et de rester fran�ais chez les Cr�tois, avec tout ce que vous pouvez apporter, fournir � votre tour d’insolite ou simplement de m�connu��[1976�: 180]. Cet auteur insiste sur le fait qu’une telle forme de voyage ou de tourisme, c’est-�-dire avec un esprit ouvert et pr�t � cheminer vers l’autre dans sa diff�rence singuli�re, implique un changement d’habitudes du corps et une mani�re d’�tre plus riche avec autrui. Cette bonne disposition de mentalit� qui ne s’apprend pas dans les Ecoles, ni � l’ENA, ni � Polytechnique, ni � la Sorbonne, cr�e une confiance en soi qui incline � celle que nous pouvons avoir dans les autres. Mieux, elle suscite un besoin de rencontre avec les inconnus. On comprend alors, suivant cette conception du voyage, l’enthousiasme de Jacques Lacarri�re que son voyage en Cr�te, avec l’innocence de l’esprit et la volont� de l’intelligence de l’autre, a transform� de fa�on essentielle, quand il �crit�: ��... J’ai pu enfin me d�livrer du lieu de ma naissance, rompre avec ce faux cordon ombilical que tant d’�tres tra�nent avec eux toute leur vie. L�, j’ai commenc� mon apprentissage de v�ritable voyageur. Qu’est-ce, me direz-vous, qu’un v�ritable voyageur�? Celui qui, en chaque pays parcouru, par la seule rencontre des autres et l’oubli n�cessaire de lui-m�me, y recommence sa naissance�� (Ibidem). Pour atteindre � une telle volont� bonne inclinant � la rencontre ouverte sur la totalit� d’autrui avec sa r�alit� d’inconnu, d’�tranget�, il faut acc�der au statut de ce Michel de Montaigne qualifie d’honn�te homme, qui est essentiellement ��un homme m�lé », c’est-�-dire p�n�tr� de l’intelligence de la diff�rence, enrichi de ses us et coutumes singuli�res. Malheureusement, cette qualit� d’esprit, qui n’est pas r�ductible � une simple d�marche th�orique, mais exige de chacun de nous un effort intellectuel d’�l�vation, semble manquer � la masse des touristes contemporains. Le voyage devient non une invitation � la d�couverte des autres, mais un devoir de vacances qui compense le dur labeur d’une ann�e d’activit�. C’est ce qui conduit Jean Planchais � parler de volont� de ��rentabiliser tant que mal les distances parcourues��. D�s lors, ce qui motive de tels voyages, c’est plut�t l’ennui. D’o� l’abandon au ��farniente bronzeur�� (��Le Monde�� du 9 ao�t 1981). Il s’agit alors d’une tentative de fuite de soi-m�me dans ce genre de tourisme de masse qui se r�duit � une sorte de d�placement physique, en l’occurrence, du lieu du travail � l’endroit r�serv� � l’oisivet�. L’on se met alors � r�ver qu’en changeant ainsi de lieu, on parviendrait � une m�tamorphose personnelle, f�t-elle possible l’espace de quelques jours, oubliant qu’il s’agit essentiellement, en vacances, de se lib�rer de soi-m�me, voire des prolongements de soi que sont ses attaches triviales, de son enracinement dans le r�el pesant du quotidien.
On comprend que cette envie de fuir son ennui, de le tuer en quelque sorte, ou plut�t de l’oublier, et l’aventure d’un tourisme de compensation par rapport � la p�nibilit� du travail, donnent lieu � tous les exc�s. Ainsi, on remarque g�n�ralement que les touristes des pays du Nord opulent, en prenant le chemin des pays du Sud, zone des contr�es pauvres, qu’ils ne se privent pas, en ces lieux exotiques, de faire montre de richesse, d’opulence. Du moins, leurs moindres biens repr�sentent une valeur infiniment sup�rieure au pouvoir d’achat d’une grande majorit� des gens du Sud. Le touriste du Nord devient un attrait pour les jeunes gens qui peuvent avoir le privil�ge de les suivre. Par exemple, � Ouagadougou et dans quelques grandes villes du Burkina Faso, chaque touriste europ�en est poursuivi par une nu�e de jeunes marchands ambulants qui tentent de lui vendre quelques bibelots artisanaux. M�me quand il mange dans les restaurants de plein air, il est encore observ� avec envie�: l’envie de devenir riche comme lui. En Tunisie, qui est l’un des pays les plus attractifs du tourisme de masse pour les assoiff�s de vacances de loisir exotiques, le sociologue M.�Boudhiba affirme m�me que tout ce qui appartient au touriste du Nord est source de valeur, comme le ballon de plage, le rouge � l�vres, le drap de bain, la paire de lunettes etc.
D�s lors, les jeunes gens qui sont quotidiennement t�moins d’un tel �talage d’opulence, quel que soit le pays d’origine du touriste occidental, sont sujets � de fortes tentations de d�linquance�: voler pour acqu�rir des objets semblables aux siens, ou m�me le d�lester, par l’agression, de ses objets de valeur tant envi�s. Ils sont aussi enclins au d�sir de l’�migration pour �tre semblable au touriste du Nord. D’autant plus que les moyens financiers de ce dernier, imagin�s par les pauvres du Sud comme quasi in�puisables, lui permettent, en Tunisie, au Maroc ou ailleurs de tirer profit pleinement de toutes sortes de loisirs. En effet, il peut s’offrir l’animation ou l’ambiance concoct�es par les amuseurs publics�; les ��bo�tes de nuit�� de toutes sortes luis ont ouvertes o� il peut se livrer � la d�bauche qui lui sied dans la mesure o� il est venu pour laisser des devises dans le pays de s�jour et �tre servi en cons�quence. En ce sens, le tourisme contemporain ne conduit gu�re au dialogue avec l’autre, ni au souci de l’�galit�, non du point de vue des moyens financiers qui ne sont qu’accidentels, mais bien du point de la valeur intrins�que du sujet humain. Il est � sens unique, voire autistique�: on vient pour soi, on vit au milieu des autres avec soi-m�me, et on s’en repart plein de soi �panoui. On comprend alors que le sociologue Tunisien, M.�Boudhiba, puisse �crire, � propos du touriste des pays du Nord, avec une pointe d’amertume ceci�: ��Finalement, le touriste est un homme qui passe et qui ne voit rien. Et d’ailleurs que cherche-t-il sinon � �tre confirm� dans ses propres pr�jug�s, � retrouver ses propres habitudes de confort et jusqu’aux fausses images qu’il transporte avec lui sur le pays qu’il visit�?�� (��Courrier de l’Unesco��, f�vrier 1981).
C’est pour rompre avec cette sorte de modalit� de voyage et les probl�mes sociaux incommensurables qu’il a g�n�r�s dans certains pays du Sud, que le concept de tourisme �quitable a vu le jour dans les ann�es 1990�; et qu’il s’impose de fa�on remarquable aujourd’hui.
Comme pendant au commerce �quitable, le tourisme �quitable peut �tre �gren� sous de multiples vocables synonymiques. Que l’on parle de ��tourisme autrement��, de tourism for Help, de ��voyage solidaire et responsable��, de ��voyage humanitaire��, de ��tourisme et d�veloppement solidaire��, d’���cotourisme�� etc., il s’agit toujours du m�me ph�nom�ne ob�issant � des principes g�n�raux quasi semblables. Le point de d�part est le m�me�: le constat que le tourisme, sous sa forme classique ou de masse a conduit � une impasse quant � la communication avec l’Autre, en l’occurrence, les peuples visit�s, les pays travers�s. Malgr� l’intensit� et la fr�quence des voyages, la multiplication et la diversit� des destinations choisies, l’incompr�hension des Autres et l’ignorance de leurs cultures demeurent dans l’esprit du touriste des pays du Nord. Or, il est bien �tabli que le voyage devrait �tre l’un des moyens ad�quats de compr�hension des uns et des autres�; de communication entre les peuples. Il devrait m�me g�n�rer, d’un c�t� comme de l’autre, des apports mutuels d’enrichissement personnel tant sur le plan humain, culturel qu’�conomique. Sur ce dernier point, on sait que les devises apport�es par le tourisme, une fois entr�es dans les m�andres des caisses des Etats du Sud, n’en ressortent pas pour �tre mises au service du d�veloppement des peuples, voire de l’am�lioration de leurs conditions de vie.
Pour rompre avec cette pratique ordinaire, les initiateurs des projets de tourisme �quitable se fondent sur une philosophie g�n�reuse, en un sens id�aliste ou humaniste. En effet, dans la forme nouvelle de voyage propos�e, on cr�e un espace, les projets locaux, o� la rencontre d’homme � homme, dans l’h�t�rog�n�it�, devient possible, r�alisable. Par ce biais, la rencontre s’accomplit dans les discussions, la conduite des affaires communes�; et dans ce face � face, faire aboutir ensemble un projet dont la finalit� est de contribuer � l’am�lioration des conditions de vie des gens du Sud. � cet effet, l’initiateur du Nord s’implique avec les populations locales pour suivre pas � pas les diff�rents moments de la r�alisation d’un projet commun de tourisme �quitable. Cette pr�sence pleine des hommes diff�rents suppose le respect des personnes, mieux celui des cultures engag�es ainsi dans une sorte d’apprivoisement r�ciproque, une volont� de compr�hension mutuelle. Telle est, du moins, la philosophie de ��La case d’Alidou — Voyage solidaire au Burkina Faso��. Dans le document de pr�sentation en France de ce tourisme �quitable, les initiateurs insistent bien sur les points suivants�: ��15% du pris de votre s�jour servira � alimenter un fonds de solidarit� dont l’utilisation est d�cid�e par le Comit� des Sages du village. L’ensemble des prestations (nourriture, animations...) est assur�e par des gens du village. En cas d’interventions p�dagogiques, m�dicales, ou d’aide au d�veloppement, elles devront veiller � ne pas imposer aux populations nos modes de fonctionnement ou de pens�e, ni d’aller � l’encontre de leurs coutumes ou de leurs croyances. Il est le plus souvent pr�f�rable d’�couter et de comprendre, et de nous adapter.��
Le but de ces rapports imm�diats entre hommes de cultures diff�rentes est de construire ensemble un monde de demain o� le sens de la solidarit� l’emporte sur celui de la domination et de l’exploitation. A cet effet, les initiateurs du tourisme �quitable prennent des engagements clairs�: les projets sont con�us en accord avec les partenaires locaux de services ayant le souci de respecter les valeurs culturelles et sociales de ces derniers, comme le montre la remarque pr�c�dente, voire leur mode sp�cifique de d�veloppement. Tel se pr�sente aussi, entre autres formes de tourisme �quitables, ��CroQ’Nature�� — Amiti� franco-touareg�� cr�� en 1990. Cette association qui regroupe un certain nombre d’initiatives tant en Europe (France, Belgique etc.) qu’en Afrique, concerne une population qui s’�tend sur plusieurs pays dans la zone saharienne�: le Mali, le Niger, la Mauritanie, le Maroc, l’Alg�rie.
Le but des initiateurs est triple�: d’abord, comme le font de leur c�t� les cr�ateurs de ��la case d’Alidou��, �veiller la conscience des touristes du Nord qui voyagent avec eux � des conduites responsables, qui consistent dans le respect des diff�rentes cultures ou des traditions et coutumes des peuples qu’ils sont amen�s � rencontrer. En ce sens, ce n’est seulement l’attrait des paysages, les monuments historiques qui comptent, mais essentiellement la communication avec les population locales�; les �changes d’�tres humains � �tres humains. Les communaut�s d’accueil elles-m�mes, partenaires de l’entreprise en question, sont invit�s � cr�er un espace d’hospitalit� ou d’accueil o� les h�t�rog�n�it�s peuvent se rencontrer, coexister sans heurts insurmontables.
Ensuite, les initiateurs se battent pour trouver, au Nord, des sources de financement pour contribuer � la conception et � la r�alisation de projets touristiques (case d’accueil, formation de guides etc.) qui soit un facteur de d�veloppement durable. En effet, l’argent g�n�r� par les activit�s touristiques peut servir � construire des �coles comme ��La case d’Alidou est en train de le faire dans le village de Gon-Boussougou au Sud du Burkina Faso, des puits, des centres de sant�; et � am�liorer les conditions d’habitat par la r�novation ou la construction de maison plus confortables. Un certain nombre de villages au pays dogon (Mali) conna�t d�j� de telles modifications en terme de qualit� de vie. Enfin, ce tourisme, qui s’apparente � une sorte d’intelligence mutuelle, vise r�ellement � initier un d�veloppement durable. D’une part, les b�n�fices sont �quitablement partag�s, tant du c�t� du Sud que du Nord, suivant les besoins sp�cifiques des partenaires. Telle semble �tre la politique de CroQ’Nature. D’autres part, ces activit�s sont g�n�ratrices de travail salari� dont les familles, voire les collectivit�s b�n�ficient dans les pays du Sud. Ainsi, ��La case d’Alidou�� permet � une quarantaine de familles (ce qui, en r�alit� implique six cents personnes environ) de se nourrir des activit�s du tourisme �quitable.
Quand bien m�me l’initiative vient des gens du Sud, le but du tourisme �quitable est le m�me�: cr�er des emplois et tendre, autant que faire se peut, vers une autonomie de fonctionnement d’une entreprise, quelle que soit sa vocation. � titre d’exemple, je mentionne ici au passage, le projet de l’A.P.O.S ou ��Association pour la promotion de l’orphelin sanguié » � R�o (Burkiana Faso).�[3] Le fondateur de cet orphelinat, Charles Bakyono, a pu avoir un partenariat avec une association fran�aise de la r�gion de Toulouse, l’A.S.S.O.R. ou Association ��Sauvons les orphelins de R�o�� dont la Pr�sidente est Fran�oise Coste-Lacote. Prenant acte des entr�es difficiles des subventions de l’Etat burkinabe et des aides humanitaires venant de la France ou d’ailleurs pour assurer le fonctionnement du centre, Charles Bakyono a pens� � des sources d’autofinancement. � cette fin, il a cr��, depuis 2003, une structure de ��tourisme d’immersion��, li�e � ��La case d’Accueil��. Celle-ci re�oit des particuliers autant que des groupes. Le centre d’accueil est construit sur le mod�le des cours locales (enceintes familiales). Cette structure d’accueil touristique a d�j� embauch� un gardien pour veiller sur son fonctionnement. Malgr� son travail salari�, ce dernier peut, en outre, s’adonner au travail de ses champs personnels dont la production est n�cessaire � la survie de sa famille.
L’objectif de ce cr�ateur d’entreprise humanitaire est donc claire�: parvenir � trouver une activit� saisonni�re � quelques jeunes d�scolaris�s en les initiant � l’art de conter, au m�tier de guides pour faire visiter leur province aux touristes etc. Les b�n�fices qu’une telle activit� pourrait g�n�rer contribuerait � mieux faire fonctionner l’orphelinat, de fa�on autonome, � agrandir ses capacit�s d’accueil, � perfectionner la formation des aides maternelles par des stages �pisodiques, voire � embaucher d’autres aides maternelles.
Finalement, on pourrait dire que le tourisme �quitable permet d’envisager des ouvertures inou�es au niveau des liens humains, toute forme d’ang�lisme mise � part. Parmi celles-ci, on pourrait mentionner des rencontres inter-humaines fond�es sur le d�sir d’une meilleure intelligence r�ciproque. Dans cette perspective, le choc des cultures relatif � l’interf�rence de la pauvret� des pays du Sud et de l’opulence des pays du Nord, par le bais du tourisme, pourrait �tre att�nu�. En effet, je puis tout � fait comprendre l’autre, malgr� son statut de privil�gi� ou de personne d�favoris�e sans �prouver pour autant quelque complexe. En outre, l’orientation du tourisme �quitable dans un processus de d�veloppement durable para�t cr�dible en raison de r�alisations concr�tes d’entreprises qui tiennent encore au Mali, au Burkina Faso, en Mauritanie etc., malgr�, parfois, des difficult�s majeures de gestion et de fonctionnement.
Mais, le tourisme �quitable doit �viter l’�cueil de l’humanitaire dont Xavier Emmanuelli a d�nonc� les effets pervers dans un article au Monde�: ��Pour ce qui concerne les associations, l’humanitarisme les fait pulluler par certaines, par milliers, par myriades... Au Burkina Faso, plus de 600 d’entre elles interviennent � des titres diff�rents. Le Sahel fourmille de ces bonnes volont�s qui lancent un petit projet, un petit temps, qui s’en retournent la foire �teinte, les moyens �puis�s. Les pompes � eau pompent et saccagent la nappe phr�atique, plant�es dans le plus grand d�sordre. Puis, elles s’arr�tent, faute d’entretien, d�pos�es au gr� d’un ancien ��Paris-Dakar��, d’un raid routier, d’une action isol�e�; d’un sursaut de b�n�voles ou d’un �lan de g�n�rosité ». Dans la perspective du tourisme �quitable, il s’agit d’�viter des actions sans lendemain, comme celles-ci, qui sont causes de frustrations, de souffrances pour les gens des pays du Sud. Les initiateurs du tourisme �quitable font de leurs partenaires des pays du Sud des acteurs responsables et conscients du b�n�fice de la r�ussite de leurs entreprises et non des assist�s qu’on vient aider passivement sans qu’ils aient rien demand� de sp�cial. La garantie de la durabilit� de ce nouveau processus de d�veloppement tient � l’initiative et � l’engagement des acteurs eux-m�mes des pays du Sud.
[1] — Cf Bamony Pierre (2005)�: L’h�donisme au f�minin. Bio-anthropologie de l’H�donisme f�minin�: le passage de la polyandrie � la polyandrogynie universelle comme conformit� aux lois de la vie, premi�re mise en ligne 01/02/2005, http://www.hommes-et-faits.com/anthropsy/PB_Hedonismme_Res.htm.
[2] — Pierre Bamony (2001)�: La solitude du mutant — �loge de la bi-culture (Thot, Grenoble, 426 p. (www.editionsthot.com)
[3] — Voir commentaire apr�s l’article.
Vous trouverez un autre article de Pierre Bamony � cette adresse�:
http://vcampus.univ-perp.fr/espritcritique/0602/esp0602article08.pdf
Esprit critique, vol. 06, N�2.
Bonjour Pierre Laisses moi un petit peu de temps pour lire ton article
Lionel et Sabine d’Alix
Pour plus d’information
sur l’APOS, ses perspectives et ses coordonn�es, voici quelques donn�es et
les contacts�:
PERSPECTIVES D’AVENIR
Face � l’imp�rieuse n�cessit� de d�velopper ses capacit�s
d’intervention en r�ponse aux nombreuses sollicitudes des populations, les
perspectives d’avenir de l’APOS s’articulent autour des aspects suivants�:
—�
L’am�lioration des conditions de
travail du personnel d’encadrement�;
—��
L’am�lioration et la promotion des activit�s � caract�re �conomiques�;
—�
La construction du site d�finitif de la ��case d’accueil���et du si�ge de l’association�;
—�
La recherche de partenaires financiers�;
—�
Promotion de la troupe de danse traditionnelle.
Pour s’informer et soutenir nos actions, il est possible de s’adresser �:
�
Association Pour la Promotion de l’Orphelin au Sangui�
�
BP 79 REO/ PROVINCE DU SANGUIE/ BURKINA-FASO
�
Tel�:(00226) 50 44 50 75/ 70 18 69 55
Prenez contact avec nous�:
Contact��:
Charles BAKYONO�: [email protected]
Contact de l’ASSOR�: en France, Si�ge social�: 31260
Castelbiaque
T�l (Fran�oise Coste-Lacote)�: en France�: 05-61-97-23-71 Port.
06-11-33-43-98
Au Burkina Faso 00-226-50-44-50-75 Port. 00-226-76-57-85-70